Pierre-François Biancolelli et Jean-Antoine Romagnesi
Arlequin Amadis
Parodie
Représentée sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne par les Comédiens Italiens
le 27 novembre 1731
BnF ms. fr. 9331
Arlequin Amadis
Acteurs
Amadis
Oriane
Florestan, frère d’Amadis
Corisande, maîtresse de Florestan
Arcalaus, magicien
Arcabonne, sœur d’Arcalaus
Urgande, célèbre enchanteresse
Démons
Captifs
Geôliers
L’ombre d’Ardant Canile
Scène i
Amadis, Florestan
florestan
Air : Et puis, quand ils font
[bis]
C’est au fils du Roi Périon
À faire l’exposition
Je viens ici voir ma maîtresse
Dites d’où nait votre tristesse.
amadis
airopera
J’aime hélas, c’est assez pour être malheureux.
florestan
Air : Turenne nous défend
Plus brave conquérant
Ne se vit sur la Terre.
Si l’Amour vous surprend
Et malheureux vous rend
Prenez à l’instant
Prenez le cimeterre
Courez à la guerre
Patapatun prratanpan
amadis
C’est fort consolant.
Air : Ah ! que Monseigneur est charmant
Ah ! que l’Amour paraît charmant
Mais, qu’il cause un cruel tourment
Que je vais payer chèrement
Le plaisir qu’il inspire.
J’ai voulu devenir amant
Hélas ! qu’il va m’en cuire.
Air : C’est un plaisir pour mes semblables
J’ai choisi la gloire pour guide
En marchant sur les pas d’Alcide.
J’ai cru imiter sa valeur
Je n’imite que sa folie
En cela seul j’ai le bonheur
D’être sa fidèle copie.
Air : Sors de ma caboche
J’aime la belle Oriane
Et je l’aime sans espoir.
L’infidèle me condamne
À ne la jamais revoir.
florestan
Fuyez aussi la cruelle.
Elle troque, hé bien, quitte pour troquer,
Quand on trouve une infidèle
Mon cher frère il faut s’en rire,
Quand on trouve une infidèle
Mon frère il faut s’en moquer.
Ne voyez-vous pas que c’est l’empereur des Romains qui vous supplante ; l’éclat du trône éblouit la perfide que la jalousie et le dépit vous dégagent.
amadis
Air : Nous jouissons [dans nos hameaux]
Rien n’autorise l’inconstance,
Tu sais comme on aime chez nous.
Fidèles sans espérance
Et souvent quoique jaloux,
Français, quelle différence,
Aimez-vous ainsi parmi vous ?
Air : Un boulanger [de Gonesse]
Mon cadet je vous quitte,
Corisande en ces lieux
Attend votre visite.
Je vous fais mes adieux,
Mon fol amour
À fuir m’invite ;
Mon fol amour
Craint le grand jour.
Scène ii
Corisande, Florestan
corisande
Air : Au faubourg
Florestan.
florestan
Corisande.
corisande
Ah ! que ma joie est grande.
florestan
Mon bonheur est parfait.
Épousons-nous ma mie.
corisande
Oui, j’en ai bien envie.
ensemble, ensemble
Allons d’abord au fait.
florestan
Air : Jean aime Jeanne
Je n’aime que Corisande.
corisande
Je n’aime que Florestan.
J’ai tout ce que je demande.
florestan
Je vous vois, je suis content ;
Jean aime Jeanne.
corisande
Jeanne aime Jean etc.
Scène iii
Oriane, Florestan, Corisande
corisande
Air : Trop aimer est un abus
Je revois mon Florestan,
Je le revois tendre et fidèle.
oriane
Qu’il est beau d’être constant.
Des vrais amants, c’est le modèle,
Amadis n’en fait pas autant.
florestan
Ah, madame ! Il vous aime tant.
oriane
Non, vous le défendez en vain,
C’est un petit libertin.
