Adrien-Joseph de Valois d’Orville
Le Quiproquo
Polichinelle Pyrame
1740
BnF ms. fr. 9313
Acteurs
Ninus
Zoraïde
Pyrame : Polichinelle
Thisbé
Zoroastre
Un médecin
Un chirurgien
Un apothicaire
Le Quiproquo
Scène 1
Zoraïde, Thisbé
Zoraïde
Air : Triolets
J’ai perdu le cœur de Ninus,
Rien ne saurait calmer ma crainte,
Le perfide ne m’aime plus,
J’ai perdu le cœur de Ninus.
Dans ses soins les plus assidus
Je m’aperçois de sa contrainte,
J’ai perdu le cœur de Ninus,
Par ce triolet vois ma plainte.
Thisbé
Air : Des fraises
À des regrets superflus
Il faut mettre une trêve.
Ma foi, l’aimer est abus.
Que fait près de vous Ninus ?
Il rêve, il rêve, il rêve.
Air :
On le voit soupirer sans cesse,
Timide, languissant ;
Il vous faut un amant
Vraiment de tout une autre espèce,
Vif et dans un aimable accord,
Qui réveille le chat qui dort.
Zoraïde
Air : J’en suis bien contente
Il a par un vertigo
L’humeur inconstante,
Il aime un objet nouveau,
Lamirtanplan lantirelarigot,
J’en suis mécontente,
Et très mécontente.
Thisbé
airvide
Quel trait jaloux
Vous déconforte,
Vous porte
À vous mettre en courroux ?
Faites voir des transports plus doux,
Car ils ont tous un air extrême.
Qui pensez-vous
Que Ninus aime ?
Zoraïde
Vous-même.
Thisbé
Vous vous moquez de nous.
Air : Trembleurs
Qui peut ébranler mon âme ?
Ne savez-vous pas, Madame,
Que mon amant est Pyrame ?
Ainsi point tant de micmac.
Zoraïde
La charmante conséquence !
Femme pleine de prudence
Doit toujours avoir, je pense,
Plus d’une corde à son arc.
Air : Bouchez, Naïades, [vos fontaines]
Je vois le roi, oui, c’est lui-même !
Pour lui cacher mon trouble extrême,
Je fuis.
Thisbé
Comment, à quel propos ?
Paraissons telles que nous sommes.
Doit-on fuir devant les héros ?
Hélas, ne sont-ils pas des hommes ?
Zoraïde
Air : Pouvoir
Non, leurs grandeurs ni leurs éclats
Ne m’effarouchent pas,bis
Mais de les retrouver ce soir
Je me fais un devoir.bis
Scène ii
Ninus, Pyrame
ninus
Air : Lon lan la derirette
Pyrame, tu reviens vainqueur,
Cela me fait beaucoup d’honneur,
Lon lan la derirette.
pyrame
Et moi, beaucoup d’honneur aussi,
Lon lan la deriri.
ninus
Air : Des fraises
J’ai fait trembler par mon bras
Tous les peuples ensemble,
J’affronte jusqu’au trépas,
Mais en fait d’amour, hélas,
Je tremble, je tremble, je tremble.
pyrame
Air : Péril
Eh quoi, l’aimable Zoraïde
Est-elle insensible à vos soins ?
ninus
Si Zoraïde m’aimait moins,
Je serais moins perfide.
Air : Oh, oh, tourelouribo
Un autre objet fait ma gloire.
pyrame
Oh, oh, tourelouribo !
ninus
Sied-il de ne pas me croire ?
pyrame
Oh, oh, tourelouribo !
ninus
L’amour en a la victoire.
pyrame
Oh, oh, tourelouribo !
ninus
Air : Je ne suis né ni roi, [ni prince]
J’aurais bien mieux fait mes affaires,
Mais mes parents étaient sévères.
Mon oncle n’étant plus vivant...
Écoutez bien mon origine :
La reine, ma bonne maman,
M’a toujours caché ma cousine.
pyrame
Air : Pouvoir
Pour un roi tel que vous, hélas,
Quel galimatias !bis
Faut-il donner dans le Phébé
Pour me nommer Thisbé ?bis
Air : Non, je ne ferai pas [ce qu’on veut que je fasse]
Zoroastre est puissant, redoutez sa colère,
Craignez un roi, seigneur, car ce roi est un père.
