Le Chaos, ambigu comique

Auteurs : Biancolelli (Pierre-François) dit Dominique
Legrand (Marc-Antoine)
Parodie de : Les Eléments de Roy et Lalande/Destouches
Date: 23 juillet 1725
Représentation : 23 juillet 1725 Comédie-Italienne - Hôtel de Bourgogne
Source : Les Parodies du Nouveau Théâtre-Italien, t. II, Paris, Briasson, 1731
Marc-Antoine Legrand, [Pierre-François Biancolelli]

Le Chaos


Ambigu comique
Représenté pour la première fois par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi
le 27 juillet 1725
Les Parodies du nouveau Théâtre-Italien, Briasson, 1738
definitacteur, l’Avocat lavocat
definitacteur, l’Éveillé leveille

Acteurs


Le Vicomte
L’avocat

Le Chaos


prologue
lavocat

Avant la naissance du Monde...


le Vicomte

Eh ! morbleu, Monsieur l’avocat, passons au déluge ; je vous assure que je ne comprends rien à tout ce que vous me dites, et que j’ai bien peur que cet ambigu de scènes et de chansons que vous avez composées pour la fête que je donne demain à toute notre petite ville, ne soit trouvé bien pitoyable.


lavocat

Que voulez-vous, Monsieur ? Je l’ai composé d’après l’opéra nouveau que l’on joue à Paris, et j’ai cru que l’on ne pouvait guère s’égarer sur de si parfaits modèles.


le Vicomte

Mais quoi, n’auriez-vous pas pu distinguer autrement vos quatre éléments ?


lavocat

Eh ! Monsieur, les changements de décoration les distinguent assez ; il ne faut que cela pour ces sortes de spectacles, et pourvu que l’on parle de l’Air, de l’Eau, du Feu et de la Terre en temps et lieu, voilà les quatre éléments, et de plus nous mettrons une préface.


le Vicomte

Une préface ! Je vous conseille de la faire mettre en musique, aussi bien que le privilège. Est-ce qu’on ne pourrait pas entendre votre sujet sans préface ?


lavocat

Non, Monsieur, c’est à présent la règle des opéras nouveaux.


le Vicomte

Allons, recommencez moi, s’il vous plaît tout ce que vous venez de me dire, pour voir si je pourrai y comprendre davantage.


lavocat

Je vous ai dit d’abord, Monsieur, que ma pièce commençait avant la naissance du monde : mon prologue est le chaos d’où sortent tous les quatre éléments par ordre du destin.


le Vicomte

Fort bien, et vous nous faites voir les romains tous chauffés et tous vêtus une demi-heure après : vous voyez bien que votre pièce n’est pas dans les règles des vingt-quatre heures.


lavocat

Monsieur, ce n’est point un divertissement régulier ; et l’opéra sur lequel je me suis réglé, prend ordinairement beaucoup de licence, c’est ce qui en fait la beauté.


le Vicomte

D’accord ; mais on n’a jamais vu mettre quatre mille ans dans l’intervalle d’un acte à l’autre : commencez par me retrancher votre prologue.


lavocat

Mon prologue, Monsieur ! vous n’y songez pas, c’est la meilleure pièce du sac.


le Vicomte

Je n’en veux point.


lavocat

Je suis bien fou d’avoir si mal employé mon temps en m’amusant à de pareilles bagatelles, j’aurais bien mieux fait de continuer mon poème épique.


le Vicomte

Quoi, vous travaillez aussi à ces sortes d’ouvrages ? parbleu, c’est une fureur, tout le monde s’en mêle : est-ce que vous avez fait le poème des Géants ?


lavocat

Non, Monsieur... grâce pour mon prologue.


le Vicomte

Votre prière est inutile.


lavocat

Il faut vous obéir : vous aurez quatre petits actes différents qui ne serviront qu’à nous amener des divertissements assez jolis. Ne vous attendez point surtout à trouver de l’excellent dans ces quatre petites pièces ; la musique et la danse en font tout le mérite, et je m’estimerai trop heureux si mon ouvrage a le sort de bien des opéras nouveaux, qui ne se soutiennent que par les agréments.


le Vicomte

Quatre actes ? Cela sera trop long, un seul suffit.


lavocat

Cela ne vaudra pas le diable, et ce sera une confusion.


le Vicomte

Hé bien, tant mieux, ce seront les éléments qui seront rentrés dans le chaos.


lavocat

Ma foi, vous ne pensez pas si mal : il me vient une idée...


le Vicomte

Quelle est-elle ?


lavocat

C’est d’intituler ma pièce le Chaos : le titre en fera peut-être excuser l’irrégularité, et cela vaudra bien une préface.


le Vicomte

Cela ira à merveille ; tout ce qui me reste à appréhender, c’est qu’on ne trouve que vous ayez trop suivi l’opéra.


lavocat

Il est vrai que mes sujets sont assez semblables : mais les personnages sont différents.


le Vicomte

Point de dieux surtout.


lavocat

Non, non, vous ne verrez que des aventures bourgeoises : mes gens sont tous prêts et vous allez dans un moment en voir une répétition.


finprologue

Acteurs


Bourguignon
L’Éveillé, coureur
Madame des Airs
Un Musicien
Monsieur des Airs
Quatre Poètes
Un poète, chantant
Un Commissaire
Lolotte
Marinette
Rigaudon
Les Tireurs d’Oie
Un batelier, chantant
Deux danseuses, en batelières
Maître Nicolas
Dorothée
Agnès
Deux petites Filles
Valère
Arlequin
Deux danseuses, en Vestales
Quatre danseurs, en Romains
Florestan
Pouponne
Patapan, chasseur
Un Chasseur
Quatre Danseurs, en chasseurs
Une jardinière
Danseuses, en jardinières
Deux femmes de chambre

