Les Amants de village

Auteurs : Riccoboni (François) dit Lélio fils
Parodie de : Le Devin du village de Rousseau et Rousseau
Date: 26 juillet 1764
Représentation : 26 juillet 1764 Comédie-Italienne - Hôtel de Bourgogne
Source : Supplément aux Parodies du Théâtre Italien ou Recueil de pièces de différents auteurs représentés, depuis quelques années, par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi, nouvelle édition, t. III, Paris, Veuve Duchesne, 1765
Antoine-François Riccoboni

Les Amants de village


Comédie en deux actes mêlée de musique
Représentée par les Comédiens italiens ordinaires du Roi
au mois de Juillet 1764
Paris, Duchesne, 1764

Acteurs


Bélise, bourgeoise : Mademoiselle Desgland
Mathurin, son jardinier : Monsieur Caillot
Le Baillif : Monsieur La Ruette
Colette, filleule du Baillif : Madame la Ruette
La scène est dans une place, devant la maison du Baillif.

Les Amants de village


Acte i


Scène i

Bélise, Mathurin

Ils entrent sur la scène en se promenant chacun de son côté et sans s’apercevoir.
bélise, à part
airnote
Rien ne peut, dans le veuvage,
Contraindre ma volonté,
Mais de ce faible avantage
Mon cœur n’est pas enchanté.
Quand on n’en fait point usage
À quoi sert la liberté ?
mathurin, à part
Les garçons de ce village
Sont pleins de joyeuseté.
Moi, tout ainsi qu’un sauvage,
Je vais seul de mon côté :
Et c’est un joli visage
Qui m’a tout déconcerté.
bélise
J’éprouve un tourment bien rude
Par l’ennui qui me poursuit.
J’aime peu la solitude
Et j’ai peur toute la nuit.
mathurin
Chassé par l’inquiétude,
De moi le repos s’enfuit,
Et j’avons pris l’habitude
De ne pus dormir la nuit.
bélise, apercevant Mathurin
Que dis-tu, Mathurin ?
mathurin
À part moi je reumene.
Et vous ?
bélise
Je rêve aussi.
mathurin
Vous en avez la mene.
bélise
Je me suis ennuyée en m’allant promener.
mathurin
Que n’avez-vous aussi queuqun pour vous mener,
Ça vous divartirait.
bélise
Et comment puis-je faire ?
mathurin
Comme tant d’autres font. N’être pas si sévère,
À queuques jeunes gens donner accès cheus vous,
Et s’ils vous cajollont, n’avoir pas de courroux.
Car faut de la douceur.
bélise
J’ai passé le bel âge.
Et quand de la jeunesse on n’a plus l’avantage
On garde pour amis des hommes sérieux
D’un esprit raisonnable...
mathurin
Et parfois ennuyeux.
Dans leurs graves conseils je les crois admirables.
Mais de vous amuser ils ne sont plus capables.
Pour rire de bon cœur, faut de jeunes grivois,
Qui font ressouvenir du bon temps d’autrefois.
bélise
À leur mauvais discours veux-tu que je m’expose ?
mathurin
N’on va droit son chemin, et tant pis pour qui glose.
bélise
Ils sont vains, indiscrets.
mathurin
Et oui, je l’entends bian.
Les vieux ne disont mot, parce qu’ils ne font rian.
Mais attirez toujours joyeuse compagnie,
Et d’un second mari s’il vous prenait envie
Vous auriez dans tout ça du moins de quoi choisir.
bélise
Avec un jeune époux je craindrais de m’unir.
Quelle que fut pour lui ma tendre complaisance,
La jeunesse est volage et penche à l’inconstance.
mathurin
Ayant été fort jeune avec un vieu mari
Vous savez comme on fait.
bélise
Je l’ai toujours chéri.
mathurin
Hé bian, présentement faut en chérir un autre,
Et puisque le défunt, comme on dit, est au piautre
Faut lui substituer queuqun qui vaille mieux.
Sti-là que vous aviez était judicieux,
Et vous avantagît d’un bian considérable,
Afin que l’avenir vous fût plus agriable.
Faut en user de même et qu’un jeune galant
Des richesses du vieux jouisse maintenant.
Il aura queuque jour la même politesse,
Et le bian passera de jeunesse en jeunesse.
airnote
Qu’une veuve a d’agrément !
À l’amour tout l’autorise.
Elle peut avec franchise,
Prenant un nouveau galant,
Goûter, sans qu’on en médise,
Le plaisir du changement.


D’un bonheur comme le vôtre
Croyez-moi, ne perdez rien,
Car ça n’eût pas été bien
Pendant le bail de l’autre.


