Charles-Simon Favart
Les Amours champêtres
Pastorale
Représentée par les Comédiens Italiens Ordinaires du Roi
le jeudi 2 septembre 1751
Les Amours champêtres, 3e éd., N.B.Duchesne, Paris, 1759, dans \emph le Théâtre de M. Favart, t.1, Duchesne, Paris, 1763.
Acteurs
Philinte, berger : Monsieur Rochard
Hélène, bergère : Madame Favart
Lisette, bergère : Madame Dehesse
Damon, petit-maître : Mademoiselle Astraudi
Richard, laboureur : Monsieur Chanville
Bergers, bergères
Paysans, paysannes
Les Amours champêtres
Le théâtre représente un paysage agréable ; d’un côté est un coteau chargé d’arbres, de l’autre est une prairie entrecoupée de ruisseaux.
Scène i
Philinte, Lisette
philinte
Air : Que le sort d’une jeune bergère
Nos bergers vont, au son des musettes,
Célébrer la fête du hameau.
J’entends déjà de leurs chansonnettes
Retentir la plaine et le coteau.
Aux plaisirs innocents et tranquilles
Tous les c\œ urs vont bientôt se livrer,
Je serai le seul dans ces asiles
Qu’une ingrate fera soupirer.
lisette
Air : Ingrat berger, qu’est devenu
Philinte, conte-moi tes maux,
Ton chagrin m’intèresse.
philinte
Chère Lisette, deux rivaux
Alarment ma tendresse,
Hélène a pour eux mille égards,
Et semble éviter mes regards.
Air : Ah ! Nicolas, sois-moi fidèle
Un gros fermier de ce village,
Un petit-maître de Paris,
De ma bergère sont épris.
lisette
Va, n’en conçois aucun ombrage.
philinte
Ils sont plus opulents que moi.
lisette
Savent-ils aimer comme toi ?
Air : De tous les capucins du monde
L’un est un gros amant rustique,
Dont l’amour brusquement s’explique,
Et l’autre un freluquet galant,
Que le seul goût des plaisirs touche,
Et qui semble plaindre, en parlant,
La fatigue d’ouvrir la bouche.
philinte
Air : Je n’entends plus dessous l’ormeau
1
Quand je jouais un air nouveau,
Aussitôt ma bergère
Venait, au son du chalumeau,
Unir sa voix légère.
À présent je forme en vain des sons,
J’ai fait des airs exprès pour elle,
Et l’infidèle
Chante d’autres chansons.
2
De porter mon premier bouquet,
Hélène était si fière
Qu’elle en a paré son corset
Une semaine entière :
Je lui donne aujourd’hui des barbeaux,
Sous son mouchoir elle les cache,
Et les arrache,
En voyant mes rivaux.
lisette
Air : Je voudrais bien me marier
Ce que tu me dis-là, berger,
Me semble fort étrange.
philinte
Mon c\œ ur voudrait se dégager,
Puisque l’ingrate change,
Mais qui l’aime ne peut jamais,
Jamais briser sa chaîne.
Eh ! Quel objet a plus d’attraits
Que la perfide Hélène ?
Air : L’autre jour, étant assis
3
J’aime une ingrate beauté
Et c’est pour toute ma vie.
Je n’ai plus de volonté
Ma liberté m’est ravie :
Hélène a des rigueurs,
Mais mon cœur les préfère
Aux plus douces faveurs
De toute autre bergère.
\footnote On passe ce couplet.
4
Quand aux champs, dès le matin,
Le soin du troupeau l’appelle,
Le ciel devient plus serein,
Le jour se lève avec elle.
Pour mourir sur son sein,
On voit les fleurs éclore,
De l’éclat de son teint
Le rose se colore.
5
Le rossignol va chantant,
Joyeux de la voir si belle,
Le papillon voltigeant
La prend pour la fleur nouvelle.
Les amoureux Zéphirs,
Naissent de son haleine,
Et mes ardents soupirs
La suivent dans la plaine.
6
Malgré sa timidité,
Qui la rend plus belle encore,
D’une tendre volupté
Dans ses yeux j’ai vu l’aurore,
Et sa bouche exprimer,
Par un charmant sourire,
Le doux plaisir d’aimer,
Qu’elle craint et désire.
lisette
Air : J’ai perdu ma liberté
Taisons-nous, je vois venir
Ton rival petit-maître ;
Laisse-moi l’entretenir,
Garde-toi de paraître ;
Je saurai servir tes feux.
philinte
Je compte sur ton zèle.