Le Chaos


entree, L’Air

Scène i

bourguignon seul

bourguignon

De Madame des Airs tout m’annonce la gloire ; ce superbe appartement, ces meubles magnifiques, ces riches buffets, ces lits brochés à crépines d’or, tout irrite ici mes désirs. Désirs ambitieux, encore une fois dois-je vous croire, ou vous étouffer ? Malheureux Bourguignon, quel espoir autorise tes soupirs ? ... Et parbleu, je suis curieux de voir comment une femme si fière, et aussi orgueilleuse se livre à l’amour dans le tête à tête ; allons, courage, mon cher Bourguignon, la fortune et l’amour servent souvent les téméraires. Je fus jadis chevalier de l’Arc-en-ciel, c’est ce que le vulgaire appelle laquais ; depuis que mon maître a fait une fortune brillante, il m’a fait son premier commis ; n’en demeurons pas là, aspirons à devenir son rival auprès de sa femme ; en cas que l’affaire ne réussisse pas, je lui ai volé ce matin deux mille louis qui faciliteront mon évasion... mais chut, voici son coureur, ou plutôt son Mercure : j’enrage, je crains d’avoir parlé trop haut, et de m’être trahi moi-même.


Scène ii

l’éveillé, bourguignon

leveille, à part

Bon ! nous voila déjà sur du vol, tâchons de nous éclaircir du reste. Haut Qu’est-ce, Monsieur Bourguignon ? depuis que le partisan notre maître vous a fait son premier commis, qu’il vous a fait l’honneur de vous admettre à sa table, vous ne regardez plus vos anciens camarades, vous n’avez pas même encore daigné employer mon savoir-faire ; avez-vous oublié mes talents officieux, et verriez-vous avec indifférence tant de jeunes beautés dont j’ai l’honneur d’être le Courrier ?


bourguignon

Non, cher l’Éveillé, tout occupé de mon nouvel emploi, nul autre soin ne m’embarrasse.


leveille

Cependant quand on est parvenu à une certaine fortune, rien n’est plus agréable que de se livrer aux plaisirs de l’Amour, il faut du moins avoir une maîtresse sur son compte.


bourguignon

Mon cher l’Éveillé, toi qui est si bon pour le conseil, donne-moi tes avis ; qui penses-tu qui me convienne, à qui dois-je m’attacher ?


leveille

Consolez la jeune Aminte de l’ennui du vieux président son mari ; disputez à ce cadet de Gascogne la conquête de cette veuve auditrice des comptes.


bourguignon

Non, non, à ces beautés je ne rends point les armes.


leveille

Morbleu, la fierté de Madame des Airs serait belle à dompter.


bourguignon

De Madame des Airs ?


leveille

Je sais votre respect pour elle, il se découvre tous les jours par vos empressements.


bourguignon

Pour la femme de mon maître, peut-on blâmer mon zèle ?


leveille

Non sans doute, et vous faites bien de vous retrancher là-dessus ; il ne faut point aimer pour la gloire, il ne faut aimer que pour le plaisir, et c’est ce que j’ai résolu de faire, je ne veux point m’élever plus haut que la grisette.


bourguignon

J’ai envie de vous imiter.


leveille

Je connais une petite marchande du Palais qui est jolie comme l’amour : voulez-vous que je vous présente ? nous irons de ce pas, si le cœur vous en dit.


bourguignon

Non, j’ai quelques affaires : jusqu’au revoir.


leveille, à part

Je me doute de ce qui t’arrête... je vais te servir de la bonne manière, et avertir mon maître de tout ce qui se passe.


Il sort.
bourguignon, seul

Soupçonnerait-il quelque chose de mes intentions ! non, je ne le crois pas ; quoiqu’il en soit ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Mais j’entends une symphonie qui m’annonce l’arrivée de Madame des Airs ; elle est toujours suivie de nombre de poètes et musiciens, tous illustres nécessiteux, qui pour son argent chantent incessamment ses louanges, et élèvent son nom jusqu’aux nues. Laissons achever le petit divertissement qu’ils vont lui donner, et attendons le moment favorable, et qu’elle soit seule pour exécuter mon dessein téméraire.


Scène iii

madame des airs, un musicien, et un laquais, deux femmes de chambre

chœur
airvide
Chantons, chantons sans cesse,
Chantons l’adorable Des Airs,
Un Musicien
À cette nouvelle déesse
De la richesse,
Consacrons nos vers,
Offrons nos concerts.
Sur les habitants du Permesse
Elle répand avec largesse
Des bienfaits divers.
chœur
Chantons, chantons sans cesse,
Chantons l’adorable Des Airs.
Entrée de poètes.
Le Musicien
airvide
Jamais femme de parvenu
N’employa mieux son revenu.
La musique altérée
Par elle est enivrée,
Et le poète nu
Se trouve revêtu.
Entrée de poètes.
Le Musicien
airvide
Souffle froid Aquilon, partout ravage, et brise
Contre tes coups me voilà rassuré,
Mon manteau n’est plus déchiré,
Je brave désormais les fureurs de ta bise.
madame des Airs

Allez mes enfants, allez boire à ma santé, et répandez mes bienfaits dans tous les cabarets de la ville.