N’allez pas encourir l’exhérédation,
Connaissez mieux le prix de sa succession.
ninus
Air : La Ceinture
Que dis-tu ?
pyrame
Qu’est-ce que je dis ?
Ninus en héritage abonde,
L’héritier de Sémiramis
Est l’héritier de tout le monde.
ninus
Air : Tu croyais, en aimant [Colette]
Le peuple qu’un beau zèle guide
Présente une fête.
pyrame
Pourquoi ?
ninus
On dit qu’elle est pour Zoraïde,
Mais non, Pyrame, c’est pour toi.
Scène iii
Ninus, Pyrame, Chœur de Guerriers et de Peuples
ninus
Air : Pour faire honneur à la noce
Dans le héros que l’on couronne,
Honorez le sang de vos rois.
Chantez, célébrez ses exploits,
Ninus le veut, Ninus l’ordonne.
chœur
Même air
Dans le héros que l’on couronne,
Honorons le sang de nos rois.
Chantons, célébrons ses exploits,
Ninus le veut, Ninus l’ordonne.
Scène iv
Thisbé seule
Thisbé
Air : Les filles de Nanterre
Quand on est sur la scène
Seule comme je suis,
On doit parler de peine,
De plaisir ou d’ennuis.
Air : Prévôt [des marchands]
Un monologue serait beau,
Il faudrait le faire en rondeau.
Il faut pour cela que j’y pense,
Maintenant je n’ai pas le temps,
Je suis dans une impatience
Où je goûte d’heureux moments.
Scène v
Pyrame, Thisbé
Thisbé
Air : [Sept] sauts
Vous me ravissez l’âme,
Votre présence est ce qu’il me faut.
Il me prend un vertigo,
Faisons tous deux à gogo
Un saut, deux [sauts], trois [sauts],
[quatre sauts, cinq sauts, six sauts, sept sauts].
pyrame, triste
Air : Pendus
Hélas ! Mes sens sont trop émus.
Thisbé
Vous chantez sur l’air des pendus,
Seigneur, quand je parle de danse,
Quelle lugubre contenance !
pyrame
Hélas !
Thisbé
D’où naît votre embarras ?
pyrame
Hélas !
Thisbé
Hé bien ?
pyrame
Hélas !
Thisbé
Hélas !
pyrame
Air : Tarare ponpon
Pour ne pas en récits
Vous conter mon histoire,
J’ai gagné la victoire
Sur nos ennemis,
Et pour me satisfaire
D’avoir partout vaincu
Le roi voudrait me faire
Cocu.
Air : Belle Iris, vous avez deux pommes
Vous entendez bien qu’il vous aime,
Voilà le tout en quatre mots.
Thisbé
Ah, Pyrame, pour un héros,
Votre inquiétude est extrême,
À vous voir ces transports jaloux
On vous prendrait pour mon époux.
pyrame
Air : Je vous ai donné mon [cœur]
Vous m’avez donné
Votre cœur, Madame,
Je suis enchanté
De votre beauté.
Vous avez flatté
Le tendre Pyrame,
Mais du sort je crains
Des effets malins.
Air : Lon la
Que le trône offre des appas !
Thisbé
J’en méprise les vains éclats.
pyrame
J’ai de la défiance :
Un semblable roi n’a-t-il pas
Une grande puissance, lon la,
Une grande puissance ?
Thisbé
Air : Confiteor
Quelle est cette témérité ?
Vous tenez un plaisant langage !
Me taxer de légèreté,
C’est me faire un cruel outrage.
pyrame
Ninus de son pouvoir jaloux
Pourrait vous... Il vient, taisons-nous.
Scène vi
Ninus, Thisbé, Pyrame
ninus
Air : Routes du monde
L’Amour qui me guide en ces lieux
Me fait chercher dans vos beaux yeux
Le destin que je dois attendre.
Un roi maître de l’univers
Est un amant soumis et tendre
Qui vient vous demander des fers.
Thisbé
Air : La beauté
Pouvez-vous oublier d’une grande princesse
La beauté ?
