Pierre-François Biancolelli, Jean-Antoine Romagnesi
Arlequin Bellérophon
Parodie
Représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi
le 7 mai 1728
Les Parodies du nouveau Théâtre-Italien, Briasson, 1738
Acteurs
Stenobée
Philonoé
Le Roi
Bellérophon
Amisodar
Le sacrificateur
Des ministres
La pythie
Apollon
Un poète
Sorciers
Chœur de peuples
Deux amazones
Arlequin Bellérophon
Scène i
philonoé, deux amazones
Le théâtre représente un jardin.
philonoé
Air : Le plaisir passe la peine
Amour, lorsque sous ton empire,
Sans espérance un cœur soupire,
La peine passe le plaisir.
Mais malgré le poids de ta chaîne
Lorsque l’hymen peut l’adoucir
Le plaisir passe la peine.
deuxième amazone
Palsambleu ! la Princesse a raison, elle parle en connaisseuse.
première amazone
Air : Digue diguedon
Un heureux penchant vous entraîne,
Bellérophon est tout charmant.
philonoé
Il dit qu’il m’aime tendrement.
première amazone
Parbleu ! vous valez bien la peine,
Diguedi guedon, diguedon dondaine,
Que l’on vous le dise souvent.
philonoé
Nous avons été bien traversés, mais grâce au ciel, nous touchons au moment d’être heureux.
première amazone
Air : Quand je tiens de ce jus d’Octobre
Il faut que d’amoureuses chaînes
Coutent toujours quelques soupirs.
Quand les amants n’ont point de peine,
Ils n’ont jamais de vrais plaisirs.
philonoé
L’aimable petit homme que Bellérophon ! n’ai-je pas raison, Mesdames les amazones ? Il est si brave.
première amazone
Têtebleu ! c’est un grivois des plus déterminés : quel abatteur de quilles !
deuxième amazone
J’ai bien vu des hommes en ma vie, mais jamais un comme lui.
première amazone
Il faut assurément qu’il ait une rude force, puisqu’il nous a vaincues. Jugez ce que doit être une femme armée de pied-en-cap, lorsqu’elle est si redoutable en pet-en-l’air.
philonoé
Je crois, Mesdames, qu’il serait à propos que vous chantassiez sa gloire.
première amazone
Cela serait nouveau, des captifs chanter la gloire de leur vainqueur.
deuxième amazone
Fi donc, cela ne serait pas à sa place.
philonoé
Pardonnez-moi, il faut bien que des femmes s’amusent.
première amazone
Allons donc, chantons ses exploits pour la rareté du fait.
Air : Menuet de Grandval
Sa brûlante ardeur pour la gloire
En lui ne peut se modérer.
deuxième amazone
Avec ce gaillard la victoire
N’a pas le temps de respirer.
Voilà ce qui s’appelle une gasconnade lyrique.
Scène ii
bellérophon, philonoé
bellérophon
Ah ! vous voilà, Princesse, que je suis content !
Air : Zon, zon
Au gré de mon désir
On couronne ma flamme,
Sentez-vous le plaisir
Qui chatouille mon âme ?
Et zon, zon, zon,
Le sentez-vous, Madame ?
Et zon, zon, zon.
philonoé
Oh ! je vous en réponds.
Air : Pour la Baronne
Comme vos peines
Causaient autrefois mes soupirs,
Liés tous deux des mêmes chaînes,
Je dois partager vos plaisirs
Comme vos peines.
bellérophon
Air : Tu croyais en aimant Colette
Ah ! qu’un si doux aveu me touche !
Qu’il rend mon destin glorieux !
philonoé
S’il ne me sortait de la bouche,
Il m’échapperait par les yeux.
tous deux, ensemble
Air : Il faut que je file, file
Qu’ici notre amour extrême
Chante comme à l’Opéra.
Nous pouvons agir de même
Qu’on agit en ce lieu-là.
