Louis Fuzelier, Denis Carolet
Le Cheveu
Parodie de Scylla, tragédie en musique
Foire Saint-Laurent
le 25 septembre 1732
BnF ms. fr. 9337
Acteurs
Scylla
Doris, sa confidente
Capis, reine de Béotie
Ismène, sa confidente et magicienne
Nisus, roi de Mégare
Minos, roi de Crète
Dardanus, amant de Scylla
La Paix
Discorde et sa suite
Gardes de Nisus
Le Cheveu
Le théâtre représente au fond la ville de Mégare et dans les ailes la campagne et le camp de Minos.
Scène i
Scylla, Doris
doris
Il y a une heure que je vous cherche. Qui diantre aurait cru vous trouver ici, dans le beau milieu de la campagne et près du camp des ennemis ?
Air : Voici les dragons qui viennent
Si par hasard leur jeunesse
S’approche de nous
Vous allez voir la presse
Qu’on vous fêtera, princesse,
Et moi itou !
scylla
Air : Lon la
Les galants n’ont qu’à venir
Et n’ont qu’à se bien tenir.
Je sais fermement
Railler un amant,
Et sans poltronnerie
Je les mène tambour battant.
Je suis fille aguerrie lon la,
Je suis fille aguerrie.
doris
Pour moi, je ne me pique pas d’être si brave que vous. Mais parlons d’affaires qui vous intéressent...
Air : Je suis perdu
Princesse, réjouissez-vous
La paix est bien sûre.
Et d’une pierre on fait deux coups :
Tout va se conclure.
scylla
Que va-t-il donc arriver ?
Te voila bien émue !
doris, gaiement
Votre hymen va s’achever !
scylla, tristement
Je suis... je suis perdue.
Ah ! Doris !
doris
Ah ! Madame !
Vous avez quelques amourettes,
Ne faites point la secrète,
Je m’y connais un petit...
Dardanus en a dans l’aile,
Un autre vous plaît, la belle,
Mon petit doigt me l’a dit.
scylla
Ton petit doigt ne ment pas.
Air : Flon, flon
T’avouerai-je ma flamme ?
Oserai-je à tes yeux
Montrer toute mon âme ?
J’aime Minos...
doris
Ah ! dieux !
Lazzi de donner le fouet.
Et flon flon larira dondaine,
Et flon flon larira dondon.
Que votre bon papa Nisus vous en donnerait
s’il savait cela ! Aimer l’ennemi qui vous fait la guerre ! Fi !
scylla
Te souviens-tu de la dernière sortie que repoussa Minos.
Air : Sans dessus dessous
Tu vis la force de son brasbis
Comme il étrillait nos soldats !bis
En les frappant à l’ordinaire
Sans dessus dessous, sans devant derrière,
Il mit mon cœur ainsi qu’eux tous
Sans devant derrière, sans dessus dessous.
doris
Vous prenez bien votre temps pour aimer ! Mais j’aperçois le pauvre Dardanus.
scylla
Air : N’y a pas de mal à ça
Je vais, sans scrupule,
Le tromper.
doris
Scylla
Dore la pilule
qu’il engobera !
scylla
N’y a pas de mal à ça... bis
Scène ii
Scylla, Dardanus
dardanus
Air : L’amour est un artificier
Princesse, la paix se fera.
scylla, à part, boudant
Quoi ? Toujours on m’en parlera ?
dardanus
Il faut que l’on se réjouisse
Nous aurons un feu d’artifice !
Pan, pan, pan,
La poudre prend !
