Denis Carolet
Le Cocher maladroit
Polichinelle Phaëton
Parodie en trois actes
Représentée aux marionnettes de la Foire Saint-Germain
1731
BnF ms. fr. 9315
definitacteur, Bride-en-main bride
definitacteur, Forte-Échine forte
Acteurs
Gaudon, ravaudeuse, fille de Monsieur Savouret
Babet, blanchisseuse, fille de Monsieur Brochet
Polichinelle, apprenti savetier
Monsieur Savouret, maître savetier
Madame Savouret, mère de Polichinelle
Bride-en-main, fiacre, père de Polichinelle
Forte échine, fort de la halle, fils du gros Thomas
Monsieur Brochet, marchand de marée
Troupe de savetiers et de poissardes
La scène est à Paris, aux halles.
Le Cocher maladroit
Acte i
Scène i
Gaudon seule
gaudon
Air : Bouchez, Naïades, [vos fontaines]
Heureuse une âme indifférente ;
Le bonheur dont j’étais contente,
Ne me sera-t-il point rendu ?
Chez nous, tout est calme et tranquille ;
Mais mon cœur est comme éperdu
Depuis le jour qu’il aime en ville.
Scène ii
Gaudon, Babet
babet
Bonjour, Gaudon, te voilà bien seule mon enfant ? Tu rêves ? Je suis sûre que ton cœur en tient, avoue-moi la dette ?
gaudon
Pas tant que le tien peut-être. Tu ne viens pas ici pour des prunes ?
babet
Air : Ah ! mon mal ne vient que d’aimer
Je veux bien te le confirmer.
Ah ! mon mal ne vient que d’aimer !
Ton cœur qui se laisse charmer,
T’amène ici seulette.
Ah ! ton mal ne vient que d’aimer !
gaudon
Queussi, queunie, poulette.
babet
Forte-Échine, le fils du gros Thomas, te fait les yeux doux.
gaudon
Si l’on ne me marie pas à ce pauvre garçon, ce ne sera pas le compte de mon cœur. Je l’aime tant que j’en suis folle.
babet
Air : Les proverbes
Tu ne sais pas, Gaudon, que quand on aime,
On craint toujours quelques revers du sort.
De mon amant, la douceur est extrême ;
Il n’est pire eau, que l’eau qui dort.
Le drôle pourrait bien viser ailleurs qu’à mon but mais motus. Le voici !
gaudon
Je vous laisse ensemble. Tire-lui les vers du nez.
Scène iii
Babet, Polichinelle
babet
Vous passez bien raide, Monsieur Polichinelle, est-ce que vous êtes aveugle ? ... Vous ne me connaissez donc plus ? Ces chiens d’hommes, voilà comme ils sont quand ils n’ont plus rien à souhaiter.
polichinelle
Air : Comment donc ? Sur quel ton
En vérité, Madame la guenon,
Vous le prenez sur un drôle de ton.
Faut-il toujours vous frotter le chignon,
Pour vous prouver qu’on est fidèle et tendre ?
babet
Moi guenon ! Sur quel ton ?
polichinelle
C’est le ton
Qu’avec une salope, il faut prendre.
babet
Si tu m’aimais comme à l’accoutumée, tu me [dirais] avec transport :
Air : Ah ! Philis, je vous vois
Ah ! Babet, je vous vois, je vous aime.
Si je vous ai, je vous baiserai tant !
Baisons-nous donc en attendant.
Je vous vois, je vous tiens, je vous baiserai tant.
Ah ! Babet, etc.
polichinelle
Tu ne sais ce que tu dis... Je t’aime de mon [mieux].
babet
Tu parais embarrassé ?
polichinelle
Je t’aime toujours, ne t’inquiète pas !
babet
Air : Un mitron de Gonesse
Je m’aperçois sans cesse
Que vous vous démenez
Pour une autre maîtresse.
Hélas ! vous en tenez.
C’n’est plus pour moi,
Que le four chauffe !
C’n’est plus pour moi,
Qu’on cuit chez toi.
polichinelle
Air : Prévôt [des marchands]
On ne guérit point de la peur.
Veux-tu que j’arrache mon cœur
Pour le mettre dans ta poitrine ?
Je voudrais bien t’aimer plus fort :
Si ce compliment te chagrine,
Gronde l’Amour, lui seul a tort.
Voilà ma mère !
babet
Adieu. Tu peux lui dire ce que tu voudras, je ne fourrerai pas mon nez dans vos affaires.