Et nous dire sans emblème
Je vous aime, et cætera,
Je vous aime, je vous aime,
Le beau duo que voilà !
philonoé
Adieu mon petit bonhomme, aimez-moi toujours, et vous ne vous en repentirez pas.
bellérophon
Où allez-vous donc, ma poulette ? Quoi ! vous m’abandonnez dans le moment le plus tendre ? Cela n’est pas bien, vous trichez.
philonoé
Mon devoir m’appelle auprès de mon père. Voici la Reine qui vient, je vous laisse avec elle.
bellérophon
Que diable vient-elle faire ici ? Je m’en vais lui dire que je n’y suis pas.
Scène iii
stenobée, bellérophon
stenobée
Air : Le fameux Diogène
Quand cesseras-tu ta haine ?
Ma préférence te gène,
Et je m’en aperçois.
bellérophon
Quel aspect effroyable !
Oui, je crois voir le diable
Lorsque je vous revois.
Je suis sincère, comme vous voyez. Que me demandez-vous ? Vous m’avez fait bannir d’Argos, et vous venez me relancer jusqu’en ces lieux. De grâce, laissez-moi en repos.
stenobée
Air : La ceinture
Je sais les maux que je t’ai faits,
Mais malgré ma rigueur extrême,
Ne me dis plus que je te hais,
Ou reproche-moi que je t’aime.
bellérophon
Que veut dire ce jeu de mots-là ? Le diable m’emporte si j’y entends rien.
Air : Laire la, laire lan laire
Par la rage et par les fureurs
L’amour prouve-t-il ses ardeurs ?
Est-ce ainsique l’on doit le faire ?
Laire la,
Laire lan laire,
Laire la,
Laire lan la.
stenobée
Je t’avouerai, mon cher Bellérophon, qu’une extrême pudeur m’empêcha d’écouter ma tendresse.
bellérophon
Têtebleu, le temps vous a bien aguerrie ! Vous avez secoué le joug des préjugés, à ce que je vois ! Allons, allons, songez qu’il ne convient pas à une Dame de faire les avances, adieu.
stenobée
Quoi, tu me quittes !
bellérophon
Oh ! si vous ne me laissez, j’appellerai du monde à mon secours.
stenobée
Arrête, cruel.
bellérophon, en s’en allant
Air :
Vous y perdez vos pas, Nicolas.
Scène iv
stenobée seule
stenobée
Air : Je ne suis né ni roi, ni prince
Tu me quittes, barbare ! arrête !
Mais, par ma foi, je suis bien bête
D’aimer un traître qui me fuit.
Telle est notre ardeur imprudente,
L’amour trop heureux s’affaiblit,
Et l’amour malheureux s’augmente.
Mais voici Amisodar qui vient fort à propos.
Scène v
amisodar, stenobée
stenobée
Air : Jeanneton m’aimez-vous
Amisodar, m’aimez-vous ?
amisodar
Voyez quel conte.
stenobée
Servirez-vous mon courroux ?
amisodar
ma main est prompte.
stenobée
Je puis donc compter sur vous ?
amisodar
Quel chien de conte.
Air : Vous avez en moi ce qui s’appelle
Ah ! du moins, ne doutez pas, cruelle,
De mes feux et de votre pouvoir,
Vous avez en moi ce qui s’appelle
Un amant qui vous aime, il faut voir.
stenobée
Air : Robin turelure
L’insolent Bellérophon,
M’a fait un horrible injure,
Loin de m’en faire raison
Turelure,
Le Roi la sait et l’endure,
Robin turelure.
Air : Réjouissez-vous bons français
Lui-même au lieu de le punir,
Avec sa fille il va l’unir.
Troublons l’hymen qui se prépare
Par une vengeance barbare.
amisodar
J’y consens.
Air : Les Trembleurs
Mon pouvoir que rien n’égale
Peut de la nuit infernale
Évoquer la mort fatale,
Et la répandre en ces lieux.