Scène iv

madame des airs, bourguignon

madame des Airs

Me trompais-je Bourguignon ? votre nouvelle faveur m’assure-t-elle en vous un serviteur fidèle, sur qui je puisse compter ? n’ai-je rien à craindre, et m’est-il permis de vous ouvrir mon cœur ?


bourguignon

En pouvez-vous douter Madame ? Ah, dès ce moment même je m’estime le plus heureux des mortels.


madame des Airs

Écoutez, vous savez que quoique j’aime mon mari, c’est un petit dissipé, qui me fait tous les jours de nouvelles trahisons.


bourguignon

Que me dites-vous là ! Quoi, Monsieur des Airs vous trahit, et vous l’aimez toujours ? vous êtes bien bonne en vérité ! il y a bien des femmes à Paris qui ne vous ressemblent pas.


madame des Airs

Quoiqu’il en soit, mon cher Bourguignon, ne perdez pas un moment, montez dans ma berline, mes chevaux, et mes gens n’obéiront qu’à vous ; parcourez tous les quartiers de Paris, et surtout celui de l’Opéra, c’est peut-être de ce côté-là que sa perfidie l’entraîne ; informez-vous chez les tapissiers quelle fille ils ont meublée depuis peu ; chez les marchands, quelles étoffes ils ont vendues et à qui ; chez les traiteurs, quels repas ils ont porté en ville ; enfin ne négligez rien pour découvrir ma rivale, je veux absolument la faire enfermer.


bourguignon

Eh ! Madame, pourquoi vous inquiéter tant, et vous donner tous ces soins ? n’avez-vous point d’autres moyens pour vous venger ? vous êtes jeune, riche, et belle ; j’en connais qui seraient trop heureux s’ils pouvaient espérer...


madame des Airs

Que dites-vous Bourguignon ? quelque gros seigneur vous aurait-il chargé de me parler en sa faveur ?


bourguignon

Fi donc, Madame, vous me prenez sans doute pour un autre ? il y a longtemps que je ne me mêle plus de ce métier-là.


madame des Airs

Et pour qui donc me parlez-vous ?


bourguignon

Quoi Madame, vous ne devinez pas que c’est pour moi !


madame des Airs

Comment, que voulez-vous dire ?


bourguignon

Oui Madame, c’est moi qui vous adore.


madame des Airs

Qu’entends-je ! quel outrage à ma pudeur ! insolent, éloignez-vous pour jamais de ma vue.


bourguignon

Vous êtes la maîtresse absolue de mon sort, faites-moi jeter par les fenêtres, si vous voulez, j’aime mieux faire ce saut-là, que de cesser de vous aimer.


madame des Airs

Quoi malheureux ! ma vertu ne t’en impose pas, et tu me déclares ton amour ? un misérable laquais revêtu est assez téméraire pour s’adresser à l’épouse de son maître ? encore si c’était quelqu’homme de qualité, il n’y aurait pas tant de mal : va, tu me fais horreur.


bourguignon

Vous avez beau dire, charmante personne, je n’écoute ni respect, ni raison, et je ne me connais plus moi-même.


madame des Airs

Ah quelle pétulance ! au secours, au secours, au meurtre.


bourguignon

Criez tant que vous voudrez, je ne puis me repentir de mon crime.


Scène v

monsieur des airs, un commissaire, bourguignon, des archers

monsieur des Airs

Ah, traître ! je t’y surprends à la fin, après m’avoir volé tu oses attenter à l’honneur de ma femme ! Monsieur le commissaire, voilà de l’argent, et je vous livre le criminel, faites le dû de votre charge.


Le Commissaire

Je ferai mon devoir, et son procès sera bientôt fait.


bourguignon

Ah ! voilà mon horoscope prêt d’être accompli : on me l’avait bien prédit que je mourrais en l’air ; mais ce qui me console, c’est que je sais toutes tes voleries, et que tu pourras bien périr dans le même élément ; adieu, si cela arrive, je pourrai dire avec justice que je meurs du moins ton rival.


On joue un air.
entree, L’Eau

Scène vi

lolotte, marinette

marinette

Enfin, belle Lolotte, enfin avez-vous fait un choix ? Maître Nicolas à qui tous les autres bateliers obéissent, et qui est votre parrain, et votre tuteur, attend que vous vous déterminiez, et que vous choisissiez un époux ; Robert qui fait remonter les bateaux qui passent sous les ponts, aspire depuis longtemps à ce bonheur.


lolotte

Qui, ce gros boursouflé, qui dès le matin trouble le repos de tout le voisinage, et dont la voix, quoiqu’enrouée, se fait entendre d’un côté de la rivière à l’autre ; non, je veux un époux plus paisible.


marinette

Le jeune Colin, qui a eu tout l’honneur de la fête qu’on a donnée aujourd’hui sur l’eau, se flatte que vous lui donnerez la préférence.


lolotte

Non, ma chère Marinette, il l’espère en vain : mon cœur n’est pas pour lui si aisé à remporter que le prix de l’oie.


marinette

Craignez-vous l’Amour et sa flamme, vous qui chantez depuis le matin jusques au soir, son pouvoir et ses plaisirs ?


lolotte

Non, Marinette, je ne suis pas si insensible que tu le crois ; ce matin au lever de l’Aurore j’ai entendu sur l’eau une voix touchante accompagnée d’un instrument mélodieux ; il rendait un son harmonieux dont mes oreilles étaient enchantées ; aussitôt j’ai mis la tête à la fenêtre, et j’ai aperçu fort loin sur le bout d’un bateau chargé de vin qui remontait la rivière, un jeune homme beau comme l’Amour qui chantait, et s’accompagnait avec son violon ; que de grâces ! que de justesse et de variétés ! non, Apollon lui-même ne passerait auprès de lui que pour un joueur de vielle ; je t’avouerai que j’ai été charmée de sa personne, et de ses talents. Mais quelle affreuse tempête ! quel bruit épouvantable ! Ah ! voilà le même bateau de ce matin qui va périr.