Si, Seigneur, à Thisbé votre discours s’adresse,
La rareté !
En elle dites-nous ce qui vous intéresse ?
ninus
La curiosité.
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Amour, gloire, attraits, tout conspire
À justifier mon ardeur.
Partagez avec moi l’Empire
Et régnez seule dans mon cœur.
Thisbé
Air : Vous qui vous moquez [par vos ris]
Zoraïde attend cet honneur.
Quel sort serait le nôtre ?
ninus
Si je veux faire mon bonheur,
C’est en faisant le vôtre.
Thisbé
Faites le sien plutôt, Seigneur.
ninus
L’un n’empêche pas l’autre.
Air : C’est l’ouvrage d’un moment
Donner Zoraïde à Pyrame,
Dégager ainsi mon serment,
De lui, faire un roi tout-puissant
Et de Thisbé faire ma femme,
C’est l’ouvrage d’un moment.
ninus, à Pyrame
Air : [Pour faire honneur à la noce]
Vous méritez une couronne,
Je veux m’acquitter en ce jour,
Ninus le veut, Ninus l’ordonne.
pyrame
Air : Vous me l’avez dit
Rengainez ce compliment,
En ai-je affaire à présent ?
Ninus le veut et prétend,
Vous me l’avez dit, souvenez-vous-en.
Vous vous répétez souvent
Pour la rime seulement.
ninus
Air : Voilà mon verre
Vous dont j’aime la présence,
Peuple qui sautez bien haut,
Honorez par une danse
Ma puissance.
Thisbé va rire à gogo,
Çà, que chacun en cadence
Danse, danse,
Çà, qu’en cadence
L’on danse
Comme il faut.
Scène vii
Zoraïde, Ninus, Pyrame
ninus
Air : Halte-là
Paraissez, venez rendre hommage
Au charmant objet de mes vœux
Vous, qui dans ces beaux lieux
Vivez dans l’esclavage,
D’un opéra
Tout ci, tout ça
Bredi-breda
Présentez-moi la fête,
Allons, que l’on s’apprête.
Zoraïde
Halte-là !
pyrame
Air : Je suis un précepteur [d’amour]
Zoraïde vient à propos ;
De ce spectacle elle est surprise.
Laissons-les car dans leurs propos
Ils se diront quelques sottises.
Scène viii
Zoraïde, Ninus
Zoraïde
Air : Quand on a le cœur
À qui donc veut-on plaire ?
L’apprendrai-je de vous ?
Pourquoi faire un mystère
D’un spectacle si doux ?
ninus
Air : Talalerire
Mon embarras doit vous suffire.
Zoraïde
Expliquez-vous sans nul détour.
ninus
Ma foi, je ne sais que vous dire.
Zoraïde
Vous trahissez donc mon amour ?
ninus
Non, non, ce n’était que pour rire,
Talire talalerire.
Air : Dites, la belle, le voulez-vous
Je vais vous donner un époux,
Dites, la belle, le voulez-vous ?
Tous les deux, accommodons-nous :
Thisbé sera ma femme,
Dites, la belle, le voulez-vous ?
Et vous aurez Pyrame.
Zoraïde
Air : Ouiche, ouiche
Ta proposition, perfide,
Me prouve ton embarras.
Tu disposes de Zoraïde
Parce que tu ne l’aimes pas.
Ah, ah !
Pense-t-on par ce détour-là
Que l’on me triche ?
Ouiche, ouiche,
Eh oui-da !
Air : Le fameux Diogène
Mon père Zoroastre,
Comme ami de chaque astre
Qu’on voit au firmament,
Peut par une influence
Te montrer sa vengeance.
Tremble dans ce moment !
ninus
Air : Tu croyais, en aimant [Colette]
Bon, ce n’est qu’un vieux pédagogue.
Mon bras seul peut me soutenir,
Je suis un mauvais astrologue
Et je ne crains point l’avenir.
Zoraïde
Air : Si nous n’avons pas réussi
Ton destin te sera fatal
Puisque ton perfide cœur change,
Ninus, Pyrame est ton rival,
C’est ainsi que Thisbé me venge.