Qu’une veuve etc.
bélise
Mathurin, tes conseils sont assez recevables.
Si je croyais passer des jours plus agréables,
Je les suivrais peut-être et je veux y songer.
Mais à faire un tel pas rien ne peut m’engager
Qu’un amour véritable et dont je suis certaine.
mathurin
À vous aimer, vraiment, on n’aura pas de peine,
Vous êtes belle, fraîche, avec de l’embonpoint,
Et j’en sais qui pour ça ne reculeriont point.
Le Baillif, par exemple, il vous trouve agriable.
bélise
Lui ! Mais il n’est pas jeune, et point du tout aimable.
mathurin
Je disais seulement qu’il est fort amoureux,
Mais il s’en peut trouver qui vaillent encor mieux.
bélise
Je veux te faire part de tout ce que je pense.
En ton attachement j’ai de la confiance,
Et je ne ferai rien sans prendre ton avis.
mathurin
Fort bian. Pour commencer faites ce que je dis.
Mariez-vous.
bélise
Attends, il n’est pas impossible
Que mon cœur, tôt ou tard, ne devienne sensible.
Mais je veux éviter un triste repentir,
Et connaître les gens avant que de choisir.
mathurin
Oui, de leur amiquié faut avoir queuque preuve,
C’est agir prudemment et se conduire en veuve.
bélise
airnote
Si d’un amour constant
L’hymen n’est point le gage,
C’est un triste esclavage.
Mais c’est un nœud charmant
Quand la foi la plus pure
À jamais nous assure
Le cœur d’un jeune amant.
La cruelle inconstance
Qui suit un mauvais choix,
Pour toute récompense,
Nous rend, au bout d’un mois,
Veuve encor une fois.


Si d’un amour etc.
Bélise sort.

Scène ii

Mathurin seul

mathurin
Ma foi, notre maîtresse est femme de bon sens,
Elle vaut encor mieux que d’autres à quinze ans,
Et je m’étonnais bian qu’étant aussi charmante
De rester longtemps veuve elle fût fort contente.
Mais moi, je suis en peine et toujours malheureux,
Quoique Colette et moi je nous aimions tous deux.
La baillif ne veut pas que personne en approche,
Jamais ce chien d’amour ne va sans anicroche.

Scène iii

Colette, Mathurin

Dialogue en musique
colette, elle vient d’un air inquiet, en regardant si personne ne la suit
Pour te parler un moment
J’arrive tout doucement.
Toujours on m’espionne,
Je crains quelqu’importun.
J’entends quelqu’un...
Elle veut fuir.
mathurin
Non, non, ce n’est personne.
Viens petite mignonne,
Viens, ne crains rien.
à deux, ensemble
colette
Regarde bien.
mathurin
Viens, ne crains rien.
mathurin
Que sa mene est charmante !
colette
Je suis toute tremblante.
mathurin
Approche sans frayeur.
à deux, ensemble
On trouble son bonheur
Quand on a peur.
colette
Tu sais combien je t’aime.
mathurin
Tu le sais tout de même.
colette
Je ne tremble plus tant,
Lorsque je te regarde.
à deux, ensemble
L’Amour veut qu’on hasarde,
Et pour être content
Il n’a souvent
Qu’un seul instant.
mathurin
Je pouvons nous parler, montre-toi plus joyeuse !
colette
Ah ! Mon cher Mathurin ! Je suis bien malheureuse,
Car Monsieur le Baillif m’a conté hier au soir
Qu’il allait au plus tôt songer à me pourvoir.
mathurin
Dis-lui que je veux bian t’épouser tout de suite.
colette
Il m’en destine un autre, et j’en suis interdite.
mathurin
Un autre ? Ah, ventrebleu !
colette
Voilà mon embarras.
mathurin
Dis que ton cœur est prins, et que tu n’en veux pas.
colette
Mais il est obstiné.
mathurin
Mais ce n’est pas ton père.
colette
Vraiment, c’est cent fois pis. De ma défunte mère
Tu sais qu’il me reçut, faut-il dire, au berceau.
Il s’est, dès ce temps-là, fourré dans le cerveau
Qu’il faut que j’obéisse en tout ce qu’il commande.
mathurin
An n’obéit pus tant quand on deviant pus grande.
Et pis, quand il s’agit d’un établissement
Chacun doit tant soit peu suivre son sentiment.
colette
Il m’a parlé d’un ton ! Avec une assurance !
Comme quand il prononce une grosse sentence,
Et veut que son fermier devienne mon mari.
mathurin
Morgué, je m’en vais faire un biau charivari.
airnote
Si je trouve le maroufle,
Qui me souffle
Celle que mon cœur chérit,
Sur son nez mon poing s’appuie,
Ma furie
Ne lui donne aucun répit.


