Jean-Baptiste Radet et Jean-René le Couppey de la Rozière
Le Marchand d’esclaves
Parodie de La Caravane en deux actes et en vaudevilles
Représentée pour la première fois, par les comédiens ordinaires du roi
le mardi 27 janvier 1784
Paris, Brunet, 1784
definitacteur, saint-phar saintphar
definitacteur, une actrice de l’opéra uneactricedelopera
definitacteur, saint-phar père saintpharpere
definitacteur, saint-phar fils saintpharfils
definitacteur, chœur de voyageurs esclaves chœurdevoyageursesclaves
definitacteur, chœur de voyageurs libres chœurdevoyageurslibres
definitacteur, chœur des arabes chœurdesarabes
definitacteur, chœur de voyageurs chœurdevoyageurs
definitacteur, chœur de femmes chœurdefemmes
definitacteur, chœur d’esclaves libres chœurdesclaveslibres
definitacteur, l’actrice lactrice
Acteurs
Le Pacha : Monsieur Chénard
Almaïade, favorite du pacha : Madame Desforges
Tamorin, chef du sérail : Monsieur Trial
Husca, marchand d’esclaves : Monsieur Rosière
Saint-Phar, esclave : Monsieur Mesnier
Zélime, esclave : Mademoiselle Adeline
Une Française, esclave : Mademoiselle Adeline
Un poète, esclave : Monsieur Favart
Une actrice de l’Opéra, esclave : Mademoiselle Masson
Un Gascon : Monsieur Thomassin
Saint-Phar père : Monsieur Courcelles
Osmin, garde du sérail : Monsieur Favart
Voyageurs libres et esclaves
Troupe d’Arabes
Gardes et femmes du sérail
La scène se passe près du Caire et au Caire.
Le Marchand d’esclaves
Acte i
Le théâtre représente une halte de caravane aux environs du Caire.
Scène i
Husca, Saint-Phar, Zélime, Voyageurs esclaves et libres
husca
Air : Laissez paître vos bêtes
Laissez paître vos bêtes,
Esclaves, gardez les chameaux
Dans ces prés où vous êtes,
Ou bien sur ces coteaux.
chœurdevoyageurslibres
Air : Allons gai, divertissez-vous
Allons gai, réjouissons-nous
Amis, prenons courage.
Allons gai, réjouissons-nous
Et faisons les fous.
Goûtons, après un long voyage,
L’espoir le plus doux ;
Nous allons revoir le rivage
Désiré de tous.
Allons gai etc.
chœurdevoyageursesclaves
Air : À cet arrêt devions-nous nous attendre
Hélas ! Hélas ! Sur ce rivage,
Tout en chantant déplorons nos malheurs.
Pour soutenir le poids de l’esclavage,
Qu’est-il de mieux que de verser des pleurs ?
un poète esclave, portant un in-folio
Air : Non, je ne ferai pas [ce qu’on veut que je fasse]
Je vais bientôt jouir d’un destin plus prospère
Pour sortir d’esclavage, en arrivant au Caire,
Je dédie au Pacha qui brisera mes fers,
Ce livrein-folio rempli de petits vers.
un gascon, voyageur libre
Air : Tout roule aujourd’hui dans le monde
Sur mon sort je suis fort tranquille,
Je suis joyeux et bien portant.
Quoique j’arrive dans la ville
Sans un denier d’argent comptant :
Je prendrai, j’en ai l’assurance,
Avec de l’esprit et du goût,
Un certain petit air d’aisance,
Nous autres nous prenons partout.
une française, à une actrice de l’Opéra
Air : Mon petit cœur, à chaque instant, soupire
De l’Opéra, fugitive princesse
Vous qui chantez et les biens et les maux,
Accordez-nous, dans ce moment d’ivresse,
De magasin quelques refrains nouveaux.
lactrice
Ainsi que vous, aux environs du Caire,
Je ferais bien quelques réflexions,
Mais j’aime bien, je crois, ne pas en faire,
Car ce serait devises à bonbons.
saintphar
Air : Je suis Lindor
C’est bien le cas de faire un monologue,
Et de maudire un tant soit peu l’amour,
Mais avec toi, ma Zélime, en ce jour,
J’aime bien mieux un tendre dialogue.
la française
Air : On compterait les diamants
Je devrais gémir comme vous,
Sous cette chaîne qui me pèse,
Mais du sort je brave les coups :
Je suis femme et surtout française.