Je crois être à ce doux instant.
scylla
Dardanus a l’imagination vive !
dardanus
Air : Quand le péril
Savez-vous encor quelle fête
Se prépare, aimable Scylla ?
scylla, inquiète
Quoi ?
dardanus
Notre hymen.
scylla
Ce n’est pas là
De la viande bien prête.
dardanus
D’où vient cette surprise extrême ? Est-ce que cette nouvelle vous fâche ?
scylla, embarrassée
Je ne dis pas cela, mais tenez :
Air : Tout-ci, tout-ça
Capis sans doute glapira,
Tout-ci tout-ça,
Minos usurpe sa puissance
À mon père elle objectera,
Tout-ci tout-ça,
Qu’il a promis qu’à sa défense
Le vert et le sec emploiera
Tout-ci tout-ça.
dardanus
Vous barguignez, Scylla.
scylla
Air : Réveillez-vous
Mon père du dieu de la guerre
Est le fils le mieux partagé.
Il n’est aucun roi sur la terre
Qui soit si bien avantagé.
dardanus
Cela est beau, Madame, mais je dois savoir tout cela, moi qui suis presque son gendre. À propos de quoi m’en parlez-vous ?
Air : Pierre Bagnolet
Pourquoi rappeler l’aventure
De ce cheveu par Mars donné ?
scylla
Pour en éviter la fracture
Mon père n’est jamais peigné...
dardanus
Jamais peigné !
scylla
Jamais peigné.
dardanus
D’une pareille chevelure
Un front royal est mal orné.
scylla
Air : Tarare Ponpon
Voyons un peu la paix tout à fait affermie,
Différons notre hymen, du moins [de] quelques jours
D’une main ennemie
J’appréhende toujours.
dardanus
Et moi je sais, ma mie,
Vos tours.
Vous avez la mine d’un forger un des plus noirs.
scylla
Quels injustes soupçons ! Que vois-je ?
Air : Tu croyais, en aimant Colette
C’est Capis. Restez avec elle,
Pour moi, je veux fuir son caquet.
dardanus, la suivant
Je ne vous quitte point, cruelle.
Je vous suivrai comme un barbet.
Scène iii
Capis, Ismène
capis
Air : Lampons
Ciel ! Qu’ai-je vu dans ces lieux
La paix les rend tout joyeux !
L’un saute avec sa charmante
L’autre le verre en main chante
Lampons, lampons, camarades, lampons.
Air : Le bonhomme Diogène
Ce n’est pas tout, Ismène,
Si la paix est certaine,
Dardanus et Scylla
Vont finir leur affaire ;
Vont se... grands dieux ! Ma chère !
Pourrai-je voir cela ? bis
ismène
Quoi voir ?
capis
Eh ! Le mariage de Dardanus que j’aime !
ismène
Air : La nuit et le jour
Quoi ! de l’amour sur jeu ?
capis
Eh, mais je crois qu’à plaire
On peut prétendre un peu,
Et qu’on est d’âge à faire
L’amour
Encor plus d’un jour.
Dis-moi un peu, Ismène... cette maudite paix me chiffonne, ne pourrais-tu pas brouiller les cartes ?
ismène
Il n’est rien que je ne fasse pour votre service.
Air : Toureloutoutou
Dans votre cour, où j’ai reçu la vie,
On m’a donné bonne éducation,
Pourtant je sais joliment la magie
Et de l’enfer j’ai la protection
Et tonrelontonton
De notre diablerie.
Je vous ferai voir un échantillon.
Esprits qui ne cherchez que noise,
Qui dans Gisors et dans Pontoise
Formez les juges et les recors,
Hâtez-vous de servir Ismène,
Secondez ici mes transports,
Connaissez votre souveraine.
capis
Ce n’est pas la peine. Nisus et Minos avancent, tenons-leur compagnie.
ismène
Hom ! C’est que vous voyez Dardanus avec eux !
Scène iv
Capis, Ismène, Nisus, Minos, Dardanus, gardes
Les deux rois ont chacun un verre et un garde la bouteille.
nisus
Oh ça, Seigneur Minos, puisque nous faisons la paix, il faut faire notre serment le verre à la main.
minos
Vous parlez mieux qu’un oracle. Buvons ensemble, pour arroser cette paix-là.