Scène ix
Ninus seul
ninus
Air : Ah, la drôle de chose
La plaisante nouvelle
Qu’on vient m’apprendre là !
Ah, d’un ami fidèle
Qui penserait cela ?
Dans sa rage cruelle
Mon cœur se vengera.
Scène 10
Zoraïde, Thisbé
Zoraïde
Air : Je laisse à la fortune
Zoraïde, Madame,
Vient de quitter le roi.
J’ai parlé de Pyrame
Et de vous et de moi.
Je crains votre présence,
Je sais mon imprudence,
Mais loin d’avoir mal fait,
J’en mérite un éloge,
À mon sexe on déroge
Quand on garde un secret.
Air : Pour un berger de ce hameau
Lorsque l’on se sent outrager,
On se laisse séduire
Par le doux plaisir de se venger,
Et, s’il faut vous le dire,
Mon malheur m’empêchait de songer,
Hélas, que j’allais vous nuire.
Thisbé
air, d’ Octobre
Quels transports ont été les vôtres
Pour découvrir notre lien !
Vous voyez qu’à perdre les autres,
Madame, l’on ne gagne rien.
Zoraïde
Air : Péril
Je vous quitte et je vais, Princesse,
Trouver Ninus et l’attendrir,
Et pour Pyrame découvrir...
Thisbé
Quoi ?
Zoraïde
Toute ma faiblesse.
Scène xi
Thisbé, Pyrame
Thisbé
Air : La beauté sauvage
Elle va répandre
En vain mille pleurs.
Le roi n’est pas tendre,
Voyant ses clameurs,
Il va d’abord
Dans son transport
Blâmer le zèle.
Ses tristes airs,
Ses pleurs amers
Et ses revers
Ne seront pour elle
Que des pas de clercs.
Air : Dormez roulette
Bonjour, Pyrame,
Le roi connaît notre amour.
pyrame
Je vois bien qu’il faut, Madame,
Nous séparer en ce jour.
Thisbé
Air : Admète, vous pleurez
Pourquoi nous séparer ?bis
Ah, seriez-vous perfide ?
C’est me désespérer.
L’empire, Zoraïde,
Pourrai[en]t-il[s] vous leurrer ?
pyrame
Air : C’est un pouce
Ma tendresse
Me ferait subir une autre loi ?
Ah, Princesse,
Vous manquez de foi,
Moi ?
Non, ma colère
Me rendra sanguinaire.
Oui, Ninus dès demain
D’un coup de ma main
Perdra la vie,
Je vous le certifie.
Thisbé
Ah, que me dites-vous là ?
Quoi, vous feriez cela !
Non, non, non, non, nany.
pyrame
Madame, si, si.
Air : [Je suis un bon soldat, titata]
Je suis un bon soldat,
Titata,
Mon courage est extrême.
Je puis faire un grand coup,
Tout à coup,
Quand c’est pour ce que j’aime.
Thisbé
Air : Julien constant
Arrêtez, calmez ma frayeur,
Pour moi soyez sensible.
pyrame
Du Prince je connais le cœur,
C’est un cœur inflexible.
Thisbé
Quand il verra de mes refus
Une preuve bien grande,
Que pourra me faire Ninus ?
pyrame
Est-c’que ça se demande ?
Air : Que j’estime, mon cher voisin
Il peut dans son transport jaloux
Vous marquer sa colère.
Thisbé
Je crains moins pour moi que pour vous
Puisque j’ai su lui plaire.
pyrame
Air : Lon lan la deriri
Mon tendre cœur vous aime bien ;
Ninus, ce grand Assyrien,
Lon lan la derirette,
En a-t-il un comme le mien...
Thisbé
Air : Capucin
Ah, j’en sens trop la différence !
Je ne mets point dans la balance
Mon cher Pyrame avec Ninus,
Un cœur constant avec un trône.
Non, non, j’estime beaucoup plus
Un bon amant qu’une couronne.
ensemble, ensemble
Air : Amusons toujours nos désirs
Dieux, quels maux ! Dieux, que de rigueurs
Sur Pyrame et Thisbé votre haine rassemble !