De deux beaux yeux, dans l’univers,
Tout homme doit être victime.
La beauté, même dans les fers,
Enchaîne celui qui l’opprime.
zélime
Air : Vaudeville,
Malgré la fortune cruelle,
Qui veut me séparer de toi,
Je te serai toujours fidèle,
L’honneur m’en impose la loi.
le gascon
L’honneur, c’est une gasconnade,
Et qui, partant, est de mon goût.
Mais quoiqu’on aime la muscade,
On n’en veut pas trouver partout.
saintphar
Air : Allez-vous-en, gens de la noce
Avant que le sort nous sépare,
J’affronterai mille combats.
Comment ! Au pouvoir d’un barbare,
Je pourrais voir livrer tant d’appas ?
Oh ! Que non pas.bis
L’on verrait un beau tintamarre,
Si l’on t’arrachait de mes bras.
zélime
Air : Raymonde
Cette image désespère.
Ah ! Ciel ! J’en frémis d’horreur.
Et ton amante sincère
En périrait de douleur.
saintphar
Attends, à ces flots, ma chère,
Un couplet je vais chanter.
En me voyant en colère,
Ils pourraient bien s’agiter.
zélime
Mon ami, quelle chimère !
saintphar
Que risque-t-on de tenter ?
Air : J’ai du bon tabac
Avant d’arriver au bord du rivage,
Je voudrais, messieurs, vous voir en courroux.
Vents mutinés, que n’avez-vous
Engloutis deux tendres époux !
Ce souhait peut bien n’être pas trop sage,
Mais il est au moins très digne de nous.
zélime
Air : L’Amour m’a fait la peinture
Vois jusqu’où va ma folie,
Je braverais le trépas.
Oui, ton amante chérie
Regretterait peu la vie,
En la perdant dans tes bras.
saintphar
Même air
Qu’une idée aussi jolie
Doit produire un beau duo.
Soutenus par l’harmonie,
Nous aurions, ma chère amie,
Tous les honneurs du bravo.
husca, comptant
Une, deux, trois, quatre, cinq et six.
Air : Quoi, vous partez
Allons, partons, sans que rien nous arrête,
Cessez, cessez, tous ces propos d’amour.
saintphar
Mon cher Husca ?...
husca
Ne me romps pas la tête.
Je vous sépare avant la fin du jour.
Allons partons etc.
saintphar
Air : Quand l’amour fait l’ouvrage
Crains ma fureur jalouse,
Tigre, monstre inhumain,
Zélime est mon épouse.
zélime
Il a reçu ma main.
husca
L’épouse, l’épouse,
Je la vendrai demain.
zélime
Air : Quand le péril est agréable
Eh quoi ! De province en province,
Toujours dévorer mon chagrin !
saintphar
Ah ! Grands dieux ! Quel affreux destin !
Pour la fille d’un prince.
husca, à Saint-Phar
Air : Valet chez une fermière
Elle est d’illustre naissance ?
saintphar
Son père tient un haut rang.
husca
Oh ! C’est un cas tout différent.
saintphar
Ah ! Daigne, avec complaisance,
Adoucir au moins son sort.
husca
Que ne me disais-tu d’abord,
Cela change bien la chance.
saint-phar et zélime aux genoux d’Husca, ensemble
Ah ! Notre reconnaissance...
husca, les relevant
Ces soins-là sont superflus.