Je puis, armé du tonnerre,
Aux mortels livrer la guerre,
Et désoler cette terre
Par un monstre furieux.
stenobée
Non, non, point de tonnerre, le monstre me divertira davantage.
amisodar
Que dites-vous, Madame ?
Air : C’est le bout du bras
Pour vous ce spectacle est effrayant.
stenobée
N’importe, n’importe.
Que de la terre à l’instant
Le monstre sorte, le monstre sorte.
amisodar
Madame, éloignez-vous,
Je vais servir votre courroux.
Scène vi
amisodar
Que ce jardin se change en un sabbat affreux.
Le jardin disparaît, et l’on voit en sa place une caverne affreuse et un gros chat au milieu du théâtre.
amisodar
Air : Quel plaisir d’aimer sans contrainte
Accourez sorciers et sorcières,
Joignez à mon art vos noirs mystères,
Et surtout mettez de la partie
Les diables de Basse-Normandie
Scène vii
amisodar, les sorciers et les sorcières paraissent au son de la symphonie
sorciers et sorcières, ensemble
Parle, nous voilà prêts, tout nous sera possible.
amisodar
Allons mes enfants, il s’agit d’un coup de maître. Il faut faire sortir des enfers un monstre qui fasse ici le diable à quatre.
Les sorciers se jettent par terre pour l’évocation.
definitacteur, chœur de sorciers chœurdesorciers
chœurdesorciers
Air : Ramplan
Par ce commandement,
Ramplan,
Par ce commandement
Que le Ténare s’ouvre,
Ramplan, pataplan,
Ramplan, promptement,
Que l’enfer se découvre
Dans ce même moment,
Ramplan.
amisodar
Poursuivez mes amis, cela va à merveilles. Il faut avouer que voilà un beau spectacle !
Air : Je reviendrai demain au soir
Faites sentir votre pouvoir
Au ténébreux manoir.bis
Pressez, appelez à grand bruit,
Et la mort et la nuit.bis
Les sorciers se rejettent encore contre terre.
amisodar
Que les peuples de cette contrée éprouvent nos fureurs, quoiqu’ils ne nous aient rien fait.
chœurdesorciers
Air : Passant sur le Pont-Neuf
Noires filles du Styx, Hécate, Erèbe, Averne,
Nuit, Mort, chiens des enfers que la fureur gouverne,
Que l’on travaille
À désoler cette canaille,
Entendez nos clameurs, c’est pour vous que l’on braille.
amisodar
Air : Nanon dormait
Le charme est fait, remercions Hécate.
Ah ! les voilà !
Il sort des enfers un procureur, un médecin, et un maltôtier\definition Maltôtier Il se dit par abus de ceux qui recueillent toute sorte de nouvelles impositions Acad. 1762.
Qui sont ces monstres-là ?
Un procureur, un suivant d’Hippocrate,
Avec un maltôtier.
Messieurs, vous savez bien votre métier.
Voilà ce qui s’appelle trois monstres bien complets. Quel ravage cela va faire ! Messieurs, si vous dansiez pour vous réjouir d’avoir fait une si belle besogne... Mais non, il me vient une meilleure pensée, attendez.
Air : Les feuillantines
Pour mettre Prince, et bourgeois
Aux abois,
N’en formons qu’un de ces trois.
Aux enfers faisons le pacte,
Cela vient à propos pour finir l’acte.
Air : Mon père je viens devant vous
Allons, ne perdons point de temps,
Aux enfers descendons ensemble,
Il faut des charmes plus puissants
Pour faire qu’un corps les rassemble.
un sorcier
Pour assouvir votre fureur,
C’était assez du procureur.
amisodar
Ah ! Vous faites tort au mérite de ces Messieurs, chacun vaut son prix. Mais ce sera bien autre chose quand ils seront réunis : Ah ! Vous faites tort au mérite de ces Messieurs, chacun vaut son prix. Mais ce sera bien autre chose quand ils seront réunis : \emph Virtus unita fortior Cette citation latine signifie : \og L’union fait la force\fg \JC..
