Anonyme
Le Messager du Mans
Parodie de Phaëton
le 21 janvier 1743
BnF ms. fr. 9313
definitacteur, gros-jean grosjean
Acteurs
Le fermier
Hélène, femme du fermier
Le bailli
Lucas, fils du bailli
Pierrot, fils du Messager et d’Hélène
Le Messager
Margot, fille du fermier
Louison, servante de la ferme, et fille du Gros-Jean
Gros-Jean, vacher sorcier
Troupe de pâtres
Troupe de procureurs
Habitants du Mans, partant pas le coche
Gens de la ferme
La scène est dans un faubourg du Mans.
Le Messager du Mans
Scène i
margot seule
margot
Air : Folies d’Espagne
Avant d’aimer mon âme était tranquille ;
Un sort si beau me sera-t-il rendu ?
Hélas ! hélas ! Est-il si difficile,
De retrouver ce que l’on a perdu ?
Scène ii
margot, louison
louison
Air : Pour passer doucement la vie
Je ne te croyais pas seulette.
Quoi ! tu peux avoir de l’ennui,
Tu rêves en cette retraite.
margot
Tu venais y rêver aussi.
louison
Air : Lucas se plaint que sa femme
D’aimer j’ai fait la folie
Et je me plais à rêver.
De ceux qui savent bien aimer,
C’est la mannie.
C’est l’amour seul qui fait goûter
La rêverie.
Air : Nous autres, bons villageois
Nos cas sont bien différents.
Tu seras aujourd’hui contente,
On te connaît mille amants...
margot
Oh ! la quantité m’épouvante.
Air : Le cotillon couleur de rose
Mon père me donne un mari.
louison
Voyez la mauvaise nouvelle.
margot
Si c’était le fils du bailli.
louison
Le drôle te tient en cervelle.
margot
Oui, mon enfant,
C’est mon amant.
Je sens une peine cruelle.
Tu peux aimer tranquillement,
Louison, que ton sort est charmant.
louison
Air : Joconde
Les doux plaisirs et les revers,
Partagent notre vie.
D’un calme profond sur les mers,
La tempête est suivie.
L’hiver vient après le printemps,
Mais quand l’amour nous lie,
On voit rarement le beau temps,
Venir après la pluie.
ensemble, ensemble
Air : Une jeune nonnette
Que l’amour est à craindre,
Je le sens bien.
Eh ! quoi, toujours se plaindre
Quel entretien ?
Ton amant
Mon amant
Est tendre et constant,
Le mien inconstant.
Le tien inconstant.
Cela n’y fait rien
Il faut toujours se plaindre,
Quel entretien ?
margot
Air : Folies d’Espagne
Voici Pierrot, Louison, je me retire,
Je ne veux point troubler des feux si beaux.
Si je restais, j’apprêterais à rire,
On dirait que je garde les manteaux.
Scène iii
louison, pierrot
louison
Air : Je suis fils d’Ulysse, moi
Mon cher Pierrot, vous fuyez ma présence,
Je vois votre embarras.
Ingrat amant...
pierrot
Ce reproche m’offense.
louison
Tu ne me cherchais pas.
pierrot
Bon, je vous aime, allez, je suis sincère.
Je cherchais ma mère, moi,
Je cherchais ma mère.
louison
Air : Vous m’entendez bien
Autrefois, lorsque mon amour,
Se voyait payé de retour,
Pierrot, pour me complaire,
Hé bien !
Laissait toute autre affaire ;
Je m’en souviens bien.
Air : Non, tu ne m’aimes pas
Ma peine est sans égale ;
Ah ! pour me secourir,
Nomme-moi ma rivale.
Je voudrais la haïr.
Mon père, en sa magie,
Disait, hier, tout bas,
Que je serais trahie.
Non, tu ne m’aimes pas.
pierrot
Air : Ce n’est qu’enflure
Mais, je t’aimerai toujours,
Es-tu satisfaite ?
louison
Je n’entends que ces discours,
Ta flamme est muette
Ta flamme est muette.
pierrot
Air : Je ne sais pas écrire
Épouse ma légèreté,
Car, c’est la faute, en vérité,
Du grand Dieu de Cythère.
C’est lui qui fait naître nos feux,
Je t’aime autant que je le peux.
louison
Tu ne le peux donc guère.
Air : En passant sur le Pont-Neuf
Ta mère vient à propos
Interrompre ce propos.
Tu t’en trouvais bien en presse,
Je t’avais embarrassé.