On leur verse du vin et Dardanus en demande aussi.
dardanus, à Ninus
Beau-père futur,
Air : Bonsoir la compagnie
Voulez-vous bien que Dardanus
Vous tienne compagnie ?
nisus, à Dardanus
Vous faites honneur à Ninus !
minos, à part
La sotte compagnie ! Morbleu,
La sotte compagnie !
nisus
Allons, beau Minos, je vous réveille, écoutez-moi :
Déclame.
Vieux protecteurs des rois qui vengez leurs injures,
S’il en est parmi nous, punissez les parjures !
minos
Si je viole un jour mon serment sans raison
Que ce verre de vin me serve de poison.
À Ninus, qui verse à boire.
Air : Mon cousin, [que faites-vous]
N’épargnez pas le vin, mon cousin,
Faites bonne mesure
nisus, lui donnant rasade
Je ne suis pas taquin, mon cousin,
Allons rasade et pure, mon cousin,
C’est [l’]allure mon cousin
Allons, mon cousin, c’est l’allure.
nisus
Brave Minos, à votre santé !
minos, choquant avec Nisus
À la votre, bonhomme Ninus ! ... ma foi, à lui le père pour être bien frisé !
dardanus, approchant son verre
Seigneurs, me permettrez-vous...
Tout d’un coup, le tonnerre gronde ; ils sont tous effrayés. Capis et Ismène se sauvent, Nisus et Dardanus laissent tomber leur vin et Minos boit tranquillement le sien.
nisus, tremblant
Air : Carillon
La terre frémis sous nos pas.
Dieux ! Quel tonnerre ! Quel fracas !
Dardanus, allez, je vous prie ;
Ordonnez que la sonnerie
Din dan don din din dan don,
N’épargne pas le carillon...
Dardanus sort.
minos, frappant son verre
Pour moi, voici mon carillon.
nisus, à Minos
Aimeriez-vous que nous allassions consulter Saltas
sur cet orage-là ?...
minos
Air : J’aime mieux boire
J’aime mieux boire, j’aime mieux boire !
Scène v
Scylla seule
scylla
La pluie est passée, je peux me remettre en campagne.
Air : Tout cela m’est indifférent
Nos rois auront été saucés
Jusqu’aux os je les crois percés,
Mais aussi quelle est leur manie
De se mettre au milieu des champs
Pour faire une cérémonie ?
Ma foi, c’est se moquer des gens.
Scène vi
Minos, Scylla
minos, déclame
Princesse, quel sujet dans ce lieu vous arrête ?
Le peuple court en foule au temple de Pallas.
scylla
Je ne suis pas pressée... et de plus, cette fête
Entre nous, ne me tente pas.
À propos de fête, vous auriez bien du prendre une redingote ou un parapluie.
minos
Oh ! Cela séchera ; mais ne badinons pas.
Air : Lanturlu
Dardanus vous aime.
Foin ! Qu’il est heureux !
Vous l’aimez de même
L’hymen à ses vœux
Va, d’un bien suprême,
Livrer le doux revenu !
scylla
Lanturlu, lanturlu, lanturlu
C’est vous, Minos, qu’il faut féliciter sur votre humeur tranquille.
minos
Air : Ne m’entendez-vous pas
Vous ne connaissez pas,
Adorable princesse,
La douleur qui me presse...
scylla
Qu’il est malade ! Hélas !
Comme il est... gros et gras !
minos
Ah ! madame, tout ce qui reluit n’est pas or. Tel que vous me voyez,
Air : Je n’ai pas le pouvoir
Mon cœur est brûlé comme un four,
Je meurs cent fois par jour.bis
scylla
Mais vous savez bien, Dieu merci
Ressusciter aussi...bis
minos
Si vous vouliez, je ressusciterais infiniment mieux, car enfin ma princesse, c’est vous qui me faites
mourir de pur amour.
scylla
Ah ! Princesse !
minos
Air : Ah Philis ! je vous vois, je vous aime
Oui, Scylla, je vous vois, je vous aime,
Si je vous ai je vous aimerai tant.
Ce n’est que depuis un instant
Que je vous connais ma belle et pourtant
À la rage déjà je vous aime,
Si je vous ai je vous aimerai tant.