Air : Voyelles anciennes
Le traître brûle d’autres feux,
Sa première amour est finie,
Il s’est dégagé de mes nœuds,
Il adore Briolanie.
florestan
Ah, que me dites-vous là, cela ne se peut pas.
oriane
Air : La jeune Isabelle
Oui, cet infidèle
Lui rend tous ses soins.
Ma rivale est belle.
florestan
Et l’êtes-vous moins ?
oriane
Pour plaire au volage
Avec la beauté
Elle a l’avantage
De la nouveauté.
florestan
Air : Ô lire, ô lire
Ne croyez pas celabis
Il gémit, il soupire,
Ô lire, ô lire
oriane
Bon ce n’est que pour rire
Ô lire, ola.
florestan
Air : Pouvoir
Il est l’ennemi redouté
De l’infidélitébis
Et puisqu’il punit les ingrats
Sans doute il ne l’est pas.
oriane
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Vous contez une belle histoire.
Ce héros suivant son désir
Punit les ingrats pour sa gloire
Et les imite pour son plaisir.
corisande
On en a vu beaucoup agir de cette façon-là.
oriane
airvide
Juste dépit vient briser ma chaîne
À moi seule je dois avoir recours.
Quelle peine
Inquiète, incertaine.
J’aime toujours,
Colère vaine.
Contre les amours
Que peuvent les secours.
Juste dépit vient briser etc.
corisande, florestan, ensemble
airvide
On sort malaisément
D’un tendre engagement.
oriane
Ah, quel cruel tourment
D’avoir un volage amant.
Il accable votre cœur
D’une mortelle douleur.
tous trois, ensemble
On sort malaisément
D’un tendre engagement
Et lorsqu’on voit changer
Cela vous fait enrager.
corisande
Mais voici des guerriers qui viennent se battre pour nous divertir.
oriane
Des guerriers ? à propos de quoi ? qui les envoie ?
corisande
C’est ce que l’on ne sait pas.
oriane
On n’a qu’à les renvoyer, je ne veux point d’un divertissement anonyme, suivez-moi ma chère amie.
Scène iv
Arcabonne [seule]
arcabonne
Air : Têtard
Amour que veux-tu de moi ?
Mon cœur n’est pas fait pour toi.
Je veux inspirer l’effroi
C’est là mon emploi bis
Amour que veux-tu de moi ?
Mon cœur n’est pas fait pour toi.
Scène v
Arcalaus, Arcabonne
arcalaüs
Air :
Ma sœur, quelle sombre tristesse
Les bois semblent l’entretenir.
arcabonne
Il faut avouer ma faiblesse
Pour commencer à m’en punir.
Air : Ah ! Pierre
Par sa valeur guerrière
Un héros très poli
Contre un monstre en colère
Un jour prit mon parti
Mon frère, bis
J’étais morte sans lui.
arcalaüs
Bon, les enchanteurs craignent-ils les monstres ?
arcabonne
Air : Le masque tombe
En rendant grâce au vaillant personnage
Je m’informais de son nom vainement
Mais remarquez ce bel évènement
Son casque tombe, et je vois son visage.
Air : Je ne vous ai vu
Je ne l’ai vu qu’un seul petit moment
Et je suis toute je ne sais comment.
Air : Ce n’est point par effort
Je rougis de mon trouble extrême.
arcalaüs
L’Amour n’est qu’une vaine erreur.
arcabonne
Non, de sa puissance suprême
Rien ne peut affranchir un cœur.
Et tout jusqu’au silence même
Me parle ici de mon vainqueur.
arcalaüs
airvide
Délivrez-vous de l’esclavage
Où le traître d’Amour
Vous engage.
Dans ce jour
Vous qui commandez aux enfers
Brisez donc vos fers.
arcabonne
Je les briserais
Si je le pouvais
Mais je ne saurais.
arcalaüs
Songez-vous ma sœur
Que la fureur,
L’effroi, l’horreur
De votre cœur
Sont le partage
Qu’Ardant fut occis
Par le félon Amadis.
arcabonne
Ah, que le nom d’Amadis m’inspire de rage. Quand pourrai-je le tuer à mon aise ?
arcalaüs
Que je vous aime de cette humeur.
tous deux, ensemble
Air : Lucas, pour se gausser
Un jour pour se moquer de nous
Le perfide assomma notre malheureux frère
Mais à son tour il doit sentir nos coups.