Air : Je ne suis né ni roi, ni prince
Par ce redoutable assemblage
Je puis mieux signaler ma rage.
On voudra l’éviter en vain.
Si de leur essence subtile,
Je puis ne faire qu’un venin,
Tout antidote est inutile.
Ils abîment. Le monstre aussitôt sort des enfers et traverse le théâtre au son de la symphonie.
Scène viii
le Roy, stenobée
le roi
Air : Trois voleurs insolents
Un monstre bien méchant
S’en va tout dévorant
Dans les champs, dans la ville.
Et quoique je sois Roi,
Je crains aussi pour moi
Sa fureur incivile.
stenobée
Voilà ce que c’est que de donner asile à des coupables, ils nous attirent toujours quelque malheur. Mais après tout, Seigneur, vous devez vous rassurer.
le roi
Comment me rassurer lorsque cet animal furieux fait ici tant de ravage ?
stenobée
Air : Lanturlu
De ce monstre horrible
Que craignez-vous donc ?
Rien n’est impossible
`A Bellérophon.
Son bras invincible
L’aura bientôt abattu,
Lanturlu, lanturlu, lanturlu.
Elle sort.
Scène ix
bellérophon, le roi
bellérophon
Ah ! ah ! vous voilà beau-père, vous allez apparemment consulter l’oracle d’Apollon.
le roi
Air : Joconde
Vous savez que de mes états
C’est le dieu tutélaire,
Et lui seul dans cet embarras
Peut me tirer d’affaire.
bellérophon
Et que peut sa protection ?
Insensé que vous êtes,
Ne savez-vous pas qu’Apollon
Est le dieu des poètes ?
Ma foi, il ne peut pas vous rendre de grands services. Mais, laissez-moi faire, je vais combattre le monstre, moi.
le roi
Que dites-vous là ? Vous n’y pensez pas.
bellérophon
Pardonnez-moi.
Air : La Serrure
Lorsqu’à sa fureur meurtrière
Tous vos sujets sont exposés,
À votre avis, mon cher beau-père,
Resterai-je les bras croisés ?
le roi
Savez-vous bien, Seigneur Bellérophon, que ce monstre-la en vaut trois pour le moins ?
bellérophon
Malepeste ! Trois contre un, la partie n’est point égale. De quoi s’avise cet animal d’être triple ? Mais n’importe, je veux en effrayer.
Air : Réjouissez-vous bons français
Ma foi ce serait un beau coup,
Si j’en pouvais venir à bout.
On écrirait mon aventure
Dans la Gazette et le Mercure.
Scène x
philonoé, les susdits
philonoé
Air : Or écoutez petits et grands
Je viens partager vos douleurs,
À vos larmes joindre mes pleurs.
le roi
Contre le monstre qui les cause,
Bellérophon court, et s’expose,
Y consens-tu, ma fille ?
philonoé
Hélas !
Vous même n’y consentez pas.
Air : Ma raison s’en va bon train
Tout prêt d’être mon époux,
Quoi, vous exposeriez-vous ?
Non, demeurez-là.
bellérophon
Il succombera,
Vous verrez sa défaite.
Ah ! sans ce chien de monstre-là,
L’affaire serait faite, lon la,
L’affaire serait faite.
le roi
Le temple s’ouvre, entrons.
Scène xi
le sacrificateur, les ministres dansants, deux prêtresses, le roi, les susdits
Le théâtre représente le temple d’Apollon.
definitacteur, chœur du peuple chœurdupeuple
chœurdupeuple
Air : Ah Madame Anroux
Ah ! grand Apollon
Délivre-nous donc
D’une affreuse bête,
Par ton divin nom,
De plus par la tête
Du serpent Python.
le sacrificateur, devant un petit autel où l’on allume le feu sacré
Air : Quand on a prononcé ce malheureux oui
Reçois, grand Apollon, reçois ce sacrifice,
Fais qu’à nos justes vœux le destin soit propice.
