Denis Carolet
Les Amours des Indes
Parodie critique des Indes galantes
Opéra comique représenté à la Foire de Saint-Laurent
le 17 septembre 1735
BnF ms. fr. 9315
definitacteur, phani-palla phani
Acteurs
Huascar, inca sacrificateur du soleil
Phani-Palla, princesse péruvienne
Don Carlos, espagnol, amant de Phani-Palla
Chœur de péruviens
La scène est au Pérou.
Les Amours des Indes
entree, [Le théâtre représente une campagne déserte et dans l’éloignement une montagne du Pérou. Le Jaloux poltron
Scène i
phani-palla, don carlos
don carlos
Eh, quoi ! ma chère Phani, toujours prévenue pour les Incas et leurs erreurs ? Ne les sacrifierez-vous point à l’ardeur dont je brûle pour vos divins attraits ?
Air : Non, vous ne m’aimez plus, Lisette
Non, non, non. Vous ne m’aimez pas, cruelle ?
Non etc.
phani
Air : Le cher voisin
Quel injuste soupçon mon cher,
Un tel discours m’offense.
N’a-t-on pas peine à s’arracher
Aux préjugés d’enfance ?
don carlos
Air : Ne m’entendez-vous pas
Ne balancez donc pas
Et suivez mes maximes.
Vos erreurs sont des crimes.
phani
Mais je crains nos incas.
don carlos
Ne balancez donc pas.
Pouvez-vous craindre de viles canailles, que le souffle seul de notre haleine a fait fuir ? Vous m’aimez, prouvez le moi. En ce moment il s’agit de me suivre, moquez-vous de vos incas.
phani
Air : L’oublieur
Là-haut sur ces montagnes,
Ils vont se rassembler.
Déjà dans nos campagnes,
Je les entends parler.
Le soleil va paraître
Un chacun d’eux veut être
À son petit lever.
Ils verront notre fuite.
don carlos
Votre frayeur m’irrite,
Laissez-vous enlever.
phani
Mais ils m’observent.
don carlos
Si vous m’épousez, ils n’auront rien à dire.
phani
Bon, des sauvages comme eux se paient-ils de raison ? Cependant, je vous aime et ne puis vous rien refuser.
Air : La Palice
Allez, pressez ce moment
Il me sera favorable
Et tirez-moi promptement
De ce séjour détestable.
Surtout ne revenez pas seul. Nos sauvages ne sont pas aisés. Ils se mettent toujours trente contre un. Vous voyez bien que s’ils vous tuaient... L’idée seule m’en fait frémir.
Même air
Votre destin fait mon sort,
J’ai besoin de votre vie.
Hélas ! si vous étiez mort...
don carlos
Rassurez-vous, je vous prie.
Air : Confiteor
Oubliez-vous que dans ces lieux
Un espagnol est une armée ?
phani
Je sais vos exploits glorieux.
don carlos
Ne soyez donc plus alarmée.
phani
Allez.
don carlos
Que craignez-vous ?
phani
Hélas !
Craint-on tant lorsqu’on n’aime pas ?
Scène ii
phani-palla seule
phani
Air : [Je ne suis né] ni Roi, ni Prince
Viens m’unir à l’amant que j’aime,
Hymen, à ton pouvoir suprême,
Je veux devoir des nœuds si doux.
Moins que toi l’Amour est aimable
Fasse le ciel qu’étant époux
Nous tenions un discours semblable.
Scène iii
phani-palla, huascar
huascar
La voilà seule, parlons lui. Si pourtant un rival me la disputait... faisons mieux, parlons au nom des dieux... c’est une fourberie qui sera sur le compte de l’amour.
Air : Prévôt [des marchands]
Je viens de la part du soleil
Dont nous attendons le réveil,
Pour vous dire, aimable Princesse,
Qu’il veut vous donner un époux.
Vous palissez... quelle faiblesse
La surprend ? ... tâtons-lui le pouls.
Elle soupire, que veut dire cela ?
Air : Je ne veux point troubler
Obéissez, le ciel vous le commande.
phani
N’abusez point de ma simplicité.