Livrons-nous à notre colère... ma chère.
Oui qu’il périsse le pendard.
Ah, qu’il est doux d’exercer la vengeance.
Punissons plus tôt que plus tard ;
Pour nous moquer de lui, frappons, perçons sa panse,
Frappons, morbleu ! frappons à grands coups de poignard !
arcabonne
Vous n’avez qu’à me livrer notre ennemi. Il sera bientôt expédié.
arcalaüs
airopera
Laissez-moi l’engager dans mes enchantements.
Ah ! Je le vois venir de loin. Parbleu ! Il faut qu’il soit bien malheureux de tomber ainsi dans mes filets.
Air : Quoi, tu seras toute ta vie
Esprits dont le mauvais génie
Dans l’univers n’est que trop reconnu ;
Vous dont la noire jalousie
Ne saurait voir triompher la vertu ;
Affreux démons que la rage possède ;
Venez tous à mon aide,
J’ai besoin de vous.
Amis, préparez vos coups,
Servez mon courroux.
Scène vi
Amadis, Corisande
amadis
Air : Chaque berger
Bois épais redouble ton ombre
Tu ne saurais être assez sombre.
Ma belle m’a fait banqueroute
Ergo, je n’y dois plus voir goutte.
corisande
Ah, ah, ah.
Cher Florestan, hélas, hélas,
Tu cours au trépas
Si quelque bras ne te défend pas.
amadis
Air : Parlez tout doux
Ô Ciel, termine ma souffrance
Par le trépas !
corisande
Ciel, prête-moi ton assistance.
à deux, ensemble
Hélas, hélas !
amadis
Dans ces forêts on me répond
Du même ton.
Quelque mauvais plaisant, je crois,
Se rit de moi.
corisande
Air : [L’autre nuit,] j’aperçus [en songe]
Que vois-je ? Amadis ?
amadis
Qui m’appelle ?
corisande
Par quel sort puis-je ici vous voir ?
amadis
C’est un amoureux désespoir
Qui me conduit ici la belle.
corisande
Florestan est prêt à périr.
Venez, venez le secourir.
Air : L’autre jour, auprès d’un ormeau
Il a trouvé dans ces forêts
Une traîtresse
Qui savait tendre ses filets
Avec adresse.
Elle appelle l’innocent,
Il la suit dans l’instant
Sans entendre finesse.
À peine a-t-il fait vingt pas
Qu’il tombe dans ses lacs
amadis
Que diable venait-il faire dans ce bois ? Nous nous y trouvons tous sans savoir pourquoi. Quel chemin faut-il prendre ?
corisande
Venez par ici !
amadis
Allons.
Scène vii
Les précédents, Arcalaus
arcalaüs
Air :
Arrête.
amadis
Crois-tu m’effrayer ?
arcalaüs
Ce passage est en ma puissance
Vois ce magnifique atelier,
Il est le prix de ma vaillance.
Je dépouille ici tout guerrier.
amadis
Voyez, quelle insolence !
J’ai toujours passé sans payer
Sur tous les ponts de France.
arcalaüs
Tu ne passeras pas sur celui-ci.
amadis
Nous verrons.
[bis]
Et puis quand nous fumes au pont
Serviteur très humble au pont
Serviteur très humble.
arcalaüs
Air : J’aurai une robe
Tu cherches ton frère bis
corisande
Rends-le moi !
amadis
Téméraire.
arcalaüs
Tu ne l’auras pas bis
Il va mourir, allez lui tenir compagnie.
corisande
Au secours Amadis, au secours !
amadis
Air : Les petits, tourelourirette
Maraud, tu cherches ton malheur
Tu vas éprouver ma valeur.
arcalaüs
Venez empêcher ma défaite
Messieurs les démons il est temps.
amadis
Les petits, tourelourirette,
Valent bien les grands.