Air : Ah ! Mon beau laboureur
Dans vos yeux aigres-doux,
Je lis votre courroux.
scylla
Que vous savez mal lire, olire, olire,
Que vous savez mal lire, olire, ola...
Air : Ah Philis ! Je vous vois, [je vous aime]
Car, Minos, je vous vois, je vous aime,
Si je vous ai je vous aimerai tant.
En vain Dardanus est content
Il n’en croquera ma foi que d’une dent
Oui, Minos, je vous vois, je vous aime,
Si je vous ai je vous aimerai tant.
minos et scylla ensemble, se tenant par la main et dansant., ensemble
\neuf Oui, Scylla, je vous vois, je vous aime,
Si je vous ai je vous aimerai tant. \neuf Oui, Scylla, je vous vois, je vous aime,
Si je vous ai je vous aimerai tant.
scylla
J’entends quelqu’un, ne vous inquiétez pas
Air : Gai, gai, gai, lariré
Cher Minos, laissez-moi faire :
Mon hymen est arrêté, lariré,
Mais du roi Nisus, mon père,
Vous voyez l’enfant gâté, lariré.
J’obtiendrai qu’il différe
Gai, gai, gai, lariré.
Scène vii
Capis, Scylla, Ismène
capis, à Scylla
À quoi vous amusez-vous donc ici ?
Air : Amis, sans regretter Paris
Votre prétendue vous attend
Et vous rêvez princesse.
scylla
Chacun, dans un pareil instant
Sent où le bas le blesse.
capis
Il est pourtant temps, pourtant temps
Babette
Il est pourtant temps de vous marier.
scylla
Air : De quoi vous plaignez-vous
De quoi vous mêlez-vous ?
Mon hymen vous embarrasse ?
De quoi vous mêlez-vous ?
capis
Et mon enfant, tout doux !
scylla
Puisqu’il faut rompre la glace,
Capis, ne déguisons rien,
Voudrait être à ma place...
Elle s’y tiendrait bien.
Scène viii
Capis, Ismène
capis, s’exclame
Qu’a-t-elle dit Ismène, et que viens-je d’entendre ?
Scylla boude très fort ! À qui faut-il s’en prendre ?
Est-ce à Dardanus ? Est-il avec les deux rois au temple ? Nous devrions y faire un tour pour voir l’air du bureau.
ismène
Ne craignez rien, j’ai l’oracle dans ma manche. J’ai eu soin de graisser la patte de la prêtresse.
capis
Air : Non, je ne ferai pas
Achève donc, Ismène, il faut tout entreprendre
Artemidor, ton frère, a pris soin de t’apprendre
Le bel art d’asservir les lutins à ta loi
Unissez-vous, tous deux...
ismène
Il suffira de moi.
Air : Réveillez-vous
Vous devez croire, je vous prie,
Que notre sexe féminin
Sur le fait de la diablerie
En sait plus que le masculin.
Mais à quoi voulez-vous employer ma capacité infernale ?
capis
À déclarer mon amour par un moyen nouveau.
ismène
Quelle imagination ! A-t-on jamais chargé les diables d’une déclaration d’amour ?
capis
Air : Ah ! Que Colin l’autre jour m’a fait
Oh ! Très souvent...
ismène
Quoi, dans votre aventure
Vous installez l’enfer, votre Mercure !
Cela n’est bon qu’à l’Opéra !
Ah ah ah, ah ah ah, ah ah ah, ah ah ah.
capis
Mais Ismène ?
ismène
Mais madame !
Air : J’en jurerais presque sur sa laideur
Je n’aurai pas la sotte fantaisie
De remuer tout l’enfer pour un rien
Et d’évoquer l’ombre de Tirésie
Pour dire un mot que je dirai fort bien.
Eh ! Tenez, voilà heureusement Dardanus qui passe,
Scène ix
Capis, Dardanus, Ismène
ismène
À part, à Capis.
Je vais un peu lui parler
À Dardanus.