Scène iv
Madame Savouret, Polichinelle
Madame Savouret
Qu’as-tu, mon fils, tu me parais tout débiscosié ?
polichinelle
J’enrage... Monsieur Savouret, votre homme, va marier sa fille à Forte-Échine, ce grand fort de la halle qui est bâtard du gros Thomas. Parlez à votre mari pour moi. Sa boutique est bien achalandée, je sais bien le méquier, faites-ça, ma mère !
Madame Savouret
Si tu n’aimais pas Babet, je te ferais bien épouser ma belle-fille. Je ne me suis mariée au savetier Savouret que dans cette vue-là. Va, je le veux. La boutique est bonne... tout ira bien. Mais...
polichinelle
Quoi, mais ? Y-a-t-il quelque fer qui loche à cette fille-là ?
Madame Savouret
airvide
Le père de Babet,
Ce gros monsieur Brochet,
Dont tu quittes la fille,
Prédis que tu seras
Cornard à vingt-quatre carats
Dans cette autre famille.
polichinelle
Air : Des fraises
Non ! À mon ambition
Je ne met point de bornes.
J’aurai toujours à foison
Avec Babet ou Gaudon
Des cornes, [des cornes, des cornes.]
Scène v
Monsieur Brochet, Madame Savouret
Monsieur Brochet
Air : Tout le long de la rivière
Heureux qui se moque
D’un jeune tendron,
Qui voudra s’en choque !
Voilà ma chanson
Tout le long de la rivière etc.
Je vais taper l’œil en attendant l’heure de la vente.
Madame Savouret
Eh, parlez donc compère ! Vous ronflez comme un cochon. Pardi, vous v’la en bel état pour un jour de noce.
Monsieur Brochet
Air : La lune est levée
Laissez-moi tranquille.
Amis, au revoir,
Il est inutile
De tant m’émouvoir.
Je ne suis pas si saoul que j’étais hier au soir.
Madame Savouret
Je veux marier mon fils avec Gaudon, la fille de mon homme.
Monsieur Brochet
Ma fille, Babet, restera donc ici pendue au croc ?
Madame Savouret
Oh dame ! Mon fils est tout esprit, on voit bien qu’il est bâtard. Il remonte déjà une paire de galoche mieux qu’un curé.
Monsieur Brochet
Air : Ramonez ci, ramonez là
Retirez-vous, vieille folle.
Polichinelle est un drôle
Qui pour tout métier saura
Ramonez-ci, ramonez ça [la la la
La cheminée du haut en bas.]
C’est un fripon, vous le gâtez comme vous.
Madame Savouret
Il serait plus honnête homme s’il voulait épouser votre fille, n’est-ce pas ? Elle n’a qu’à s’en torcher les barbes. Polichinelle n’est pas viande pour son oiseau.
Monsieur Brochet
Air : Non, je ne ferai pas [ce qu’on veut que je fasse]
Le sort de votre fils m’effraie, pauvre mère,
Tremblez, tremblez pour lui. Qu’il craigne la rivière.
C’est un franc étourdi, je vous le dis tout net.
Tremblez pour votre fils, c’est un mauvais sujet.
Madame Savouret
Tredame ! Vous me faites mal à ma frayeur !
Monsieur Brochet
J’en suis fâché, mais je savons ce que je savons et si je ne soms pas marchand de savon. Adieu. Je vais décharger le poisson qui m’est arrivé ce matin à la halle.
Air : La tétard
Suivez-moi, mes chers enfants !
J’ai besoin de votre échine.
Allons, sans perdre de temps,
Étrangler une chopine.
Avalons, avalons, avalons-la
Le vin fait à la poitrine ;
Avalons, [avalons, avalons-la]
Le vin nous fortifiera.
Acte ii
Scène i
Madame Savouret, Polichinelle
Madame Savouret
Air : Vive les gueux
Mon fils, craignez la rivière !
polichinelle
Je sais nager.
Madame Savouret
Croyez votre pauvre mère.
polichinelle
Je veux changer.
Babet n’est plus ma passion.
Vive Gaudon !
Air : Margot la ravaudeuse
Gaudon la ravaudeuse,
Fait mes plus chers désirs
Babet la blanchisseuse,
N’est plus pour mes plaisirs,
Qu’une fille ennuyeuse.
J’épouserai Gaudon.
Madame Savouret
Le maudit garçon.
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Babet parait, je me retire,
Vous allez réunir vos cœurs.
polichinelle
C’est Gaudon que mon cœur désire.
Babet peut se pourvoir ailleurs.
Scène ii
Babet seule
babet
Air : Capucins
Il me fuit le petit volage ?
Ah ! qu’une fille qui s’engage,
S’expose à de cruels tourments.
Qui vit sans aimer est plus sage :
Sotte qui croyant les serments,
Laisse aller le chat au fromage.
