Charles-Simon Favart
L’Astrologue de village
Parodie critique de l’opéra des Caractères de la Folie
Représentée à la foire Saint-Laurent
1743
BnF ms. fr. 9325
definitacteur, l’astrologue astro
definitacteur, fut-fa fufa
Acteurs
l’astrologue : Mademoiselle Darimath
florise, bergère : Mademoiselle Rémond
persliste, L’Ecluze lucas
persliste, Mademoiselle Vérité l’aînée palmire
eucharis : Madmoiselle Brillant
un comédien français
fut-fu, député de l’Opéra : Parent
La scène est dans un village.
L’Astrologue de village
Scène i
lucas, florise
lucas
Air : Je suis bon petit garçon
Pourquoi, ma dondon,
Me fuyez-vous donc ?
J’ai pour vous mon trognon
Un respect sans égal.
Je suis bon petit garçon,
Je ne pense aucun mal.
florise
Air : Tout règne aujourd’hui dans le monde
L’amant trop pressant nous irrite,
Notre honneur s’oppose à ses vœux ;
Mais celui qui fait l’hypocrite
Est pour nous bien plus dangereux
Car, sans paraître qu’il y touche,
Zeste ! Il attrape sans témoins
Une fille comme une mouche,
Alors qu’elle y pense le moins.
lucas
Air : Branle de Metz
J’y mettons tous deux du nôtre !
À quoi sans tant de froideur
Lucas vous baille son cœur
Pargué bailliez ly le vôtre.
florise
S’il m’était permis d’aimer,
J’aimerais tout comme une autre,
S’il m’était [permis d’aimer,]
Toi seul pourrais m’enflammer.
lucas
Air : [Je suis un bon soldat] titata
Jarni, si c’est comme ça
Touchez là !
Qu’est-ce qui vous en empêche ?
florise
À moi ne t’en prends pas,
Cher Lucas,
Si je te suis revêche.
lucas
Air : Il était un moine blanc
Expliquez-nous donc ce point ?
florise
Les astres ne veulent point
Qu’avec toi je sois unie.
lucas
Et d’où vient leur fantaisie ?
Parguenne, vous me la baillez belle.
Air : Il est certain petit moment
Quoi ? Vous croyez donc bonnement
Que quand une fille est nubile
Tous les astres sont en mouvement
Pour lui faire le choix d’un amant ?
florise
Air : Quien Pierrot veux-tu savoir ?
Oh ! C’est un fait des plus certains.
lucas
Qui vous boute en la cervelle
Que les astres seraient chagrins
De notre ardeur mutuelle ?
florise
Ami Lucas,
Si tu savais
Je crois, hélas,
Que t’en mourrais
D’une frayeur mortelle.
Les présages les plus affreux m’en assurent.
Air : Vous vous en flattez vainement
L’été, j’ai vu de nos ruisseaux
Tarir la source pure.
L’hiver, j’ai vu glacer les eaux
Et mourir la verdure.
De nos arbrisseaux
j’ai vu les rameaux
Dépouillés de parure.
J’en frémis d’effroi,
Ah ! Tout est, pour moi,
Changé dans la nature.
lucas
V’là qu’est ben terrible.
florise
En un mot, je ne t’aimerai point que je n’aie consulté là-dessus l’astrologue qui demeure dans notre village. Et j’y cours de ce pas.
Scène ii
l’astrologue, lucas
lucas
Je crois, morgué, qu’elle en a vu grain. Mais v’là fort à propos notre diseur de bonne aventure. Il faut le prévenir là-dessus.
Air : Le prévôt [des marchands]
Monsieur le faiseur d’almanachs,
Je viens à vous pour certains cas,
Je crains le plus grand des désastres.
astro
Paix ! Chut ! Ne m’interrompez pas !
Je veux avant chanter aux astres,
L’idée est prise des Incas.
Air : Routes du monde
Astres, qui réglez le destin,
Vous n’avez jamais soif ni faim
Et vous vivez dans l’innocence,
Vous ignorez jusqu’aux trésors
Et vous méprisez l’opulence
Que suivent toujours les remords.