On joue une tempête.
marinette

Ah ! Lolotte voilà le bateau enfoncé.


lolotte

Ma chère Marinette crie à Maître Nicolas qu’il envoie au secours de ces malheureux ; mais il y va lui-même, et voici ce jeune homme heureusement hors de danger, il a trouvé un tonneau de vin qui va le conduire à bord.


Scène vii

rigaudon, lolotte

rigaudon
airvide
Trop cruel élément suspends ta violence
Et laisse à bord arriver mon tonneau.
Sans lui tes flots devenaient mon tombeau ;
Mais Bacchus dont toujours j’honorais la puissance
Par le secours du vin m’a su tirer de l’eau.
lolotte

Ah, que je sens de trouble dans mon âme ! il est encore plus charmant de près que de loin.


rigaudon

Où diable suis-je ? daignez m’en instruire.


lolotte

Vous êtes à la Grenouillère.


rigaudon

Vous en êtes apparemment une des principales nymphes ?


lolotte

Hélas, je ne suis qu’une simple batelière ; mais vous qui êtes-vous ? d’où venez-vous ?


rigaudon

Je me nomme Rigaudon ; je suis un musicien qui revient de l’Opéra de Rouen : comme ordinairement les gens de notre profession ne sont pas fort pécunieux, et qu’ils aiment assez à boire, j’avais pris la commodité de ce bateau chargé de vin de Bordeaux pour me désaltérer sur la route, et pour remonter à Paris sans qu’il m’en coûta rien ; j’en ai été quitte pour quelques airs de violon dont j’ai régalé nos mariniers en chemin : mais à propos, je vous trouve bien belle, ma foi vous avez dans vos charmes de quoi me consoler de l’accident qui m’est arrivé.


lolotte

Comment, Monsieur Rigaudon, en sortant de l’eau vous me déclarez d’abord votre amour ? Vous devriez plutôt aller changer de chemise.


rigaudon

J’ai des raisons pour n’en rien faire.


lolotte

Et quelles raisons ?


rigaudon

C’est que je n’ai que celle-là.


lolotte

Cependant, vous devez être mouillé.


rigaudon

Pardonnez-moi, les musiciens sont toujours secs ; mais parlons de mon ardeur subite, c’est un miracle de l’Amour, et je ne veux pas l’en dédire.


lolotte

Il a fait aussi un miracle en moi, et du moment que je vous ai vu, je me suis senti de l’inclination pour vous.


rigaudon

Parbleu, cela part comme un coup de pistolet ! voilà donc le marché conclu ?


lolotte

Je dépends de Maître Nicolas ; mais le voici avec la compagnie des tireurs d’oie.


Entrée des tireurs d’oie.

Scène viii

maître nicolas, rigaudon, lolotte

maître nicolas

C’est par mon secours que vous avez été garanti du naufrage ; mais j’ai plus à vous dire, Maître Nicolas est votre père.


rigaudon

Quelle bête est-ce que Maître Nicolas ?


maître nicolas

C’est moi.


rigaudon

Vous êtes mon père ? mais il me semble que vous m’apprenez cette nouvelle-là bien laconiquement.


maître nicolas

Elle n’en est pas moins véritable.


rigaudon

Cependant, ma mère qui chantait autrefois dans les chœurs de l’Opéra de Rouen, ne m’en a jamais rien dit : elle devait pourtant le savoir mieux que vous.


maître nicolas

Sans doute ; elle vous aura donné à quelque plus gros seigneur que moi, car je travaillais dans ce temps-là aux machines de l’Opéra.


rigaudon

Et apparemment votre mariage s’est fait dans les coulisses.


maître nicolas

Il est inutile de vous instruire de tout cela ; il suffit que je suis votre père, et que je vous marie avec ma filleule Lolotte ; elle chante, vous chantez aussi, et vous jouez du violon : je tâcherai de vous faire entrer à l’Opéra. Allons, allons, que nos tireurs d’oie célèbrent à l’impromptu cet heureux mariage.


Un Batelier
airvide
Belles embarquez-vous sans craindre le naufrage,
À nous suivre tout vous engage ;
De nos petits bateaux
L’Amour fait sa flotte,
Vous ne risquez rien sur les eaux,
Puisqu’il en est le pilote.
On danse.
vaudeville
Le Batelier
On ne peut quoi que l’on fasse
S’empêcher d’aimer à son tour :
Les poissons tombent dans la nasse,
Les cœurs se tour lour lour
Les cœurs se rendent à l’Amour.
Une Batelière
Dans l’humide sein de l’onde
Cupidon tient aussi sa Cour ;
C’est vouloir dépeupler le monde,
Que de nous tour lour lour
Que de nous défendre l’amour.
lolotte
Tout le long de la rivière
Nos mariniers vont tour à tour,
Me disant belle batelière,
Je voudrais tour lour lour
Je voudrais te parler d’amour.
La même
Je me ris de leur langage,
Et j’en crois Maitre Nicolas :
C’est un homme prudent et sage,
Qui me dit : nage,
Nage toujours ne t’y fie pas.
arlequin
Pour nous unir ma Lolotte,
Attendons encor quelque jour :
Je crains si l’Hymen nous garrotte,
Qu’il ne tour lour lour
Qu’il ne fasse envoler l’Amour.
On joue un air.
entree, Le Feu