Que c’est un tourment rigoureux
D’aimer une infidèle !
Scène ii
lisette, damon
lisette
Air : Ça n’vous va brin.
Il est encore à sa toilette.
damon, un miroir de poche à la main et rajustant ses cheveux
Qu’on a de peine à s’arranger !
Ah ! Vous voilà, belle Lisette.
Comment ! Ici sans un berger !
À propos...
lisette
Quoi ?
damon, continuant de s’arranger
Dites-moi vite...
Avez-vous vu...
lisette
Qui ?
damon
La petite ?
Son minois est original.
Elle n’est point mal,
Point du tout mal.
lisette
Air : De tout temps, le jardinage
Ici vous cherchez Hélène.
damon
La friponne en vaut la peine,
Et ses charmes innocents
M’offrent l’image riante
De la nature naissante,
Dans les beaux jours du printemps.
lisette
Air : Que je regrette mon amant
Mais Richard, ce gros laboureur,
Peut vous disputer votre amante,
Etes-vous sûr que votre ardeur... ?
damon
Etes-vous sûr ? Qu’elle est charmante !
Pour en juger, regarde-moi,
En même temps, consulte-toi.
lisette
Air : Comme un oiseau
Tout doit vous céder la victoire.
damon
La petite Hélène a la gloire
De m’attendrir,
Elle a mille attraits en partage,
Mais elle est toujours si sauvage...
C’est à périr.
Air : Le plaisir passe la peine
Dis-lui donc qu’elle s’humanise.
lisette
Mais sa pudeur...
damon
Quelle sottise !
La peine passe le plaisir.
Chez nous, la beauté la plus vaine
Répond à mon premier soupir,
Le plaisir passe la peine. Il manque une page dans l’édition de référence. Nous nous servons, pour la restituer, de l’édition du Théâtre moderne ou nouveau, recueil choisi et mêlé des meilleurs pièces du théâtre français et italien, t.2, François Huguet, la Haye, Pierre Gosse junior, 1755. \SR
Air : Quand je regarde Margoton
Je veux pour façonner son cœur
Emmener ma bergère,
Je sais qu’à Paris sa pudeur
Va la rendre étrangère ;
Mais dans un mois environ,
Je te le certifie,
Je saurai la mettre au ton
De la bonne compagnie.
lisette
Air : Mon petit cœur de quinze ans
Ah que son sort sera charmant !bis
Vous allez borner votre envie
À vous aimer toute la vie.
damon
Souvent c’est assez d’un moment.
Air : Si ma Philis vient en vendange
À quoi bon se forger des chaînes,
Et se borner dans ses désirs ?
Pour la fidélité, l’amour n’a que des peines,
Pour l’inconstance il n’a que des plaisirs.
Air : Attendez-moi sous l’orme, de la Comédie-Italienne
Peut-on croire qu’une flamme
Puisse durer si longtemps ?
Qui veut soumettre mon âme,
Doit profiter des instants.
Cherche Hélène et l’en informe,
Et dis-lui que je l’attends.
lisette
Attendez-la sous l’orme.
damon
Air : Monsieur le Prévôt des marchands
Voici l’image du bonheur :
Quand un champagne plein d’ardeur
Rit et pétille dans mon verre,
C’est un instant qu’il faut saisir,
Ou bientôt la mousse légère
Disparaît avec le plaisir.
Il sort.
Scène iii
Lisette
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Autant que je puis m’y connaître,
Il s’aime trop pour être aimé :
De l’amour de ce petit-maître,
Philinte a tort d’être alarmé. L’édition de référence reprend ici. \SR
Scène iv
Lisette, Richard.
richard, qu’on ne voit point
Air : L’amour me fait, lon, lan, la
L’amour me fait, lon, lan, la,
L’amour me fait mourir.
lisette
Du côté de la plaine
Je vois Richard venir.
richard
Hélène, chère Hélène,
Que tu me fais souffrir !
l’amour me fait, lon, lan, la,
L’amour me fait mourir.
Richard paraît.
Air : Très volontiers, fort volontiers
Rien ne peut me guérir.
Ah ! Te voilà, Lisette,
Veux-tu bian me sarvir
Après de ma brunette ?