Qu’il prenne au plus tôt la fuite,
Qu’il m’évite
S’il veut être en sûreté.
Ou l’on verra sur sa face
La grimace
D’un rival sur le côté.


Si je trouve etc.
colette
Ah, mon cher Mathurin ! Ne fais point de tapage.
Mon parrain, tu le sais, est juge du village,
Un baillif contre nous est toujours le plus fort,
Et condamne les gens quoiqu’ils n’aient pas tort.
mathurin
Et comment avec lui veux-tu que je m’arrange ?
Mais l’autre a plus d’argent, voilà ton cœur qui change,
Et tu prends son parti quand je veux l’assommer.
colette
Ne crains rien, mon ami, je veux toujours t’aimer.
airnote
Mon âme toujours fidèle
D’une tendresse éternelle
À chaque moment nouvelle
T’aimera jusqu’au tombeau.
Si tu sais aimer comme elle
Notre sort sera trop beau.


Cherchant l’ombre et la retraite,
Tous deux assis sur l’herbette,
De notre amitié parfaite
Nous causerons sous l’ormeau.
Le serment qu’Amour répète
Nous paraît toujours nouveau.
mathurin
Oui, vraiment, t’as raison, mais maugré ça j’enrage.
Tians, faut aller bian loin nous prendre en mariage,
Et quand ça sera fait, tous deux bien étonnés,
Le maître et le farmier auront un pied de nez.
Le Baillif vient les surprendre et entend ce que dit Mathurin.

Scène iv

Le Baillif, Colette, Mathurin

le baillif
airnote
Le délit est manifeste,
Car je te prends sur le fait.
Dès ce soir, je le proteste,
Tu seras mis au secret.
C’est un rapt en bonne forme,
Tu commets un crime énorme,
Et ton procès est tout fait.


Ne crois pas que je recule
Pour n’avoir point de témoins,
Au-dessus d’un vain scrupule,
Je n’en jugerai pas moins.


Le délit etc.
colette
Ah ! Ne vous fâchez pas, Monsieur, je vous en prie.
mathurin
Moi, je ne disais ça que par plaisanterie.
le baillif, à Colette
Je t’avais défendu de jamais lui parler.
colette
Mais on se dit bonsoir avant de s’en aller.
le baillif
Je sais que le coquin te parle d’amourettes.
Les filles de bon sens qui ne sont pas coquettes
Refusent d’écouter ces impudents propos.
mathurin
Monsieur, parmettez-vous que je dise deux mots ?
Vous aimez bian Colette et vous avez envie
Qu’alle ait contentement lorsqu’elle se marie.
Oh cà, ne faut-il pas qu’une femme d’honneur
À celui qu’elle a pris garde toujours son cœur ?
Qu’elle n’aime que li pour faire bon minage ?
le baillif
Oui, c’est là son devoir.
À part.
Mais ce n’est pas l’usage.
mathurin
Hé bian, baillez-la moi. Je nous aimons tous deux,
Colette sera sage, et je serons heureux.
colette
Voyez, il a raison.
le baillif
Je dis tout le contraire.
Un gueu de jardinier ! Est-ce là ton affaire ?
La richesse en ménage est le point important,
Et le fermier qui t’aime a de l’argent comptant.
mathurin
Eh quoi ! Faute de ça je n’en sommes pas deigne ?
Tenez, affarmez-moi vos champs, vos près, vos veignes,
Vous me varez biantôt aussi foncé que lui :
On s’enrichit toujours avec le bian d’autrui.
colette
C’est un arrangement qui paraît raisonnable.
le baillif
Mais, suivant la justice, il est impraticable.
Enfin, je vous défends de jamais vous revoir.
À Colette.
Rentre.
À Mathurin.
Et toi, va-t-en.
J’ai dit.
colette
Adieu.
mathurin
Bonsoir.
Dialogue en musique
Trio
le baillif
Allons, qu’on obéisse,
Point de retardement.
colette
Ah ! Je suis au supplice.
mathurin
AH ! Jarni ! Queu tourment.
le baillif, à Colette
Marche donc promptement.
colette, faisant semblant de tomber
Aïe, aïe, le pied me glisse.
le baillif
Tu boites par malice.
colette
Nani, nani, vraiment.
mathurin, voulant la soutenir
Souffrez qu’an li fournisse
Queuque soulagement.
le baillif
Tu braves la justice !
colette et mathurin, ensemble
[à deux]
Nani, nani, vraiment,
Allons, tout doucement.
Trio
Allons, qu’on obéisse etc.
le baillif, à Colette
Rentrez, rentrez bien vite.
colette, à Mathurin
Faut-il que je te quitte !
mathurin
Adieu donc, ma petite.
le baillif, à Mathurin
T’en iras-tu d’ici ?
colette et mathurin à deux, ensemble
J’ai le cœur tout transi.
Trio
Allons, qu’on obéisse etc.
Colette rentre dans la maison et Mathurin se retire.