Au nom des dieux souvent on nous demande
Ce que jamais les dieux n’ont demandé.
huascar
Oh ! oh ! je m’en doute, vous avez l’amour en tête. C’est lui qui vous fait braver les ordres du soleil.
phani
L’amour ? ... Que croyez-vous, s’il vous plait ?
huascar
Air : Les feuillantines
Oui, j’ai, quel destin fatal !
Un rival.
Vous vous défendez trop mal.
C’est sans doute un de ces drôles
Qui vous ont, \ibis\ si bien frotté les épaules.
J’enrage qu’ils soient plus braves que moi, sans cela...
phani
Air : Colette
Respectez le dieu qui les guide.
huascar
Ce sont nos lingots.
phani, sortant
Parlez mieux.
huascar
Par cette insolence, perfide !
Je vois que ton cœur en sait vieux.
Scène iv
huascar, un inca
huascar
On vient. Remettons nos invectives à tantôt. Toi, vas où tu sais et fais bien ta manœuvre. Cette bagatelle opèrera peut-être beaucoup pour mon amour. Il faut donc que je fasse le diable à quatre pour avoir le cœur de ma maîtresse. Les sacrificateurs du soleil s’avancent en musique. Chantons à leurs têtes d’aussi bonne grâce que si j’étais bien content.
Scène v
phani-palla, huascar, un sacrificateur, chœur
huascar
Air : Ma raison s’en va
Beau soleil dans ce canton,
On a rasé tes maisons.
Tu dois ces horreurs
Aux noires fureurs
Des bras de maint veillaque.
Tu ne loges plus qu’en nos cœurs
Et dans le zodiaque.
Lon la etc.
chœur
Tu ne loges plus qu’en nos cœur, etc.
huascar
Air : Prévôt [des marchands]
Jamais la neige et les frimas
N’ont paru dans ces beaux climats.
Content de notre juste hommage
Tu ne veux jamais te cacher.
Tu nous fais aussi bon visage
À ton coucher qu’à ton lever.
chœur
Tu nous fais etc.
huascar
Air : Pendu
Quand tu te couches la nuit vient,
De ce fait un chacun convient.
Quand tu rentres dans ta carrière,
Nos yeux revoient la lumière
Et la chaleur de tes rayons
Fait le chaud que nous essuyons.
chœur
Et la chaleur etc.
huascar
Air : Le cap de Bonne-Espérance
C’est assez, flambeau du monde,
T’étourdir de nos chansons.
Cours embellir l’air et l’onde
Par l’éclat de tes rayons.
Je voulais te faire entendre
Une chansonnette tendre
Mais cela ne convient pas
À mon cruel embarras.
La terre tremble, on voit des feux.
chœur
Air : Sens dessus dessous
La terre tremble, quelle horreur !
Nous sommes remplis de frayeur.
Les vents se déclarent la guerre,
Sens dessus [dessous, sens devant derrière]
Et mettent tout dans leur courroux
Sens devant [derrière, sens dessus dessous.]
Scène vi
phani-palla, huascar
huascar
Arrêtez, perfide ! Et voyez quel tapage le ciel fait pour vos beaux yeux. Eh bien ! voulez-vous vous marier, enfin ?
phani
Et avec qui s’il vous plait ? Il y a plus d’une heure que vous me chantez que le soleil veut me donner un époux ; ne serait-ce pas vous, par hasard ?
huascar
N’auriez-vous pas dû le deviner à ma jalousie ?
phani
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Ton crime paraît, misérable.
huascar
Un amant quand il ne plaît pas
N’est pas bon à donner au diable.
phani
Si tu m’aimes, tu perds tes pas.
huascar
Eh bien ! craignez ici pour votre vie. La mort y vole de toutes parts. Si vous n’obéissez... mais quoi ! la mort vous paraît plus belle que moi ?
phani
N’en doutez pas, barbare.
huascar
Le feu redouble, tu vas être punie de ta désobéissance, ou tu m’épouseras.
Scène vii
huascar, phani-palla, don carlos
don carlos
Air : Le coucou
Traître, tu comptes sans ton hôte.
phani
Ah, Carlos ! Je me meurs d’effroi.