Scène ix

dorothée, agnès et ses deux sœurs

dorothée

Oh çà ma fille, nous allons avec vos sœurs chez nos voisines nous déguiser pour le bal que l’on doit donner ce soir dans cette maison, à l’occasion du mariage de votre sœur aînée ; peut-être sera-ce dans la notre que l’on dansera : quoiqu’il en soit, comme nos domestiques viennent avec nous pour nous servir et pour nous habiller, attendez-nous ici avec de la lumière, et à notre retour vous irez vous coucher.


agnès

Mais ma mère, ne pourrais-je point allez avec vous ?


dorothée

Cela serait beau, qu’une fille qui est sortie depuis huit jours du couvent, et qui doit y rentrer demain pour toujours, allât au bal !


agnès

Ma mère...


dorothée

Hé bien quoi ? ma mère. Il est trop tard pour vous en dédire : vous avez promis de passer le reste de vos jours hort du monde, j’ai fait tous les frais nécessaires pour achever ce louable dessein, et c’est à vous maintenant à vous y porter de bonne grâce.


agnès

Hélas ! lorsque je fis cette promesse je n’avais pas vu Valère.


dorothée

Valère est trop riche pour vous, et son père ne consentira jamais à lui laisser épouser une fille qui n’a rien ; car enfin le peu qu’il y a de bien dans notre maison, doit servir pour marier votre sœur aînée.


agnès

J’ai bien affaire qu’on la marie à mes dépends.


dorothée

Voyez la petite impertinente ! on prendra bien vos avis là-dessus ; songez seulement à ce que je vous ai dit, et que je trouve de la lumière à mon retour.


Scène x

agnès [seule]

agnès

Amour, inspire-moi ce que je dois faire, et efface s’il se peut de mon cœur l’image du songe importun que j’ai fait cette nuit ; mais je tremble, j’entends du bruit, qui pourrait venir ici à l’heure qu’il est ?


Scène xi

valère, arlequin, agnès

agnès

Ah ! Valère c’est vous ! quel temps prenez-vous pour me venir voir ? quoi donc au milieu de la nuit...


valère

J’ai attendu que votre mère, et vos sœurs fussent sorties pour profiter de cet heureux moment, et pour venir vous annoncer que j’ai le consentement de mon père pour vous épouser.


agnès

C’est beaucoup ; mais si ma mère veut que je rentre pour toujours dans le couvent, et si la bienséance veut que j’exécute la promesse que j’ai faite de quitter le monde...


arlequin

Bon, bon, l’Amour doit vous relever de toutes vos promesses : vous ne seriez pas la première vestale qui aurait manqué de parole.


agnès

Qu’est-ce que c’est qu’une vestale ?


arlequin

Quoi, tout de bon, vous ne savez pas ce que c’est qu’une vestale ?


agnès

Non vraiment.


arlequin

Vous n’avez donc jamais été à l’Opéra.


agnès

Hélas non, on m’a toujours éloignée de tous les plaisirs.


arlequin

Oh ! j’y ai été moi, et c’est là que j’ai appris que les vestales étaient des jeunes filles qui chantaient et dansaient dès le commencement du monde, et qui vivaient dans le feu comme les poissons dans l’eau... après le débrouillement du chaos... vous comprenez bien cela ?


agnès

Non en vérité.


arlequin

Ni moi non plus.


valère

C’est un fou qui ne sait ce qu’il dit, et qui est à moitié ivre ; tais-toi, et prends garde que personne ne vienne nous surprendre.


arlequin, à part

Pendant que mon maître veillera auprès de sa maîtresse, allons tâcher de dormir un petit somme dans quelque coin de cette chambre. Bon, voici une table, qui fera bien mon affaire.


valère

Eh bien, charmante Agnès, voulez-vous que je vous perde pour jamais ? je vous adore, et je sens bien que je ne pourrai vivre un moment sans vous.


agnès

Mais Valère, que voulez-vous que je fasse ?


valère

Que vous déclariez à votre mère que vous ne voulez pas absolument retourner au couvent, et que vous n’avez point de goût pour la clôture.


agnès

Elle dit que mon bien n’est pas assez considérable...


valère

Que m’importe ? j’en ai assez pour vous et pour moi, et mon père consent que je vous prenne sans dot ; j’en ferai demain la proposition à votre mère, et si elle me refuse, je ne veux que votre aveu pour vous retirer de ses mains.


agnès

Ah ! Valère, j’ai fait cette nuit un songe qui me fait tout craindre ; j’ai rêvé que nous étions tous deux seuls, je vous parlais... jamais mon cœur ne fut plus tendre.


valère

Ah ! où étais-je dans ce moment-là !


agnès

Écoutez donc le reste du rêve : on a crié au feu, au feu ; j’ai vu ma mère, sa voix m’a glacée, mon lit en a tremblé ; j’ai vu un nuage de feu étincelant ; enfin mon songe était si embrouillé, que je n’y comprends rien moi-même en vous le racontant, mais il ne laisse pas que de m’effrayer.