Allons chorus.
ensemble, ensemble
Vous ignorez jusqu’aux trésors
[Et vous méprisez l’opulence
Que suivent toujours les remords.]
lucas
Air : Réveillez-vous [belle endormie]
Mais nous prenons bien de la peine
De nous égosiller ainsi :
Pourquoi se mettre hors d’haleine
Pour chanter un amphigouri ?
astro
Dis à présent ce que tu voudras. Je suis prêt à t’entendre.
lucas
Air : L’autre nuit j’aperçus [en songe]
D’une bergère du village
Je me suis déclaré l’amant
Et d’elle mon destin dépend.
astro
Tu veux l’avoir en mariage
Il faut sur le sort qui t’attend
Que je consulte le croissant.
lucas
Il ne s’agit pas encore d’épousailles.
Air : [Va,] tu as raison, la Tulipe
Quand je dis à mon amoureuse
Que ses yeux causent ma langueur
Al dit qu’alle elle estime mon cœur.
L’estime est une viande creuse :
Je veux, et c’est fort naturel,
Quelque chose de plus réel.
astro
Air : Les proverbes
Puisqu’on t’estime, on est prêt à se rendre
C’est la pudeur qui veut prendre un détour.
Elle inventa l’estime la plus tendre
Pour servir de voile à l’amour.
lucas
Qu’est-ce que c’est que ça, la pudeur qui invente l’estime pour servir de voile ?
astro
C’est le style de centurie. Apprends, mon ami, qu’un astrologue parle autrement que le vulgaire.
lucas
Venons donc au fait. Florise, ma maîtresse, m’aime à la folie mais elle dit qu’elle ne veut pas m’aimer à moins qu’elle n’ait le consentement de l’astrologie, elle veut vous consulter pour ça, et je vous prions de me rendre un petit service.
astro
Quel est-il ?
lucas
airvide
On vante votre science
Et votre esprit est profond,
Mais, Monsieur, en conscience,
Vous êtes un peu fripon.
Vous pourrez par votre adresse
Déterminer ma maîtresse
À se déclarer pour moi :
Je vous charge de cet emploi.
astro
Comment ?
lucas
Oui, vous direz que le soleil, la lune et l’étoile poulinière voulons absolument que je sois son amoureux.
astro
Parle donc ! hé ! maraud, pour qui me prends-tu ?
lucas
Eh là, là, tout doux.
Air : Que je suis à plaindre [de cette débauche]
Je sais bien qu’ici l’on vous renomme
Pour un astrologue fameux,
Et je vous croirai fort habile homme
Pourvu que vous me rendiez heureux.
Pargué, ça ne vous coûtera pas plus que d’annoncer la pluie et le beau temps, vous n’obligerez pas un ingrat et j’achèterai de vos almanachs.
astro
Monsieur Lucas, vous êtes trop fin pour moi.
Air : Par bonheur, ou par malheur
Si je te croyais discret...
lucas
Je sais garder le secret !
Mais j’aperçois ma bergère.
astro
Va te cacher dans ce coin,
Je veux bien te satisfaire.
lucas
Je reconnaîtrons ce soin.
Scène iii
l’astrologue, florise
astro
Air : Le mari pulmonique
Vous venez, ma belle brune,
Pour savoir votre bonne fortune.
Approchez, on vous la dira, la, la
[Lire lire lira liron fa]
J’ai lu dans la lune
Que l’amour vous importune
On trouvera
Remède à cela la la
[Lire lire lira liron fafa
Lire lire lira liron fa].
florise
Air : Vous en venez [, vous en venez]
Ah ! Quelle divine science !
astro
Lucas vous plaît.
florise
Vous m’étonnez !
astro
Vous en tenez, vous en tenez,
Oui, pour Lucas vous en tenez.
florise
Vous devinez.
Air : Monsieur de Catinat
Puisque vous savez tout, je ne vous cache rien :
D’accord, j’aime Lucas. Dites-moi, fais-je bien ?
astro
Votre cœur est à vous comme à Lucas le sien,
Chacun peut comme il veut disposer de son bien.
florise
Les astres n’en seront-ils pas fâchés ?
astro
Air : La bonne aventure
De ton penchant, suis le cours
Aucun n’en murmure,
Mon enfant dans tes amours
De toi dépendra toujours
La bonne aventure, o gué !
[La bonne aventure.]
Scène iv
les précédents, lucas
lucas
Air : Et non, non, non, [je n’en veux pas davantage]
Achevez, ma chère amie,
Pour moi décidez-vous donc !
florise
Que vois-je ? Je suis trahie.