Le soleil va punir ma faute.
don carlos
J’admire votre bonne foi.
Vous ignorez donc que la moindre pierre jetée dans ces gouffres excite le bruit qui vous alarme. En vérité, il faut que vous soyez aussi simple que ce maraud ou poltron pour donner dans un tel panneau. Voyez s’il ose me répliquer. Il mériterait de mourir... mais, non. J’ai un secret pour mieux punir.
Air : La Têtard
Qu’il soit témoins de nos feux
Et de notre mariage.
huascar
Quel châtiment rigoureux !
Que n’ai-je plus de courage !
phani-palla et don carlos, ensemble
Marions, marions, marions-nous
Pour mieux animer sa rage.
Marions etc.
À la barbe du jaloux
don carlos
Achevons de le désespérer par un tendre duo.
huascar
Je n’y puis plus tenir et je veux pour exprimer ma rage chanter ce duo-là à nous trois.
phani-palla et don carlos, ensemble
Air : Ah ! Thérèse
La tendresse
Qui me presse
Fait sans cesse
[...]
huascar
Ce que je vois ici me blesse
Mais hélas ! je n’ai point de cœur.
phani-palla et don carlos, ensemble
La tendresse etc.
Ils sortent.
Scène viii
huascar seul
huascar
Air : Trembleurs
Le feu se rallume encore,
Loin de le fuir, je l’implore,
Que la flamme me dévore !
Mais non, je crains de périr.
Je n’ai point eu de courage
Contre l’amant qui m’outrage.
Comment voudrais-je mourir.
Il se sauve en voyant la montagne s’enflammer.
finentree
Acteurs
Osman, Bacha
Émilie, esclave d’Osman
Valère, capitaine de vaisseau, esclave d’Osman
Chœur d’esclaves
La scène est dans une île turque de la mer des Indes.
entree, Le théâtre représente un jardin. Le Bon turc
Scène ix
émilie, osman
émilie
Air : Prévôt [des marchands]
Eh, quoi ! Sans cesse sur mes pas,
Osman, vous n’y gagnerez pas.
Je venais seule ici me plaindre
De ma triste condition.
osman
Avec moi l’on n’a rien à craindre
Car je ne suis turc que de nom.
émilie, bas
S’il est ainsi découvrons lui mon feu pour arrêter le sien. Cela n’est pourtant guère bien imaginé.
osman
Air : [Bouchez,] Naïades, [vos fontaines]
Pourquoi toujours fuir ma présence ?
émilie
À mon cruel destin, je pense,
Et je voudrais n’y point penser.
osman
Ciel ! Qu’entends-je ?
émilie
Il faut tout vous dire
Écoutez, je vais commencer.
Un récit est fait pour instruire.
Air : Pendu
Apprenez mon sort rigoureux
Dans le séjour où mes aïeux
Ont reçu l’être et la lumière.
Sur un rivage solitaire
J’épousais un aimable amant
Je l’ai perdu, voici comment.
Air : Paris est en grand deuil
Nous étions tous contents
Et j’approchais du temps
Qu’allait finir la noce ;
Pour nous mener coucher
On venait de chercher
Tout exprès un carrosse.
Air : Trembleurs
Mais un barbare corsaire
En tirant son cimeterre
M’ôte des mains de ma mère
Et me met dans son vaisseau.
Les vents remplis de malice
Et jusqu’au ciel complice
D’une si noire injustice
Me poussèrent en pleine eau.
Air : Vogue la galère
J’eus beau dire : \og Ah ! ma mère,
Au secours, je me meurs \fg
\og Ne craignez rien ma chère \fg
Me disaient les rameurs.
Et vogue la galère
[Tant qu’elle, tant qu’elle
Et vogue la galère
Tant qu’elle pourra voguer.]
osman
Air : Joconde
Que ce récit me fait pitié !
Quelle vive peinture !
émilie
Bon, je n’en suis qu’à la moitié...
Dans cette conjoncture,
Mon amant...
osman
Dites votre époux
Puisqu’on faisait la noce.
émilie
Peut-être a péri sous les coups
De quelque bras féroce.
