Charles-Simon Favart
L’Amour impromptu
Parodie de l’acte d’Églé, dans les Talents lyriques
Représentée sur le Théâtre de l’Opéra-Comique
le 10 Juillet 1756
Paris, chez Duchesne, 1756
Acteurs
Tonton, jeune Bergère : Mademoiselle Prudhomme
Sansonnet, amant de Tonton : Monsieur Laruette
Nicolas, paysan, amoureux de Tonton : Monsieur Delisle
Colin, berger, jouant du flageolet, personnage muet
Une Bergère : Mademoiselle Baptiste
Une Danseuse, maîtresse de Tonton : Mademoiselle le Clerc
Troupe de bergers, amants de Tonton
Troupe de bergères
La scène se passe dans un hameau.
L’Amour impromptu
Scène i
Sansonnet seul
sansonnet
Air : La bonne aventure, ô gué
Ah ! que de plaisirs j’aurai !
Je me les figure :
En ces lieux je charmerai
Quelque créature.
Sansonnet dans un hameau
Vient chercher incognito
La bonne aventure, ô gué,
La bonne aventure.
Air : La besogne
Qui croirait voir sous ces habits
Un maître à chanter de Paris ?
Motus, je vois quelqu’un paraître,
Ne nous faisons pas reconnaître.
Scène ii
Nicolas, Sansonnet
nicolas
Air : Je vous la gringole
Amants qui voulez dénicher
Le cœur de votre belle,
Il faut la fuir et lui cacher
L’ardeur qu’on a pour elle.
Elle viendra vous chercher.
La maxime est nouvelle.
sansonnet
Air : Fanfare de Bourgogne
Quelle fête se prépare
En ce beau jour parmi vous ?
nicolas
C’est que Tonton se déclare
Et prend enfin un époux.
Par une étrange imprudence,
Dont je suis tout stupéfait,
On fait la noce d’avance,
Son choix n’est pas encore fait.
Comment donc ce p’tit libertin, \provair des Amours champêtres Margoton a sous le menton
En secret j’en sommes épris,
Et j’ons de quoi li plaire :
Dans ma taille je sis bien pris,
Et ça fait que j’espère,
Com’ des chevreaux,
Mes rivaux,
Autour d’elle
Dansons,
Bondissons,
Pour charmer la belle ;
Mais j’obtiendrai du retour
Si Tonton, en ce jour,
Veut se rendre aux talents de l’amour.
sansonnet
Air : Avec vous, je veux m’unir
Étranger dans ce canton,
J’ignore quelle est Tonton.
nicolas
Daignais donc m’entendre,
J’allons vous l’apprendre.
Air : Tant amoureusement
C’est une jeune bergère
À qui je voulons tous plaire,
Et qui danse incessamment,
Et tant amoureuse,
Et qui saute incessamment,
Tant amoureusement.
Air : Il était un moine blanc
Une danseuse de nom
A pris soin de ce tendron,
Et du bel art de la danse
Li montre la manigance.
Air : Ziste, zeste, voilà comme il faut
Depuis, cette jeune élève
Ne fait que cabrioler :
Quand je vois qu’elle s’enlève,
Je crois qu’elle va voler.
Et ziste, zeste, leste, leste, preste,
Toujours le pied haut.
Tatigué qu’elle est légère,
Toujours prête à faire, lanlère,
Toujours prête à faire le saut !
Air : Le bon branle
Pour moi je grille dans ma peau,
Drès que son jarret branle,
Drès l’aurore autour de l’ormiau
Elle fait danser le hamiau.
Tout chacun est en branle,
Toujours au son du chalumiau
Tonton mène le branle.
Air : Vantez-vous en
Sa maîtresse qui n’est pas chiche,
Li baille une dot assez riche,
Pour qu’elle prenne parmi nous
Un jeune époux,
Un bon époux.
sansonnet
Son choix va se fixer sur vous.
nicolas
Oui. Je n’la lairons pas en friche.
sansonnet
Elle vous aime ?
nicolas
Apparemment.
Vantez-vous en.
Air : Tambour battant
Il est bien vrai que de son feu
Elle me fait encor mystère ;
Mais palsanguenne, v’là le jeu.
Car lorsqu’on aime il faut se taire.