Jusqu’au revoir, je te laisse.
pierrot
M’en voilà débarrassé !
Scène iv
hélène, pierrot
hélène
Air : Dupont, mon ami
Qu’avez vous, Pierrot ?
Et qui vous chagrine ?
Vous êtes tout sot,
Vous faites la mine.
Dites-moi, que voulez-vous ?
pierrot
Ma mère je suis jaloux.
hélène
Air : Confiteor
D’où vient le trouble où je vous vois ?
pierrot
Le fermier se choisit un gendre.
Pour dot, il donne son emploi,
Ne pourrais-je pas y prétendre ?
Lucas veut l’emporter sur moi,
Ce choix me donne de l’effroi.
hélène
Air : Cotillon
Mais, son père est monsieur le bailli.
pierrot
N’ai-je pas mon père aussi bien que lui ?
L’un règle la judicature,
L’autre la voiture
Qui va du Mans à Paris.
Tout je crois est égal entre nous.
Juge ou messager, n’est-ce pas choux pour choux ?
hélène
Air : Non, je ne ferai pas [ce qu’on veut que je fasse]
Ta fortune, mon fils, est mon unique envie
Après le noble amour, dont tu reçus la vie.
Jusqu’au lit d’un fermier, j’eus peine à m’abaisser
Mais pour te rendre riche, il m’y fallut placer.
Air : Que je t’aime sur ce ton
N’aimeras-tu plus, Louison ?
pierrot
L’argent sur l’amour, l’emporte d’ordinaire.
En ménage tout est bon,
La tendresse est une viande trop légère.
hélène
Que j’aime sur ce ton.
Doit-on toujours préférer le nécessaire,
Cesse d’aimer ta Louison,
On peut quelquefois user de trahison.
pierrot
Air : J’entends déjà le bruit des armes
J’entends mon destin qui m’appelle.
Je pétille d’être fermier ;
Et si Louison me parut belle,
Je ne serai pas le premier,
Que l’argent rendit infidèle.
Heureux si je suis le dernier.
hélène
Air : Le tran tran
J’aime ton âme intéressée,
J’y reconnais mes sentiments.
Elle est digne, cette pensée
Du fils du messager du Mans.
Quand l’amour devient incommode
On le fait céder à l’argent,
C’est le tran, [tran, tran,]
Des amants à la mode.
Air : Ma pinte et ma mie
Avant de rien engager,
Consultons l’augure.
C’est ici que le berger,
Vient à la pâture,
Il a l’art de deviner.
Je lui vais faire conter
Ta bonne aventure, ô gué,
Ta bonne aventure.
Scène v
gros-jean avec deux bergers jouant de la vielle et de la musette, troupe de pâtres
Air : Et vogue la galère
Heureux, qui peut de terre
Voir les flots s’agiter,
Qui ne craint ni espère
Et qu’on entend chanter.
Et vogue la galère
Tant qu’elle pourra voguer.
Air : On doit toujours avoir peur
Plaignons le malheureux amant
D’une ingrate bergère.
Évitons le cruel tourment,
D’une flamme sincère.
On doit toujours avoir peur,
Sur les flots de Cythère,
Quoiqu’on soit bon rameur.
Air : Je ne suis né ni roi, ni prince
Cythère est fécond en orage,
Jeunes cœurs que l’amour engage
Craignez, craignez l’embarquement.
On n’a pas plutôt fait naufrage
Qu’on voudrait, mais bien vainement,
Être resté sur le rivage.
Air : Petits oiseaux, [rassurez-vous]
Ayez bien soin de mes troupeaux,
Chiens favoris de votre maître ;
Tandis qu’à l’ombre de ce hêtre
Je vais goûter un doux repos.
Aux loups cruels, faites la nique,
Craignez surtout, craignez de m’éveiller,
Je commence à bailler, tout me fait sommeiller,
L’ombrage, les ruisseaux, et surtout la musique.
Gros-Jean s’endort, les pâtres dansent.
Scène vi
hélène, les pâtres
hélène
Air : Eh, allons donc, jouez violons
Oh ! vous à qui le sang me lie,
Cousin, secondez mon envie,
Songez que vous m’avez promis...
Mais, le manant s’endort, je pense.
Faites-lui rompre le silence,
Au sujet de Pierrot mon fils,
Souvent sur son sort je frémis.
Je crains que l’amour qu’il offense
De l’affront ne tire vengeance.
le pâtre
Nous allons nous égosiller
Pour parvenir à l’éveiller.