valère

Il ne faut pas s’arrêter aux songes... mais quel bruit entends-je ?


agnès

Ah ! c’est ma mère qui revient chez nous.


valère

Arlequin.


arlequin, en sautant sur la table fait tomber la lumière

Monsieur ?


agnès

Ah voilà la lumière éteinte, que vais-je devenir ? que dira ma mère si elle me trouve ici seule avec vous ?


valère

Je suis en désespoir ! Arlequin.


arlequin

Monsieur ?


valère

Qu’as-tu fait malheureux ? tu as éteint la lumière.


arlequin

Il n’y a qu’à appeler l’Amour pour la rallumer... abaissez la lanterne.


valère

Le diable t’emporte maraud, on heurte à la porte, et tu cries comme tous les diables.


arlequin

On heurte à la porte ?


valère

Et ne l’entends-tu pas ?


arlequin

Hé bien, tant mieux, je vais prier ces gens-là de nous rallumer notre chandelle.


agnès

Eh non Arlequin, c’est ma mère, et je suis perdue si elle me trouve sans lumière avec deux hommes.


arlequin

Ah morbleu, si nous avions ici quelque vestale qui eut bonne haleine !


valère

Ne badine point, et tire-nous d’embarras.


arlequin

Attendez, attendez, nous sommes plus heureux que sages ; je ne me souvenais plus que Violette, dans l’excès de son amour, m’avait fait l’autre jour présent d’un briquet : quoique l’Amour n’agisse ici que par bricole, cela vaudra bien le miracle qu’il fait à l’Opéra, et cette allumette fera autant d’effet que son flambeau.


agnès

Ah je respire, la bougie est allumée ; mais Valère, qu’allez-vous devenir ?


valère

Ne craignez rien, belle Agnès, ouvrez seulement la porte, et laissez-moi soutenir l’abord de votre mère.


Scène xii

dorothée, valère, agnès, arlequin, les vestales, et les romains

dorothée

D’où vient donc que vous êtes si longtemps à ouvrir cette porte ?... Ah ! ah ! je ne m’en étonne plus, vous étiez en bonne compagnie ; À Valère. Que venez-vous chercher ici à l’heure qu’il est ?


arlequin

Monsieur vient demander votre fille en mariage, et moi, je suis venu pour allumer le flambeau nuptial.


dorothée

Qu’est-ce que cela signifie ? voilà une belle heure pour demander une fille en mariage !


valère

J’ai appris que vous la mettiez demain dans un couvent, et je suis accouru ici au plus vite pour vous dire que mon père consent que je l’épouse sans dot.


dorothée

Sans dot ! ah, c’est une autre chose, et sur ce pied-là, ma fille est à vous.


valère

Quel bonheur pour moi ! venez peuples, venez célébrer ce beau jour.


arlequin

Comment donc ce beau jour ! avez-vous oublié que nous sommes dans la nuit ?


valère

Tu as raison ; il nous faut un divertissement.


dorothée

Que cela ne vous embarrasse pas, les violons sont ici : nous avons inventé la plus jolie mascarade du monde, nos hommes sont déguisés en romains, et nos femmes en vestales.


arlequin

Des femmes déguisées en vestales ! il y en a bien aujourd’hui qui prennent cette mascarade-là.


dorothée

Commençons notre petite fête, entrez Messieurs et Mesdames.


arlequin

Attendez, je vais servir de compère. Messieurs, vous allez voir une entrée de quatre gentilshommes romains, admirez-en, s’il vous plaît, la cadence.


On danse.
vaudeville
airvide
1
Tant qu’en faveur Cléon sera,
Des flatteurs la foule importune
Partout le suivra,
Grand nombre d’amis il aura ;
Mais s’il tombe dans l’infortune,
Tout le quittera.
2
Tant que le monde durera,
Le flambeau du dieu d’hyménée
Fort peu brillera ;
D’abord l’amour l’allumera,
Mais dès la seconde journée
Son feu s’éteindra.
3
Tant que fillette fermera
L’oreille à voudra se plaindre,
Sa vertu luira ;
Mais sitôt qu’elle écoutera,
On verra sa vertu s’éteindre,
Comme à L’Opéra.
4
Tant qu’un amant dépensera
Près d’une vestale en détrempe,
Le feu durera,
Chaque présent l’attisera ;
Mais si l’huile manque à la lampe,
Le feu s’éteindra.
5
Vainement un barbon voudra
Triompher auprès d’une belle,
Son temps il perdra,
En vain il se trémoussera ;
De son feu la belle étincelle
Bientôt passera.
arlequin
Tant qu’Arlequin respirera,
À vous divertir, à vous plaire,
Il s’efforcera,
Sans cesse il cabriolera ;
Et son ardeur pour le parterre
Toujours brillera.
entree, La Terre
On joue un air.

Scène xiii

florestan déguisé en fille

airvide
Amour, rends à mes feux Pouponne moins rebelle.

Cette jolie jardinière a rebuté jusqu’ici tous ses soupirants ; je ne suis pas plus heureux que les autres, mais je suis plus fidèle ; et je vais voir, si sous la figure de Jacqueline sa servante, je ne pourrais pas découvrir les véritables sentiments de son cœur. Ah Florestan, que tu serais heureux si tu pouvais réussir dans cette entreprise !