Pour moi, j’l’aimons d’un amour qu’est si discret,
Qu’elle ignore itou mon secret.
sansonnet
Air : La jeune Isabelle
Ah ! tu me fait rire.
Pourquoi le dis-tu ?
nicolas
Je ne le viens dire
Qu’au premier venu.
sansonnet
Ta rare prudence,
Tes sages amours
Auront récompense :
Attends-la toujours.
nicolas
Air : Le fameux Diogène
Il faut que je m’en aille,
Car je crois qu’il me raille.
Tout le monde a ce tic.
sansonnet
Ah ! que rien ne te choque,
Si de toi je me moque,
C’est d’après le public.
nicolas
Air : Il faut l’envoyer à l’école
Tonton vient danser en ces lieux,
Cachons-li toujours que je l’aime.
Je dois même
Éviter de voir ses beaux yeux.
De nous j’allons la rendre folle,
Car sans li dire un mot, je sors.
sansonnet
Le sot corps,
Il faut l’envoyer à l’école.
Scène iii
Tonton, Sansonnet, Colin jouant du flageolet
Tonton entre en dansant au son du flageolet, pendant que Sansonnet chante les airs suivants.
sansonnet
Air : Au bord d’une fontaine
Ô dieux ! dieux ! qu’elle est belle !
L’amour la conduit,
Elle enchante et séduit,
Mon cœur saute comme elle,
Mon âme s’enivre et la suit.
Quand d’une aile légère,
Un vent badin aux champs ravit les fleurs,
Telle est cette bergère,
En voltigeant, elle enlève nos cœurs.
Air : Ah ! qu’elle est belle
Quitte la plaine,
Dieux des zéphyrs,
Joins ton haleine
À mes soupirs.
Vole et badine
Entre ses pas.
Sa jambe fine
Pour mon cœurs forme des lacs.
Quitte la plaine,
Dieu des zéphyrs,
Joins ton haleine
À mes soupirs.
Dieux ! elle ouvre
Vers moi ses bras !
Je découvre...
Que d’appâts !
Ah ! souffle encore,
Dieu des zéphyrs,
Mon œdévore...
Sert mes désirs.
À Colin.
Air : Suivons, suivons l’Amour
Crois-tu qu’un chalumeau puisse fixer son choix ?
Non, non, non, c’est le son de ma voix.
Air : Et je l’ai pris pour mon valet
Tu veux donc, mon pauvre nigaud,
Avoir la préférence ?
Tu n’as pas le talent qu’il faut
Pour bien guider sa danse.
Tu prétends être son amant
À cause de ton instrument.
Tu n’es bon que pour son valet
À cause de ton flageolet.
Tonton danse la reprise du rondeau ci-dessus, et se rend à Sansonnet.
sansonnet
Air : Le seul flageolet de Colin
Mais il brise son flageolet,
Il gémit, il soupire.
Ah ! si de ce petit Gingeolet
Tonton ne fait que rire,
Moi qui chante en rossignolet,
Je saurai bien la réduire.
Air : Amis, sans regretter Paris
Sans sujet le benêt s’en va,
Quelle figure plate !
Je crois qu’on a fait venir là,
Le flûteur automate.
tonton
Air : Oh, oh ! Ah, ah
Mon cœur est tout ému,
Ce garçon me plaît fort,
À peine l’ai-je vu,
Hélas ! c’est pis qu’un sort,
Oh, oh ! Ah, ah !
Eh, comment donc ? pourquoi cela ?
sansonnet
Air : Un inconnu
Un inconnu qui par hasard vous aime,
Apprend de vous qu’il peut être amoureux.
Sa flamme extrême
Naît de vos yeux,
En vous voyant, pourra-t’il être heureux ?
De vous, hélas ! l’apprendra-t’il de même ?
Air : Point de bruit, bouche close
Répondez...
tonton
Je respire...
À part.
Que lui dire ?
sansonnet
Je soupire.
tonton
Attendez,
Je respire...
À part.
Que lui dire ?
sansonnet
Répondez.
tonton
Je me sens
Essoufflée...
[À part.]
Ses accents
M’ont troublée.
Avouerai-je que mon choix...
sansonnet
Achevez.
tonton
Je perds la voix.
Quand l’amant
Sait nous plaire,
Pourquoi faire
La sévère ?
Sottement
On diffère.
Le mystère
Se dément.