Air : Sens dessus dessous
Car sans entendre de raison
Outré de cette trahison,
Sur cette troupe meurtrière
Sens dessus dessous etc.
Il portait la mort et les coups.
Sans devant etc.
Mais le nombre de ces coquins-là, seigneur, l’emporta sur la valeur du pauvre garçon.
Air : [La mie Margot]
Un ravisseur, deux ravisseurs
Trois ravisseurs ensemble
Ont enlevé soudain,
Ont enlevé d’entre ses mains
La tremblante Émilie.
osman
Tout cela est triste, j’en conviens, mais je ferai si bien les choses que vous oublierez facilement vos chagrins. Ces lieux sont l’asile des plaisirs et des ris.
émilie
Air : Prévôt [des marchands]
Quand sur ce rivage fatal
Je tombe de fièvre en chaud mal
Et que peut-être je suis veuve,
Vous me parlez plaisirs et ris
La proposition est neuve.
Vous me croyez donc de Paris.
Hélas !
osman
Air : Ah ! mon mal ne vient que d’aimer
Vos soupirs, me font enrager.
C’en est fait, c’est trop m’outrager.
L’amour d’un cœur doit déloger
Dès que l’espoir s’envole.
Vos soupirs me font enrager.
émilie
Votre maxime est drôle.
Voilà une morale furieusement turque.
osman
Air : Péril
Je vous quitte, belle Émilie,
Cessez vos regrets superflus.
Votre amant ne reviendra plus
Puisqu’il n’est plus en vie.
Au revoir.
Scène x
émilie seule
émilie
Me voilà donc seule. Tout ce qui me plaît dans ce bon Turc-là c’est qu’il n’est point gênant, il me quitte le plus à propos du monde et me laisse libre pour le monologue. À propos, il dit que je ne reverrai plus mon amant. Faisons de cela notre sujet.
Air : Ceux qui me l’ont tué [m’ont fait grand tort]
Oui, l’amour de Valère
M’affligera toujours
Et quoi qu’on puisse faire
Il aura mes amours.
Si l’on croit que je change, on a grand tort.
Je l’aimerai toujours, quoiqu’il soit mort.
Le ciel se couvre.
L’orage qui s’apprête et la mer qui gronde valent bien un couplet moral...
Vaste mer dont le calme perfide...
Sans chercher un air si connu, servons-nous d’un vaudeville pour peindre cet élément capricieux.
Air : La différence
La mer change en un instant,
Un cœur en fait tout autant,
Voilà la ressemblance.
Je verrai balancer ses flots
Sans voir la fin de mes maux,
Voilà la différence.
chœur, qu’on ne voit pas
Air : Comment faire
Ciel ! nous craignons plus d’une mort
Les vents [nous éloignent – du port.
Périrons-nous par le tonnerre ?
Ses feux nous font craindre ses coups.
Sous les ondes périrons-nous ?
Comment faire ?
émilie
Air : L’autre nuit, j’aperçus [en songe]
Que ces pauvres gens me font peine
Je m’imagine être avec eux.
Calme.
Mais la mer sensible à leurs vœux
Semble devenir plus humaine.
J’ai le cœur si plein de leurs cris
Que je ne sais ce que je dis.
chœur
Rats
Nous sortons des flots
Pour ramer sur une galère
Nous sortons des flots
Pour aller coucher aux cachots.
émilie
Air : Qu’ils sont heureux, ceux
Qu’ils seront malheureux,
Ceux
Qui dans ce séjour auront le cœur tendre.
Qu’ils seront malheureux,
Ceux
Qui pour quelque objet ressentent des feux.
Quand on a le cœur pris et qu’on entend quelqu’un se plaindre, on le mesure toujours à son aune.
Scène xi
émilie, valère
émilie, à part
Air : [Je ne suis né] ni Roi, ni Prince
Un de ces malheureux approche.
Il faudrait être un cœur de roche
Pour ne point partager ses maux.
Peut-être aura-t-il pris naissance
Dans mon pays... L’ami, deux mots.
Mais, Valère, c’est vous je pense.
valère
Ah ! belle Émilie, c’est vous, si je ne me trompe.