Vu son illustre naissance,
Deux mille ducats de plus.
saintphar
Air : Monsieur de Catinat
Toi, fille d’un nabab, fille d’un souverain !
husca
C’est justement cela qui peut doubler mon gain.
saintphar
Pour finir nos malheurs, compte sur mon secours.
zélime
Et comment ?
saintphar
Je ne sais, mais comptes-y toujours.
Air :
Dieux ! Dieux ! Quelle est ma rage !
Ah ! Quel triste sort !
Oui, ton esclavage etc.
Est pour ton amant pire que la mort.
zélime
Air : Non, je ne ferai pas [ce qu’on veut que je fasse]
Je dois pour le calmer lui parler de son père,
Quoiqu’à l’intrigue au fond il soit peu nécessaire.
Le moyen est petit, mais dans un Opéra
On chante, et puis après arrive qui pourra.
Air : J’ai perdu mon âne
Au nom de ton père,
Une fois au Caire,
Chacun t’ouvrira les bras,
On t’offrira des ducats,
Au nom de ton pèrebis
saintphar
Le crois-tu, ma chère,
Qu’au nom de mon père
On ne me refuse pas ?
J’aurais plus d’espoir, hélas !
Si c’était ma mère bis
zélime
Quel trait de lumière !
saintphar
Mais, hélas ! Au Caire
On ne la connaissait pas,
Autre surcroît d’embarras.
zélime
Laissons-là ta mère,
Parlons de ton père.
saintphar
Dans quelle colère
Serait mon cher père,
S’il me voyait dans ces lacs.
Peste ! C’est un fier-à-bras
Que Monsieur mon père.
zélime
Laissons-là ta mère,
Laissons-là ton père.
saintphar
Il peut, sans savoir comment,
Arriver au dénouement.
zélime
Donc il faut s’en taire.
saintphar
Donc il faut s’en taire.
Scène ii
Les mêmes, un voyageur accourant, ensuite les Arabes
le voyageur
Air : Voici les dragons qui viennent
Voici les voleurs, alerte !
chœur
Ciel ! Que dites-vous ?
le voyageur
J’étais à la découverte.
Leur troupe, à mes yeux offerte,
Va fondre sur nous.
chœur
Prenons garde à nous.
saintphar
Air : Le Port Mahon
Husca, brise ma chaîne,
Pour un moment j’oublierai ma haine,
Husca, brise ma chaîne,
Et tu vas voir là-bas
Si mon bras ne fait pas
Grand fracas.
Je les assommerai,
Les anéantirai.
Husca, tu peux m’en croire.
husca
Eh bien, Français, va, cours à la gloire.
Le prix de la victoire
Sera ta liberté.
J’en jure, en vérité,
Je tiendrai mon traité.
chœurdesarabes
Duo des deux Arabes
[bis]
Frappons, frappons à grands coups
Tous leurs trésors sont à nous.
Loin d’entrer dans le Caire,
Qu’ils mordent ici la poussière,
Usons des droits de la guerre.
Des vainqueurs sont-ils des filous ?
Frappons etc.
chœur
deuxcol,
les arabes
Frappons, frappons à grands coups,
Tous leurs trésors sont à nous.
les voyageurs
Frappons, frappons à grands coups,
Et repoussons ces filous.
Saint-Phar, à la tête des voyageurs, poursuit les brigands.
Scène iii
Zélime restée seule avec les femmes
zélime
Air :
Ciel ! Ô Ciel ! Au sein du carnage,
Épargne au moins mon tendre amant.
Fais que pour prix de son courage,
Il revienne triomphant.
Air : Pour aller à ton aide
Pour allonger la scène,
Qu’une demi-douzaine
Des femmes que voici,
Chantent en chœur ici.
chœurdefemmes
Ciel ! Ô Ciel ! Au sein du carnage, etc.
Scène iv
Les mêmes, Husca, Saint-Phar et autres voyageurs revenant
chœurdevoyageurs
Air : À pied, comme à cheval
Ces indignes filous
Sont tombés sous mes coups.
Ils courent tous,
Errant comme des fous.