Air : Ah ! Thomas, réveille-toi
Chantez, chantez tous avec moi.
chœur
Ah ! berger réveille-toi !
le pâtre
Tendres oiseaux, répondez-moi.
Bon nous faisons merveille,
Holà hé.
chœur
Ah ! berger, réveille, réveille.
Ah ! berger réveille-toi.
grosjean
Air : Je sommeille
Votre chanson a ses appas
Mais vous pourriez chanter plus bas,
Je sommeille.
le pâtre
On interroge le sabbat,
Sur Pierrot, et c’est pour cela,
Qu’on vous réveille.
grosjean
Air : Les proverbes de Quinault
Dans l’avenir, il est vrai, je sais lire ;
Mais, pour moi seul, je garde mon secret.
Retirez-vous, je n’ai rien à vous dire,
Le Diable veut qu’on soit discret.
le berger
Air : Le gourdin
Tu refuses de parler,
Nous saurons bien t’y forcer.
L’extrémité sera dure.
Parle, ami, je t’en conjure !
grosjean
Lure, lure, etc.
le pâtre
Armons-nous chacun d’un gourdin.
grosjean
Guerlin, guin, guin etc.
hélène
Air : Flon, flon
Quelle forme qu’il prenne,
Pour éblouir nos yeux,
Il faut qu’on le malmène,
Frappez à qui mieux mieux.
Flon, fon, etc.
Gros-Jean se change en dindon, en chou, en pétard et en fontaine de cuisine de laquelle il sort.
le pâtre
Air : Trembleurs
Voyez comme il prend la fuite,
Gros-Jean, reviens au plus vite,
Ton ami t’en sollicite ;
Tu fais le mauvais plaisant.
Quels déguisements bizarres !
Tu nous fais jouer aux barres,
À quoi bon ces tintamarres ;
Reviens. C’est lui justement !
grosjean
Air : Menuet
Puisque vous le voulez,
Il faut ne rien taire.
Écoutez, téméraires !
Air : Fanfare
Que vois-je ? On baille à l’Opéra ?
Dieux ! Quel phénomène est-ce là ?
Air : Tant de valeur et tant de charmes
On ne t’écoute plus en France,
Lully, tu ne fais qu’ennuyer.
Et si l’on joint, pour t’appuyer,
Les bons acteurs et la dépense
Mais
Lon lan la, cela n’y fait rien
Si le public n’est ton soutien.
Je suis gaillard
Tremblez malheureuse mère,
Où cours-tu, téméraire ?
Quitte ton projet.
C’en est fait,
Ton supplice est
Tout prêt.
Déjà tu vas tomber.
Je te vois t’embourber.
Hélène, si vous l’aimez,
Tremblez, tremblez, tremblez.
Gros-Jean sort.
Scène vii
hélène, pierrot
hélène
Air : Ô lire, ô lire
Ah ! Ciel que dites-vous ?bis
Éloigne de sa tête,
La tempête.
Éloigne de sa tête,
Son courroux.
Air : Ton lulure lure
Gros-Jean, m’a fait frémir d’effroi
En disant ta bonne aventure.
Ah ! mon fils, je tremble pour toi,
Ta perte paraît trop sure.
Laisse-là ton projet...
pierrot
Pourquoi ?
hélène
C’est qu’il est de mauvais augure.
pierrot
Lure, lure, lure, ton, ton, ton, turelure.
Air : Voyelles anciennes
Vous parliez naguère autrement,
Maman, si j’ai bonne mémoire,
Vous désavoueriez votre enfant.
S’il était si sot de vous croire.
Je dois songer à m’établir
Et malgré ce maudit grimoire,
Sur Lucas, que je dois haïr,
Je veux remporter la victoire.
hélène
Air : Ton humeur est, Catherine
Mais, tu risqueras ta vie.
Songes-y, mon cher enfant.
pierrot
J’en veux passer mon envie :
Je brave tout accident,
Je me ris de la menace.
hélène
Tais-toi, tu vas blasphémer.
pierrot
Je me sens assez d’audace,
Pour ne pouvoir m’alarmer.
hélène
airvide
J’espère que ta petite
Te corrigera.
Je la vois et je te quitte.
pierrot
Fou, qui s’y fiera,
Avec vous, je prends la fuite,
Fou, qui s’y fiera.
Scène viii
louison seule
louison
Air : Le beau berger, que j’aime tant
Il me fuit, il brave ma flamme.
C’en est fait. Je perds tout espoir,
Le traître évite de me voir.