Air : Péril
Que j’aime charmante Émilie
Cette reconnaissance-là
Il en est mille à l’Opéra
Dont le détail ennuie.
émilie
Il faut pour la marquer nous dire en duo quelques douceurs convenables à notre joie.
Air : Margot, sur la brune
Quoi ! c’est vous, Valère ?
valère
Eh ! oui, c’est moi, ma chère.
émilie
Quoi ! c’est vous, Valère ?
valère
Oui, c’est moi, mon tendron.
C’est vous, ma chère ?
émilie
C’est moi, Valère.
valère
Dans quelle terre
Sommes-nous donc ?
émilie
Ma foi, je n’en sais pas le nom.
Tout ce que je puis vous dire c’est que nous sommes dans une île turque de la mer des Indes et que nous appartenons au même maître.
valère
Ah ! tant mieux, à quelque chose le malheur est bon. Nous aurons le plaisir de demeurer ensemble.
émilie
Oui, mais le Seigneur turc est amoureux de moi.
valère
Air : Des fraises
Que m’apprenez-vous ? Ô dieux !
émilie
Une méchante affaire.
Mais quel vent officieux
Vous a conduit en ces lieux
Valère ? [Valère ? Valère ?]
valère
Air : J’étais perdu
Depuis qu’on nous a séparés,
Ma chère Émilie,
Partout mes soupirs égarés
Vous ont poursuivie.
Pour vous mon aimable amour,
L’âme sans cesse émue,
Je répétais nuit et jour :
\og Elle est perdue \fg.
Enfin, j’ai été pris pas des corsaires et conduit dans ces lieux dont je n’ai point encore vu le maître.
émilie
Eh ! mais vous n’avez guère eu le temps de lui rendre vos devoirs, puisque vous ne faites que sortir de l’eau.
valère
Il est vrai... mais revenons à votre situation présente, elle me désespère.
Air : Pouvoir
Ce turc vous tient en son pouvoir
émilie
Sans cesse il vient me voir.
Mais, mon chagrin vous est garant
Qu’il m’est indifférent.
valère
Osman, ne vous aimera jamais qu’à la turque et je suis français, moi.
Air : Colette
Sur ces bords une autre maîtresse
Sait partager son cœur altier
Et vous méritez, ma Princesse,
D’en avoir un qui soit entier.
émilie
Il n’y a qu’un moment que vous êtes débarqués ici et vous en savez plus que moi. Je ne connais point de maîtresse au bonhomme Osman, et je vous dirais même que les femmes sont si rares ici que je n’ai pas seulement une confidente.
Scène xii
émilie, valère, osman
osman, à Valère
Air : Le coucou
Esclave, je viens de t’entendre
Ton crime m’est connu...
valère
Tant mieux.
émilie
Hélas ! Seigneur, daignez m’apprendre
Quel mal il a fait à vos yeux.
osman
Air : Non, je ne ferai pas [ce qu’on veut que je fasse]
Vous l’accusez, Madame, en voulant le défendre.
valère
Cette pensée est belle, et ne peut me surprendre
Car j’ai lu dans Inès et j’en ai bon témoins,
Vous la serviriez mieux, en la défendant moins.
osman
Cela ne m’empêchera pas de me venger. Vous vous aimez... voilà le moment où je vais triompher.
émilie
Le barbare !
valère
Air : Laire lonla
J’attends l’arrêt de ton courroux.
émilie
Ah, Ciel ! quel quart d’heure pour nous.
osman
Belle, je vous donne Valère.
émilie
Laire lanlaire etc.
Air : Des fraises
Je n’en crois rien, touche-t-on
Des cœurs comme les vôtres ?
Que dites-vous ? mais non, non.
Ce n’est qu’une trahison
À d’autres, [à d’autres, à d’autres !]
osman
Air : Sur quel ton le prend-on
En vérité vous n’avez pas raison
D’avoir d’Osman cet injuste soupçon.
Vous le prenez sur un drôle de ton.
Je ne suis point un homme à vous surprendre.
Comment donc ! mon trognon ! sur quel ton ?