Scène v

Le Baillif seul

le baillif
Je ne puis m’empêcher de plaindre leur tendresse,
Lorsque de mon côté, j’ai la même faiblesse.
Colette m’embarrasse. Il faut la marier,
Pour pouvoir à l’amour me livrer tout entier,
Et donner tous mes soins à celle qui m’enchante.
Elle vient. Quel regard ! N’est-elle pas charmante ?

Scène vi

Bélise, Le Baillif

bélise
À Monsieur le Baillif je donne le bonsoir.
le baillif
Déjà la nuit commence, on ne peut qu’entrevoir,
Cela me fait grand tort.
bélise
Point de plaisanterie.
Je n’eus jamais de goût pour la coquetterie,
Et vous vous préparez à faire un compliment...
le baillif
Ne vous y tromper pas, j’explique un sentiment.
Il est chez moi plus fort que je ne puis le dire,
Et je sens tous les jours augmenter son empire.
bélise
Conserver une sage et douce liberté.
le baillif
Je sais que votre cœur est rempli de bonté.
Que j’en sente l’effet, et, pour finit ma peine,
Lions-nous tous les deux d’une agréable chaîne.
Quittons, pour nous unir, un veuvage ennuyeux,
Et mutuellement, nous nous rendrons heureux.
bélise
La proposition est sans doute charmante,
Mais moi, de mon état, je suis assez contente,
Et je n’ai pas encor le dessein d’en changer.
le baillif
Abrégeons les délais, il est temps d’y songer.
airnote
Tant que dure la jeunesse
On néglige la tendresse
Du cœur le plus empressé.


Lasse enfin de se défendre,
On ne cherche qu’à se rendre
Quand le temps en est passé.
bélise
airnote
Lorsqu’une vive tendresse
Éclate dans la jeunesse,
On l’écoute avec plaisir.


Mais ce temps passé tout cesse.
Il n’est rien dans la vieillesse
Qui rappelle le désir.


Trop de sincérité peut-être vous offense,
Mais c’est mon caractère. Adieu, la nuit s’avance.
Elle sort.

Scène vii

Le Baillif seul

le baillif
Elle me reçoit mal. Mais elle a des appas.
Pour un premier refus ne nous rebutons pas.
De perdre tout espoir il n’est pas temps encore.
Rentrons, il se fait tard. En attendant l’Aurore
Des voiles du sommeil je vais m’envelopper,
Car un homme d’état ne doit jamais souper.
Il rentre dans sa maison.

Scène viii

Mathurin seul, un violon à la main

mathurin
airnote
Pour celle que l’on aime
Éxprimer son ardeur,
C’est un plaisir extrême,
C’est un parfait bonheur.
Il se met sous la fenêtre de Colette et chante en s’accompagnant.
airnote
Si tu peux m’entendre,
Viens me consoler.
De ceux qui voudraient nous troubler
L’obscurité fait nous défendre.
Si tu peux m’entendre,
Viens me consoler.
Ne me fais pas longtemps attendre,
Ou le chagrin va m’accabler.
Si tu peux m’entendre,
Viens me consoler.
L’on entend un chien aboyer.
airnote
Quoi ! Déjà le chien fait tapage ?
Ah ! Mon ami, tout doux, tout doux.
Laissez dormir un vieux jaloux
pour qui l’amour est un outrage.
C’est pour aboyer au larron
Que l’on vous met en sentinelle,
Petit, payez-vous de raison,
Ne troublez point l’amant fidèle.
Le bruit du chien cesse peu à peu, Mathurin se remet sous la fenêtre.

Scène ix

Mathurin, Colette à sa fenêtre

mathurin
airnote
Viens écouter ma chanson,
C’est pour toi que je l’ai faite.
De ma vois entends le son,
C’est ton nom qu’elle répète,
Colette, Colette.
colette
Mon cœur pense à toi sans fin,
Et, seule dans ma chambrette,
J’y vois toujours Mathurin.
mathurin
Colette, Colette.
colette
Mathurin, Mathurin.