À toi j’vians recourir.
lisette
Très volontiers, fort volontiers.
richard
Ma chère,
J’en pards l’esprit
Et l’appétit.
lisette
Pour vous que faut-il faire ?
richard
airvide
7
Les regards d’Hélène,
Dont l’chien d’amour se fait un jeu,
Ont dans ma poitreine
Mis tout en feu,
Mais comme un Zéphire
Qui badine autour d’une fleur,
Son charmant sourire
Rafraîchit mon cœur.
8
Jarni c’est un’rage,
D’jour en jour on m’en voit chémer,
J’n’avons pu d’courage
Que pour aimer.
À mon labourage,
Morguenne, au lieu de me livrer,
Mon plus grand ouvrage,
C’est d’soupirer.
lisette
Air : Dans le fond d’une écurie
A-t-elle des préférences
Pour quelque autre ?
richard
Non, morgué.
J’n’en som’ pas moins intrigué,
J’voudrions des assurances,
Et quand j’en d’mandons...
lisette
Hé bien ?
richard
À’n’répond qu’en révérences.
Palsangué, c’est bel et bien :
Mais tout ça n’garit de rien.
Air : Mon petit doigt me l’a dit
D’abord j’avais queuque crainte
Que ton grand cousin Philinte
N’obtint d’elle du retour ;
Mais j’voyons qu’en fille sage,
Alle fuit ce personnage,
Depis qu’al’fait mon amour.
Air : Ici, je fonde une abbaye
Avec soin partout je l’épie.
lisette
Et vous ne faites pas si mal.
richard
J’n’entendrions pas raillerie,
Si j’avions queuqu’un pour rival.
Air : Vous voulez me faire chanter
Puisqu’Hélène est dans son printemps
Al’doit en faire usage ;
Fais-lui comprendre qu’il est temps
De se mettre en ménage.
Veut-elle de son amiquié
Être toujours si chiche ?
Et laisser comm’ça, queu piquié !
Son petit cœur en friche.
Air : Routes du monde
De la femme l’homme est l’appui :
Morgué, qu’est ç’qu’al serait sans lui ?
J’en parlons à bonnes enseignes :
Aux veignes faut des échalas,
Les femelles, comme les veignes,
Sans souquien ne profitent pas.
lisette
Air : C’est ce qu’on ne voit guère
Près du vignoble de nos filles,
On voit roder de malins drilles.
richard
Il faut cueillir, pour le plus sûr
Le raisin, drès qu’il est mûr,
À vendanger si l’on n’est pas preste,
Tous les messiers ont biau veiller,
Les moignaux viennent grappiller,
La rafle est ce qui reste.
lisette
Air : O reguingué
Craignez surtout un grappilleur.
richard
Qui donc ?
lisette
C’est un petit seigneur
D’Hélène il a gagné le cœur.
Je n’aurais jamais pu le croire :
Il m’a fait part de sa victoire.
richard
Air : Margoton a sous le menton
Comment donc, ce p’tit libartin
Prétend me faire outrage !
Je ferons sonner le tocsin
Sur lui dans le village.
Ah ! Palsangué
Jarnigué,
Tatigué,
J’f’rons un biau tapage,
C’est un petit farluquet,
Qui n’a que du caquet,
Et j’allons li bailler son paquet.
Scène v
Philinte, Lisette
philinte
Air : Ah ! Ma voisine, es-tu fâchée
Hé bien ! Sais-tu si mon ingrate
M’a pu trahir ?
lisette
Chacun de tes rivaux se flatte
De l’obtenir ;
Mais ici nous ne savons guère
L’art de changer,
Et soupçonner une bergère
C’est l’outrager.
Air : Accorde ta musette
Je vois venir Hélène,
Interroge son c\œ ur,
Mais cache-lui ta peine,
En peignant ton ardeur.
Scène vi
Hélène, Philinte
hélène, à part
Air : Faites dodo
Qu’il est fâcheux
De se contraindre !
Dois-je longtemps cacher mes feux ?
Mon tendre c\œ ur ignore l’art de feindre,
Mais l’éclat de ma flamme est dangereux.
Qu’il est fâcheux
De se contraindre !
Dois-je longtemps cacher mes feux ?
Elle veut se retirer en apercevant Philinte.
philinte
Air : J’allais traire ma vache
Demeure, ma bergère,
Je te cherchais en ces lieux :
Ta présence m’est chère,
Ah ! N’en prive plus mes yeux !