émilie
C’est le ton, qu’avec vous il faut prendre.
osman
Air : Joconde nouveau
Ce que je fais ici pour vous
N’est pas sans qu’il m’en coûte.
Je te le donne pour époux.
Chère Émilie, écoute.
De Valère esclave autrefois
Osman fut tributaire.
Il m’a fait ce que je lui dois
Et je n’en puis trop faire.
Oui, sans me connaître, il m’a rendu la liberté.
valère
Eh quoi ! C’est vous mon cher Osman ?
osman
Je vous ai reconnu et j’ai voulu vous surprendre.
émilie
Eh, mais , en vérité, voila des choses merveilleuses que j’apprends. Contez-moi donc un peu cela, Valère.
valère
Ce sera pour une autre fois. Il suffit que voila le dénouement de notre histoire. Il nous reste à remercier ce brave turc de la liberté qu’il nous rend.
osman
Air : Voulant faire un voyage
Pour vous, puis-je moins faire ?
émilie
Quel excès de vertu !
osman
Mon cœur dans cette affaire
N’a que trop combattu.
Je veux que l’on me chante
Un jour à l’Opéra.
émilie
Cette action galante
Sans doute y surprendra.
osman
J’ai fait charger vos vaisseaux de toutes les provisions de bouche nécessaires pour une longue navigation.
Air : Prévôt [des marchands]
Songez à moi, mes chers enfants.
valère
Recevez mes remerciements.
émilie
Écoutez...
osman
Je n’en veux rien faire.
Quoi... mais... non... je n’écoute rien.
Sans regarder même en arrière,
Osman vous quitte... aimez-vous bien.
Scène xiii
émilie, valère
émilie
Air : Le cher voisin
Ce Turc agit bien noblement
Et nous sommes en reste.
Ses adieux sont le dénouement
De l’opéra d’Alceste.
valère
Air : Chantez, petit Colin
Sans chanter les zéphirs
Et leur penchant volage,
Sans chanter les zéphirs,
Goûtons de plus charmants plaisirs.
Notre amour nous engage
À quitter ce rivage.
Laissons tout cela,
Ces lieux communs-là
Sont pour l’opéra.
émilie
C’est bien dit, allons mettre la dernière main à notre mariage et laissons le champ libre à quelqu’autre aventure.
finentree
Acteurs
Tacmas, prince persan, Roi dans les Indes
Fatime, sultane favorite
Atalide, sultane rivale de Fatime
Roxanne, confidente de Fatime
La scène est dans un jardin.
entree, La Feinte inutile
Scène xiv
roxane, fatime en esclave polonais
roxane
Air : Du haut en bas
Du haut en bas
D’un garçon de riche encolure,
Du haut en bas,
Vous avez l’air...
fatime
N’en doutez pas.
roxane
Mais, je crains que quelque aventure...
fatime
Va, je soutiendrai la gageure
Du haut en bas.
Sois assurée, Roxane, que je ne risque rien en ces lieux et d’ailleurs la fête qu’on prépare pour ce soir y donne l’entrée libre à tout le monde.
roxane
Air : L’allure
De votre cœur jaloux,
Entre nous,
Je condamne l’allure.
fatime
J’aime Tacmas,
S’il ne m’aime pas.
Que faire ici
Où l’on n’a qu’un mari
Encor quand on peut se faire un bon ami
Au sérail la vie est moins dure.
Atalide m’est suspecte et quoique je sois favorite, il pourrait fort bien arriver que grâce à l’inconstance de Tacmas, je restasse ici les bras croisés.
roxane
Air : [Je ne suis né] ni Roi, ni Prince
Atalide est charmante et belle.
fatime
De plus, on la dit peu cruelle.
Cet objet ne m’est pas connu.
roxane
J’en suis surprise et je dois l’être.
Quand au sérail on a vécu
On doit, je pense, s’y connaître.
Sans doute qu’elle exerce ici même emploi que vous.
fatime
Et voilà, justement, où le bât me blesse.