On danse.
amadis
Air : C’est chez vous
Quoi, c’est vous,
Belle Oriane que mon sort est doux.
Quoi, c’est vous,
Dont j’embrasse les genoux.
Ô pouvoir de vos beaux yeux
Vous arrivez en ces lieux
Et le diable épouvanté disparaît
Dès qu’il vous voit.
Quoi, c’est vous etc.
amadis
Tenez, ma mignonne, vous avez si bien dansé que je vous fait présent de mon épée... par ma foi, je suis bien bête.
Air :
Et lon lan la
Que fais-je là ?
Est-ce avec cela
Qu’on régale les danseuses ?
la danseuse
Air : Vivons [pour ces fillettes]
Allons, allons, suivez nos pas.
amadis
Belle, je ne vous quitte pas.
Peut-on résister aux appas
Des tendres amourettes ?
Vivons pour ces fillettes,
Vivons,
Vivons, pour ces fillettes.
chœur
Vivez pour ces fillettes.
Scène viii
Florestan, Corisande, Captifs, Captives, [Les geôliers]
chœur
Air : Vous parlez gaulois
Juste Ciel, finissez vos peines !
Nos clameurs seront-elles vaines ?
les geôliers
Il n’écoute pas bis
chœur
Ah, quelles rigueurs inhumaines !
les geôliers
Vous ne sortirez de vos chaînes
Que par le trépas bis
corisande
Air : Tarare pompon
Sont-ce là les liens que l’hymen nous prépare ?
Encor si l’on était dans la même prison
On pourrait, sort barbare,
Se faire une raison.
Mettez-[n]ous y.
les geôliers
Tarare pompon.
Scène ix
Arcabonne, les précédents
arcabonne
Air : On n’aime plus [dans nos forêts]
Sortez, traînez ici vos fers,
Cessez vos plaintes ennuyeuses.
les captifs
Des maux que nous avons soufferts
Terminez les rigueurs affreuses.
arcabonne
Vous allez cesser de souffrir,
Mes enfant, vous allez mourir.
corisande
Assouvissez sur moi votre colère.
florestan
Contentez-vous de me tuer.
arcabonne
Vous êtes frère de mon ennemi, vous êtes peut-être sa belle-sœur. Ainsi vous voyez, bien aimable couple, qu’il est juste que je vous tue tous les deux.
florestan
Elle se moque encor de nous.
corisande
Air : Et vogue la galère
Florestan, Florestan !
tous deux, ensemble
Quel sort pour nos amours ?
florestan
Hélas, si j’appréhende
corisande
Ce n’est pas pour mes jours
Florestan.
florestan
Corisande.
tous deux, ensemble
Quel sort pour nos amours.
arcabonne
Air : Comme un coucou
L’amour n’est qu’une bagatelle.
Ce doit être un bien désiré
Pour un couple tendre et fidèle
Que de mourir d’un coup fourré.
corisande
Air : Griselidis
Avec vous la mort même
A pour moi des appas.
florestan
C’est aussi mon système.
arcabonne
Ne vous le dis-je pas ?
florestan et corisande
Oui, le trépas
Avec ce que l’on aime
Est doux à recevoir.
arcabonne
Vous l’allez voir.
florestan
airvide
Heureux du moins dans nos malheurs
Heureux que rien ne nous sépare
Cette ressource a des douceurs.
corisande
Votre délicatesse est rare.
florestan et corisande, ensemble
Portons, portons un nœud si beau
Jusque dans l’horreur du tombeau.
arcabonne
Air : Au ciel, la pomme
C’est trop entendre
Ce maudit refrain.
J’ai le cœur tendre
Il se met en train,
C’est trop entendre
Ce maudit refrain.
Air : Oh, oh, tourelouribo
Toi qui n’est plus qu’un reste de cendre
Oh ! oh ! Dans ce noir tombeau !