L’un gravit le haut d’un rocher,
L’autre se laisse trébucher :
Les prés, les bois, les monts, les eaux,
Sont couverts de tous ces marauds.
Ce que j’ai trouvé de plus plaisant,
C’est qu’ils s’en vont clopin, clopant.
L’un a le dos fracassé,
L’autre est froissé,
Un troisième a le nez cassé.
Certains n’ont plus qu’un bras,
D’autres ont tête à bas.
Mais observez pourtant qu’en ce cas,
Ces derniers ne galopent pas.
Si nous avons eu du bonheur,
Ils ont bien joué de malheur.
Le désespoir et la terreur
Sont le prix de leur fureur.
Mais laissons tous ces brigands
Husca, soyons honnêtes gens.
Mon ami, vous n’êtes pas sot,
Vous m’entendez à demi-mot,
Car enfin il est clair qu’en ce jour
Je n’ai rien fait que pour l’amour.
husca
Air : Husca brise ma chaîne
Oh ! J’ai bonne mémoire.
Je dois, mon cher, payer ta victoire.
Remporte, avec ta gloire,
Reprends ta liberté,
C’est la loi du traité.
saintphar
Air : Allons donc, Mesdemoiselles
Allons donc, Mademoiselle
Venez avec votre amant.
husca
La tête lui tourne-t-elle ?
Expliquons-nous, un moment.
saintphar
Allons donc, Mademoiselle etc.
Air : Ah ! Qu’il est drôle
J’aime cet air d’étonnement !
husca
Ah ! Qu’il est drôle.
Et ! Tu veux que, tout bonnement,
Je laisse ce tendron charmant ?
saintphar
En vérité, c’est drôle !
husca
Oui, mais le ton dont il le prend
Est encor bien plus drôle.
saintphar
Air : Nanon dormait
Roi des brigands !
husca
J’appellerai main-forte.
saintphar
Quoi ! Tu prétends
En agir de la sorte !
L’honneur te le défend.
husca
Monsieur,
L’honneur
Ne rapporte pas cent pour cent.
Air : Longtemps, très longtemps
Écoute-moi, Saint-Phar.
À parler sans fard,
Tu n’es rien qu’un bavard.
Va-t-en, fuis dans d’autres climats :
Fais le fier-à-bras,
Je ne m’en mêle pas.
Mais, dans notre marché,
J’en suis fâché,
Zélime n’entre en rien.
Tu le sais bien.
Tu fais l’olibrius,
Et rien de plus.
Tous tes soins sont superflus
Sans quibus.
Je suis ferme en ce point.
Tu n’en as point.
Je te laisse partir,
Sans coup férir,
Dis-moi, sans te fâcher,
Qu’as-tu donc tant à me reprocher.
Air : Quoi ! Vous partez
Partons, partons : achevons le voyage
Encore une heure et nous arrivons tous.
chœurdesclaveslibres
Air : Allons gai, réjouissons-nous
Allons gai, réjouissons-nous,
C’est la fin du voyage.
Allons gai, ce sera pour nous
L’instant le plus doux.
On se remet en route.
finacte
Acte ii
Le théâtre représente le jardin du Pacha.
Scène i
Husca, Tamorin
husca
Air : J’arrive à pied de province
J’arrive ici de province,
Mon cher Tamorin,
Et de contenter le prince,
J’ai l’espoir enfin.
Tu vas voir, dans mes emplettes,
Du beau, du brillant,
Des femmes belles, parfaites.
tamorin
Propos de marchand.
Air : Marlbrough
Les beautés que j’amène,
Mironton, ton, ton, mirontaine,
M’ont coûté de la peine,
Et bien de l’embarras.
Mais je ne m’en plains pas
Mon ami, tu verras
Une parisienne,
Mironton etc.
tamorin
Une parisienne !
husca
Qui doit faire fracas.
tamorin
Qui doit faire fracas !
husca
C’est l’âme d’un repas.
Et, ce qu’on croit à peine,
Mironton etc.