Où est l’animal ?
bellérophon
Le voilà.
On amène un bœuf, le sacrificateur verse du vin sur sa tête.
bellérophon
Comment donc, c’est du Bourgogne ! Monsieur le sacrificateur, ne versez pas tout s’il vous plaît, gardez-en pour moi.
le sacrificateur
Air : Au son de cet instrument
Puisse ce vin répandu
Faire cesser notre tristesse.
bellérophon, à part
Hélas ! si nous l’avions bu
Nous serions tous dans l’allégresse.
le sacrificateur
Mes enfants, allons,
Courons, volons,
Vite immolons
Le bœuf.
bellérophon
Puis nous le mangerons.
Un ministre apporte le cœur.
le sacrificateur
Cela va bien, mes enfants, ah ! le beau cœur.
bellérophon
Il sera bien meilleur sur le gril.
le sacrificateur
Peuples, réjouissez-vous, et dansez autour du feu.
bellérophon
Oui, oui, c’est bien dit, je vais mener le branle.
Il chante et danse en rond.
Air : Et lon lan la ma tourelourirette
La servante de chez nous
A fait faire une jaquette,
Et lon lan la ma tourelourirette
Trop courte par les genoux
Et lon lan la ma tourelouriroux.
le sacrificateur
Grand Apollon, nous n’attendons plus que votre réponse.
la pythie, paraît
Air : Pierre Bagnolet
Je n’étais pas fort nécessaire
Pour vous annoncer Apollon,
Mais dans une importante affaire
Il faut toujours du carillon,
Du carillon, du carillon.
Eh bien ! on va vous satisfaire,
Et tonner sur un joli ton.
Phœbus va parler, que le théâtre s’obscurcisse, et représente la nuit.
Le tonnerre gronde, le théâtre s’obscurcit.
bellérophon
Air : Quand la bergère vient des champs
Quoi ! nous faire voir dans un four
Le dieu du jour !
Ah le beau tour !
Nous ne souffrirons point cela.
Cette sottise
N’était permise
Qu’à l’Opéra\footnote Le théâtre en cet endroit s’obscurcit à l’Opéra, et le couplet de Bellérophon en est la critique..
apollon
Air : Flon, flon
Un des fils de Neptune
Apaisera, dit-on,
La céleste rancune.
Mais il lui faut Fanchon.
Flon, flon,
[Larira dondaine,]
[Flon, flon,]
[Larira dondon.]
le roi
Air : Zon, zon
Je suis tout confondu...
Comme vous j’en soupire,
Vous avez entendu...
Je ne lui fais pas dire.
Il s’en va.
bellérophon
Et bon, bon, bon,
Moi, je n’en fais que rire,
Et bon, bon, bon,
Quelle est cette Fanchon ?
philonoé
Hélas ! C’est moi, c’est le nom que je portais étant petite fille.
bellérophon
C’est bien le diable ! Morbleu, voilà un oracle qui me chiffonne malheur.
Air : Rossignolet du vert boccage
Quoi ! je vous perds ma Fanchonnette !
Fatal revers.
philonoé
Bellérophon, je le répète,
Quoi, je vous perds !
bellérophon
Voilà, je vous l’avoue, un fort vilain contretemps. Nous étions justement formés l’un pour l’autre, et nous aurions fait le plus joli couple du monde. Mais, ma mignonne, croyez-moi, malgré tout cela...
philonoé
Non, mon fils, n’y pensons plus.
bellérophon
Comment n’y pensons plus ? Cela vous est bien aisé à dire !
philonoé
Il le faut bien, puisque l’oracle s’oppose à notre hymen.
bellérophon
Qu’est-ce que cela fait ? C’est peut-être un bien pour nous que de ne nous pas marier, nous nous en aimerons plus longtemps.
