Le Carnaval d'été ou le Bal aux boulevards

Auteurs : Labbet de Morembert (Antoine-Jacques)
Sticotti (Antoine-Jean)
Parodie de : Le Carnaval du Parnasse de Fuzelier et Mondonville
Date: 11 août 1759
Représentation : 11 août 1759 Comédie-Italienne - Hôtel de Bourgogne
Source : Supplément aux Parodies du Théâtre Italien ou Recueil de pièces de différents auteurs représentés, depuis quelques années, par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi, nouvelle édition, t. II, Paris, Veuve Duchesne, 1765
[Antoine-Jacques Labbet de Morembert et Antonio Jean Sticotti]

Le Carnaval d’été


Le Bal aux boulevards
Parodie du Carnaval du Parnasse
Représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi
le 11 août 1759
Paris, Duchesne, 1759

Acteurs


Ludibrius, poète des boulevards : Monsieur Champville
Florimond, financier : Monsieur Rochard
Julie, actrice des remparts : Madame Favart
Marianne, bourgeoise : Mademoiselle Desglands

Le Carnaval d’été

Le théâtre représente les boulevards.

Scène i

Ludibrius seul

ludibrius
ariette, notée n.1
De la cour et de la ville
C’est ici le rendez-vous.
On rassemble en cet asile
Grands et petits, sages et fous.
Venez-y tous, venez-y tous.
De mille beautés charmantes
Les parures éclatantes
Nous donnent les plus beaux jours.
Quand la nuit étend ses voiles,
À la clarté des étoiles
On voit naître les amours.
De la cour et de la ville, etc.

Mon penchant à parler mal m’a déterminé à être auteur. Cette Julie, cette actrice inimitable, cette Thalie des boulevards, m’a engagé à faire des parades : cela me donne de la vanité, car j’y attire plus de monde que les spectacles les plus en vogue. Mais j’aperçois Florimond, poète aussi riche que doucereux.


Scène ii

Ludibrius, Florimond

ludibrius

Air : Pour passer doucement la vie

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Informations sur cet air

Un financier devrait-il être
Sous l’habit d’un garçon marchand,
Tandis que chacun veut paraître
Beaucoup au dessus de son rang ?
florimond

Mon cher Ludibrius, l’aimable Marianne n’oserait me parler si elle savait qui je suis. Pour ne point l’effaroucher, je lui cache mon état. Ne suis-je pas bien déguisé ?


ludibrius

Air : Rien n’est pire que l’eau qui dort


Vous avec l’air un peu trop petit-maître,
Ce n’est pas là déguiser votre état.
Vous seriez moins facile à reconnaître
Sous l’équipage d’un soldat.
florimond

Je ris de tes propos,
Loin d’en être en colère.
Sur tous les livres nouveaux
Tu répands ta bile amère,
Et cependant
En t’efforçant,
En travaillant
Obstinément,
Tu n’en pourrais faire autant.


Sur ton âme mercenaire
L’intérêt est tout puissant.
Son merveilleux ascendant
Conduit ta langue de vipère.
L’argent te fait parler, et l’argent te fait taire.


Je ris de tes propos, etc.
ludibrius

Pardonnez-moi, Monsieur, c’est moins noirceur chez moi que mauvaise habitude. Je vous rends justice ainsi qu’à vos pareils.



Oui, je respecte la finance,
Elle est en France
Sur le grand ton.


Sans son opulence
Qui les récompenses,
Les enfants d’Apollon
Seraient dans l’indigence.


Oui, je respecte la finance,
Elle est en France
Sur le grand ton.


C’est à sa magnificence
Que des arts on doit l’excellence.
Sa noble profusion
Bannit à jamais l’ignorance.
Oui, je respecte la finance, etc.
florimond

Tu dis du bien ! mais tu n’es pas reconnaissable ! Je t’en suis obligé, car c’est la première fois de ta vie que cela t’arrive.


ludibrius

Ce style ne vous va point. Tenez-vous-en au Phœbus. Vous me trouvez méchant, parce que vous n’avez pas l’esprit de l’être. Au reste, vous pouvez vous réjouir.


florimond

Le lieu et la saison le permettent. J’y veux même donner des fêtes.