Scène iii
Gaudon, Babet, Forte-Échine
gaudon
Je te laisse avec Forte-Échine. Si le goût de ton père n’est pas le tien, ne suis que les conseils de ton cœur.
forte
Morbleu ! J’enrage contre ton père, ma pauvre Gaudon.
Air : Le bois de Boulogne
Je te perds mon charmant trognon ;
Un bâtard me porte guignon.
On ne me l’envoie pas dire,
On prétend que je me retire.
gaudon
Air : Confiteor
Tu peux te plaindre à ton gogo,
Mon enfant, tu n’as rien à craindre.
Mon père agit en ostrogot
Et si je n’oserais m’en plaindre.
forte
Le grand diable l’emportera.
gaudon
Ah ! Songez qu’il est mon papa.
forte
Ton époux est nommé.
Air : À la façon de barbari
Polichinelle est choisi.
gaudon
Bon ?
En voilà bien d’une autre,
Ce bossu, ce vilain garçon.
forte
Mon malheur est le vôtre.
gaudon
Ne pleure pas mon cher trognon,
La faridondaine, [la faridondon.]
Nous traiterons ce beau mari,
Biribi,
À la façon [de barbari
Mon ami.]
Scène iv
Monsieur Savouret, Gaudon, Les compères
Monsieur Savouret
Air : Je ne suis né ni Roi, [ni Prince]
Très chers compères, je vous prie,
Et cela sans cérémonie,
D’assister ce soir au festin
Du mariage de ma fille.
Quant à celui du lendemain
Il faudra que chacun boursille.
Écoutez encore, ce que je vais vous dire.
Air : Or écoutez, petits [et grands]
Mon alêne et mon tire-pied
Sont pour moi trop lourds de moitié.
Je ne puis plus tenir boutique ;
Je cède à Gaudon ma pratique.
Polichinelle l’aime bien,
Je la lui donne avec mon bien.
Air : Allez-vous en gens de la noce
Que de tous cotés l’on entende
Le nom de mon gendre futur.
Ma fille est nubile et grande,
Leur bonheur sera doux et pur
Rien n’est plus sûr.bis
chœur
Que de tous cotés l’on entende
Le nom de son gendre futur.
Scène v
Babet, Polichinelle
airopera
Polichinelle est-il possible
Que vous soyez sensible
Pour une autre que moi etc.
polichinelle
Air : Les pèlerins
Je vous plains, Babet, ma mignonne,
J’en pleure, hélas !
Malgré moi je vous abandonne...
babet
Va, ne crois pas,
Jouir de ton nouvel amour,
Crains quelque chute.
L’on voit retourner au tambour
Ce qui vient de la flûte.
Scène vi
Polichinelle [seul]
polichinelle
Air : La Palice
Hélas ! que je plains son sort !
Mais, l’intérêt me domine,
L’intérêt est le plus fort
Elle a beau faire la mine.
Scène vii
Polichinelle, Forte-Échine
forte
Air : Bouchez, Naïades, [vos fontaines]
Songez, monsieur Polichinelle,
Que Forte-Échine je m’appelle.
Mon père est le fameux Thomas,
L’épouvante d’une mâchoire.
Morbleu ! ne me réplique pas,
Je sais de toi plus d’une histoire.
polichinelle
Air : Branle de Metz
Songez, monsieur Forte-Échine,
Que mon père est un cocher
Qui plus ferme qu’un rocher
Porte l’effroi sur sa mine.
Morbleu, s’il vous empoignait,
Comme il vous étrillerait.
forte
Air : Tu croyais, en aimant Colette
Craignez mon père, je vous jure
Qu’il pourra bien vous savonner !
polichinelle
Le mien peut rendre avec usure
Les coups qu’on saura me donner !
ensemble, ensemble
airopera
Non, non, rien n’est comparable
Au bras fort et nerveux
forte
De Thomas furieux.
polichinelle
D’un cocher furieux.
forte
Air : Le bois de Boulogne
Je suis le fils du gros Thomas,
Pour vous, on ne vous connais pas.
polichinelle
Bride-en-main, cocher, est mon père,
Demandez plutôt à ma mère.
forte
Air : Amis, sans regretter Paris
Votre mère le dit, faquin.
Est-ce assez pour l’en croire ?
polichinelle
Vous me choquez.
forte
La canne en main,
Défendez votre gloire.
Scène viii
Madame Savouret, Polichinelle
Madame Savouret
Mon fils, on vous en veut diablement.
polichinelle
On vous en veut bien d’avantage. On m’appelle bâtard.