Air : Morguenne de vous
Savez-vous déjà
La grande nouvelle ?
dardanus
Quoi ?
ismène
Votre Scylla
N’est rien qu’une infidèle.
dardanus
Morguenne de vous
Cruelle, cruelle !
Morguenne de vous
Que m’apprenez-vous ?
ismène
Même air
Seriez-vous d’humeur
À vous venger d’elle ?
Capis porte un cœur
Qui près de vous ne gèle.
dardanus, sans l’écouter
Eh quoi ! ma Scylla
Serait infidèle ?
Eh quoi ! ma Scylla
M’aurait planté là ?
capis, bas, à Ismène
Mes affaires ne vont pas bien.
ismène, bas, à Capis
Patience, je vais lui pousser encore une botte.
Air : Ne m’entendez-vous pas
Ne m’entendez-vous pas ?
dardanus
Quoi ? Scylla m’abandonne !
ismène
Capis d’une couronne
Peut disposer.
dardanus
Hélas !
Je n’y survivrai pas.
Scène x
Capis, Ismène
ismène
Air : Le maître fou que voilà
Oh ! Le petit sauvage
Que le sieur Dardanus !
Ainsi que vous, je gage,
Il traiterait Vénus !
capis
Non, je ne suis pas sage
Ha ha !
Le joli personnage
Que tu m’as fait faire là !
Air : Nouveau Monde
J’admire l’opération
De notre déclaration.
Dardanus assez peu s’y prête,
Il la reçoit tout aussi mal
Que si par un charme un infernal
Un mort obligeant l’avait faite.
Retirons-nous avec notre contre haute, j’entends Minos et Scylla.
Scène xi
Minos, Scylla
scylla
Air : À la façon de Barbarie
Nous est-il permis d’espérer ?
Avez-vous vu mon père ?
Et consent-il à différer
L’hymen...
minos, soupirant
Hélas, ma chère !
scylla
Quoi ? Pour Dardanus il tient bon ?
minos
La faridondaine, la faridondon !
Mon ambassade a réussi, biribi
À la façon de Barbari, mon ami.
Air : Camp de Porche Fontaine
J’ai dit vingt fois au roi Nisus
Frère, terminons nos alarmes
Mes soins ont été superflus.
Votre père a repris les armes,
Palapata pan patapan panpan
Il m’a parlé tambour battant.
Il m’a traité comme un crispin !
scylla
Air : Que faites-vous, Marguerite
Quoi ? La guerre recommence ?
Nisus refuse la paix ?
Et vous, vous avez l’imprudence
De rester dans son palais !
Quelle étourderie pour Minos !
minos
Votre réflexion est judicieuse, je cours ici risque d’être étrillé.
scylla
Et moi, me voilà bien avancée !
Air : Vous m’entendez bien
La pauvre Scylla pour époux
N’aura ni Dardanus ni vous !
Ses peines sont mortelles...
minos
Eh bien ?
scylla, lazzi de s’asseoir à terre
Elle est entre deux selles,
Vous m’entendez bien.
minos
Cela est fâcheux, mais j’y sais un remède.
scylla
Air : L’amour me fait mourir
Du mal qui me possède
Eh quoi ! Mon cher amant
Vous savez le remède ?
Donnez-le promptement !
minos
Oui, je m’en vais, lon lan la
Oui, je m’en vais mourir.
scylla
Bas. Peste du nigaud ! \did Haut. Eh si donc, le remède serait pire que le mal. Ah ! Vivez, je vous en conjure !
minos
Vous en parlez bien à votre aise.
Air : Il faut que je file
Non, la mort est nécessaire
À l’excès de mon amour.
Puisqu’un arrêt sanguinaire
M’interdit votre séjour,
Vivre n’est pas mon affaire...
Peut-on passer un seul jour
Sans vous faire faire faire
Au moins une fois sa cour ?
Adieu Scylla...
scylla, pleurant
Adieu Minos...
Scène xii
Scylla seule
scylla
Vous partez, cher amant et je ne peux vous suivre.