Ni vapeurs, ni migraine,
C’est comme on n’en voit pas.
Mais mieux que tout cela,
Je veux que le Pacha
S’il voit mon Africaine,
Mironton etc.
S’il voit mon Africaine,
Reste comme baba.
tamorin
Reste comme baba.
husca
Charmé de ses appas.
ensemble, ensemble
deuxcol,
husca
J’ai des beautés piquantes.
Agaçantes
Ou languissantes,
J’en ai de caressantes,
Et de tous les climats.
tamorin
J’ai des beautés piquantes.
Agaçantes
Ou languissantes,
J’en ai de caressantes,
Et de tous les climats.
Air : Catinat
Dans le cœur du Pacha, par l’ennui tourmenté,
Elles vont ranimer l’amour et la gaité.
tamorin
Près d’ici, cher Husca, conduis-les en secret,
Leur présence ne peut que faire un bon effet.
husca
Air : Tout consiste dans la manière
Soit mon appui, près de ton maître.
tamorin
Il vient, Husca, retire-toi.
husca
Crois que je saurai reconnaître...
Tiens, prends déjà.
tamorin
Compte sur moi.
Amis, quand on paye d’avance
On peut beaucoup.
C’est ici de même qu’en France,
Argent fait tout.
Husca sort.
Scène ii
Le Pacha, Tamorin
le pacha
airvide
On me prépare une fête,
Tamorin, j’en suis las.
Trouve une défaite honnête,
Tire-moi d’embarras.
Almaïde est sur mes pas.
tamorin
Ah ! Seigneur, qu’elle a d’appas !
le pacha
Oui, mais je veux m’en distraire
Par un nouvel objet.
tamorin
Elle fait tout pour vous plaire.
le pacha
C’est ce qui me déplaît.
tamorin
Air : Quand, de bon matin
On vient en ces lieux,
Si j’en crois mes yeux,
Vous amuser en cadence.
On vous fêtera
Comme à l’Opéra,
Où dans tous les cas on danse.
A-t-on vaincu ses ennemis,
On danse.
À leur pouvoir est-on soumis,
On danse.
Là, pour un héros,
C’est à tous propos
Un sujet de contredanse.
Scène iii
Les précédents, Almaïde, Femmes du sérail qui entrent en dansant
almaïde
Air : Il n’est qu’un pas du mal au bien
Du Pacha qu’ici l’on révère,
Tâchons de charmer les loisirs,
Inventons pour lui des plaisirs,
Notre bonheur est de lui plaire.
Il fait triompher tour-à-tour
Avec Bellonne, avec l’amour.
chœurdefemmes
Il fait triompher tour-à-tour etc.
Air : Quand l’amour fait l’ouvrage
Chacun ici l’adore,
Il règne sur nos cœurs.
Que celle qu’il honore
De ses tendres faveurs...
le pacha
Encore ! Encore !
chœur
Doit goûter de douceur !
le pacha, sur le ton du dernier vers
Bon dieu, que de fadeurs !
Air : Allez-vous-en, sainte famille
Bien obligé, Mesdemoiselles,
De vos chansons, de vos ballets.
Oui, cette fête est des plus belles :
D’honneur, j’en suis très enchanté, mais,
Allez-vous-en, Mesdemoiselles,
Bien obligé de vos ballets.
Les femmes sortent.
Scène iv
Le Pacha, Tamorin, Husca ensuite
le pacha
Air : Dans ces désertes campagnes
Je renonce à la tendresse,
Non, je ne veux plus aimer.
Mais, Seigneur, quelle tristesse
Eh ! Pourquoi vous alarmer.
Chassez la mélancolie,
Elle étouffe les désirs.
On dit que femme jolie
Sait réveiller les plaisirs.
tamorin
Air : Ah ! Il n’est point de fête
Oui, le changement peut-être
Calmera votre chagrin.
Essayez-en mon cher maître :
C’est un baume souverain.
Ici, comme en Europe,
Chacun en fait très grand cas.