Je languis absent de toi,
Je renais quand je te vois.
hélène
Air : Je veux garder ma liberté
Que me veux-tu, Philinte ? Hélas !
Ton amour m’inquiète.
De grâce, ne suit plus mes pas,
Je veux rester seulette,
Gardant mon troupeau,
Tournant mon fuseau,
Disant la chansonnette.
philinte
Air : Le souci jaunissant
Tu daignais t’attendrir
Au récit de ma peine,
À présent tu veux me fuir !
Eh ! Que t’ai-je fait, Hélène ?
Ah ! Bergère inhumaine,
Tes rigueurs me font mourir.
Air : Musette de Monsieur Desbrosses
Ces tendres fleurs qui parent la verdure,
Ont parfumé l’haleine des Zéphirs,
De ce beau jour la lumière est plus pure.
Dans nos hameaux tout se livre aux plaisirs,
Quand le printemps ranime la nature,
Moi seul, hélas, j’expire de langueur ;
Mais prends pitié des peines que j’endure,
Et le printemps va naître dans mon cœur.
hélène
Air : Berger, je n’ose
Non, non, Philinte,
N’aimons plus, brisons des nœuds
Dangereux ;
Toujours la crainte
Trouble les cœurs amoureux.
À part.
Sa triste plainte
Me fait trop souffrir.
À Philinte.
Je ne puis guérir
La langueur dont ton âme est atteinte.
Non, non, Philinte,
N’aimons plus, brisons des nœuds
Dangereux ;
Toujours la crainte
Trouble les cœurs amoureux.
philinte
Air : Mais à quoi bon, Fatime
Écoute la fauvette
Par ses chants s’animer ;
Elle te dit, Brunette,
C’est un plaisir d’aimer.
hélène
La colombe qui soupire,
Semble me dire
Par son gémissement,
L’amour est un tourment.
philinte
Air : À mon cœur, dans ce séjour
Vois à l’ombre de ce tremble
Voler ensemble
Deux papillons :
Ils formaient deux tourbillons,
L’amour en un seul les rassemble.
À nos cœurs, dans ce séjour,
Tout peint l’amour,
Tout n’est qu’amour.
hélène
Air : Vous voulez me faire chanter
Je vis des oiseaux amoureux
Un jour sous ce feuillage,
J’étais attentive à leurs jeux,
À leurs doux badinage,
Mais le premier qui s’envola
Fut le mâle infidèle,
J’entends, depuis ce moment-là
Se plaindre la femelle.
philinte
Tout roule aujourd’hui dans le monde À l’ombre de ce vert bocage
Vois sur cette rive fleurie
Se rassembler ces deux ruisseaux,
Ils ne font qu’un dans la prairie,
Rien ne peut séparer leurs eaux :
Unissons nos âmes de même
Par le plus aimable lien ;
Hélène, dans un cœur qui t’aime,
Viens confondre à jamais le tien.
hélène
Air : Je vais partir, je vais mourir
Berger, malgré moi, je t’afflige ;
Mais il faut cesser de nous voir :
Si j’ai sur toi quelque pouvoir,
C’est la preuve que j’en exige.
philinte
Je vais partir
je vais mourir.
Quand vous entendrez le doux Zéphir,
Dans ces roseaux former quelque plainte,
Songez, songez que c’est un soupir
Du malheureux Philinte,
Sur un rameau
Quand le tourtereau,
Loin de sa compagne viendra gémir,
Qu’Hélène pense
Que son absence
Ma fera mourir ;
Que l’eau qui coule entre ces fleurs,
Par son murmure vous fasse entendre,
Barbare Hélène, combien de pleurs,
Vous me faites répandre.
hélène
Air : Et non, je n’en veux pas davantage
Sa douleur perce mon âme,
Quel pouvoir me fait la loi !
Je crains d’écouter sa flamme,
Et je reste malgré moi.
philinte
Quand votre cœur se dégage,
N’en puis-je apprendre la raison ?
hélène
Eh ! Non, non, non...
Ne me dis rien davantage.
Scène vii
Philinte
airvide
J’ai donc perdu ma chère Hélène ;
Ô douleur ! L’ingrate me fuit :
Pourrai-je oublier l’inhumaine ?
Je sens que mon âme la suit.
Air : Amis, sans regretter Paris
Je vous venir mes deux rivaux ;
Auquel dois-je m’en prendre ?