Air : Ne v’là-t’il pas que j’aime
Vos feux seront récompensés.
sansonnet
Mon bonheur est extrême.
tonton
Cher inconnu, vous paraissez,
Ne vl’à-t’il pas que j’aime !
sansonnet
Air : Par ma foi, l’eau me vient à la bouche
Quoi ! déjà flatter mon espérance ?
Tonton ne sait pas faire languir.
tonton
Ah ! j’ignore par quelle puissance...
Mais mon cœur ne peut se retenir.
sansonnet
C’est un air qui se gagne en France !
Ici ma présence
Produit cela.
Oui, c’est un effet de l’influence
Que j’apporte du grand Opéra.
tonton
Air : Prévôt des Marchands
Vous m’aimez ?
sansonnet
Très fort.
tonton
Sans façon,
Je vous aime aussi tout de bon.
Je m’épargne la résistance,
Et je me rends sans biaiser.
sansonnet
Les chastes nymphes de la danse
Ont coutume ainsi d’en user.
Air : Chapeau bordé, habit de Pinchina
Suivant l’usage, finissons donc,
Belle Tonton,
Par un duo
Vif et nouveau.
C’est en ce ton-là, là, là, là, là,
Ajustons nos voix,
Une, deux, trois.
tonton et sansonnet, ensemble
Air : Nous nous marierons dimanche
Vous et moi d’abord,
Nous sommes d’accord.
deuxcol,
Je suis d’humeur vive et franche.
J’aime une humeur vive et franche.
tonton
Vous m’avez plu,
Tout est conclu,
Je tranche.
Pour vous mon cœur
Avec ardeur s’épanche.
ensemble, ensemble
deuxcol,
Mon cher Sansonnet
Vous êtes mon fait.
Parbleu, Sansonnet
Est bien votre fait.
ensemble, ensemble
Nous nous marierons dimanche.
tonton
Air : Triolets
Je n’aimerai jamais que vous.
sansonnet
C’est ainsi qu’amour veut qu’on aime.
tonton
Et quand je ferai les yeux doux,
À quelqu’autre, mon cher époux,
Je n’aimerai jamais que vous,
Tonton sera toujours la même.
sansonnet
Moi, je ne serai point jaloux.
tonton
C’est ainsi qu’Amour veut qu’on aime.
Scène iv
Tonton, Sansonnet, Nicolas, autres amants de Tonton
Entrée des Amants de Tonton.
L’orchestre joue l’air : Eh, zing, zing, zing, madame la Mariée.
une bergère, chante sur le même air
L’amour qui règne dans nos bois,
Hymen, t’implore par nos voix,
Hymen charmant,
Confonds l’époux avec l’amant ;
Et qu’on ignore qui des deux
Peut nous faire un sort plus heureux.
La symphonie répète le refrain.
tonton
Air : Monsieur l’abbé, où allez vous
Pour l’amour nos hameaux sont faits,
Et les amants y sont parfaits.
Ce n’est point pour la gloire...
sansonnet
Hé bien ?
tonton
Qu’ils tentent la victoire,
Vous m’entendez bien.
Les amants de Tonton dansent autour d’elle, elle danse à son tour au milieu d’eux, et jette son mouchoir à Sansonnet ; les autres se retirent, furieux.
sansonnet
Air : À la façon de Barbari
Un sultan jette le mouchoir
À l’objet qu’il préfère ;
Sur ce modèle on nous fait voir
Une jeune bergère.
nicolas
Elle choisit un inconnu,
Un premier venu,
Qui l’aurait prévu ?
La Bergère
Oui, Tonton fait un choix, ici,
Biribi,
À la façon de Barbari
Mon ami.
nicolas, à Sansonnet
Air : Toujours va qui danse
Je devrais bien, d’un coup de poing,
Rabattre sa suffisance.
Mais morgué, ne nous fâchons point ;
Queuqu’jour, j’aurons vengeance.
Avec c’te p’tit’ personne-là,
Qu’il aura bonne chance !
Pour nous elle a la, la, la, la,
Trop l’air à la danse.
sansonnet
Air : Simone, ma Simone
Cessez, faquin, de m’insulter.
Je dois éclater :
Ma conquête doit la flatter,
Et sous cette figure
Est Sansonnet, maître à chanter.