Scène xiv

pouponne, florestan

florestan

Belle Pouponne enfin, je vous revois : vous fuyez tout le monde, il n’y a que moi qui ai la liberté de vous entretenir.


pouponne

Je passe mon temps à rêver : j’admire les beautés de mon jardin.


florestan

Vous avez raison, cette terre que vous avez vous-même cultivée, ces fruits que vous voyez mûrir de jour en jour, sont autant de triomphes pour vous.


pouponne

Mon jardin m’amuse beaucoup.


florestan

Un amant vous amuserait davantage, et vous ferait trouver ce séjour plus agréable ; tous vos galants jardiniers ne cessent de se plaindre de vos rigueurs : quoi ! serez-vous toujours brouillée avec l’amour ?


pouponne

Ah Jacqueline ! peut-être signerai-je la paix dans ce jour.


florestan, à part

Ouais, aurais-je quelque nouveau rival à craindre ?


On entend un bruit de chasse.
pouponne

Quel bruit vient nous étourdir les oreilles ?... comment ? ce sont des chasseurs qui entrent ici : ils vont ravager tout mon jardin. Mais que vois-je ? c’est le seigneur du hameau prochain, le baron Patapan. Peste soit du gentillâtre !


Scène xv

patapan, pouponne, florestan

patapan

Le monstre est tombé sous mes coups, et je vous en apporte la dépouille, c’est un présent que vous fait mon amour.


Il lui présente un grand bois de cerf.
pouponne

Que voulez-vous que j’en fasse ? ce présent-là ne convient guère à une femme.


patapan

Et à qui voulez-vous que je l’offre ? tous mes amis ont déjà une bonne provision.


pouponne

Vous le pouvez garder pour vous.


florestan

Eh, Mademoiselle, acceptez le présent de Monsieur, vous lui en ferez un autre.


pouponne

Si j’avais quelque chose à lui offrir, ce ne serait pas du moins avec un si grand bruit.


patapan

J’ai cru devoir vous annoncer mon amour à son de trompe, cet éclat ne peut que vous faire honneur.


pouponne

Cela est glorieux pour moi.


patapan

Je voulais entrer ici avec toute ma meute, mais j’ai appréhendé que mes chiens ne gâtassent votre jardin ; quoique je sois chasseur à grand bruit, je ne laisse pas que d’avoir de la considération.


pouponne

C’est ce qui me paraît ; mais enfin que venez-vous faire ici ?


patapan

Vous dire seulement en passant que je vous aime, et faire danser mes gens dans votre jardin pour les délasser des fatigues de la chasse.


pouponne

Mais à quoi servira tout cela ?


patapan

Cela servira à amener un divertissement à propos : c’est quelque chose de galant qu’un divertissement bien amené.


pouponne

Le votre ne pouvait venir plus à contretemps, je vous assure, puisque j’avais choisi ce séjour solitaire pour fuir l’empressement des amants importuns. Vous m’avez fait une frayeur terrible, je suis prête de tomber en faiblesse.


patapan

Est-ce pour moi ?


pouponne

Non en vérité.


patapan

N’êtes-vous pas rassurée quand je vous dis que je vous aime ?


pouponne

Cet amour est bien inutile, puisque je ne suis pas d’une condition égale à la votre, et que d’ailleurs, je ne veux pas me marier.


patapan

Et parbleu, ni moi non plus, je ne prétends faire l’amour qu’en courant ; mais venez vous asseoir auprès de moi pour voir le divertissement.


Entrée de chasseurs.
Un chasseur, chante
airvide
L’hymen est un chasseur étrange
Qui ne chasse qu’avec froideur,
À tout moment il prend le change ;
Ah, que c’est un mauvais piqueur !
Il n’a point de route assurée
Pour suivre sa bête égarée ;
Et sans qu’il y soit quelquefois,
Les amours en font la curée,
On ne lui laisse que le bois.
Entrée [de chasseurs].
vaudeville
airvide
Ah que la forêt de Cythère
Pour la chasse est un bon canton !
Tontaine ton ton ton.
Dans l’hiver on n’y chasse guère,
Mais au printemps c’est la saison,
Ton ton ton ton ton tontaine ton ton.
definitacteur, Chœur de chasseurs chœurchasseurs
chœurchasseurs
Ton ton ton, etc.
Pour moi je vais toujours en quête
De quelque agréable tendron,
Tontaine ton ton ton :
À ses allures je m’arrête
Pour voir s’il est courable ou non.
Ton ton ton, etc.
Pour me mettre bien sur la voie
Je prends pour limier Cupidon,
Tontaine ton ton ton :
Je lui retient ou lui déploie
Le trait selon l’occasion.
Ton ton ton, etc.
Quand j’ai connu des réposées
Je monte sur mon étalon,
Tontaine ton ton ton :
Je vais frapper à mes brisées
Appuyant et sonnant du ton,
Ton ton ton, etc.
Aux abois quand la bête est mise,
À lever le pied je suis prompt,
Tontaine ton ton ton :
Mais je ne sonne point la prise
Comme bien d’autres chasseurs font.
Ton ton ton, etc.
chœur
Ton ton ton, etc.
pouponne

Monsieur Patapan, je vous suis bien obligée ; mais à vous dire le vrai, ce concert éclatant m’a un peu étourdie ; faites-moi le plaisir de vous retirer, vous et toute votre bruyante suite.


patapan

Oh, vous n’avez qu’à dire, je suis l’homme du monde le plus obéissant : allons enfants, retirons-nous, et ne nous amusons point à tirer ici notre poudre aux moineaux.