Quand l’ennui nous galopa
Il arrête ses pas.
tamorin
Air : Il a voulu, il n’a pas pu
Dans cet instant,
Certain marchand,
Que partout on renomme,
Amène ici, pour le bazar,
Des objets charmants.
le pacha
Quel hasard !
Serait-ce Husca ?
tamorin
Oui, c’est cela.
C’est un dort galant homme.
Air : Êtes-vous de Gentilly
Il est près de ce lieu-ci,
Voulez-vous qu’il entre ?
le pacha
Oui.
tamorin
C’est mon affaire et la sienne.
le pacha
Ah ! Morbleu, la bonne aubaine,
J’en suis réjoui.
husca
Air : Le cœur, belle meunière
Voulez-vous des Anglaises,
Seigneur, on vous en offrira,
Ou bien des Hollandaises ?
tamorin
C’est comme il vous plaira.
le pacha
J’aime assez les Anglaises.
husca
Eh bien ! On vous satisfera.
le pacha
J’aime les Hollandaises.
husca
Seigneur, on en aura.
le pacha
Mais, vive les Françaises !
husca
J’en ai tout comme à l’Opéra.
Oui, Seigneur, les Françaises,
C’est le nec plus ultra.
le pacha
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Mais on les dit un peu volages
Pour former de nouveaux liens.
husca
Non, pas ici, grâce à nos cages.
tamorin
Et surtout, grâce à leurs gardiens.
husca
Air : Une à une, deux à deux
Seigneur, elles ne sont pas loin,
De les amener j’ai pris soin.
le pacha
Fais passer à ma vue
Ces belles en revue.
husca
Une à une,
Deux à deux,
Blonde et brune,
Vous verrez chacune,
Et je veux
Qu’au gré de vos vœux
Vous soyez heureux.
Scène v
Les mêmes, Zélime, Femmes esclaves de différentes nations
Elles défilent devant le Pacha tandis que l’orchestre joue l’air : Eh lon lan là, laissez-les passer. Tamorin fait ranger celles que le Pacha choisir. Zélime paraît la dernière : elle est voilée.
le pacha
Air : Si jamais je fais un ami
Eh ! Pourquoi ce voile à mes yeux
Dérobe-t-il cette étrangère ?
husca
Afin de vous surprendre mieux,
Seigneur, je l’ai cru nécessaire.
le pacha
La beauté plaît sans art, sans frais,
Quand sa parure est l’innocence.
husca
Mais
Elle acquiert encor des attraits
Sous le voile de la décence.
Husca découvre Zélime.
le pacha
Dieux ! Qu’elle est belle !
Qu’elle a d’appas !
zélime
Air :
Victime infortunée !
le pacha
Air : Que ne suis-je La Fougère
Quelle voix flexible et tendre !
Elle pénètre mes sens.
Que sa bouche doit bien rendre
De l’amour les doux accents !
À part, à Husca.
Combien ? Parle en conscience,
Pour cette belle Houris ?
husca
Une simple récompense.
De tels objets sont sans prix.
zélime
Air :
Prenez pitié de ma douleur.
le pacha
Air : Ce fut par la faute du sort
Bannis cet importun souci,
Apprends enfin à me connaître.
Mon enfant, tu seras ici,
Bien moins esclave que ton maître.
tamorin
Que ses yeux vont être surpris
Quand elle verra faire au Caire
Tout ce que l’on fait à Paris.
le pacha
Oh oui ! C’est le bon de l’affaire.
almaïde, à part
Air : Nous nous marierons dimanche
Pour un Turc, vraiment,
Il est très galant,
Et je crains pour ma constance.
le pacha
Ce tendre embarras
Ne me déplaît pas.
Mais, pour faire connaissance,
Je veux, ce soir,
Te voir
En tête-à-tête.
Aux femmes du sérail.
Et vous, allez,
Conduisez
Ma conquête
Dans l’appartement
Le plus élégant.
À part, en sortant.
Ceci vaut mieux qu’une fête.