Scène x

Mathurin, Colette, Le Baillif en robe de chambre sur son balcon

airnote
Quel est ce désordre inique ?
Qu’on arrête promptement
Ce coquin, ce garnement,
Qui, par sa sotte musique,
Vient troubler insolemment
La tranquillité publique.
colette
Je suis tremblante d’effroi,
Mon ami, retire-toi.
le baillif
Je punirai ce délire.
mathurin
J’ai cent choses à te dire.
colette
Tu me les diras demain.
mathurin
Je viendrai de grand matin.
le baillif, apercevant Colette
Là-haut, que vois-je paraître ?
Quoi ! Tu n’es pas dans ton lit ?
colette
Il n’est pas encor minuit,
Je prends l’air à ma fenêtre.
le baillif
Je vois le traître
Qui te séduit,
Il en va subir la peine.
colette
Je prends l’air.
mathurin
Je me promène.
le baillif
Qu’on l’attrape, qu’on le prenne,
Le chanteur, le violon,
Qu’on mette tout en prison.
colette
Il me donne le frisson.
mathurin
Maudit soit le vieux barbon.
finacte

Acte ii


Scène i

Bélise seule

bélise
airnote
Quand l’amour a blessé notre âme,
Tout y fait triompher sa flamme.
La loi, d’une austère pudeur
Combat sans cesse
Notre faiblesse,
Mais peut-elle en calmer l’ardeur ?
Vainement la raison s’offense
D’un choix dicté par l’imprudence.
Plus on balance,
Plus l’amour devient pressant.
Sa vive atteinte
Bannit la crainte,
Le cœur enfin se rend
En rougissant.
Et pourquoi tant rougir ? Ai-je, par bienséance,
À ménager l’orgueil d’une haute naissance ?
Mais comment m’expliquer à celui qui me plait ?
Voilà mon embarras, songeant à ce qu’il est.
Pourrai-je me résoudre à parler la première !
Il le faudra pourtant. Si je fais trop la fière
Au respect qu’il me doit il craindra de manquer,
Et quand il m’aimerait, n’osera s’expliquer.
Ah Mathurin ! Pour toi, jusqu’où va ma faiblesse !
Au moins, pour mon honneur, partage ma tendresse.

Scène ii

Le Baillif, Bélise

le baillif
airnote
Souffrez qu’à la fin
Sans gêne et sans crainte,
Contre Mathurin
Je porte ma plainte.
Cet impertinent
La nuit fait tapage,
Réveille, en chantant,
Tout le voisinage.


Le drôle aujourd’hui
Poursuit en cachette
La jeune Colette
Qui n’est pas pour lui.
Que votre justice
Réprime, punisse
La témérité
De cet effronté.


Pardonnez-moi, je vous prie,
Si je parais en furie,
En voyant de si beaux yeux
On ne doit être auprès d’eux
Occupé que de vos charmes.
Mais je suis dans les alarmes...


Le drôle aujourd’hui
Poursuit en cachette etc.


Écoutant le respect qui près de vous m’engage,
De mon autorité je n’ai point fait usage,
Mais que votre ordre exprès le contraigne à finir,
Ou je serais enfin forcé de le punir.
bélise
Que dites-vous, Monsieur ? Il suit Colette ! Il l’aime !
le baillif
Oui, vraiment. Et Colette y répondrait de même,
Si je ne m’opposais à leur intention.
bélise
Il faut donc y mettre ordre, et vous avez raison.
Voyez cet animal ! Aimer votre filleule !
le baillif
Elle a des agréments.
bélise
Mais ce n’est pas la seule.
Il peut trouver ailleurs à qui porter ses vœux.
Oh ! Je lui parlerai.
le baillif
C’est tout ce que je veux.
Un amant tel que lui n’est pas fait pour Colette.
bélise
Il aura cent fois mieux, pour peu qu’il le souhaite.
le baillif
Cent fois mieux !
bélise
Oui, vraiment, les femmes ont du goût,
Quand on a bonne mine on peut prétendre à tout.
le baillif
Comme il vous appartient, vous prenez sa défense.
Mais vous m’avez promis...
bélise
Soyez en assurance,
Je sais que pour détruire un tel attachement
Il faut s’y opposer dès le commencement.
Duo
airnote
Du sommet de la montagne
Descend un faible ruisseau,
Il arrose la campagne,
Et l’herbage en est plus beau.
le baillif
Quand le feu prend dans la grange
On ne s’en aperçoit pas,
Et, sans que rien se dérange,
Il avance pas à pas.
bélise
Mais il cause du dommage
Dès qu’il vient à s’augmenter.
Il s’étend, détruit, ravage,
Rien ne peut plus l’arrêter.
le baillif
Quand la flamme se dégage,
Tout concourt à l’augmenter.
Elle éclate, abat, ravage,
Rien ne peut plus l’arrêter.
Le Baillif sort.