Reçois et sans plus attendre
Oh ! oh ! Le joli cadeau !
Du sang que je vais répandre.
definitacteur, l’ombre lombre
lombre
Oh ! oh ! Tourelouribo !
arcabonne
Air : Un cordelier, [d’une riche encolure]
Quel hurlement, et quel cri de colère !
L’ombre de mon frère
Dans ce monument
S’ennuie apparemment.
Mânes plaintifs un peu de patience,
À votre vengeance
Je vais tout livrer.
Cessez de murmurer,
Je jure que dans ce moment vous serez satisfaits.
lombre
Air : Tu disais que tu m’aimais
Tu vas trahir ton serment,
Menteuse, menteuse ;
Tu vas trahir ton serment,
Menteuse en ce moment.
arcabonne
Ne vous fâchez point mon frère, j’ai juré, cela suffit !
lombre
Air : Je suis toujours prêt
Ah, tu vas trahir tes serments.
Le jour me blesse, je retombe
Le grand air me fait mal aux dents
Je me trouve mieux dans ma tombe.
Tu me suivras dans peu de temps
C’est aux enfers que je t’attends
Que je t’attends bis
C’est aux enfers que je t’attends.
arcabonne
Allez-y toujours devant et ne vous mettez point en peine.
Scène x
Amadis, Arcabonne, Florestan, Corisande, Captifs
arcabonne
Air : L’autre jour, soupirant
Meurs, cruel... mes sens sont interdis
Juste Ciel ! Que vois-je... est-ce Amadis ?
amadis
C’est moi-même et je n’ai d’autre envie
Que de finir mon déplorable sort.
arcabonne
Le héros qui m’a sauvé la vie
Est l’ennemi dont j’ai juré la mort.
amadis
Oh, cela change bien de thèse.
arcabonne
Assurément, il n’est pas juste que je tue un homme à qui j’ai de si grandes obligations.
Air : Madame, en vérité
De vos services importants
Dictez la récompense.
amadis
Accordez leur la clé des champs,
Finissez leur souffrance.
arcabonne
Je leur donne la liberté
À condition que l’on danse.
florestan et corisande, ensemble
Quelle clémence !
Madame en vérité,
Vous avez bien de la bonté.
arcabonne
Suivez-moi, Amadis, j’ai quelque chose à vous dire.
amadis
Que j’aille tout seul avec vous, je n’oserais !
arcabonne
Voilà bien des façons, allons, marchez !
amadis
Air : Tandis que je dresse
Elle veut me faire
La bonne sorcière,
Elle veut me faire
Payer leur rançon.
arcabonne
Le joli garçon,
Il est formé pour plaire.
amadis
Elle veut me faire
Payer leur rançon.
La chanteuse chante un air italien et l’on danse.
Scène xi
Arcalaus, Arcabonne
arcalaüs
On n’a jamais tant vu d’[enchantements] en un jour. Je viens d’en faire encore un qui nous livre Oriane.
Air : Je ne puis, Colin, tarder
Pour moi dans ces lieux
Sa peine a des charmes.
J’aime à voir ses yeux
Tout baignés de larmes.
Amadis aimait
Cette péronelle
Et son bras s’armait
Contre nous pour elle.
Elle l’animait.
arcabonne
Je sais qu’elle est belle.
Il faut la punir de sa beauté.
arcalaüs
Cela va sans dire, commençons par lui faire voir Amadis mort ; vous avez eu bien du plaisir à le tuer, n’est-ce pas ?
arcabonne
Ouf.
arcalaüs
Air : Gourdin
Vous soupirez tout bas,
Est-ce ainsi que la haine
Doit s’exprimer ?
arcabonne
Hélas,
Ne devinez-vous pas ?
Oui, dans notre ennemi même ;
Oui, par malheur ou par bonheur,
J’ai trouvé l’objet que j’aime
Et j’ai perdu ma fureur.
arcalaüs
Guin, guin, guerlin etc.
arcabonne
J’ai même à sa considération donné la liberté à tous nos captifs.
arcalaüs
Vous avez fait là une belle besogne.