Qui m’empêche ? Hélas ! J’étais seule avec vous
Oh ciel ! Que de Nisus j’appréhende les coups
s’ils tombaient sur Minos... Que la crainte me livre
De funestes combats !
Allons, puisqu’un cheveu rend Nisus invincible,
Qu’il soit rasé. Mettons tous les cheveux à bas.
Mais quel conte ! Non, non, cela n’est pas possible.
Un cheveu braverait cent et cent coutelas ! ...
Air : Pour voir un peu comment ça fra
Ô dieux ! Sont cela de vos soins ?
Comment voulez-vous qu’on les nomme ?
Quoi ? D’un poil de plus ou de moins
Dépendrait la valeur d’un homme ?
Il faut couper ce cheveu là.
Pour voir un peu comment ça fra.
Scène xiii
Nisus seul
nisus
Air : Allons à la guinguette, allons
À mes souhaits
Quand voudras-tu te rendre ?
Dans mon palais
Quand voudras-tu descendre ?
Ô paix, divine paix !
Ô paix ! Ô paix !
Ne nous reverrons-nous jamais ?
Scène xiv
Nisus, la Paix
la Paix
Me voilà.
Scène xv
Nisus, la Paix, la Discorde
nisus, à la paix qui descend
Charmante petite paix, il faut un microscope pour vous apercevoir... mais oh, Dieux ! Voici Rabat joie ! C’est la discorde qui avalerait une douzaine de paix comme vous... Quel cortège ! La compagnie des plaideurs ! des bretteurs ! des ivrognes !
la Discorde, chante
Aux armes, camarades,
L’ennemi n’est pas loin...
la Paix, chante
Turlutu, rengaine, rengaine, rengaine,
Turlutu, rengaine, rengaine ton couteau.
la Discorde, à la paix
Air : Y avance
Voyez le plaisant embryon !
Je vais vider la question
À Vénus.
Nisus, voici mon ordonnance.
Y avance, y avance, y avance,
Et cours le battre en diligence.
nisus
Ho ! Je suivrai votre ordonnance.
la Discorde, enlevant la paix
Allons, morveuse ! Approchez vous autres.
Scène xvi
Nisus, suite de la discorde, bretteurs et ivrognes
nisus
Oui, remplissez le vide du théâtre ! Réjouissez-vous aimable suite de la discorde. Dansez et moi je vais faire danser mes ennemis.
Aux armes, camarades,
Je veux découdre encor, attaquons Minos,
Aux armes, camarades,
Je ne peux rester en repos.
Scène xvii
[suite de la Discorde, plaideurs, bretteurs et ivrognes]
divertissement, composé de la suite de la Discorde, plaideurs, bretteurs et ivrognes
Scène xviii
Scylla éperdue, tenant de grands ciseaux à la main
scylla
Où suis-je ? Qu’ai-je fais ? Mon père est ma victime.
Il n’a plus ce cheveu qui... Ciel ! Quel coup brigand !
Vous, ciseaux, deviez-vous, pour commettre un tel crime
M’arriver de Chatellerault !
Hélas ! Frappez du péril de Minos, tandis que le bon Nisus mettait son casque, j’ai feint d’accommoder par derrière un de ses cordons... et tac...
Lazzi de couper.
Air : J’ai dans ma pochette
Quelle horreur accable
Mon cœur éperdu !
Par ma main coupable
Mon père est... tourelourirette
Mon père est... lon la derirette
Mon père est tondu.
Déclame.
Il est tondu ! Ce fer vient d’élaguer sa nuque.
Eh ! Que fera Nisus ? Il prendra la perruque.
Il prendra la perruque ? En aura-t-il besoin ?
S’il perd la tête ! Hélas, ce moment n’est pas loin.
Air : Tu n’as pas le pouvoir
Dieux cruels, auteurs de son sort,
Eh quoi ! Mon père est mort...bis
Parce que je lui coupe hélas !
Un de ses cheveux plats ! bis
Non, je ne saurais croire cela, c’est un franc radotage.