Cachons-nous entre ces roseaux,
Afin de les entendre.
Scène viii
Damon, Richard
richard
Air : Ronde
Allez tendre ailleurs vos panneaux,
Monsieur l’amoureux volage,
Car ce n’est pas viande pour vos oiseaux,
Qu’un tendron de ce village.
damon
Air : Alte-là
J’aurai sur toi la préférence.
richard
D’un vain espoir c’est se barcer,
On doit récompenser
Notre parsévérance.
Pestez, jurez, tout-ci tout-ça,
Bredi breda,
Pati pata,
Pata ta pouf, je m’en soucierons tout com’de ça
Ma gentille bargère,
Sera ma minagère.
damon
Eh ! Oui da !
richard
Air : Vantez vous-en
Quoiqu’je n’soyons pas gentiz-homme,
Dans not’village on me renomme.
Al’n’aura pas d’autre que moi,
J’vous tiandrons tête, jarnigoi.
damon
Mon ami, j’ai pitié de toi,
Mais fini, ton propos m’assomme,
Hélène aimerait ce manant !
richard
Vantez-vous en.bis
damon
Air : Ç’a n’se prend pas à poignée
Dans mille cœurs j’ai régné,
Sans prendre beaucoup de peine ;
Je suis sûr d’avoir gagné
Celui de la jeune Hélène.
richard
Il croit drès qu’il a lorgné
Qu’tout’les bel’ sont enflammées ;
Est-c’qu’on prend les cœurs à poignée,
Comme des laitues pommées ?
Air : C’est l’ouvrage d’un moment
Chez nous le cœur d’une maîtresse
Ne se rend pas si promptement,
Il faut soupirer constamment.
damon
On brusque à Paris la tendresse :
C’est l’ouvrage d’un moment.
Air : J’écoutais de là son caquet
la constance assoupit le goût,
Et le changement le réveille ;
Comme la diligente abeille,
Je sais prendre la fleur de tout.
richard
Air : Pierrot, sur le bord d’un ruisseau
Avec ce biau système-là,
Pense-t-il rendre
Sa belle plus tendre ?
D’un volage alle se rira,
Ou comme un monstre le fuira.
Du coteau je la vois descendre ;
Entre nous deux elle s’expliquera.
damon
Ce n’est pas toi qu’Hélène choisira.
richard
Ah ! Ah ! Nous allons voir ça.
Scène ix
Richard, Damon, Hélène, Philinte caché
hélène
Air : Sur cet aveu plein d’appas
Je m’éloigne vainement
De cette fontaine ;
Sur ses bords un tendre amant,
Gémit de sa peine ;
L’amour insensiblement
Toujours m’y ramène,
Toujours m’y ramène.
richard
Air : Il l’attrap’ra
Votre serviteur
damon
Venez, petite.
Elle est belle comme un beau jour.
Dans tous les cœurs sa vue excite
Des désirs, des transports d’amour.
J’espère aussi qu’à mon mérite,
Le vôtre aujourd’hui se rendra.
richard
Pr... il l’attrap’ra,
Il l’attrap’ra.
damon
Air : Je viens de vous choisir
Calmez la vive ardeur
Du feu qui me dévore,
Pourquoi cette rougeur ?
hélène
Monsieur...
damon
Je vous adore,
D’honneur.
De la pudeur encore !
Fi donc, c’est une horreur.
richard
Votre amour l’afflige.
damon
airvide
Vous baissez les yeux
J’en suis furieux,
Mais, mais très furieux, vous dis-je.
richard
Morgué, sa fureur
Va glacer son cœur.
damon
Air : Ça n’se fait pas
Avec moi quand tu seras,
Tu brilleras
Dans un galant équipage :
Dépêchons-nous d’épouser,
Que ce baiser
Soit le gage...
hélène, repoussant Damon
Tout doux, ne badinez pas.
richard et hélène, ensemble
Ça n’se fait pas,
Ça n’convient pas.
richard
Air : Ton humeur est, Cathereine
Quand vous s’rez ma minagère
J’écart’rons tout ça d’cheux nous,
Ces farluquets n’font q’déplaire.
damon
C’est un brutal, un jaloux.
richard
Si j’avons queuque querelle,
Ça n’fa q’nous ravigoter ;
Palsangué cela s’appelle
Reculer pour mieux sauter.