Air : Quel plaisir d’avoir à mon âge


Oui, sur ces remparts admirables,
Des concerts y seront agréables.
Et le jour tombé, sans plus attendre,
J’en veux donner un chez Alexandre.

Et même un bal.


ludibrius

Vous serez en règle. C’est la mode cette année d’annoncer la danse par un concert.


Air : Ma petite, ma mie, ô lire, ô la


Sans doute, on y verra,bis
Votre petite amie,
Ô lire, ô lire,
Votre petite amie,
Ô lire, ô la.
florimond

Même air


Sans doute y dansera,bis
Ta petite Julie,
Ô lire, ô lire,
Ta petite Julie,
Ô lire, ô la.

Elle va te charmer, Ludibrius, qu’en penses-tu ?


ludibrius

Air : Qu’elle a de gentillesse


Ah ! qu’elle a d’élégance !
Que d’aplomb dans ses sauts !
Ses bras sont sans défauts,
Ils sont nobles et beaux.
Un seul pas de sa danse
Vaut tous vos madrigaux.
florimond

Air : Un cordelier, un avocat


Ludibrius aime trop la satire,
Qu’il prenne garde à lui.
ludibrius
Si je n’avais le plaisir de médire,
Je périrais d’ennuis.
Que je suis gai quand sur quelqu’un je tire !
Je veux toujours rire,
Moi,
Je veux toujours rire.
florimond

Ris donc tant que tu voudras : c’est le propre d’un fou de toujours rire. Mais voyons qui de nous deux sera le plus heureux.


ludibrius

À propos de quoi puisque nous ne sommes pas rivaux ?


florimond

Air : La Besogne

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Informations sur cet air

J’aperçois venir en ces lieux
L’objet le plus cher à tes yeux.
Et comme je suis fort honnête,
Je vais vous laisser tête à tête.
ludibrius

Je vous remercie de votre politesse, à charge de revanche.


Scène iii

Ludibrius, Julie

airnote
C’est ici qu’est la volière
Des jeunes étourneaux.
Venez, beauté minaudière,
Venez tendre vos panneaux.
C’est ici, etc.


Bourgeois à noble manière,
Commis faisant le gros dos.
C’est ici, etc.


Courtauds, donnez-vous carrière,
Brillez, gentils petits badeaux.
C’est ici, etc.


Robins à tête légère,
Abbés pleins de madrigaux,
C’est ici, etc.
Jolis damerets,
Petits objets,
Colifichets,
Pour venir chez nous vous êtes faits.
Freluquets,
Plumets,
Vrais perroquets,
Tous indiscrets,
Venez vous prendre dans nos filets.
C’est ici qu’est la volière
Des jeunes étourneaux.

Air : Chantez, petit Colin


Sans cesse en ce séjour
Vous aimez à vous rendre.
ludibrius
Attiré par l’Amour,
J’y suis la nuit comme le jour.
De l’ardeur la plus tendre
Je ne puis me défendre.
Pour vous voir, je crois,
Je viendrais cent fois
Du pays chinois.
julie
airnote, de Monsieur Gavigniés
Un amant, par ses serments,
Nous promet des plaisirs charmants.
Il est persuasif,
Galant, expressif,
Toujours actif.
Est-on moins sévère,
Il ne fait plus d’efforts pour plaire.
Cet amant est vif,
Tendre et captif,
Tant qu’il espère.
Heureux, il devient pensif,
Et froid comme un récitatif.
Tous ses beaux sentiments
Mis en bâillement,
Sont des fragments.
ludibrius

Air : Ne v’la-t-il pas que j’aime


Vos beaux yeux savent tout charmer.
Quand pour vous je soupire,
Je ne pense qu’à vous aimer,
Et jamais à médire.

Air : Comme un oiseau


Avant de vous voir, ma Julie,
J’avais juré toute ma vie
D’être garçon.
Répondez à ma vive flamme,
Dès l’instant je vous prends pour femme.
julie
Chanson, chanson.
ludibrius

Je ne badine point, et c’est tout de bon que je vous épouserais.


julie

Je vous crois, mais je n’ai pas de bien.


ludibrius

Ni moi, je n’ai que de l’esprit.


julie

En ménage, il faut plus de l’un que de l’autre.


ludibrius

Quand on s’aime bien, on en a toujours assez.