Pour mieux dire, Mercure ?
tonton
Air : Une nuit ronflant à merveille
Pourquoi citer ici Mercure ?
sansonnet
Je l’ai nommé par aventure.
tonton
Parlons à propos de cela.
Mercure est Dieu de l’éloquence,
Et non du chant qu’on lui dispense
Si largement à l’Opéra.
Mercure a bien affaire-là !
sansonnet
C’est le lieu de sa résidence,
Il domine le chant, la danse :
Allez, Mercure en cet endroit
Est plus à propos qu’on ne croit.
tonton
Air : L’amour comme Neptune
Venez bergers, bergères,
Lieux communs d’Opéra.
Soyez constants, sincères
Autant qu’il vous plaira :
Inventez une fête
Pour faire honneur à mon choix.
Célébrez dans ces bois
Les amoureuses lois,
Les plaisirs qu’Amour m’apprête,
Ce que nos voix
On dit cent fois.
Danse de bergers et de bergères.
chœur
Air : J’ai du bon tabac dans ma tabatière
D’un maître à chanter, Tonton est l’épouse,
Chantons son bonheur.
Pour elle quel honneur !
sansonnet
Mes amis, chantez tous en chœur,
Que Tonton a gagné mon cœur.
chœur
Ses rivaux n’ont point une humeur jalouse.
Chantons tous en chœur,
Que Tonton a son cœur.
Scène v
Les précédents, une danseuse
tonton
Un saut, deux saut Les Sept sauts
J’aperçois une fringante maîtresse
Qui m’a rendu le jarret dispos.
À mon hymen elle s’intéresse.
Faites-lui compliment en deux mots.
Elle vient fort à propos,
Pour faire avec nous un saut,
Deux sauts, trois sauts.
sansonnet, à la danseuse
Air : Ah ! Philis, je vous vois, je vous aime
Faites Madame,
Que ma jeune femme,
Sous votre auspice entre au grand Opéra.
Qu’elle commence
D’abord par la danse,
À bien chanter, mon soin lui montrera :
Son chant, sa danse et caetera
Triple produit rapportera.
Faites Madame,
Que ma jeune femme,
Sous votre auspice entre au grand Opéra.
Air : Sur le pont d’Avignon
Vous verrez les seigneurs les plus polis de France
Partager mes transports et ma reconnaissance.
La danseuse fait un signe de consentement, et prend Tonton pour danser.
sansonnet
Air : Contre l’amour, jeunes beautés
Chantez,
Sautez,
Jeunes beautés
Qui souhaitez
Faire votre fortune.
Tonton en va faire une.
De vos talents, jeunes beautés,
Prudemment profitez.
Oui, tous les jours,
Vous changerez d’atours
Par le secours
Des talents de coulisse.
Ne craignez rien, c’est un effet de l’art
Si par hasard,
Tôt ou tard,
Le pied glisse.
On danse.
une bergère
Air : Tambourin de l’Opéra
Prenez au village une maîtresse,
On voit des attraits
Tels qu’ils sont faits.
Cupidon inspire la tendresse
À l’aspect galant
D’un petit jupon blanc.
Le panier n’y fait point d’étalage,
Les cœurs n’y parlent que leur langage.
Sans mystère,
La bergère
Plaît, sans chercher l’art de plaire.
Prenez au village etc.
On met à part,
Sans nul égard,
Mouches et fard,
Monstres de l’art
De l’eau dans sa fraîcheur,
Chaque matin
Épanouit la fleur
D’un jeune teint.
Quelquefois le corset
Sent la violette ou l’œillet ;
Mais jamais l’ambre ni le musc
Ne parfumèrent le busc.
Prenez au village etc.
Si l’on fait
Des soupirs,
C’est l’effet
Des plaisirs ;
L’amour naïf,
Enfant craintif,
D’un rien s’enfuit.
Le bruit,
Lui nuit.
Il s’envole en ce séjour,
Loin de la Cour ;
Il règne en paix
Dans nos bosquets ;
Point de caquets,
De freluquets,
D’Abbés coquets.
Ici l’amant
Va rondement.
C’est dans ce canton
Que le garçon
Donne leçon.
Mais un tendron,
Né dans Paris,
Instruit ses favoris.
Qu’ici le penchant,
Soit trop puissant,
On suit le cours
De ses amours.
Mais à la ville, on le prévient toujours.
Prenez au village etc.
Contredanse générale qui finit la pièce.
Fin