Air : J’ai peur [que votre sagesse]
Il vit donc ici ?
arcabonne
Oui.
arcalaüs
Il est votre ami ?
arcabonne
Oui.
arcalaüs
L’amour aujourd’hui
Vous parle donc pour lui ?
arcabonne
Oui.
arcalaüs
Ô faiblesse étrange,
Prendre ainsi le change.
arcabonne
Plaignez une sœur
Qu’un tendre amour dérange
arcalaüs
La main me démange,
Il faut que je me venge
Sur vous mon honneur,
Ma haine et ma douleur.
arcabonne
J’ai peur.
Ah, mon frère, je suis assez punie puisque ce perfide aime ma rivale.
arcalaüs
Bon, ce n’est encore rien que cela ; vous méritez d’être punie bien plus cruellement.
Air : Tique taque
Avant de trancher leurs jours,
Je veux servir leurs amours,
Que vous les voyiez ensemble
Tique tique taque lon lan la
Se marier.
arcabonne
Ah, je tremble !
Me feriez-vous ce tour-là ?
Je sens que la fureur l’emporte sur l’amour, laissez-moi faire, voici ma rivale, vous allez être témoins des tours que je vais lui jouer.
arcalaüs
Air : Le rusé coquet
Puis-je me fier à vous ?
arcabonne
Laissez-moi
Laissez-moi faire
Croyez en l’amour jaloux,
Il est plus fort que le courroux.
Scène xii
Oriane seule
oriane
Voilà deux malheurs auxquels on ne s’attend pas.
Air : Je croyais que ma flamme
Un enchanteur barbare
Dispose de mes jours.
Ciel, contre un coup si bizarre
Daigne me prêter ton secours.
Air : Pour chanter un duo
Autrefois d’Amadis la valeur m’eut servie,
Mais l’infidèle, hélas, vit sous une autre loi.
Hélas, pourquoi bis
Mon cœur se souvient-il de toi
Lorsque le tien m’oublie ?
Scène xiii
Arcalaus, Oriane
arcalaüs
Air : Dieu du vin triomphe
Je ne viens point ici pour vous contraindre,
Livrez-vous, ma belle, à votre courroux.
Pour les cœurs jaloux
C’est un plaisir de se plaindre
Et c’est le seul passe-temps
Des malheureux amants.
Vous êtes bien fâchée contre Amadis, n’est-ce pas ?
oriane
Si fort que je n’ai pas le temps de l’être contre vous.
arcalaüs
Bon, quand vous le verrez, vous l’aimerez plus que jamais.
oriane
Air : Non, non, je n’aimerai [plus]
Non, non, je ne l’aime plus
J’en donne ma parole.
Non, non, je ne l’aime plus.
Au contraire, je le hais !
arcalaüs
Cela étant, vous allez être bien contente, j’ai vaincu ce vainqueur invincible.
Air : Sa baguette
J’ai de votre chaîne
Brisé le lien.
oriane
Non, malgré ma haine,
Je n’en croirai rien.
Il est trop brave homme,
Vous l’avez connu.
arcalaüs
Ah, voyez donc comme
Vous l’avez vaincu.
Tenez, le voici, cet amant si chéri.
Scène xiv
Amadis, les précédents
oriane
Air : Il est mort
Oh, Ciel ! Quel spectacle effroyable !
arcalaüs
Voyez si je me vante alors.
oriane
Eh, quoi ! Ce héros indomptable
A donc vu terminer son sort,
Il est mort.
arcalaüs
Non, c’est qu’il dort.
oriane
Que ne respire-t-il malgré sa perfidie
Mort, mort, mort,
Tu n’es donc plus en vie ;
Mort,
Tu n’es donc plus en vie.
Air : Ut mi sol mi
Juste Ciel, que n’as-tu pris soin de lui ?