Quand sans amour on fait un choix,
Quand par intérêt on se lie,
Au bout d’un mois
On sent que l’on s’ennuie,
Et l’on se dit plus d’une fois :
J’ai fait une folie.
Mais si l’on prend
Par sentiment
Une fillette,
Jeune et bien faite,
Et qu’après l’engagement
On demeure encore amant,
Sans cesse l’on chante
D’une âme contente :
L’hymen est un nœud charmant.
julie

Vous pensez bien.


ludibrius

Pensez de même.


julie

Mais...


ludibrius

Mais, décidez de mon sort.


Air : Quand le péril est agréable

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Informations sur cet air

Quelle cruelle incertitude !
Pour prix de ma fidélité,
Tirez mon esprit agité
De son inquiétude.
julie

Même air


De son mérite un petit-maître
Croit que notre cœur est charmé,
Qui craint de n’être pas aimé,
Mérite bien de l’être.
ludibrius

Air : N’oubliez pas votre houlette

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Informations sur cet air

Vous aimez ! quel bonheur extrême !
julie
Oui, j’aime.
ludibrius
Est-ce une vérité ?
De plaisir je suis transporté,
Et je me sens hors de moi-même.
Vous aimez ! quel bonheur extrême !
julie
Oui, j’aime,
J’aime... ma liberté.
ludibrius

Vous n’êtes pas d’un état à vous attacher. Allez, je badinais.


Air : C’est ma devise

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Informations sur cet air

Nous nous trompions également,
Belle fillette.
Je n’aime point, quoiqu’inconstant,
Une coquette.
J’imite dans ce moment-ci
Votre franchise.
À trompeur, trompeur et demi,
C’est ma devise.
julie

Vous êtes piqué ! vous êtes amoureux.



Un renard de la Garonne,
Dans son chemin,
Voyait de fort beau raisin.
Malgré sa faim gloutonne,
Il fallait trop grimper.
Il ne put l’attraper.
Perdant patience,
Fi, dit-il, d’un air fier,
Pour renard de mon importance,
Ce raisin est trop vert.
ludibrius

Je ne suis pas de son goût. Je n’aime pas le fruit trop mûr.



Une jeune hirondelle,
Vive, légère et belle,
Charmait tous les oiseaux.
Chaque jour mille amants nouveaux
Soupiraient pour elle.
Mais la cruelle
Riait de leurs maux.
Elle passa le bel âge
À dédaigner tous les cœurs.
À la fin l’Amour l’engage,
Mais trop tard de ses ardeurs
Elle cherche les douceurs.
Quand son âme n’est plus volage,
Ses yeux n’ont plus d’adorateurs.
julie

Épargnons-nous, Ludibrius.


ludibrius

Entre auteurs et comédiens cela est assez difficile. Je vais songer au divertissement que j’ai promis à Florimond.


julie

Et moi à quelque mascarade pour le bal qu’il donne ce soir.


Ils sortent.

Scène iv

Marianne seule

marianne

Air : Suivons les lois qu’Amour


De mon amant
Le chant
Dans ce séjour m’attire.
Mais sa douceur,
N’attendrira jamais mon cœur.


L’Amour qui l’inspire.
Accorde aussi sa lyre.
Ah ! pour me séduire,
Il prend en vain ce trait flatteur.


De mon amant, etc.

Malgré ma résistance,
Amour, à ta puissance,
Mon cœur serait-il attaché ?
A-t-il encor sa première innocence ?
Et cet enfant qu’à Cythère on encense,
Serait-il caché
Sous les traits de l’indifférence ?
Malgré ma résistance, etc.

Cachons à Ludibrius le sujet qui m’attire ici, il n’en ferait que badiner.


Scène v

Marianne, Ludibrius

marianne

Air : Monsieur de la Palisse est mort

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Informations sur cet air

Venez-vous en ces beaux lieux
Exercer l’art de médire ?
ludibrius
Où peut-on se trouver mieux
Quand on aime la satire ?

Tantôt je me plais aux remparts,
Tantôt j’y frémis de colère.
Dans une voiture légère,
Je vois le plus sot des richards,
En triomphe, aux boulevards,
Mener une aventurière.
Tandis qu’à pied, j’avale la poussière.
Tantôt je me plais aux remparts,
Tantôt j’y frémis de colère.
Malgré les brouillards
D’amoureux vieillards
Y passent la nuit entière.
De jeunes étourdis, volant dans la carrière,
Sont tout-à-coup repoussés en arrière,
Et de leurs fragiles chars,
Bientôt les débris épars,
Aux rieurs donnent matière
De lancer mille brocards.
Tantôt je me plais aux remparts,
Tantôt j’y frémis de colère.
marianne

Quel champ pour exercer votre langue !