Les femmes du sérail conduisent Zélime, Almaïde entre et les voit sortir.
Scène vi
Almaïade seule
almaïde
Air : Ton amour te prépare
Ainsi donc du perfide
J’ai vu le changement !
L’ingrat ! Il se décide !
Malheureuse Almaïde !
Trop faible, trop timide,
Quel triste sort t’attend !
Ah ! Ma raison s’égare,
La fureur s’en empare,
Vengeons-nous du barbare.
Oui, mais contre un parjure, hélas !
Dans ces maudits climats
La vengeance est si rare.
Scène vii
Almaïde, Osmin
osmin
Air : Accompagné de plusieurs autres
Almaïde, apprenez un fait,
Où, pour mieux dire, un grand secret,
Et jugez par-là de mon zèle.
Saint-Phar tout enivré d’amour,
Prétend au Pacha, dans ce jour,
Enlever l’esclave nouvelle.
almaïde
Air : Joconde
Il faut, pour servir ce Français,
Que ton cœur se décide.
Ne redoute rien du succès
Compte sur Almaïde.
osmin
Mais on connaît le dénouement
Qu’ici nous allons faire.
almaïde
On le connait ?
osmin
Assurément :
C’est un tour de corsaire.
almaïde
Air : Avec les jeux dans le village
N’importe, je veux voir Zélime
Unie à l’objet de ses feux.
D’une flamme si légitime
Je veux serrer les tendres nœuds.
osmin
Quelle complaisance est la vôtre ?
almaïde
Mon cher ami, c’est un grand bien
De faire le bonheur d’un autre,
Quand on travaille pour le sien.
Lui donnant un diamant.
Air : Son médecin qu’aussitôt on amène
Prends cet essai de ma reconnaissance,
Cours, cher Osmin, seconder mon projet.
osmin
J’accepterai, mais par reconnaissance,
Car je vous sers sans aucun intérêt.
Osmin sort d’un côté et le Pacha entre de l’autre.
Scène viii
Almaïade, le Pacha
almaïde
Air : Qu’il tarde à ma tendresse
Pour une autre maîtresse
Tu me fuis, c’en est fait,
Cruel, de ta tendresse
Une autre est donc l’objet.
Zélime a su te plaire
Et m’enlever ta foi.
Faut-il qu’une étrangère
L’emporte ainsi sur moi.
le pacha
Air : Un mouvement de curiosité
Zélime ici sera mon bien suprême
Un mois ou deux, pas plus, en vérité.
almaïde
T’aimera-t-elle, ingrat, comme je t’aime ?
le pacha
Mon amour-propre en serait très flatté.
Pour m’en convaincre, excusez donc vous-même
Ce sentiment de curiosité.
Scène ix
Les mêmes, chœur derrière le théâtre, Tamorin ensuite
chœur
Ciel ! On enlève Zélime !
Dieux ! Quelle audace ! Quel crime !
ensemble, ensemble
deuxcol,
le pacha
Quoi ! L’on enlève Zélime !
almaïde
Bon ! L’on enlève Zélime.
tamorin
Paix ! On la rattrapera.
le pacha
Courez tous après Zélime.
chœur
Courons tous après Zélime.
ensemble, ensemble
deuxcol,
le pacha
Dieux ! Quel audace ! Quel crime !
almaïde
Bon ! L’on enlève Zélime.
tamorin
Rassurez-vous, la voilà.
Scène x
Les précédents, Zélime, Saint-Phar enchaîné, gardes et femmes du Sérail
le pacha, à Saint-Phar
Air : Souvenez vous-en
C’est donc toi qui, dans mon sérail
Viens pour m’enlever ma maîtresse ?
Ça fait toi-même le détail
De ton entreprise traitresse.
saintphar
Je n’ai pas trop la tête à moi,
Mais tu devines le pourquoi.
le pacha
Tu ne connais donc pas ma loi.
saintphar
La belle finesse !
le pacha
Elle est ma maitresse.
saintphar
Donne-moi plutôt le trépas.
le pacha
Eh bien, mon ami, tu l’auras.