Air : Car mon cœur n’est point partagé
Apollon a beau parler
Contre nos ardeurs mutuelles,
De quoi va-t-il se mêler
De séparer deux cœurs fidèles ?
tous deux, ensemble
Ma foi malgré le destin
Nous irons toujours notre train.bis
Scène xii
une petite fille avec sa mère
Les voix crient derrière le théâtre :
Gare le monstre, fuyons, fuyons.
la petite fille
Air : Voici les dragons [qui viennent]
Que le monstre est en colère !
Vite sauvons-nous.
Il a mangé ma grand-mère,
Il vous mangera, ma mère,
Et moi itou,
Et moi itou.
Le théâtre change et représente une campagne avec des rochers.
Scène xiii
bellérophon en fuyant
Ah ! nous sommes perdus ! le monstre s’avance, quelle fumée ! S’il me rencontre je suis gobé... mais cependant laisserai-je périr la Princesse ? Cela ne serait pas honnête... Allons, Bellérophon, Ah ! nous sommes perdus ! le monstre s’avance, quelle fumée ! S’il me rencontre je suis gobé... mais cependant laisserai-je périr la Princesse ? Cela ne serait pas honnête... Allons, Bellérophon, \emph animo, courage... courage ? c’est bien dit, mais tout franc, je n’en ai guère... Il faut pourtant faire comme si j’en avais, car c’est ici le plus intéressant de la pièce : après tout, sans ma petite Fanchon, que m’importe de vivre ?, courage... courage ? c’est bien dit, mais tout franc, je n’en ai guère... Il faut pourtant faire comme si j’en avais, car c’est ici le plus intéressant de la pièce : après tout, sans ma petite Fanchon, que m’importe de vivre ?
Air : Pierre Bagnolet
Ô mort, dans mon malheur extrême
Tu va bientôt me secourir,
Mais je m’en fais un bien suprême.
À ce monstre je vais m’offrir
Sûr de périr.bis
Quand on a perdu ce qu’on aime,
Il ne reste plus qu’à mourir.
Scène xiv
un poète, bellérophon
le poète
Qu’est-ce, Seigneur Bellérophon, vous me paraissez bien embarrassé ? Vous attendez sans doute Pallas pour vous tirer d’affaire ? Car il faut toujours que le merveilleux s’en mêle. Point du tout, c’est moi qui vais faire ce miracle-là.
bellérophon
Air : Margot sur la brune
Sachons qui vous êtes.
le poète
Le plus grand des poètes.
Les muses sont prêtes
À mon moindre signal
Les tragédies,
Les comédies,
Les parodies,
Tout m’est égal.
bellérophon
C’est à dire qu’il fait tout mal. Quoi ! C’est avec des tragédies que vous prétendez tuer la chimère ? Il est vrai qu’Athalie lui a donné une terrible entorse.
le poète
Air : Tiquetaque et lon lan la
Pour le vaincre, il faut, mon cher,
Combattre le monstre en l’air.
Sur Pégase en assurance,
Tique tique taque et lon lan la,
Vous aurez heureuse chance.
bellérophon
Mauvais moyen que cela.
Et s’il trébuche, où en serai-je ? car on lui a diablement gâté la bouche... mais à propos de Pégase, est-ce que vous en pouvez disposer ?
le poète
Air : La Ceinture
De moi seul il reçoit la loi,
Je le tiens dans mon écurie.
bellérophon
La pauvre bête, par ma foi,
Y doit être bien mal nourrie.
le poète
Venez, vous dis-je, suivez-moi et ne craignez rien. Montez hardiment ce superbe cheval.
bellérophon
Oui, mais je n’ai point de bottes. Présentez-moi donc des guêtres... en conscience puis-je me fier à vous ?
le poète
Belle demande ! Montez sur le Pégase, et soyez sûr de la victoire.
bellérophon
Air : Flon, flon
Hélas ! mon cher poète,
Quand je l’aurai monté,
Je crains qu’il ne me traite
Comme il vous a traité.
Et flon, flon
Larira dondaine,
Gai, gai,
Larira dondé.