Air : Ô, ricandaine
Je veux éclaircir ce soupçon,
Ô, ricandaine ; [ô, ricandon]
Si du cœur de cette guenon
Le Roi tenté
Du mien me paraît dégoûté,
Qu’elle redoute ma fierté
Ricandaine.
Elle paiera bien chèrement
Les caresses de son amant
Car,
Je vous la frotterai
Ô, ricandaine,
Je vous l’étrillerai
Ô, ricandé.
roxane
Y pensez-vous, belle Fatime ?
fatime
airvide
Par la mort
Dans mon fier transport
Fussent-ils ensemble,
Je veux qu’elle en tremble.
C’est à moi
Qu’est dû son emploi.
roxane
Et mais, vous extravaguez.
Air : De quoi vous plaignez-vous
De quoi vous plaignez-vous
N’êtes-vous pas favorite ?
De quoi vous plaignez-vous
fatime
Ce nom n’est rien pour nous,
Quand malgré notre mérite
On néglige nos appas.
Si le prince me quitte...
roxane
Il ne vous quitte pas.
Air : Pouvoir
Vous souvient-il qu’hier au soir
Vous eûtes le mouchoir.
Soyez tranquille, croyez-moi,
Vous avez de l’emploi.
fatime
Cela est vrai. Il n’y a pas même de déchets aux caresses du Prince. Mais, je suis jalouse, c’est le faible des maîtresses en charge et qui craignent la réforme.
roxane
Vous ne savez à qui vous en avez. Voilà votre portrait d’après nature.
Air : [Je ne suis né] ni Roi, ni Prince
Jalouse par extravagance
Vous vous plaignez de l’inconstance
D’un homme qui n’aime que vous,
Et mal à propos curieuse
Vous jouez le rôle, entre nous,
De l’amante capricieuse.
Je vous laisse, Atalide vient.
fatime
Eh, pourquoi me quitter si brusquement ? Tu ne seras pas de trop dans l’éclaircissement.
roxane
Cela est vrai. J’étais bien aise de vous accompagner ici, pour vous épargner la peine de faire seule l’exposition de votre dessein. Adieu, je reviendrai pour chanter quelques babioles à la fête.
Scène xv
fatime, atalide
atalide
Air : Non, je ne ferai pas [ce qu’on veut que je fasse]
Cet esclave est nouveau, risquons ma confidence,
C’est un tourment pour moi de garder le silence.
Parlons, quand je devrais trouver un indiscret,
Je suis femme et ne puis renfermer un secret.
fatime
Je tremble en la voyant. Elle est belle, elle est aimée, la conséquence est naturelle, elle pourrait cependant n’être pas juste.
atalide
Air : Prévôt [des marchands]
Apprenez-moi, mon beau garçon,
Si vous êtes de la maison.
fatime
Au sérail, je suis nécessaire,
Tacmas m’y donne de l’emploi.
atalide
Que vous êtes heureux de faire
Ce que veut cet aimable Roi.
fatime
Air : Lonla
Vous l’aimez apparemment.
atalide
Hélas, oui, pour mon tourment,
Il a dans mon cœur
Fait naître une ardeur
Qui n’a pas son égale.
fatime
Vous l’aimez.
atalide
Que trop.
fatime
M’y voilà.
Je connais ma rivale, lon la !
Je connais [ma rivale.]
Me voilà payée de ma curiosité. N’importe, allons jusqu’au bout. Et peut-on savoir, belle Atalide, à quel chapitre de l’amour vos cœur en sont ? Ils m’ont l’air vite en besogne.
atalide
Hélas !
Air : Turlurette
Je tiens par de si beaux nœuds
Au cher objet de mes feux
Que ma chaîne est des mieux faite
Turlurette etc.
fatime
Elle aime trop, il y a quelque chose là-dessous.
Air : Et non, non, non
À cet amoureux langage,
Je connais mes déplaisirs.
L’ingrat Tacmas, qu’elle engage,
A comblé tous ses désirs.
Ce qui rend l’amant volage
De notre constance répond
Et non, non, non,
Je n’en veux pas d’avantage.
Il faut l’alarmer, cela est de mon rôle.
Air : Une jeune nonnette
Vous aimez un volage,
Que je vous plains.