Pleurons, pleurons, pleurons ensemble,
C’est l’unique plaisir qui reste à nos deux cœurs.
pyrame
Air : Voici les dragons [qui viennent]
À Cérès les mitrons viennent
Présenter leurs vœux.
Ses faveurs leur appartiennent,
C’est par eux qu’elles nous viennent,
Voyons leurs jeux.
Scène xii
Zoraïde, Thisbé, Pyrame
pyrame
Air : Joconde
Zoraïde à propos de rien
Vient en ces lieux paraître.
Zoraïde
Vous vous trompez, je sais fort bien
Qu’une fête champêtre
Va se donner en ces cantons
Pour la grande déesse,
Et quand j’entends des violons,
De moi suis-je maîtresse ?
Thisbé
Air : Ma mère était bien obligeante
Déesse qu’ici l’on encense,
Regarde-nous du haut des cieux :
Le zèle et la reconnaissance
T’offrent des trésors précieux.
Déesse etc.
chœur
Déesse etc.
Une Mitrone
Air : J’aime mon mitron
Qu’Amour
En ce séjour
Vienne dans ces lieux
Nous rendre heureux.
Attendons ses feux
Et ses conquêtes,
Il peut seul pour combler nos vœux
Animer nos fêtes
Et nos jeux.
Que le doux mystère
Ajoute un prix à nos plaisirs !
Heureux qui sait les taire,
Qui se restreint à ses soupirs !
Près d’une aimable bergère
N’est-on pas content de plaire ?
Qui forme d’autres désirs
Ne sait point user de ses loisirs.
Amours,
Vos secours
Font nos beaux jours.
chœur
Air : Vendôme
Sauvons-nous !bis
pyrame
Qu’est-ce qui vous poursuit tous ?
chœur
Un monstre !bis
Scène xiii
Zoroastre, Zoraïde
zoroastre
Air : Non, je ne ferai pas [ce qu’on veut que je fasse]
Arrête, Zoraïde, et reconnais ton père,
Je viens pour te venger d’un prince téméraire.
Déjà par son ravage un monstre furieux
Va porter l’épouvante et la mort en ces lieux.
Air : Quand je suis dans mon corps de [garde]
De ce séjour doux et paisible
Tu verras les tristes débris.
J’ai tiré ce trio terrible
De la Faculté de Paris.
Air : Ma mie Margot
Chirurgien et médecin, apothicaire ensemble,
Par moi conduits exprès,
Font déjà de si grands progrès
Que jusqu’au roi tout tremble.
Air : Joconde
Depuis longtemps ils sont connus
Pour assassins illustres.
À pied ces messieurs ne vont plus
Depuis plus de six lustres.
On ne les reçoit qu’en tremblant,
Ils se sont fait connaître,
Et leurs coups d’essai, mon enfant,
Furent des coups de maître.
Zoraïde
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Sitôt qu’entre leurs mains périssent
Caissiers, milords et maltôtiers,
Qui sont ceux qui les enrichissent ?
zoroastre
Ce sont de pauvres héritiers.
airvide
Oui, Zoraïde,
Renonce à l’amour,
Que dans ce jour
Ton devoir seul te guide.
Oui, Zoraïde,
Renonce à l’amour,
Quitte un perfide,
Fuis de ce séjour.
Zoraïde
En me vengeant vous allez me punir ;
Quoique inconstant, ma tendresse m’est chère.
Ah, mon cher père,
Laissez-vous fléchir.
zoroastre
Non, non, n’espère pas de m’attendrir.
airvide
Les vivants qui sont ici,
Je le dis,
Pour nuire
Dans ce canton,
Tout de bon,
Vont conduire
Le patron
À Pluton.
Air : Sens dessus dessous
Le médecin ordonnera,
Le chirurgien saignera
Et l’on verra l’apothicaire
Sens dessus dessous,
Sens devant derrière,
Qui d’un jet va les mettre tous
Sens devant derrière,
Sens dessus dessous.
Scène 14
Thisbé
Thisbé
air, d’ Octobre
Pour rendre cette scène exacte
Et pour ne point embarrasser,
Nous passons les trois quarts d’un acte
Puisque l’on peut bien s’en passer.