Ils s’en vont.
chœurdupeuple
Air :
Quelle horreur ! quel ravage !
Le monstre redouble sa rage.
La chimère paraît au fond du théâtre. Bellérophon monté sur un âne ailé combat comiquement le monstre. Il paraît d’abord avec une scie, ensuite avec une broche, puis la troisième fois il le tue avec un fusil.
Deux personnes du peuple, ensemble
Air : M. La Palisse est mort
le monstre a finit son sort.
Ne craignons plus sa furie.
Ma fois s’il n’était pas mort,
Il serait encore en vie.
Scène xv
le roi, philonoé
le roi
Voilà bien des nouvelles, ma fille. Cet oracle qui t’a tant fait pleurer est enfin éclairci. Bellérophon est ce fils de Neptune qui t’était destiné. Ce dieu nous l’a dit lui-même.
philonoé
Mais, mon père, en vérité, je n’y comprends rien. Comment cela s’est-il donc fait ?
le roi
Je vais te l’expliquer.
Air : Joconde
D’une nymphe ce dieu craignit
La jalouse colère,
Et quand Bellérophon naquit,
Il cacha ce mystère.
La belle n’eut aucun soupçon
De cette manigance,
Et Glaucus lui prêta son nom
Comme on le fait en France.
Scène xvi
stenobée, les susdits
le roi
Mais voici Stenobée. Vous venez apparemment, Madame, partager la joie publique. Savez-vous bien que Bellérophon est fils de Neptune, et qu’il a tué le monstre ?
stenobée
Je ne le sais que trop.
le roi
Ah ! cela vous fâche, parce que vous n’êtes pas des amies de Bellérophon.
stenobée
Air : Trop d’amour enfin
Pour Bellérophon j’avais l’âme éprise
De la plus sensible ardeur.
Et toute femme que l’on méprise
Doit avoir recours à la fureur.
Air : Depuis que j’ai vu Nanette
Amisodar par ses charmes
Secondant mon désespoir,
A rempli ces lieux d’alarmes,
Comme vous l’avez pu voir.
Il crut se donnant au diable
Voir son feu récompensé
Mais le pauvre misérable
N’en est pas plus avancé.
le roi
Ah le coquin ! Gardes, qu’on le saisisse !
Air : Va t’en voir s’ils viennent
Que les archers promptement
Devant nous l’amènent.
stenobée
Puisqu’il s’est enfui, comment
Veux-tu qu’ils le prennent ?
va t’en voir s’ils viennent, Jean, etc.
le roi
Hé bien, scélérate, tu vas payer pour lui.
stenobée
Air : Charmante Gabrielle
je en crains point ta haine,
j’ai par précaution
Pour soulager ma peine
Su prendre du poison.
En ce moment je cède
À ses effets.
Oh ! l’excellent remède
Pour les forfaits.
philonoé
Air : N’y a pas d’mal à ça
Comme sa rage est forte !
Comme la voilà !
Seigneur, elle est morte.
le roi
Que nous fait cela ?
N’y a pas d’mal à ça.bis
Mais voici Bellérophon. Ces trompettes et ces timbales nous l’annoncent.
Scène xvii
bellérophon, les susdits
le roi
Ah ! Seigneur, que ne vous devons-nous pas !
bellérophon
Ouf ! Voilà un combat qui m’a bien donné de la peine. Vous savez sans doute que je suis fils de Neptune ? Il est inutile que Pallas vienne nous l’apprendre.
philonoé
Quel bonheur ! mon cher Bellérophon !
le roi
Air : Mariez, mariez, mariez-moi
Allons, donnez-vous la main,
Je couronne votre flamme.
bellérophon
Non, remettons à demain
Car j’ai mes raisons, Madame.
philonoé
Expliquez, expliquez-vous sans détour.
bellérophon
Vaincre un monstre et prendre femme,
Palsambleu mon petit cœur, mon amour,
Ce serait trop pour un jour.
Fin