Air : Tré, tré, trémoussez donc
Retirez tous deux dans not’Farme,
Je n’en fairons que mieux l’amour ;
Car j’avons l’amiquié pus farme,
Que tous ces biaux messieurs de Cour.
Je n’vous baill’rons pas un carosse,
À quoi ç’fracas est-il bon ?
Mais tous les jours s’ront jours de noce :
Tré, tré, trémoussez-vous donc,
Trémoussez-vous donc, mon trognon.
damon
Air : Ma p’tit’ mère
Faut-il être si fière,
Surtout avec un seigneur ?
Hélène est la première
Dont j’éprouve la froideur.
Ma p’tit’ mère, ma chère mère,
Ma p’tit’, ma p’tit’, ma chère mère,
C’est une misère
De me tenir rigueur.
hélène
airvide
Savez-vous quelles sont nos lois ?
Savez-vous quelles sont nos lois ?
L’amour naïf règne en nos bois.
Nos cœurs n’écoutent que sa voix.
L’amant sincère obtient des droits.
Seul, il mérite notre choix.
Air : Le tout par nature
Nos discours n’ont point de fard,
L’intérêt est à l’écart ;
Notre sentiment ne part
Que d’une source pure
Ici nous aimons sans art,
Le tout par nature.
damon
Air : Madame Olympe
Vous décidez pour moi, mignonne,
Je suis si franc que rien n’est tel.
richard
Vous trouvarez en ma parsonne
Un bon amour tout naturel.
ensemble, ensemble
Ah ! Ma chère maîtresse,
damon
Répondez donc à ma tendresse.
richard
Répondez donc à ma tendresse.
Car c’est qu’c’est là mon seul désir,
Car, tenez, c’est qu’ça m’f’ra bien du plaisir.
damon
Air : Ah ! le bel oiseau, maman
N’écoutez point ce manant,
D’un rien il prendrait ombrage.
richard
De ce petit inconstant,
N’acoutez point le langage.
Ah ! Le bel oiseau vraiment,
Que vous auriez en partage !
Ah ! Le bel oiseau vraiment,
Que vous auriez pour amant !
Air : J’aime, je ris, je bois, je chante
Le rossignol fait son ramage,
Tant qu’il jouit de sa liberté ;
Mais il se tait, s’il est en cage,
Et rien ne réveille sa gaité.
D’un petit-maître c’est l’image ;
Il aime d’abord avec excès
Il chante avant le mariage :
On ne l’entend plus chanter après.
damon
Air : Bouchez, Naïades, vos fontaines
Quand l’amour est las du ménage,
La liberté nous dédommage :
Ce n’est plus que chez les bourgeois
Que l’hymen est un esclavage ;
On goute à présent sous ses lois
Tous les agréments du veuvage.
richard
Air : La jeune abbesse de ce lieu
Tranchons des discours superflus,
Et qu’Hélène entre nous décide.
hélène
J’aime, je ne m’en défens plus,
Pardonnez à mon cœur timide ;
Mais je crains, en nommant un époux,
Le courroux d’un rival jaloux.
damon
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Un cœur est maître de lui-même.
richard
L’amour seul doit donner des lois.
philinte, à part, dans le fond du théâtre
Qu’ai-je entendu !
à part damon et richard, ensemble
C’est moi qu’on aime.
philinte
Elle va faire un autre choix.
damon
Air : Est-ce de toi qu’il veut parler
Mon cœur, n’ayez aucun souci,
Je saurai vous défendre.
richard
J’saurons bien la défendre aussi.
philinte, à Lisette, dans le fond du théâtre.
Lisette, viens entendre.
L’ingrate Hélène, justes dieux !...
Je vais expirer à ses yeux.
Scène x
Hélène, Damon, Richard, Philinte, Lisette
hélène
Air : Le seigneur turc a raison
Je vais faire en ce moment
Un aveu sincère :
Tous deux vous faites serment
De voir mon choix sans colère.
richard
Oui, prononcez hardiment.
philinte, dans le fond du théâtre
O ciel !
damon
Nommez votre amant.
hélène, choisissant Philinte, qu’elle a remarqué
Voici qui je préfère.
philinte
Air : L’amant fidèle
J’ai la victoire.
J’ai peine à croire...
hélène
Sèche tes pleurs.
Nos craintes cessent,
Nos plaisirs naissent :
Joignons nos cœurs.
Air : Réveillez-vous, belle endormie
À Damon.
Un cœur est maître de lui-même.