Air : Pour la baronne

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Informations sur cet air

Votre imprudence
Peut vous jouer un mauvais tour.
On déteste la médisance,
Et l’on pourrait punir un jour
Votre imprudence.
ludibrius

Quand il s’agit de m’attaquer, on y regarde à deux fois.


Air : Lucas se plaint que sa femme.

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Informations sur cet air

On respecte sur la terre
L’équitable magistrat.
Et le brave militaire
Est redoutable au combat.
L’auteur, Madame,
Est le plus craint de l’État,
Par l’épigramme.

En riant je me fais respecter.


marianne

Détester, et vous direz mieux. Mais à propos de rien, parlons de vos amours : aimeriez-vous une comédienne ?


ludibrius

Oui-dà, je suis esclave de la mode.


marianne

Ce n’est pas assez. Il faut être en état de la suivre. Vous courez plus après l’esprit qu’après la fortune, et une fille de théâtre naturellement cherche plus l’un que l’autre.


ludibrius

Vous avez raison.


marianne

Fussiez-vous sur le Parnasse,
Plus grand que Milton et le Tasse,
Eussiez-vous plus d’esprit qu’Horace,
Pour former un tendre lien,
Tout cela ne sert de rien.


Montrez-vous en grand étalage.
Ayez un brillant équipage,
Qui dans Paris fasse tapage,
Votre sort sera plus doux.
Vous dompterez la plus sauvage,
Vous enchaînerez la volage,
Et tous les cœurs seront à vous.
ludibrius

Je crains de ne vous pas être aussi agréable que celui qui arrive. À mon tour, je lui cède la place.


Scène vi

Marianne, Florimond

florimond, en entrant

Air : C’est Mad’moisell’ Manon


Eh ! pourquoi m’éviter ?
Charmante Marianne.
Eh ! pourquoi m’éviter ?
marianne
Vous pouvez m’arrêter,
Vous n’avez qu’à chanter,
Je me plais à vous écouter.
Ainsi donc à rester
Votre voix me condamne !
florimond
C’est trop me flatter,
Et pour pouvoir vous contenter,
Je vais m’égosiller
Jusqu’à vous ennuyer.

Pour faire éclater les transports
Dont mon âme est ravie,
De la plus flatteuse harmonie
J’emprunte les accords.
Mais, au son de ma voix, si l’Amour ne s’éveille,
Ma tendresse doit se cacher.
Vainement, je charme l’oreille,
C’est le cœur que je veux toucher.
marianne

Air : Badinez, mais restez-en là

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Informations sur cet air

Ne me parlez point d’amourettes.
Mais une simple chansonnette
Auprès de vous m’amusera.
Fredonnez... mais restez-en là.
florimond

Je vais vous chanter un air à boire.


marianne

Oui, cela est fort galant pour une dame.


florimond
ariette, notée n.4
Divin Bacchus, tes enfants sont heureux,
Les vrais plaisirs ne sont faits que pour eux.
Des rigueurs d’une cruelle,
Tu sais les dédommager.
Tu peux seul les dégager
Des chaînes d’une infidèle.


Divin Bacchus, tes enfants sont heureux,
Les vrais plaisirs ne sont faits que pour eux.
Les ardeurs les plus parfaites,
Sans toi sont sujettes
Aux tristes langueurs.
Mais si tu répands tes faveurs,
Peut-on méconnaître ta gloire.
Du dieu qui triomphe des cœurs
Toi seul sais chérir la victoire.