Scène iii

Bélise seule

bélise
Je suis dans l’embarras. Ce que je viens d’apprendre
Ne laisse à mon amour que deux partis à prendre,
Ou chasser Mathurin et n’y jamais songer,
Ou lui donner mon bien pour le mieux engager.
Si d’obtenir Colette il perd toute espérance,
Il cédera peut-être à la reconnaissance.
J’ai, pour me faire aimer, cette ressource-là
Suivant l’âge on se sert des armes que l’on a.

Scène iv

Mathurin, Bélise

mathurin
airnote
Il ne faut, dans la jeunesse,
S’occuper que de l’amour.


La beauté nous intéresse,
Le cœur parle, le temps presse,
Ce qu’on perd est sans retour.


Il ne faut, dans la jeunesse,
S’occuper que de l’amour.


Ennemi de la tendresse,
L’âge vient, le feu s’abaisse,
On devient sage à son tour.


Il ne faut, dans la jeunesse etc.
bélise
L’amour est ton objet, c’est là ce qui t’occupe.
mathurin
Quand on n’y pense pas, on est ma foi bien dupe.
Bouttez-y, comme moi, votre application,
Vous m’en remarcirez.
bélise
Si mon intention
Était d’aimer quelqu’un, parviendrais-je à lui plaire.
mathurin
Pourquoi donc pas ?
bélise
Hé bien, sois avec moi sincère.
Trouves-tu que mes yeux brillent encore assez ?
mathurin
Vos yeux ? Ils sont malins pus que vous ne pensez.
bélise
Mon air a-t-il encor quelque chose d’aimable ?
mathurin
Votre air... a fort bon air. Oui, je me donne au diable,
Si j’étais un Monsieur...
bélise
Je serais de ton goût ?
mathurin
Si fort, que pour vous voir, je vous suivrais partout.
bélise
Oh ! Celle qui te plaît, on sait que c’est Colette.
mathurin
Oui da, je l’aime bian. Mais la pauvre fillette,
N’an veut, contre son gré, qu’alle prenne un mari
Beaucoup trop vieux, malingre, un corps tout dépéri.
bélise
Mais ce mari, pour elle, est un grand avantage,
Et tu ne devrais pas troubler ce mariage.
mathurin
D’accord, mais quand on aime...
bélise
On doit, par sentiment,
Laisser prendre à Colette un établissement
Qui doit la rendre heureuse en faisant sa fortune.
Et toi, de ton côté, tâche d’en trouver une,
Qui, changeant ton état, assure ton bonheur.
mathurin
Oui... Mais... où la chercher ?
bélise
Je sais qu’en ta faveur
Tu peux déterminer une veuve à son aise,
Qui veut bien t’enrichir, pourvu qu’elle te plaise.
Mais il faudrait l’aimer d’une sincère ardeur,
Et bannir à jamais Colette de ton cœur.
Conçois-tu l’heureux sort que le destin t’apprête ?
Quoi ! Ne m’entends-tu pas ?
mathurin
Non, morgué, je sis bête.
Je crains, si j’entends bian, d’entendre de travers.
Si j’étais vaniteux, ma çarvelle à l’envers
À Colette peut-être aurait torné casaque,
Car ste veuve li baille une tarrible attaque,
Mais ça ne saurait être et vous voulez gausser.
bélise
Tu m’as trop entendue et tu peux prononcer.
mathurin, à part
Si j’étais un Monsieur, j’aurais la mine fière.
À Bélise.
Mais faudrait que Colette eût changé la première,
Alle dira sans ça que je sis un vaurien.
bélise
Mais tu dois en honneur la quitter pour son bien.
mathurin
Ah ! Pour ste chère enfant, je donnerais ma vie.
Faut donc vous épouser pour qu’alle se marie ?
J’aurai de biaux habits ?
bélise
Oh ! Comme de raison !
Il faut bien prendre l’air d’un maître de maison.
mathurin
Des chevaux, un carrosse, et biaucoup d’étalage ?
bélise
Il faut attendre un peu pour prendre un équipage.
mathurin
Ah ! Quand ce ne serait qu’un seul petit bidet
Pour courir tout Paris dans mon cabriolet.
bélise
De te rien refuser il ne m’est pas possible.
mathurin
Pour ne vous pas aimer faudrait être insensible.
Mais du bian, s’il vous plaît !...
bélise
Tout le mien est à toi.
mathurin
Allons, à ce prix-là, je vous baille ma foi.
Duo
airnote
Une tendresse importune
Ne remplit pas nos désirs.
Les présents de la fortune
Sont la source des plaisirs.
bélise
Tu n’aimes donc plus Colette.
mathurin
Plus du tout, l’affaire est faite.
bélise
Tu vas régner sur mon cœur.
mathurin
Je vais être gros Seigneur.