Air : La faridondaine
Pyrame est à la chaîne,
Aurait-on cru cela ?
Le roi le retient là,
Son cœur jaloux l’entraîne,
Faridondaine,
Lon lan la,
Et puisqu’il fait ma peine,
Faridondaine,
Il me le payera.
airvide
Zoroastre est tout-puissant,
Il peut en un moment
Par un grand enchantement
Briser les fers de mon amant.
J’attends maintenant
Cet événement,
Zoraïde ira
À son papa,
Le suppliera,
Le séduira,
Le touchera,
L’attendrira,
Puis obtiendra
Ce bonheur-là.
Que vois-je déjà ?
Oui-da,
C’est lui, le voilà !
Scène xv
Pyrame, Thisbé
pyrame
Air : Ah, Philis, [je vous vois,] je vous aime
Quoi, c’est vous !
Thisbé
Quoi, c’est vous !
pyrame
C’est moi-même.
Quel bien suprême pour un tendre amant,
Rien ne me paraît plus charmant,
Vous m’aimez !
Je vous vois, je vous veux, je vous aimerai tant.
Célébrons notre tendresse extrême
Par un duo dit amoureusement.
ensemble, ensemble
Air : Laissons-nous charmer [du plaisir d’aimer]
Pour toi, mon trognon,
Mon joli tendron,
Je vais sans balancer
Maintenant dresser,
Dresser promptement
Le contrat charmant
Qui nous liant tous deux
Va nous rendre heureux.
Quand on tarde,
On hasarde
Souvent des revers cuisants.
La tendresse
Qui me presse
Trouble tous mes sens.
Quels transports je sens !
Pour toi etc.
pyrame
Air : Bostangis
Dans mon sombre cachot,
Retenu comme un sot,
Je n’osais pas sonner le mot.
Le coquin de geôlier,
Aussi brusque qu’un maltôtier,
De fers sut me lier.
Ainsi qu’un malotru
Sur la paille étendu,
Ma foi, j’étais perdu.
Zoroastre par sa puissance
M’a secouru,
Puis un monstre brutal
Fait ici bacchanal.
C’est tomber de fièvre, je pense,
Dans un chaud mal.
Air : Il faut que je file
Loin d’avoir le vent en poupe,
Contre moi tout conspirait ;
De ces coquins une troupe
En me regardant disait :
Qu’on lui coupe, coupe, coupe
Qu’on lui coupe le sifflet.
chœur, derrière le théâtre
Air : Le vin, le vin, le vin
À nous, à nous, à nous, à nous !
Quel horreur ! Quel ravage !
Quel orage
De coups !
On nous saccage
Tous !
pyrame
Voilà ce monstre furieux
Qui fait tout périr en ces lieux.
Scène xvi
Pyrame, Thisbé, Un Médecin, Un Chirurgien, [Un Apothicaire]
Le Médecin
Air : Trembleurs
Que l’on tremble, qu’on frémisse,
Qu’en ces lieux chacun périsse
Et que tout s’anéantisse
Par mon ordre souverain.
pyrame
Garde plutôt le silence,
Crains que mon impatience
Ne t’envoie où ta science
Envoie tout le genre humain.
Le Médecin
Air : Le trot
Voici tous les tombeaux
Construits à notre gloire.
Nous donnons le repos,
Nous donnons la mémoire,
Nous vous menons le trot, le trot,
Rarement l’amble et souvent le galop.
Air : Joconde
Ici gît Bajazet premier,
Là, Mahomet deuxième,
Dans ce coin, pour l’humilier,
Est Zulema troisième ;
Ce dernier a trop rebuté
Ceux qui l’ont voulu suivre,
Hélas, le pauvre enfant gâté,
Il n’a jamais su vivre.
Air : Quel plaisir de voir Claudine
Dardanus par son tapage
A fait fuir le spectateur.
L’écueil de ce grand ouvrage
Est le tombeau de l’auteur.
pyrame
Air : Péril
Quelle est cette structure antique,
Ce tombeau dont je suis frappé ?
Le Médecin
Le monument anticipé
De l’Opéra-comique.
pyrame
Air : Hé bien
Vous mettrez ce spectacle-là
Et les actrices à quia :
Elles se réjouissent...