Divin Bacchus, tes enfants sont heureux,
Les vrais plaisirs ne sont faits que pour eux.
marianne

Air : Ton humeur est Cathereine

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Informations sur cet air

C’est me faire assez comprendre
Qu’Amour seul vous fait chanter.
Comme je n’en veux point prendre,
Je crains de vous écouter.
Je sens bien qu’à vous entendre,
Mon cœur prend trop de plaisir.
Vous chantez d’un ton si tendre,
Que vous m’allez faire enfuir.
florimond

Il faut que vous ayez la patience de m’entendre encore.


marianne

Je ne vous en réponds pas.


florimond

C’est ici où je veux étendre le pouvoir du Dieu que vous fuyez.


marianne

Hélas ! le puis-je ?


florimond

Dès la pointe du jour,
Dans les forêts on entend Philomèle
Chanter les douceurs de l’Amour.
À la tendre tourterelle,
Son époux toujours fidèle,
Comme un amant fait sa cour.
Pour ne jamais quitter l’objet qui l’intéresse,
D’un vol audacieux l’aigle parcourt les airs.
L’homme ose tout tenter lorsque l’Amour le blesse,
Et pour y retrouver l’objet de sa tendresse,
Orphée a pénétré jusqu’au fond des Enfers.
Dès la pointe du jour, etc.
Pendant l’ariette, Marianne se retire sans que Florimond s’en aperçoive.

Je ne vois plus la charmante Marianne ! La cruelle me fuit. Mais cette fuite est d’un bon présage : si elle était insensible à ma tendresse, elle ne craindrait pas de me le dire. Allons la chercher, et tâchons de la faire expliquer en ma faveur.


Scène vii

Ludibrius seul, en habit pareil à celui de Florimond

ludibrius

Air : Tout est permis en Carnaval


Si l’on voit Momus, sans raison,
À certain bal, qui se déguise,
Sans craindre le qu’en dira-t-on,
J’en puis faire aussi la sottise.
Censeurs, n’en dites point de mal,
Tout est permis en Carnaval.

En attendant que le concert commence, cherchons à nous amuser. Ce déguisement, tout pareil à celui de Florimond, pourra causer quelque méprise qui me réjouira.


Il se masque.