Quel tourment agite mon âme.
Oh, Ciel ! je suis donc au désespoir :
Je ne serai donc plus sa femme ;
Tout me dit qu’il est inconstant,
Le beau berger que j’aime tant.
Scène ix
louison, margot
louison
Air : Ah ! mon mal ne vient que d’aimer
Seule en un coin, je vais pleurer.
margot
Ah ! Louison, tu veux me quitter ?
Reste au moins pour me consoler.
louison
Mais, je suis toute en larmes.
Lucas, qui vient pour vous parler,
Calmera vos alarmes.
Scène x
margot, lucas
lucas
Air : Cotillon de Vendôme
Quel revers !
Quel revers !
Ah ! quel malheur, je vous perds ?
Mignonne,
Mignonne.
Air : Le Roi dit à la Reine
Par cette loi si dure,
Je perds tout vos appas.
Pouvez-vous, sans murmure,
Me causer le trépas.
margot
Moi, je dois me contraindre,
Ne vous y trompez pas.
Souvent le plus à plaindre,
Enrage le plus bas.
lucas
Air : Qu’importe
Mais, vous ne me demandez pas,
Qui possédera vos appas ?
margot
Ce ne sera pas vous, hélas ?
Qu’importe,
Qu’importe.
lucas
Je vois que vous aimez, Lucas,
En parlant de la sorte.
margot
Air : Je ne suis né ni roi, ni prince
Nos cœurs étaient nés l’un pour l’autre.
L’amour fit le mien pour le vôtre,
De lui, pourquoi le séparer ?
lucas
Votre père aime la canaille.
En amour peut-on préférer
Le fausset à la basse-taille ?
ensemble, ensemble
Air : Ah ! Madame Anroux
Ah ! si je vivais pour vous,
Mon sort serait doux.
Margot, je le jure.
Lucas, je le jure
Ah ! si je vivais pour vous.
Margot, je le jure.
Lucas, je le jure
Mon sort serait doux.
margot
Je me sens déchirée.bis
J’obéis sans murmure,
En dussé-je expirer.
lucas
Mon rival vous attend,
L’amour de cette injure
Gémira vainement.
ensemble, ensemble
Ah ! si je vivais pour vous etc.
lucas
Air : Fanchon, la ravaudeuse
Mais, je vois votre père,
Margot, je suis tenté
De passer ma colère :
Je me sens insulté.
margot
Lucas, qu’allez-vous faire ?
Serez-vous plus content ?
lucas
Allons, soit, je diffère
À punir ce normand
Dans un autre temps.
Scène xi
le fermier, hélène, margot, pierrot, les gens de la ferme
le fermier, à la cantonade
Air : Allez-vous en, gens de la noce
Vous qui prétendiez à ma fille,
Allez-vous en, chacun chez vous.
Pierrot est de ma famille,
Je le préfère à vous trétous.
Vous qui etc.
Air : L’amour est un voleur
Vous allez, cher Pierrot,
Être bientôt mon gendre ;
Puisque vous voulez prendre
Notre fille Margot.
Qu’ici chacun soit leste
Et pense à se bien réjouir.
Zeste, zeste, zeste.
Mon esprit se sent rajeuni,
Jugez du reste.
Air : Et toujours va qui danse
Je veux que l’on chante en tous lieux
Des chansons sur ce mariage ;
Et que chacun à qui mieux mieux,
Fasse du tapage.
Que chez nous, ce beau gendre-là,
Ramène l’abondance.
Talalala lalalala
Toujours va qui danse.
On danse.
vaudeville
Scène xii
louison, pierrot
louison
Ah ! Cher Pierrot, est-il possible
Que vous m’ayez manqué de foi ?
Air : La mirtanplain
Quoi, ma rivale Margot,
Est donc triomphante ?
Lorsque tu m’aimais, Pierrot,
La mirtanplain, lantire larigot,
Que j’étais contente !
Ah ! Cher Pierrot, est-il possible etc.
pierrot
Air : Le badinage
Je te garde ma foi.
Je ne suis point volage.
Il ne tiendra qu’à toi,
D’en recevoir le gage.
Mais, pour le mariage
Je prends, est-ce être sot ?
Margot.
Toi, pour le badinage.
Air : Chacun à son tour
Louison, c’est aujourd’hui l’usage,
C’est ainsi que les grands seigneurs
Savent faire un juste partage,
De leurs biens et de leurs faveurs.