Scène xi
Les précédents, Husca, Saint-Phar père ensuite
husca, au Pacha
Air : Là-bas, là-bas, là-bas
Suspendez un moment
Votre ressentiment.
Certain prodige,
Mais très surprenant,
Se voit au firmament.
chœur, regardant en l’air
Il arrive céans.
Il se dirige.
On voit arriver un ballon, auquel est suspendu un char semblable à celui dans lequel Messieurs Charles et Robert ont fait leur magnifique expérience, aux Tuileries, le premier décembre 1783. Deux hommes le conduisent.
le pacha, regardant aussi
Des hommes dedans !
Comment ont-ils jamais pu frayer cette route ?
Ce sont des dieux, sans doute.
husca
Seigneur, ce sont deux français.
saintpharpere
Air : Nous autres, bons villageois
Mon fils !
saintpharfils
C’est mon père. O ciel !
saintpharpere
En passant, grâce à ma lunette,
J’ai vu ton état cruel.
husca
C’est avoir la visière nette.
saintpharpere
Touché de ton malheureux sort,
Je viens t’arracher à la mort
Voilà le fait en quatre mots.
saintpharfils
C’est arriver bien à propos.
chœur
C’est arriver etc.
husca
Air : J’ai perdu mon âne
De pareilles venues
Ne sont pas inconnues
Et nous voyons de temps en temps
Des pères et des dénouements,
Qui tombent des nues.bis
saint-phar père et zélime, ensemble
Air : De tous les capucins du monde
Pacha, rend un fils à son père,
Laisse désarmer ta colère.
le pacha
Brave français, connais mon cœur.
J’avais ici juré sa perte,
Mais je lui fais grâce, en faveur
De ta sublime découverte.
Air : On ne peut s’empêcher de prendre
Saint-Phar, dans le bras de Zélime,
Va trouver ta félicité.
À tous les français que j’estime
Je rends aussi la liberté.
saint-phar père et fils, zélime, ensemble
Pacha, notre reconnaissance
Grave tes bontés dans nos cœurs.
le pacha
Les talents, les arts, la science,
Ont en tous lieux des protecteurs.
Aux français.
Air : J’ai vu la meunière
Parcourez les cieux désormais
En toute assurance.
Et vos admirables succès
En tous lieux seront à jamais
Honneur à la France,
Honneur aux français.
chœur
Honneur à la France etc.
saintphar
Célébrons tous, le cœur content,
Cet heureux voyage.
Ma foi, dans tout événement,
Pour arriver au dénouement.
Eh ! Vive l’usage
Du ballon volant.
chœur
Eh ! Vive l’usage etc.
une française
Un mari, vieux, jaloux, grondant,
Et d’humeur sauvage,
Tient-il sa femme étroitement,
Bientôt la belle à son galant,
Prescrira l’usage
Du ballon volant.
chœur
Prescrira l’usage etc.
tamorin
Fillette, sous l’œil vigilant
De mère sauvage,
Va recevoir secrètement
Les tendres soins de son amant,
Moyennant l’usage
Du ballon volant.
chœur
Moyennant l’usage etc.
husca
Bientôt, sur les autres marchands
J’aurai l’avantage,
Pour me fournir d’objets charmants,
Je vole à Paris dans l’instant,
Moyennant l’usage
Du ballon volant.
chœur
Moyennant l’usage etc.
almaïde, au Pacha
Si jamais ton cœur inconstant
Redevient volage.
Puisse quelque Français galant
Descendre au sérail lestement,
Moyennant l’usage
Du ballon volant.
chœur
Moyennant l’usage etc.
zélime, au public
L’auteur, si vous êtes contents,
Fera bon voyage,
Mais, sans vos applaudissements,
Il s’esquivera tristement,
En faisant usage
Du ballon volant.
chœur
Oui, sans vos applaudissements etc.
Fin