Le Médecin
Hé bien ?
pyrame
Et dans vos mains périssent,
Vous m’entendez bien.
Air : Ah, vous avez bon air
Coquins que je déteste,
À fuir d’ici soyez preste
Ou ce bras-là, malepeste,
Va rompre vos os.
Le Médecin
À mon secours, confrère !
À moi, brave apothicaire !
Vite sur ce téméraire
Lançons tous les maux.
Scène xvii
Pyrame, Thisbé
pyrame
Air : Des fraises
J’ai vaincu ces trois dragons,
Cette peste effroyable ;
Tout est calme en ces cantons,
J’ai fait aller les démons
Au diable, au diable, au diable.
Air : Menuet
Pourquoi Thisbé dans cet asile
N’attend-elle pas son vainqueur ?
Elle aura fui, la pauvre fille,
On ne guérit point de la peur.
Air : Quand le roi partit
Mais par quel revers funeste
Son voile est-il resté là ?
Malheureux, il ne me reste
De la belle que cela.
Air : Toque mon tambourin
Lorsque je renverse
Un fieffé coquin,
Le sort me traverse.
Thisbé, quel destin !
Moi, je te perce, perce,
Je te perce le sein.
Air : Je ne suis pas si diable
Dans ma douleur mortelle
Recourons au trépas.
Montrons tout notre zèle
À ses défunts appas.
Il faut que je retarde,
Pour faire ce beau coup,
Il me faudrait un garde,
Un garde-fou.
Thisbé
Air : [La jeune Isabelle]
Pour calmer ton âme,
J’arrive assez tôt.
Mon voile, Pyrame,
Fait un quiproquo.
Et si je retarde,
J’aurais beau tonner,
C’est de la moutarde
Après le dîner.
Air : Volez, plaisirs, volez
Du nœud du mariage
Faisons un doux usage,
Ce parti vaut bien mieux
Que de mourir tous deux.
L’on vient au grand galop
Trop
Tôt
Mais en hymen point de retard,
Car
Tard
Du seigneur le droit
Se reçoit.
Air : Prévôt [des marchands]
Que par un divertissement
Cet acte finisse gaiement.
Par une semblable alliance
L’opéra devrait terminer.
Partout où l’on chante, où l’on danse,
On ne doit point faire pleurer.
divertissement
Tous les ans on voit la nature
Varier dans tous les climats,
Sans fleurs, sans fruits et sans verdure,
Ne se couvrir que de frimas ;
Mais elle ne perd sa parure
Que pour avoir au printemps plus d’appas.
Tout change pour jouir d’une douceur plus pure,
Les hommes seuls ne changent pas.
vaudeville
1
On n’achète point la naissance,
L’honneur, la vertu, la science,
L’esprit, la gloire et les talents ;
En vain dans un degré suprême
On montre des dehors brillants :
On est toujours le même.
2
Dans ses dépenses, le prodigue
Ne sachant point mettre [de – digue,
Se voit bientôt réduit à rien ;
Que dans son indigence extrême
Il retrouve encor plus de bien
Il est toujours le même.
3
Lisimon, veuf d’une coquette,
De la prude Iris fait emplette,
Et croit seul partager son feu ;
Il se trompe dans son système,
La prude cache mieux son jeu :
Il est toujours le même.
4
Par une amoureuse aventure,
Un commis d’aimable figure,
Chez les traitants sait se pousser ;
Il a beau savoir son barème,
Il a beau nous éclabousser :
Il est toujours le même.
5
Un fourbe auprès de sa maîtresse,
Pour la surprendre avec adresse,
Emprunte des dehors flatteurs ;
De cet amant voici l’emblème :
Le serpent caché sous les fleurs
N’en est pas moins le même.
6
En vain, par une grosse somme,
On veut forcer un honnête homme
À commettre une lâcheté ;
La vertu seule est ce qu’il aime
Et fût-il dans l’adversité,
Il est toujours le même.
7
Avec une exacte mesure
Le public approuve et censure,
Il est judicieux en tout ;
En vain, par un clinquant extrême,
On voudrait surprendre son goût :
Il est toujours le même.
Fin