On épouse une riche fillette,
Avec une autre on fait l’amour.
Chacune à son tour,
Liron lirette,
Chacune à son tour.
louison
Air : Monsieur, en vérité
Tu veux en vain me le cacher,
Tu vas rompre ta chaîne.
pierrot
Le destin a su m’y forcer,
Je mérite ta haine.
louison
Ai-je un cœur fait pour te haïr ?
pierrot
Louison, je prends part à ta peine.
louison
Tendresse vaine ?
Pierrot, en vérité,
Vous avez bien de la bonté.
Air : Petite Lavallière
Témoin de ma constance
Et de son changement.
Ciel ! qui voyez l’offense,
De mon perfide amant.
De votre châtiment
Le perfide se joue.
Faites pour son tourment,
Qu’il tombe dans la boue.
Air : Quand le péril est agréable
Mais, non, épargnez ce que j’aime
Car je mourrais de son ennui ;
Et si je me venge de lui,
Ce sera sur moi-même.
Scène xiii
pierrot seul
pierrot
Air : À faire
Ah ! contre l’objet qu’on adore,
C’est en vain que l’on veut s’armer.
En oubliant Margot, je me souviens encore
Du plaisir, du plaisir, que j’eus à l’aimer.
Air : C’est l’ouvrage d’un moment
Elle a pris à propos la fuite.
Son œil en pleurs était charmant,
Et je combattais vainement.
Reprendre des fers qu’on évite,
C’est l’ouvrage d’un moment.
Air : Vaudeville du rien
Quand je m’engageais sous ses lois,
Je croyais que la constance,
Était préférable cent fois,
À la commode opulence.
À présent,
Je pense autrement,
Et je vole à l’inconstance.
Air : On y va à deux, on revient à trois
Mais déjà le jour s’avance ;
Il faut bien aller prier
Le bailli de nous honorer
De sa présence.
Allons, je m’en vais lui tirer
Ma révérence.
Scène xiv
lucas, pierrot
lucas
Air : À l’ombre de ce vert bocage
Je crois que ce faquin espère
Qu’on entre chez vous tout de go.
Tout beau ! le bailli est mon père.
pierrot
Mais je vais graisser le marteau
Du Mans, je sais trop bien l’usage.
Un quartaut de vin suit mes pas,
Je dois obtenir le passage,
Montrant la cantonade.
Que l’on le demande là bas.
lucas
Air : N’oubliez pas votre houlette
Un bailli peut ici tout faire.
J’espère
Qu’il saura me venger.
Quand son fils se sent outragé,
Crois-tu qu’un seul
Quartaut opère ?
Un bailli peut ici tout faire.
J’espère
Qu’il saura me venger.
pierrot
Air : Que toute la terre est à moi
Est-il une gloire plus grande ?
Quel sort est plus beau que le mien !
Non, que les Dieux ne m’ôtent rien,
C’est tout ce que je leur demande.
Je suis content de moi,
Je crois
Que toute la terre,
Que toute la terre est à moi.bis
lucas
Air : Les billets doux
Lorsqu’un juge a quelqu’ennemi,
Il lui fait un mauvais parti :
Il peut sans se contraindre
Intenter quelque bon procès
Dont il retire encor les frais.
Quel homme est plus à craindre ?
pierrot
Air : Tous les bourgeois de Châtre
Tous les bourgeois du Maine
Ne seront pas pour vous.
Mon père vaut la peine
Qu’on balance entre nous.
De ces pays charmants,
On lui doit l’abondance.
Il conduit les gourmands
Au Mans.
Et transporte nos bons
Chapons
Aux quatre coins de France.
lucas
Air : Quand le péril est agréable
Du moins, autant qu’il est sévère,
Mon père, quand il veut, est bon.
Il peut en faveur d’un tendron
Prolonger une affaire.
pierrot
Air : Bouchez, Naïades, vos fontaines
Pendant une cruelle absence,
Vous n’avez point d’autre espérance,
Vous ne formez des vœux, amants !
Que pour le retour de mon père ;
S’il est le messager du Mans,
Il ne l’est pas moins de Cythère.
ensemble, ensemble
airopera
Non, non, rien n’est comparable,
Au destin glorieux
Du juge de ces lieux
D’un messager fameux
lucas
Air : C’est la pure vérité
Le nom de ton père est resté
Dans la noire obscurité.
pierrot
Ce n’est qu’une médisance !
Il est de ta connaissance ;
Et l’on n’a jamais douté
De l’auteur de ma naissance,
C’est la pure vérité.