Scène viii

Ludibrius, Julie habillée à la romaine, et masquée

julie, déclamant, à part
Oublions un moment le ton du bas comique,
Et soutenons l’éclat d’un habit magnifique.
Il suffira lui seul pour tromper les regards,
Et je vais exiger le respect, les égards,
Qui sont justement dus à la haute noblesse.
Dès qu’on tient un mouchoir, on est une Princesse.
ludibrius, à part
Par quel heureux hasard trouvé-je en mon chemin
Une divinité du faubourg Saint-Germain ?
Elle peut me venger des rigueurs de Julie,
Et je lui vais offrir toute ma poésie.
À Julie.
Madame, en vous voyant, mon esprit enchanté
Soumet à vos appas mon cœur, ma liberté,
Vous saurez excuser cet aveu téméraire :
Sous ces habits pompeux, accoutumée à plaire,
Un amour imprévu ne vous surprendra pas.
julie
Le merveilleux pouvoir de nos faibles appas
Nous expose souvent à pareille aventure.
Mais contre vos efforts la vertu nous rassure,
Nous savons résister aux plus ardents désirs,
Et ne nous rendons pas à de faibles soupirs.
ludibrius
Aux plus doux sentiments votre cœur indocile
Voudrait-il écouter une tendresse utile,
Qui peut au plus haut point élever vos talents
Et vous placer au rang des sujets excellents.
julie
Même en parlant d’amour, votre âme trop caustique
Vient d’offenser en moi la majesté tragique.
Que me faut-il de plus pour charmer l’univers ?
J’ai l’habit de costume et je parle en grands vers.
Vous devez admirer ma noblesse et ma grâce,
Il est vrai qu’à présent nous tenons peu de place,
Et depuis que les bancs ont été supprimés,
Pour bien remplir la scène, il faut des gens armés.
Mais notre jeu sublime est ce que l’on admire.
Nous avons découvert une façon de dire,
Qui des siècles passés a détruit le faux goût,
Nous parlons simplement, comme on parle partout,
Et cette vérité noble, majestueuse,
Étonne avec justice et paraît merveilleuse.
C’est le raisonnement qui fait le grand acteur,
Et nous raisonnons tout, colère, amour, fureur.
ludibrius
Je me sens enlever par ces tons admirables.
Les acteurs d’autrefois étaient bien déplorables,
De croire qu’un héros occupé de hauts faits,
Devait avec grandeur peindre de grands objets,
Qu’un air noble et frappant leur était nécessaire,
Et qu’il fallait surtout fuir les tons du vulgaire.
Voyez comme on pensait ! Je tombe à vos genoux,
Et ne veux désormais travailler que pour vous.
Du public enchanté vous aurez le suffrage,
Trois grands rôles par an seront votre partage.
Tous les comédiens en seront désolés,
Et vous reconnaîtrez mes soins, si vous voulez.
julie
Mais d’un style élevé savez-vous la rubrique ?
Pourrez-vous bien atteindre à ce ton magnifique,
Dont l’éclat enchanteur charme tout aujourd’hui,
Et de notre théâtre est le plus ferme appui ?
Il faut que d’un auteur la plume hérissée
Sache orner de grands mots la plus faible pensée,
Et saisir le brillant d’un vers impétueux,
Tel qu’on peint les titans armés contre les dieux.
Ah ! Je tremble, Seigneur, que cette promenade
N’ait formé votre style au ton de la parade.
ludibrius
Parlez avec respect du genre le plus beau
Qui soit jamais sorti d’un comique cerveau.
La parade aujourd’hui, plus que la tragédie,
Est des vrais connaisseurs justement applaudie.
Elle ne brille point d’un éclat emprunté,
Et doit toute sa gloire à sa simplicité.
C’est le vrai naturel qu’elle vous représente :
Aussi dans les plaisirs d’une fête galante,
On écoute Corneille et Racine en baillant,
Tandis que la parade est le morceau brillant.
À bien saisir son genre en tous lieux on s’applique
On l’écrit même en vers, on la met en musique.
C’est elle qui triomphe, un ouvrage amusant
Est des travaux d’esprit le plus rare à présent.
Des hommes consommés c’est le vrai privilège,
Et l’on fait du tragique au sortir du collège.
julie
Mais, Seigneur, est-il bon ?
ludibrius
Oui, puisqu’on l’applaudit.
Qu’a-t-on à désirer, lorsque l’on réussit ?
Tout demande l’auteur et sa gloire est complète.
julie
Travaillez donc, Seigneur, mais souvenez-vous bien
Que, pour parler aux yeux, il faut n’épargnez rien.
Ayez soin qu’un poignard, prêt à frapper, s’arrête.
Si d’un jeune héros on menace la tête,
Qu’une armée à propos lui prête son secours.
Pour sauver le tyran et préserver ses jours,
Que sa garde paraisse et se mette en défense,
Qu’on prenne un bouclier, qu’on s’arme d’une lance,
Qu’on reste sans parler en formant le tableau,
Plus on le fait durer, et plus il paraît beau.
C’est par cet art divin qu’on arrive au sublime,
Et le nouveau tragique est tout en pantomime.
ludibrius
Je me sens animer de cette vive ardeur,
Qui d’un heureux succès présage la douceur.
Aidé de vos talents, je puis tout entreprendre.
Au Théâtre Français la foule va se rendre,
Pour voir ce jeu divin dès longtemps admiré...
julie
Ah ! Ne vous perdez pas dans un éloge outré,
Aux tragiques grandeurs je ne suis qu’aspirante.
ludibrius
Tant mieux, pour réussir, vive une débutante.
Les acteurs anciens, à la fin trop connus,
Perdent de leur mérite à force d’être vus.
Mais un sujet nouveau nous émeut et nous pique,
Par lui le spectateur abjure la critique.
La jeunesse est un fard par qui tout s’embellit :
A-t-elle de grands yeux ? On y voit de l’esprit.
Sa taille est-elle fine ? On admire son geste.
La touchante beauté tient lieu de tout le reste,
Et le public pour vous bientôt frappé d’amour,
Applaudit les talents que vous aurez un jour.
julie
Déjà l’ambition s’empare de mon âme,
Démasquez-vous, Seigneur.
ludibrius
Démasquez-vous, Madame.
Que vois-je ? C’est Julie !
julie
Oh ! Ciel ! Ludibrius !
Je suis bien attrapée...
ludibrius
Et moi je suis confus.
Duo
ludibrius
Quoi ! C’est vous, grande Princesse !
julie
Quoi ! C’est vous, sublime auteur !
ludibrius
Votre beauté m’intéresse.
julie
Vous triomphez de mon cœur.
ludibrius
Grande Princesse.
julie
Sublime auteur.
ensemble, ensemble
Vous triomphez de mon cœur.
julie
Ah ! Grands dieux, quelle aventure !
ludibrius
Fiez-vous à la parure !
julie
J’aimais cet animal-là !
ludibrius
J’aimais cette beauté-là !
ensemble, ensemble
Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Ils sortent.