À Richard.
L’amour seul doit donner des lois.
Tous deux, suivant votre système,
Vous devez garantir mon choix.
richard
Air : Le beau Dion
Morgué, ceci passe le jeu.
hélène
À Richard.
Vous aimez trop ;
À Damon.
Et vous trop peu.
Je ne veux point pour mon époux,
D’un inconstant ni d’un jaloux.
damon
Air : Songez-vous que je suis la veuve
Cet arrêt est, sur ma parole,
Délicieux.
Richard gémit et se désole,
Moi je fais mieux ;
Sans adieu, bergère adorable,
Je vous attends au bout du mois.
La sotte d’un berger fait choix,
Au mépris d’un seigneur aimable !
C’est un goût, foi de chevalier,
Singulier
Mais, mais, fort singulier,
Mais, mais, fort singulier.
Il sort.
richard
Air : La fille de village
De leur flamme traîtresse
Morguenne, vengeons-nous.
philinte
Je craignais ta tendresse,
Je crains peu ton courroux.
richard
Qu’al garde son Philinte,
Pourquoi tant me troubler ?
Avec l’doux jus d’ma pinte,
J’allons nous consoler.
Il sort.
lisette
Air : Tout cela m’est indifférent
Tout répond à votre désir ;
Il faut se livrer au plaisir.
La troupe des bergers s’avance :
On va, sous ces ombrages frais,
Donner le prix de la constance
Aux deux amants les plus parfaits.
Scène xi
Hélène, Philinte
hélène
Air : Est-ce ainsi qu’on prend les belles
Me pardonnes-tu, Philinte,
D’avoir éprouvé ton cœur ?
Tes rivaux causaient ma crainte ;
J’appréhendais leur fureur :
Par une innocente feinte,
Je couronne ton ardeur.
philinte
Air : Entre l’amour et la raison
Si les feux de tous les amants,
Et leurs transports les plus ardents
Etaient réunis dans mon âme,
Hélène, ô mon plus cher trésor !
Ils ne pourraient payer encor
Une étincelle de ta flamme.
philinte et hélène, ensemble
Duo
Air : Ah ! Madame Anroux
Que nos nœuds charmants
Aux parfaits amants
Servent de modèles ;
Bergers amoureux,
De deux cœurs fidèles
Couronnez les feux.
philinte
Amour, que tes faveurs
Ont pour nous de douceurs.
hélène
Amour, rends éternelles
Nos sincères ardeurs.
ensemble, ensemble
Que nos nœuds charmants
Aux parfaits amants
Servent de modèles ;
Bergers amoureux,
De deux cœurs fidèles
Couronnez les feux.
divertissement
Les bergers et bergères descendent deux à deux du coteau.
Danse pastorale
Les bergers présentent une couronne à Hélène, et les bergères une autre à Philinte.
philinte
airvide
Qu’en ce jour, tendre musette,
L’écho répète
Tes accents ;
Hélène enfin s’engage,
Et partage
Mes transports ardents.
Tu n’osais te plaindre,
Ni lui peindre
Ma langueur, mes soupirs,
Après tant de peine
Hélène
Permet de chanter mes plaisirs.
un berger, chante sur le même air :
La bergère qui m’engage
Craint le langage
De l’amour.
Il faut que ma musette
Plus discrète
s’exprime à son tour.
Quand je fais entendre
D’un air tendre
Les accords amoureux,
Ma chère Thémire
Soupire,
Et paraît sensible à mes feux.
une bergère
airvide
Le berger Silvandre
N’ose m’apprendre son ardeur.
Il se tait, mais sa musette
Est l’interprète
De son cœur.
Qu’il est dangereux de l’entendre !
Je crains d’écouter ses accents ;
Et je ne saurais m’en défendre.
Hélas ! par quels charmes puissants
L’enchanteur sait-il me surprendre !
Il trouble, il enchaîne mes sens.
Le berger Silvandre
N’ose m’apprendre son ardeur.
Il se tait, mais sa musette
Est l’interprète
De son cœur.
Je rêve, je suis distraite,
Quand j’entends ses chansons.
Sans y penser tout bas
Je les répète,
Et malgré moi ma voix trop indiscrète
S’élève et s’unit à ses sons.
Le berger Silvandre
N’ose m’apprendre son ardeur.
Il se tait, mais sa musette
Est l’interprète
De son cœur.
Fin