Air : Vantez-vous en
Ma mère, avant son mariage,
Du messager reçut l’hommage.
Tout le monde sait cela.
Et me voilà,
Et me voilà.
lucas
La bonne maman est fort sage.
pierrot
Du messager, je suis l’enfant.
lucas
Vantez-vous en, vantez-vous en.
Votre mère le dit, est-ce assez pour le croire ?
pierrot
Air : Dormir est un temps perdu
Quoi ! vous en doutez encor ?
Je vous ferai taire !
lucas
Qu’ai-je prétendu ! par la mort !
Crains ma trop juste colère.
pierrot
Lucas, ne me fâchez pas ;
Ou bien, je vais de ce pas,
Tout conter à ma mère.
Scène xv
le fermier, hélène, pierrot
le fermier
Air : Attendez-moi sous l’orme
Au fond du cœur j’enrage.
De voir ton fils Pierrot,
Avant le mariage ;
Tu n’en avais dit mot.
hélène
N’ai-je pas été plus sage ?
Depuis...
le fermier
Mais, notre front,
Même avant le ménage
Reçoit le même affront.
Air : Fleuve d’Oubli
Songeons à notre noce,
Mes soins sont superflus.
De ce beau fruit précoce,
Femme, ne parlons plus.
Pour en perdre la mémoire,
À rasades avec lui,
Biribi
Je veux boire.
Air : Laire la, laire lan laire
Allons inviter le bailli.
pierrot
Vous ne pouvez entrer chez lui,
Son fils Lucas est en colère.
le fermier
Laire la... etc.
Le fermier frappe à la porte du bailli. Les procureurs sortent de l’audience et le battent en cadence.
Scène xvi
hélène, pierrot
pierrot
Air : Les rats
Quelle extravagance !
Ces gens sont-ils fous ?
Nous battre en cadence,
Le plaisant courroux !
Mais, je ne vois plus le beau père.
Devait-il redouter leurs coups ?
Vengeons, vengeons-nous.
Venez, secondez-moi, ma mère,
Vengeons, vengeons-nous.
hélène
Nous devons, ici, filer doux.
Air : Monsieur La Palice est mort
Tout s’oppose à ton bonheur.
pierrot
Je me ris de leur menace.
On attaque votre honneur,
Voilà, ce qui m’embarrasse.
Air : Patapan vive le régiment
Partagez l’affront,
J’en frémis de colère.
Partagez l’affront,
Qui fait rougir mon front.
Si j’eusse été prompt,
J’aurais au téméraire
Appris à se taire.
Mais je suis trop bon
Et même un peu poltron.
Air : Vaudeville
Le messager n’est point mon père,
Si l’on en croit le grand Lucas.
C’est vous qu’il insulte, ma mère.
Sauvez l’honneur de vos appas.
hélène
Air : Joconde
Va, mon fils, je saurai venger,
Mon honneur et ta gloire.
On en croira le messager,
Si l’on ne veut m’en croire.
Lui-même, il m’a cent fois promis
De s’avouer ton père.
pierrot
Tenir parole en ce pays,
N’est pas chose ordinaire.
hélène
Air : Joconde retourné
Va trouver ton père chez lui,
Il doit te reconnaître.
Tu lui ressemble, mais ici,
Je crois qu’il va paraître.
Fin de l’air : J’entends le moulin tiquetac
Car j’entends son fouet, clic, clac.
Car j’entends son fouet, claqueter.
pierrot
Suite de l’air : Joconde retourné
Pour le peu que je sois aimé
Du messager, mon père,
Je vais être légitimé !
Et Lucas va se taire.
Scène xvii
le messager, troupe de gens prêts à partir, pierrot
chœur
Air : Allons gai, d’un air gai
Déjà le jour s’avance,
Il nous faut déloger.
Partons en diligence,
Partons, grand messager.
Allons gai, d’un air gai, etc.
un manceau
Air : Le monde renversé
Chez un procureur à Paris,
Messager, conduisez mon fils.
Il y fera bientôt fortune,
Car sa science est peu commune ;
Et déjà pour son appétit
Le Mans se trouve trop petit.
le messager
Air : Mon petit doigt me l’a dit
C’est bien dit, mais par avance,
Morbleu ! payez sa dépense ;
Car je crains fort le procès.
Et pour prouver sa science,
Votre fils pourrait, je pense,
Me contester tous mes frais.
une mancelle
Air : Les triolets
J’ai des talents et des appas.