Une tendresse importune etc.

Scène v

Colette, Mathurin, Bélise

colette
airnote
Ingrat, j’apprends à te connaître,
Tu n’es qu’un traître,
Qu’un imposteur.
Ce trait m’enflamme de fureur.


Feintes tendresses,
Fausses caresses,
Plaintes, soupirs, serments, promesses,
Tout devait m’enchanter,
Comment pouvais-je y résister.


Ah ! Que faire
Dans ma colère !
Ah ! Que faire
Pour me venger ?
Mon amour était sincère,
Hélas, je ne saurais changer.


Ingrat, j’apprends etc.


Je ne veux te parler ni te voir de ma vie.
mathurin
Oh ! Dame, écoute donc, je t’aime à la folie,
Mais le farmier t’épouse et par nécessité
Faut que je me retorne aussi de mon côté.
colette
T’avais-je pas promis de n’être pas sa femme ?
mathurin
C’est vrai.
bélise
Tu m’as donné ta parole.
mathurin
Oui, Madame.
colette
Ah ! Comme je t’aimais !
bélise
Je t’aime cent fois plus.
mathurin
L’une a des yeux charmants et l’autre a des écus,
Je ne sais...
bélise
Quoi, pendard, tu voudrais te dédire !
mathurin
Non. Mais... Je l’ai bian dit, voyez, alle soupire.
colette
Je t’aimerais encor si tu me revenais.
bélise
Je mourrais de douleur si tu m’abandonnais.
Trio
bélise
Si pour moi ton feu s’allume,
Vois la fin de tes travaux
À l’ardeur qui me consume,
Tu devras un doux repos.
colette
L’inconstant en vain présume
Trouver des plaisirs nouveaux,
Le désir qui le consume
Ne lui laisse aucun repos.
mathurin
Comme le fer sur l’enclume,
Forgé par deux maréchaux,
Mon cœur brûle et se consume
Sous les coups de deux marteaux.
mathurin
Ah que faire ! Auquel entendre ?
colette
Aime-moi.
bélise
Tu m’as promis.
mathurin
À qui faudra-t-il me rendre ?
bélise, le prenant par la main
Suis-moi vite.
mathurin
Je suis pris.
colette
Quoi, ma plainte sera vaine ?
bélise
Je te tiens.
mathurin
Elle m’entraîne.
à trois, ensemble
colette
Je te perds donc pour jamais.
bélise
Unissons-nous à jamais.
mathurin
Je ne sais ce que je fais.


]
Si pour moi etc.
L’inconstant etc.
Comme le fer etc.
Bélise emmène Mathurin.

Scène vi

Colette, Le Baillif qui survient

colette
À cette trahison me serais-je attendue !
Je quittais tout pour lui.
le baillif
Quoi, toujours dans la rue !
Mathurin, qui s’en va, te parlait sûrement.
colette
Non, mon parrain.
le baillif
Crois-moi, pense plus sagement.
Il faut te détacher de ce grand imbécile,
Quand tu trouves ailleurs l’agréable et l’utile.
colette
De me le commander il serait superflus,
Quand j’en devrais mourir, je ne le verrai plus.
le baillif
Tu faisais, en l’aimant, une grande sottise.
colette
Oui, car il ne songeait qu’à Madame Bélise,
Et même tout à l’heure ils vont se marier.
le baillif
Bélise jusques là pourrait s’humilier !
colette
Fiez-vous à présent à son air prude et sage,
La vertu d’aujourd’hui n’est que sur le visage.
le baillif
Ah ! Que je suis piqué ! J’avais donc pour rival
Un grossier paysan, un rustre, un animal ?
De tromper cet enfant, le traître avait l’audace !
Que cette lâcheté de ton esprit l’efface,
Mais puisqu’il s’émancipe à te manquer de foi,
Bélise et Mathurin auront affaire à moi.
colette
airnote
Pauvres fillettes !
Vos amourettes
Font vos malheurs.