Tremblez, tremblez, trop timide innocence,
Faible vertu, vous n’avez plus d’appui.
Ah, qu’allez-vous devenir aujourd’hui ?
Votre accident me cause de l’ennui,
Qui prendra désormais votre défense ?
Mais de quel soin vais-je m’embarrasser ?
J’ai bien autre chose à penser.
Air : J’entends déjà le bruit [des armes]
J’entends Amadis qui m’appelle,
Pour gage certain de ma foi,
Mon cher dans la nuit éternelle
Je me précipite avec toi.
amadis
Ah, ventrebleu ! Que ne vient-elle
S’évanouir auprès de moi.
Scène xv
Arcabonne, Arcalaus, Amadis, Oriane
arcabonne et arcalaus, ensemble
Air : Vous croyez, mignon
Quel plaisir de voir
Ce désespoir.
Joignons nos rigueurs,
Nos horreurs
Et nos fureurs.
arcabonne
Que dans les tourments
Ces deux amants
Meurent et revivent à tous moments.
arcalaüs
Ma sœur j’y consens.
Ah, le joli passe-temps,
Oui, que tour à tour,
Ils pensent qu’au noir séjour
Habite l’objet de leur amour.
arcabonne
C’est ma foi bien dit.
Oh, que nous avons d’esprit.
arcalaüs
On doit en avoir
Lorsqu’on a tant de pouvoir.
Quel plaisir de voir
Ce désespoir.
Mais que signifie ce rocher enflammé qui sort de la mer ?
arcabonne
C’est une anti-périphrase.
Scène xvi
Urgande, les précédents
arcalaüs
Air : Ah le voici, ah le
D’où part ce spectacle nouveau ?
arcabonne
D’un pouvoir plus grand que le nôtre.
arcalaüs
Est-ce un serpent, est-ce un vaisseau ?
arcabonne
Non, non, ce n’est ni l’un ni l’autre.
arcalaüs
Ma sœur, qu’est-ce donc que celà ?
arcabonne
Le magasin de l’Opéra.
urgande
Air : Quand je remue
Ma puissance absolue
S’étend deça, delà ;
L’eau, la terre et la nue,
L’enfer et caetera,
Quand je remue
Tout remue,
Quand je remue,
Tout va.
Air : Il faut quand l’amour nous presse
Mais je ne prends la défense
Que de la seule vertu
Je donne au mérite abattu
Sa récompense
Et j’estime moins qu’un festu
Votre puissance.
arcalaüs
Air : Vous avez bon air
Berlie, berlie
Je demeure immobile
Mon effort est inutile
Plus que nous elle est habile
Comme nous voilà.
tous deux, ensemble
Ah, la bonne figure ;
Ah, la belle posture ;
Ah, la bonne figure
Que nous faisons là.
On joue le même air, Urgande en disant \og Berlin, Berlin \fg désenchante Oriane et Amadis qu’on emporte dans le vaisseau.
urgande
Air : Un abbé dans [un coin]
Adieu donc mes enfants
Je vous rends
L’usage de vos sens
Car ce serait dommage
Que ce couple si beau
Ne chantât dans sa rage
Quelque joli duo.
Scène xvii
Arcalaus, Arcabonne
duo, ensemble
Air : Palsangué, Pierrot
Démons souffrirez-vous qu’on vous outrage ainsi ?
Accourez et sans plus attendre
Nous vous appelons, venez nous défendre.
Quoi ? Vous n’arrivez pas ? Eh, volez donc ici.
Morbleu tout ces lutins
Trahissent notre gloire.
Ils n’obéissent point, Ciel ! qui l’aurait pu croire ?
Ils nous font croquer le marmot,
Nous avons beau hucher Asmodée, Astaroth,
Ils chantent voire, voire.
Ah, les voilà, les voilà pourtant.
Les démons de la terre et ceux de l’air se battent, ceux de la terre ont le dessous.
tous deux, ensemble
Air : Sont tous pas perdus [pour vous]
On ne vit jamais peintre
Tracer de tels combats
Mais les démons du ceintre
Sont plus fort que ceux d’en bas.