Je veux étendre leur domaine.
Le Mans ne me mérite pas,
J’ai des talents et des appas.
À Paris, je vais de ce pas ;
Et j’espère y briller sans peine.
J’ai des talents et des appas,
Je vais étendre leur domaine.
Air : Vivons, comme le voisin vit
Je vais entrer à l’Opéra.
Messager, quelle gloire !
Dans peu, sans doute l’on lira
Mon nom, et mon histoire.
le messager
Air : Y avance, y avance
Mais, mon fils vient me voir.
Messieurs, pour le bien recevoir,
Redoublez la réjouissance.
Y avance, [y avance, y avance,]
Viens nous tirer ta révérence.
pierrot
Air : Prévôt des marchands
Le messager m’a reconnu,
Pour cela seul j’étais venu.
Faut-il perdre mon étalage
Et rengainer mon compliment ?
Ce serait, ma foi, grand dommage,
Car le tour en est élégant.
Air : Des fraises
Expliquez-vous, entre nous,
Dois-je en croire ma mère
Ou mes ennemis jaloux ?
Bonnement, vous croyez-vous,
Mon père, mon père, mon père.
le messager
Air : Tu croyais, en aimant Colette
Quoique sur pareille matière,
Le plus fin, puisse se tromper,
Je veux bien croire que ta mère,
N’a jamais voulu me duper.
Air : Contre mon gré, je chéris l’eau
De nos amours tu fus le prix,
Je te reconnais pour mon fils.
Veux-tu des preuves plus palpables,
Quoique tu puisses demander,
Je jure par les cinq cents diables
Pierrot, je veux tout t’accorder.
pierrot
Air : Depuis que j’ai vu Lisette
Permettez qu’à votre place,
Je mène jusqu’à Paris
Votre coche...
le messager
Quelle audace !
Veux-tu te perdre, mon fils ?
pierrot
Dois-je manquer de courage
Étant votre fils ?
le messager
Corbleu !
Malgré ce beau parentage,
Tu veux jouer trop gros jeu.
Air : Et non, non, non, je n’en veux pas d’avantage
La plus effroyable ornière,
Jamais n’a pu m’ébranler.
Mais ton dessein téméraire
Aujourd’hui me fait trembler.
Veux-tu donc un autre gage
De ma tendresse, mon mignon ?
pierrot
Et, non, non, non.
Il m’en faut bien d’avantage.
le messager
Air : Vaudeville
Ta perte est inévitable.
pierrot
Je suis inébranlable.
C’est inutile. \ibis\ J’ai du cœur.
Je fais peut-être une sottise ;
Mais, que de gloire m’est acquise
Si j’en suis quitte \ibis\ pour la peur.
le messager
Air : N’oubliez pas votre houlette, Lisette
L’instant du départ de mon coche
Approche,
Réfléchissez, mon fils.
pierrot
Depuis longtemps je réfléchis.
Je ne crains que quelque anicroche.
le messager
L’instant du départ de mon coche
Approche,
Réfléchissez, mon fils.
pierrot
Air : Où est-il ! ce maudit buveur d’eau
Vous avez juré sur votre honneur,
Voudriez-vous passer pour menteur ?
le messager
Non, mais je suis tenté de me dédire
C’est un droit qu’ont acquis tous les manceaux.
pierrot
Bon, mon papa, fi donc, vous voulez rire ?
le messager
Allons, je vais atteler mes chevaux.
chœur
airvide
Tu vas mener notre diahé, notre diaho,
Notre voiture.
Le temps nous dure,
Allons, hé dia, hurio, marchez.
Scène xviii
pierrot, lucas
pierrot
Air : Rions de l’erreur extrême
Enfin, je retrouve un père,
Vous ne m’insulterez plus.
lucas
Ah ! ce coup me désespère !
pierrot
Tous vos cris sont superflus.
Pour terrasser l’imposture
Et braver mes ennemis,
Je vais mener la voiture
Du Maine jusqu’à Paris.
Scène xix
lucas seul
lucas
Air : Les pèlerins
Grand juge du haut et bas Maine,
Secours-moi.
Je n’ai dans l’excès de ma peine,
Recours qu’à toi.
Mon rival triomphe à mes yeux
De ma faiblesse.
Il me ravit tout en ces lieux,
Jusques à ma maîtresse.
Scène xx
lucas, louison
louison
Air : Nous ne voyons plus la ville dans notre faubourg
Que ne puis-je au moins me plaindre,
Pour me soulager.