L’amant vous presse,
Vous rend sans cesse
Des soins trompeurs,
Si l’espérance
De sa constance
Séduit vos cœurs.


Pauvres fillettes etc.


L’esprit s’égare
On se prépare
Mille douceurs,
Mais un volage
Qui se dégage
Cause vos pleurs.


Pauvres fillettes etc.

Scène vii

Mathurin, Colette, Le Baillif

mathurin
Colette aura ma foi, c’est elle qui m’enchante.
Je me suis dépêtré de cette extravagante,
Qui veut, bon gré, mal gré, m’épouser dans l’instant.
À quoi sart tant de bien si le cœur n’est content ?
colette
Le voici qui revient. Empêchez qu’il n’approche.
mathurin
Je voulais la quitter, ah ! queu cruel reproche !
le baillif
Oses-tu bien encor t’offrir devant mes yeux ?
mathurin
Oui, vous avez raison, je sis un malheureux.
Battez-moi, tuez-moi, c’est ce que je souhaite.
Un chien qui pour une autre abandonnait Colette,
Mérite tout au moins de ne plus voir le jour.
colette
Et moi, pour le fermier, je te quitte à mon tour.
Je l’aimerai bien fort, bien fort, je t’en assure.
mathurin
T’as raison, c’est ma faute. Et pourtant, je te jure,
Que du bian qu’on m’offrait je voulais me nantir,
Afin qu’il fût à toi queuque jour à venir.
J’ai perdu ton amour, il faudra que je meure.
colette
Et de quoi te plains-tu ? Vois-tu pas que je pleure ?
mathurin
S’il te reste pour moi quelque peu de bonté,
Torne du moins les yeux encor de mon côté.
airnote
Sans artifice
Je montre ma douleur,
Par la justice,
Radoucis ta rigueur.
Suivant l’offense,
Pèse le châtiment,
Mon inconstance
N’a duré qu’un moment.
Ah ! Consens à me rendre
Ton amitié.
Pourrais-tu te défendre
De la pitié ?


Sans artifice etc.
le baillif
airnote
Tu n’es donc plus infidèle ?
mathurin
Je ne vivrai que pour elle.
À Colette.
M’aimes-tu ?
colette
Je ne sais rien.
Au Baillif.
Mon parrain, ferais-je bien ?
le baillif
Un moment, que je m’avise.
Si j’approuve ce parti,
Cette folle de Bélise
En aura le démenti.
Les prenant par la main.
Venez çà. Je vous marie.
à deux, ensemble
colette
Tout de bon ? J’en suis ravie.
mathurin
Queu bonheur ! C’est mon envie.
le baillif
À l’hymen j’ai consenti,
Mais qu’on s’aime sans surprise.
colette et mathurin à deux, ensemble
Quand l’hymen est assorti
On ne craint point de surprise.
tous trois, ensemble
Cette folle de Bélise
En aura le démenti.

Scène viii

Bélise, Le Baillif, Mathurin, Colette

bélise, à Mathurin
Assez mal à propos vous vous faites attendre.
le baillif
Madame, à Mathurin l’on ne peut plus prétendre.
Il épouse Colette et mon autorité
Assure à ce lien toute validité.
bélise
Comment ! Que dites-vous ?
mathurin
Que l’affaire est conclue.
La richesse un instant m’a donné la barlue
Mais si l’on se fourvoie et prend queuque détour,
Faut toujours revenir à son premier amour.
bélise
Et je pourrais souffrir un traitement semblable !
le baillif
Cet hymen inégal était peu convenable.
Mais la main d’un Baillif ne peut déshonorer,
Et le mal que j’ai fait, je veux le réparer.
bélise
Non, de vous épouser, il ne m’est pas possible,
Vous, qui m’avez joué le tour le plus terrible !
À celui que je perds, vous me feriez songer.
Comptez que tôt ou tard je voudrais m’en venger.
Quatuor
airnote
deuxcol,
colette et mathurin, ensemble
De notre tendresse extrême
Nous sentons l’heureux effet,
Posséder l’objet qu’on aime,
C’est le bien le plus parfait.


Mais du nœud qui nous engage
Craignons le fâcheux retour,
le bonheur du mariage
Se dissipe avec l’amour.
bélise et le baillif, ensemble
De votre tendresse extrême
Vous sentez l’heureux effet,
Posséder l’objet qu’on aime,
C’est le bien le plus parfait.


Mais du nœud qui vous engage
Craignez le fâcheux retour,
le bonheur du mariage
Se dissipe avec l’amour.


Fin

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