Scène ix

Marianne à Ludibrius, qui sort, et qu’elle prend pour Florimond

Air : Préparons-nous pour la fête nouvelle

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Informations sur cet air

Chanterez-vous dans la fête nouvelle ?
Que vois-je ? Il me fuit ! L’infidèle !
Quoi ! Le mépris succède à tant d’empressement !
Devais-je craindre un pareil traitement ?

Gardons-nous de faire un choix,
Fuyons de si dures chaînes,
Sous les amoureuses lois
On éprouve que des peines.


D’une ardeur toujours fidèle
On espère la douceur,
Mais on trouve dans son cœur
La douleur la plus cruelle,
Sous le masque du bonheur.
Gardons-nous etc.

Florimond revient, que va-t-il me dire pour excuser son inconstance ?


Scène x

Florimond, Marianne

florimond

Air : Quoique le cœur d’une coquette


C’est pour vous qu’ici tout s’apprête
Mais que mon sort aurait d’appas,
Si dans cette agréable fête
L’Amour seul conduisait vos pas !
marianne

Perfide ! Osez-vous me parler ?


florimond

Air : Menuet D’Hésione

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Informations sur cet air

Oh Ciel ! Quel est donc ce langage ?
J’aimerais une autre que vous !
C’est me faire un sensible outrage,
Quittez cet injuste courroux.
marianne

J’étais sur le point d’aimer,
Mais une autre vous engage.
Un amant volage
Ignore l’usage
D’aimer sans partage.
Quand on veut former
Les nœuds d’un nouvel esclavage,
On perd un cœur tendre et sage
Qu’un instant pouvait charmer.


J’étais sur le point etc.
florimond

Air : Autrefois à sa maîtresse,


L’inconstance est-elle à craindre
Chez ceux que vous enflammez ?
Non, rien ne saurait éteindre
Les feux que vous allumez !
Que ces yeux, qui m’ont su plaire
S’adoucissent en ce jour.
Fermez-les à la colère,
Ne les ouvrez qu’à l’amour.
Quand on voit briller vos charmes,
Est-il un plaisir si doux ?
Un cœur qui vous rend les armes
Ne saurait aimer que vous.

Scène xi

Marianne, Florimond, Ludibrius

marianne, apercevant Ludibrius

Air : Il était un moins blanc


Ô Ciel ! Quoi ! Ludibrius
Trompait mes yeux prévenus !
Hélas ! Que mon cœur regrette
L’offense qu’il vous a faite !
florimond

Air : Messieurs, si pour vous satisfaire


Vous avez craint, par modestie,
De répondre à ma vive ardeur,
Mais malgré vous la jalousie
Vient de dévoiler votre cœur.
ludibrius

Air : Quand Malbouroug vint en France


N’en croyez point l’apparence
Et connaissez votre erreur,
C’est un homme d’importance
Qui devient votre vainqueur.
Redoutez son inconstance
Si vous faites son bonheur :
Qui déguise sa naissance
Peut bien déguiser son cœur.
marianne

Air : Pour passer doucement la vie

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Son rang ne flatte point mon âme,
Ses sentiments seuls me sont chers.
J’aime mieux sa constante flamme
Que tous les biens de l’univers.
Duo
marianne
Pour vous l’amour m’enflamme,
Régnez sur mon cœur.
florimond
À la plus vive flamme
Je livre mon cœur.
ensemble, ensemble
Qu’une éternelle ardeur
[âme]
Puisse de mon
Puisse de votre
Faire le bonheur.
marianne
Aux feux qu’on inspire
On doit le retour
D’un égal amour.
florimond
Un cœur qui soupire
Cherche le retour
D’un égal amour.
ensemble, ensemble
Que de la même tendresse
À jamais l’amour nous blesse,
Que nos plus constants désirs
Renouvellent sans cesse
Les douceurs de nos plaisirs.
florimond

Entrons chez Alexandre, le concert va commencer.


Le théâtre change et représente l’intérieur du café d’Alexandre, on exécute un concert italien suivi d’un bal.

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