Il faut encor me contraindre,
Et ne pas pleurer.
Le monde me croit contente,
D’avoir un mari.
Mais, je veux être constante,
Pour mon cher ami.
Scène xi
le fermier, hélène et les autres
hélène
Fin de l’air : Le trot
Jusqu’à Paris, mon fils.
chœur
Jusqu’à Paris, Pierrot
S’en va le trot, le trot,
L’entre pas, l’amble et même le galop.
hélène
Air : L’enflure
Mon fils l’emporte sur vous,
Il se trouve un père.
Vous êtes de trop chez nous,
Qu’y venez-vous faire ?
Qu’y venez-vous faire.
lucas
Air : Trois enfants gueux
Je reste ici jusqu’au dénouement
Et je n’ai pas perdu toute espérance.
Il peut encor arriver changement.
De votre fils, redoutez l’ignorance.
airvide
Pierrot agit en étourdi.
Le drôle, jusques aujourd’hui,
N’a conduit cheval de sa vie.
Pour moi, je suis instruit bien mieux.
Tel que vous me voyez, messieurs,
J’ai fait cinq ans d’Académie.
Scène xii
[louison, hélène, lucas, bailli, pierrot]
louison, et les acteurs ci-dessus
Air : Prends, mon Iris, prends ton verre
Changez vos chants d’allégresse,
Et commencez à gémir.
Le moment de la tristesse,
Suit le moment du plaisir.
Votre messager s’approche,
Pierrot chancelle, il accroche,
C’en est fait, il va périr !
Pierrot était infidèle ;
Mais, je ne puis le haïr,
Mon amour se renouvelle
Quand il est prêt à mourir.
hélène
Air : Il est chu dans la rivière
Ciel ! qu’allons-nous faire ?
Qui le tirera ?
lucas
C’est un téméraire
Qui s’en souviendra.
Il est chu dans une ornière.
Laire, lon, lan, la.
Il est chu dans une ornière.
Ah ! qu’il est bien là.
chœur
T’as l’pied dans le margouillis,
Tire t’en, Pierrot, si tu puis.
un habitant du mans, dans le coche
Air : Ô reguingué, ô lon, lan, la
Bailli, daignez me soulagerbis
Frappez, l’ignorant messager,
Vous n’avez rien à ménager.
Mais je sens que ma voix s’enroue,
Je suis étouffé par la boue.
le bailli, à sa fenêtre
Air : Je suis un bon soldat, titata
J’entends vos cris perçants,
Habitants.
Vous en aurez vengeance.
Je jurerai demain,
Au matin,
Le fait à l’audience.
pierrot, sur le cheval
Air : Vivons, comme le voisin vit
Serpédié, le vilain endroit !
Je ne sais trop que faire.
Appliquons un bon coup de fouet
Pour nous tirer d’affaire.
les versés, alternativement
Va, traître, tu nous le paiera !bis
Ah ! sans ce bon monsieur Lucas,
Nous étions restés dans l’ornière,
Sans dessus dessous,
Sans devant derrière.
lucas
Retournez vous sécher chez vous,
Sans devant derrière,
Sans dessus dessous.
Air : Menuet de Grandval
Après ce beau coup-là, j’espère
Que vous ne pensez plus à lui.
margot
Voulez-vous me donner, mon père,
Un maladroit pour mon mari ?
le bailli
Air : Mariez, mariez, mariez-moi
Un bon père ne doit pas,
Gêner le cœur de sa fille.
Souffrez que mon fils Lucas,
Entre dans votre famille.
Mariez, mariez-la.
le fermier
Aimerais-tu donc ce drille ?
le bailli
Mariez, mariez, mariez-la,
Fille, ne dis pas cela.
le fermier
Air : Bonsoir la compagnie
Margot, aimerais-tu ce gars ?
Parle, je l’ordonne !
margot
Excusez-moi, je n’osais pas...
le fermier
C’est assez, je te donne à Lucas.
C’est assez, je te donne.
louison, à Pierrot
Air : C’est une excuse
Malgré ton infidélité,
Je t’aime avec sincérité
Et sans chercher de ruse :
Va, ne sois plus ambitieux,
À l’amour borne tous tes vœux
Et je t’excuse.
le fermier
Air : Lampons, lampons
Enfin, voilà l’heureux temps
Où tous les cœurs sont contents ;
Allons qu’on se réjouisse !
Que toute plainte finisse ;
Dansons, chantons,
Camarades, dansons.
On danse.
Fin