Qu’importe, le cœur est bon.
lucas
Moquons-nous d’un vain présage
Nous soupirons à l’unisson
Et non, non, non
Il n’en faut pas davantage.
ensemble, ensemble
Ah, Lucas, je vous ai, je vous aime !
Mon trognon, je vous ai, je vous aime !
Oui, je vous ai, je vous aimerai tant.
C’est l’amour qui rend content.
lucas
Rendez grâce à monsieur qu’est ben obligeant.
ensemble, ensemble
Ah, Lucas, etc.
astro
Air : Confiteor
Faites le bonheur de Lucas,
Que ce soit là ma récompense.
Allez
florise
Je n’y manquerai pas.
astro
Mais j’admire ma complaisance !
J’en ai donc l’honneur tout entier,
Je fais un fort joli métier.
Scène v
l’astrologue, palmire
palmire
Air : Le péril
Vous voyez la reine Palmire
Qui vient implorer votre appui.
astro
Je vous reconnais à l’ennui
Que votre aspect m’inspire.
palmire
Air : Mathurin
J’apporte une tristesse
Dont chacun est glacé.
astro
Eh pourquoi, ma princesse ?
palmire
Ciel ! À ce point puis-je être avilie ?
L’Opéra se moque, en vérité.
Les caractères de la folie
Cadrent mal avec ma gravité !
astro
Vous n’êtes pas si déplacée. Il y a des fous joyeux et des mélancoliques, vous êtes de cette dernière espèce. Mais quel sujet vous amène ?
palmire
Air : J’en suis bien contente
Deux beaux princes de ma cour
Que mon œil enchante
Viennent me parler d’amour.
Tous deux sont vifs, galants et faits au tour
J’en suis bien contente.
Air : Filles qui passez par ici
Je veux l’un des deux pour époux
Mais le choix m’embarrasse ;
Pour cela, je m’adresse à vous
Conseillez-moi de grâce.
astro
Air : La blonde et la brune
Il faut choisir le plus aimable.
palmire
De même ils le sont tous les deux.
astro
Prenez le plus recommandable.
palmire
Ils sont tous deux aussi fameux.
astro
Prenez celui qui mieux vous aime.
palmire
C’est égal.
astro
Qui vous plaît le mieux ?
palmire
Je les aime tous deux de même.
astro
Hé bien ! Prenez-les tous les deux.
palmire
airvide
Je dois dans mes amours, garder la bienséance,
Languirai-je toujours dans l’embarras du choix ?
Qui des deux doit, enfin, avoir la préférence ?
Pour obtenir ma main tous deux ont mêmes droits.
astro
Attendez, je vais consulter la lune.
Air : Il était un avocat
Votre embarras finira,
Tourlourirette [lironfa],
Je vois un moyen pour cela,
Tour[e tourlourirette,]
Le plus fou vous obtiendra
Tour[lourirette lironfa].
Faites assembler vos sujets. Les deux princes rivaux vous chanteront en chœur un serment de fidélité sur l’air d’une tempête, ensuite vous direz à vos deux amantes :
Air : Gardons nos moutons
À l’un je cède la grandeur,
À l’autre je me donne.
Celui qui veut avoir mon cœur
N’aura pas ma couronne.
Tous deux ensemble nous irons
Dans un réduit champêtre
Garder les dindons,
Lirette liron,
Mener les moutons paître.
palmire
Air : Les bons villageois
Mener paître les moutons !
astro
Non, non, bannissez votre crainte !
Par là nous les éprouvons
Et le tout n’est rien qu’une feinte.
palmire
Personne assez fou ne sera
Pour donner dans ce panneau-là.
astro
Je vous dis qu’on y donnera.
palmire
Il faut donc éprouver cela.
Scène vi
l’astrologue, eucharis
eucharis
Air : Pendu
Je suis la charmante Eucharis,
De la beauté j’obtiens le prix
Mais, je n’en suis pas plus heureuse !
Ah, Monsieur, je suis amoureuse
D’un garçon tout des plus gentils
Mais je n’en ai que des mépris.
astro
C’est fort mal en agir avec vous.
eucharis
Air : Nouveau monde
Il me dit bien d’un air galant,
Ou plutôt d’un air nonchalant,
Qu’à ma beauté tout rend les armes.
Mais ce n’est qu’un vain compliment !
Ce sont les transports d’un amant
Qui font l’éloge de nos charmes.
astro
Vous avez raison et rien n’est tel que d’aller au solide.
eucharis
Air : Le long de ça, le long de là
Toujours trotte en ma cervelle
L’image de cet amant.