Madame Savouret
Juste Ciel ? qui est-ce qui ose dire cela en face ?
polichinelle
Air : Bouchez, Naïades, [vos fontaines]
Ce grand maraud de Forte-Échine
Vous taxe d’être libertine
Et dit que j’ai plusieurs papas.
Faites taire ce Nicodème.
Bride-en-main l’est-il seul ?
Madame Savouret
Hélas !
Il t’a fait tout entier lui-même.
Air : Des fraises
Va le trouver mon enfant,
J’en donne ma parole.
Il te dira sûrement,
Qu’il connaît en toi son sang.
polichinelle
J’y vole, [j’y vole, j’y vole.]
Acte iii
Scène i
Bride-en-main, Polichinelle
bride
airopera
Approchez, mon enfant, que rien ne vous étonne ?
polichinelle
Air : Vraiment, ma commère, oui
Ne suis-je pas votre fils ?
bride
Oui, Polichinelle, oui.
polichinelle
Suis-je le fils de ma mère ?
bride
Vraiment, mon pauvre enfant, voire ;
Vraiment, [mon pauvre enfant, oui.]
airvide
Mon fils tu ne te trompes point,
J’en jure par ce vert pourpoint.
Mon fils [tu ne te trompes point]
Pour qu’on te croit sur ce point.
De t’accorder tout je pétille,
Je ne te refuserai point,
Oui, j’en jure par mon étrille.
polichinelle
Air : Amis, sans regretter Paris
Ne puis-je une fois seulement
Monter sur votre siège ?
On me prendra pour votre enfant
À ce beau privilège.
bride
Air : Que Dieu bénisse la besogne
Ah ! mon fils, que demandez-vous ?
polichinelle
De faire enrager les jaloux.
bride
Vous êtes un franc téméraire,
Être cocher, c’est une affaire.
polichinelle
Je veux l’être.
bride
Le diable m’emporte si tu mènes mon carrosse.
polichinelle
Un honnête homme n’a que sa parole.
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Mettez les chevaux au carrosse.
bride
Mon fils, tu parles comme un fou.
Tu mérites que je te rosse.
polichinelle
Soit, je veux me casser le cou.
Scène ii
Madame Savouret, Sa commère
Madame Savouret
Air : Allons gai
Ah ! ma pauvre commère,
J’ai le cœur tout joyeux.
Tu vas voir une mère
Au comble de ses vœux.
Allons gai, [d’un air gai, toujours gai.]
Air : La Palice
Mon pauvre fils va monter
Sur le siège de son père.
Les jaloux vont déchanter,
Tu vas voir cela, commère.
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Que l’on chante, que tout réponde,
On va voir un cocher nouveau
Faire la barbe à tout le monde.
Ah ! pour moi, que ce jour est beau.
Scène iii
Forte-Échine seul
forte
Air : Capucins
Thomas, dont la massive taille,
Sait épouvanter la canaille,
Que n’écrases-tu mon rival ?
Il va m’enlever ma future,
Viens assommer cet animal,
Prends pitié de ta géniture.
Scène iv
Forte-Échine, Gaudon
gaudon
Air : Amis, sans regretter Paris
Ne pleure donc pas, mon garçon,
Tu redoubles ma rage.
forte
Ne pleure pas, toi, ma Gaudon.
gaudon
Pleurons, cela soulage.
forte
Air : Les filles de Nanterre
Je compte sur mon père,
Il n’est pas endurant.
gaudon
Va, va, ma belle mère
Fait tout pour son enfant.
ensemble, ensemble
airopera
Hélas, une chaîne si belle etc.
Scène v
Bride-en-main, Polichinelle
polichinelle, sur le siège d’un carrosse, son père à coté de lui
Dia, huriau.
bride
Air : Maris, voulez-vous fuir l’affront
Allons, courage mon garçon,
Tiens sans façon cette bride.
Sois fier, dispos, droit comme un jonc,
Prend garde d’être timide.
Tiens-toi comme cela,
Là.
Crains cette ornière.
Ne va pas, maladroit,
Droit
Dans la rivière.
polichinelle
Ah, mon père ! Mes chevaux n’entendent plus raison.
bride
Je te l’avais bien dit, mon enfant !
polichinelle
Air : [T’as l’pied dans le margouillis]
J’ai l’pied dans le margouillis,
Tire m’en, tire m’en, tire m’en taine,
J’ai l’pied dans le margouillis,
Tire m’en...
bride
Ma foi, je ne puis.
polichinelle
Au secours ! au guet !
Le carrosse et Polichinelle culbutent.
bride
airopera
Ô, sort fatal !
Madame Savouret
Ô, chute affreuse !
ensemble, ensemble
Ô, témérité malheureuse !
Fin