Scène xix
Scylla, combattants qu’on ne voit point
combattants, qu’on ne voit point
Air : Ramonez-ci
Perçons par-ci, perçons par là, la la la
Nos ennemis du haut en bas.
scylla
Même air
Ciel ! On donne la bataille !
On crie, on jure, on ferraille,
Pour un poil, que de fracas !
combattants, qu’on ne voit pas
Perçons par-ci, perçons par là, la la la
Nos ennemis du haut en bas.
Scène xx
Scylla, Doris
scylla
Eh bien ma pauvre Doris, comment va la bataille ? À quel chapitre en est-elle ?
doris
Au chapitre des successions, vous héritez à chaque instant.
scylla
Expliquez-moi mieux.
doris
Puisque vous voulez du plus clair, en voici. Je vous annonce que tous vos parents et vos amis sont défunts.
Air : Je ne suis né ni roi, ni prince
Primo, Monseigneur votre père.
scylla
Maudit cheveu, la coupe opère !
Que de crimes ! Que de remords !
doris
Dardanus n’attend qu’une bière.
Capis a triplé ces deux morts.
scylla
Oh ! Que d’enterrements à faire ! Ajoutons-y le nôtre.
Elle avale du poison.
doris
Qu’avalez-vous là ?
scylla
Un biscuit d’arsine.
Je le gardais pour une bonne occasion.
Scène xi
Scylla, Doris, Minos
minos, sans les voir
Air : Folies d’Espagne
Sauvons les jours de tout ce que j’adore.
scylla, à Doris
Voici de la moutarde après diner...
minos
M’est-il permis de vous parler encore ?
doris, à Minos
Oui, car Scylla vient de s’empoisonner.
minos
Air : Ho ho ! Ha ha
Ho ho ! Ha ha !
Et pourquoi donc ? Comment cela ?
scylla, pleurant
Air : La Palisse
À mon cher père trompé
Par ma noire perfidie.
Si je n’avais rien coupé...
Il serait encore en vie !
Déclame.
L’arsenic dans le corps, parle, faible mourante !
Je veux jaser autant que la Scylla chantante.
À Doris.
Viens, soutiens moi, Doris, car ce petit vilain
Songe-t-il seulement à me donner la main ?
C’est ainsi qu’un héros trépasse sur la scène,
Qu’il gobe du poison, qu’il perce sa bedaine.
On le laisse languir et crever comme un chien,
Ou sans orviétan, ou sans chirurgien,
Et le vainqueur, orné des palmes les plus belles,
Ne voit à son trépas qu’un moucheur de chandelles.
minos
C’est la règle au théâtre, on a beau se blesser,
Personne ne s’occupe à vous faire panser.
Mais vous agonisez, je crois, et je l’endure,
Sans risquer par honneur la moindre égratignure.
C’est mon rôle ceci.
scylla
Dites du moins un mot !
minos
J’imite l’opéra, je m’en vais comme un sot.
Air : Non, je ne ferai pas
Ce n’est donc qu’un cheveu qui fait mourir Scylla !
Ce n’est donc qu’un cheveu qui lie un opéra !
minos
Cependant ma princesse, vous avez bien des reproches à me faire.
Air : Bonsoir la compagnie
Je vous dois des cris, des transports,
Car votre tragédie
Est, vous comptant, à quatre morts.
Lazzi de se poignarder.
Joignons sa compagnie.
Comiquement en se ravisant.
Non, non,
Bonsoir la compagnie...
Il sort.
scylla
Air : Que c’était un ravissement
Quoi ? Pendant que je meurs pour toi
Tu n’as rien de tendre à me dire ?
Et tu fais cent fois moins pour moi
Qu’un turc n’a fait pour Zaïre
Il lui parlait si joliment
Qu’on ne l’eût pas cru musulman
Il lui parlait, la traitait, l’encensait,
Soupirait, sanglotait, se tuait si joliment
Qu’on ne l’eu pas cru musulman.