Nous y perdons nos pas,
Nicolas,
Sont tous pas perdus pour vous.
Scène xviii
Urgande, Amadis
urgande
C’est ici le palais enchanté qu’Apollidon éleva. Vous y trouverez la fin de vos peines.
amadis
Que me fait à moi ce palais.
Air : Que dit-on de là
Le destin me condamne
À trop d’affliction.
urgande
Vous verrez Oriane,
Cet aimable tendron.
amadis
Ah bon, bon,
Que dit-on de la Marianne,
Que dit-on de la Marion.
urgande
Vous l’allez voir.
amadis
Ah, je tremble !
urgande
Et pourquoi ?
amadis
C’est qu’elle est fâchée contre moi.
urgande
Que lui avez-vous donc fait ?
amadis
Je n’en sais rien, elle m’a chassé sans m’en dire la raison.
urgande
N’importe, voyez-la.
amadis
Elle me l’a défendu.
urgande
Ah, le petit benêt.
Air : Ah, qu’il est beau
C’est être sot que d’approuver
Des lois qui nous font éprouver
L’absence bis
De loin peut-on prouver
Son innocence ?
Scène xix
Oriane, Amadis
oriane
Air : Bacchus malgré
Le jour ne vous est plus nécessaire
Tout me déplaît, fermez-vous mes yeux.
Hélas, devait-on me rendre la lumière
Pour me cacher ce que j’aime le mieux.
oriane et amadis, ensemble
airopera
O Ciel ! Le puis-je croire ?
amadis
Comment ma belle Oriane, vous avez la bonté de plaindre mes malheurs ?
oriane
Qui vous a dit que c’était de vous que je parlais ?
tous deux, ensemble
airopera
O Ciel ! Le puis-je croire ?
oriane
Vous vivez mon cher Amadis ?
Air : La canicule
Je vous aime constamment
Petit infidèle
Malgré votre changement
Pour une autre belle.
amadis
Vous m’accusez faussement.
oriane
Vous vivez apparemment
Pour bribri briol, pour brio la
Pour bribrio, pour Briolanie.
amadis
Quelle calomnie
Et ne me parlez plus de cette invisible-la.
oriane
Quoi, vous ne l’aimez pas ?
amadis
Non, le diable m’emporte si je la connais seulement.
oriane
Oh, cela étant, je m’apaise.
amadis
Air : N’oubliez pas [votre houlette]
Ce n’était pas, belle inhumaine,
La peine
De faire tant de bruit.
Cette chimère nous conduit
Depuis longtemps de scène en scène.
Ce n’était pas, belle inhumaine, etc.
oriane
Oui, je vois bien que j’ai tort.
amadis
Air : Carillon
Dame Alizon
Faisons la paix dans la maison
Mais n’y retournons donc jamais.
oriane
Maître Gervais,
Je vous jure et je vous promets
De ne vous soupçonner jamais.
ensemble, ensemble
Jamais, jamais.
Scène xx
[Urgande, Oriane, Amadis]
urgande
Enfin, vous voilà donc raccommodés, j’en suis charmé. Il ne vous reste plus Amadis qu’à passer sous l’arc des loyaux amants et de faire toutes vos épreuves.
amadis
Bon, bon, voilà une plaisante bagatelle, qu’y a t’il donc là de si extraordinaire ?
urgande
Vous devez nous donner des marques éclatantes de votre constance, faire l’épreuve de l’eau et de l’air et du feu.
amadis
Nous allons commencer, remarquez bien ceci.
amadis et oriane, ensemble
Air : Il faut partir
Par ces rudes épreuves
Vous pouvez en ce jour
Juger des tendres preuves
De mon fidèle amour.
Et grâce à ma constance
Je suis initié par ma persévérance
Au nombre des héros
Comme feu Sethos.
Les amants et les amantes forment une danse.
Fin