Je pense qu’il m’ensorcelle
Je le suis incessamment
Le long de ça, le long de là.
Ô, peine cruelle !
Rien n’apaise mon tourment.
Air : Ô Pierre
Sans crainte qu’on me blâme
Je luis dis devant tous :
Soulagez donc ma flamme,
Rendez mon sort plus doux !
D’amour je me pâme,
Je suis morte sans vous.
Air : J’en f’rai la folie
Il est cause qu’on se moque
De mon imprudence,
Je sais que mon amour choque
Toute bienséance.
Mais j’aime trop ce garçon là,
On dira tout ce qu’on voudra,
De rien je ne me soucie.
J’en f’rai la folie,
Je me ris du qu’en dira-t-on.
Agénor me plait, je n’entends point raison.
astro
Mais d’où vient son indifférence, ne devrait-il pas rendre justice à vos appas ?
eucharis
airvide
Une autre moins belle
Me ravit son cœur.
Cette péronnelle
De mauvaise humeur
Toujours le querelle
Et lui tiens rigueur
Et toujours pour elle
Il sent même ardeur.
airvide
Je viens savoir mon destin :
Mon tourment prendra-t-il fin ?
astro
Oui, que la gaieté succède
Au chagrin qui vous possède.
Air : Aujourd’hui Condé
De la part de votre rivale,
Dont la sottise est sans égale,
Votre amant sera député
Pour vous demander la couronne
Que remporte votre beauté.
eucharis
Et faudra-t-il que je la donne ?
astro
Sans doute.
eucharis
Pour la porter à ma rivale.
astro
Air : Changement pique [l’appétit]
Bon, bon, c’est une bagatelle,
Elle n’en sera pas plus belle
Quand elle aura ce beau prix-là,
Et l’honneur vous en restera.
Air : Et puis tout d’un coup
De votre grandeur d’âme
Il s’étonnera,
Et sa première flamme
D’abord s’éteindra.
eucharis
Ah ! La chose est originale.
astro
Il vous rendra votre bijou
Et puis tout d’un coup,
Il haïra votre rivale,
Et puis tout d’un coup,
Pour vous l’amour le rendra fou.
eucharis
Air : La besogne
Ah ! Quel projet extravagant !
astro
Tout passe à la faveur du chant
Et de plus l’idée est très neuve.
Allez vite en faire l’épreuve.
airvide
Je vous promets du bonheur
Mais empruntez, vous dis-je,
Cette voix maîtresse du cœur
Qui, par un doux prestige,
Ravit, conduit le spectateur
Jusqu’au vertige.
Scène vii
l’astrologue, un comédien français
le comédien
Je suis un député du Théâtre Français.
Melpomène et sa sœur travaillent sans succès,
Dans un mortel ennui notre cœur s’enveloppe.
Languirons-nous longtemps ? Tirez notre horoscope.
astro
airvide
Pour calmer la mélancolie
De Melpomène et de Thalie
Avec succès il paraîtra
Une débutante gentille
Que le public applaudira.
En la voyant le cœur frétille.
Mais
Air : Le pouvoir
Craignez qu’un maudit quiproquo
Ne vous mette au tombeau,
Je vois de loin Montézuma Montézuma ou Fernand Cortes, tragédie de l’abbé du Bourg éditée à Paris chez L’Esclapart fils en 1743. \PB
Qui vous ranimera.
Scène viii
l’astrologue, fut-fa
fufa
Air : Le prévôt
Monsieur, je m’appelle Fut-fa,
De la part du grand Opéra
Je viens savoir sa destinée.
Il vous implore par ma voix :
Languira-t-il toute l’année
Comme il a fait depuis trois mois ?
Ce n’est pas manque de jolies choses et pour réussir
nous faisons depuis quelque temps une furieuse dépense en esprit.
airvide
N’admirez-vous pas le tour sublime
De nos nouveaux opéras ?
On fuit l’épigramme à chaque rime.
astro
Ils ont trop d’esprit, ils ne vivront pas.
Air : Ramonez-ci
De plus l’éthique musique
Ternit la scène lyrique.
Pour balayer tout cela
Ramonez-ci, ramonez-là,
Le public en foule y viendra.
Air : La ceinture
Lorsqu’une voix y brillera
Votre opéra fera fortune,
Mais trop souvent il pâtira
Des influences de la lune.
Fin