Scène xvi

pouponne, florestan

florestan

Où allez-vous donc, belle Pouponne ?


pouponne

Que me demandez-vous ? je n’en sais rien moi-même... suis moi, Jacqueline, non, demeure... viens... reste... va-t’en... ma foi, je ne sais ce que je dis !


florestan

Je ne vous quitterai point.


pouponne

Tu n’ignores pas, Jacqueline, combien tu m’es chère ; je sais que tu as aussi une grande affection pour moi.


florestan

Il y a plus que de l’affection, et je vous aime au-delà de ce que vous pouvez vous imaginer.


pouponne

Ma chère Jacqueline, contente un peu ma curiosité, je ne cherche qu’à m’instruire ; dis-moi franchement, l’amour est-il aussi joli qu’on le sait ? tu dois en savoir des nouvelles, à ton âge, on a de l’expérience.


florestan

Vous me faites-là une plaisante question ! Vous me demandez si l’amour est une jolie chose ? oui, ma chère Pouponne, il n’y a rien de plus amusant, on n’est heureux que quand on aime ; l’amour est un certain je ne sais quoi, que l’on sent beaucoup mieux que l’on ne peut exprimer.


pouponne

Je n’entends rien à tout cela.


florestan

Eh quoi ! tout ce qui se présente ici à votre vue ne vous inspire-t-il pas de l’amour ?


pouponne

Hélas !


florestan

Vous soupirez.


pouponne

Hélas oui !


florestan

Expliquez-vous.


pouponne

N’y a-t-il personne qui puisse nous entendre ?


florestan

Non, parlez en toute sûreté.


pouponne

Puisqu’il faut t’avouer ma faiblesse... Jacqueline, je suis prise.


florestan

Qu’entends-je ! vous aimez, et qui est l’heureux mortel ? ...


pouponne

C’est...


florestan

Achevez...


pouponne

Eh bien, c’est Florestan que j’aime.


florestan, se découvrant et ôtant sa coiffure

Ah ! charmante Pouponne, je meurs d’amour à vos genoux.


pouponne

Quoi ! Florestan, c’est vous ! à quoi bon ce déguisement ? pourquoi vous cacher à mes yeux ? que ne restiez-vous dans votre état naturel ? je n’aurais pas tardé si longtemps à vous dire que je vous aime. Amour, jouis de ta gloire, et fais-moi bien réparer tous les moments perdus : venez mes chères compagnes, venez prendre part à ma joie.


Entrée de jardiniers.
vaudeville
airvide
Amants, et vous jeunes fillettes,
Accourez en ce séjour ;
Venez cueillir des fleurettes
Dans le beau jardin de l’Amour.
Sitôt que la naissante Aurore
Vient nous annoncer le jour,
Zéphire caresse Flore
Dans le beau jardin de l’Amour.
Vieillards, dans vos humeurs chagrines,
N’espérez point de douceurs ;
Vous trouverez des épines,
Où d’autres trouveront des fleurs.
arlequin
Pour cultiver notre terre
Renouvelons nos ardeurs ;
Ah puisse notre Parterre
Ne nous produire que des fleurs.
Entrée des jardiniers.
Pouponne danse avec Florestan.
vaudeville
airvide
Un barbon à grise mine
M’étourdit de son caquet,
Het, het, het !
Mais en vain il s’imagine,
Chez moi cueillir le muguet,
Het, het, het !
Qu’il se plaigne et se chagrine,
Il ne trouvera qu’une épine,
Dans mon joli joliet,
Il ne trouvera qu’une épine
Dans mon joli jardinet.
J’entends bien le jardinage,
Belle, je suis votre fait,
Het, etc.
Quand j’entreprends un ouvrage,
C’est pour le rendre parfait,
Het, etc.
Ne craignez point que je triche,
Et que je vous laisse en friche,
Votre joli joliet,
Et que je vous laisse en friche
Votre joli jardinet.
Ah que je me lasse d’être
D’un procureur le valet,
Het, etc.
Clerc et galopin du maître,
Je trotte comme un barbet,
Het, etc.
Jardinier de la maîtresse,
Il faut travailler sans cesse
À son joli joliet,
Il faut travailler sans cesse
À son joli jardinet.
Tous les soirs j’allais entendre
Le chant d’un rossignolet,
Het, het, etc.
Ma voisine a su le prendre,
Un matin au trébuchet,
Het, het, etc.
Hélas, j’aurai beau l’attendre,
Il ne viendra plus se rendre
Dans mont joli joliet,
Il ne viendra plus se rendre
Dans mon joli jardinet.
J’ai toujours été fidèle,
Et ne m’en suis point caché
Hé hé, etc.
Dans le jardin de ma belle
Nul jardinier n’a bêché
Hé hé, etc.
Je ne crains point qu’on en glose,
J’ai vu seul naître la rose
De sont joli joliet,
J’ai vu seul naître la rose
De son joli jardinet.
Tous mes soins, belle Sylvie,
Seront-ils récompensés,
Hé hé, etc.
Les plus beaux jours de ma vie,
Près de toi se sont passés
Hé hé, etc.
Si tu tardes davantage,
Je ne pourrais faire usage
De ton joli joliet,
Je pourrais faire usage
De ton joli jardinet.
Les oranges, les grenades,
Les lys, la rose et l’œillet,
Het het, etc.
Le long de nos palissades,
Forment un coup d’œil parfait,
Het het, etc.
Mais notre parterre enchante,
Lorsque sa face est riante,
Ah le joli joliet,
Lorsque sa face est riante,
Ah le joli jardinet !
Fin

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