Ma foi, c’est grand dommage
Qu’entre ses mains
Un morceau comme celui-là
Soit tombé...
atalide
L’ami, que dites-vous là ?
Sa tendresse est sincère
Je sais cela.
Et que trop pour mon malheur. Il adore Fatime et j’en meurs de jalousie.
fatime
Air : Mon mari est à la taverne
Quoi, Tacmas, n’est point infidèle ?
atalide
L’ami, quelle part y prenez-vous ?
J’attendais tout de votre zèle,
Mon embarras vous semble doux
Et même je vous en vois rire.
fatime
Lalalerita etc.
atalide
Que je regrette mon pays.
Air : Péril
Quel destin ici me traverse,
Je ne connais plus le repos.
Hélas ! j’ignorais tous ces maux
Lorsque j’étais en Perse.
Tacmas approche. Si l’amour n’a pitié de moi, mes feux ne feront ici que de l’eau claire.
Scène xvi
atalide, fatime, tacmas
tacmas
Air : Le cher voisin
Un esclave sous ces berceaux,
Il périra, le traître !
Mais, c’est Fatime... qu’à propos
J’ai su la reconnaître !
J’allais jouer du poignard. Je suis charmé, belle Fatime, que cette reconnaissance n’ait pas tiré en longueur.
fatime
Air : Je ne veux point troubler
Votre poignard n’a rien qui m’épouvante.
Avec plaisir, j’en sentirais les coups.
Percez, percez, le cœur de votre amante.
Mal à propos s’est-il montré jaloux.
atalide
Air : Colette
Ciel ! c’est ma rivale.
fatime
Elle même.
atalide
C’est pour moi le coup de poignard.
fatime
Je ressens une joie extrême,
Elle se confie au renard.
Scène xvii
fatime, tacmas
tacmas
Pourquoi donc cette mascarade ? Vouliez-vous faire quelque conquête pendant la fête comique qu’on prépare ?
fatime
C’était uniquement pour m’assurer de la votre et voir si Atalide n’était pas ma rivale.
tacmas
Air : Folies d’Espagne
En vérité, trop injuste Fatime,
Je suis piqué de vos soupçons jaloux.
fatime
De ces transports pourquoi me faire un crime ?
J’aime un amant et non point un époux.
tacmas
Air : Le coucou
Je ris de ce trait de malice.
fatime
Il vient de calmer mon tourment.
Il faut qu’une intrigue finisse
Toujours par quelque dénouement.
tacmas
Vous ne savez donc à quoi vous occuper pour jouer un rôle aussi peu intéressant. Il n’est ni amusant, ni neuf.
Air : Péril
Vous n’êtes pas assez habile.
Je veux pourtant vous pardonner
Mais je ne puis que condamner
Une feinte inutile.
fatime
Que voulez-vous, Seigneur,
Air : Sens dessus dessous
La jalousie a des transports
Qui dérangent tous nos ressorts.
Elle met une âme ratière
Sens dessus dessous, [sens devant derrière,]
tacmas
Elle a mis votre cœur jaloux
Sens devant [derrière, sens dessus dessous.]
fatime
Air : Vous qui vous moquez par vos ris
Vous ferai-je aussi le détail
De votre jalousie ?
D’une marchande du sérail
Cette même folie
Vous fit prendre tout l’attirail.
tacmas
N’en parlons plus ma mie.
Cette leçon-là ne m’a pas fait honneur dans le monde, mais la fête commence.
Symphonie tendre
Air : [Un] certain je ne sais quoi
Ces concerts si tendres et si doux
Inspirent l’allégresse.
Pour la fête chacun s’empresse.
Voyons-là, mais séparons-nous
De peur d’un certain je ne sais qu’est-ce
Vos yeux sont de dangereux filous.
fatime
Expliquez-vous. Je ne comprend rien à cette galanterie.
tacmas
Rien n’est plus clair.
Air : Le fils d’Ulysse
Auprès de vous on a l’âme enchantée,
On ne pense qu’à vous
Et cependant la fête préparée
Doit nous occuper tous
Et pour vous voir, je tournerai la tête.
Je veux voir la fête
Moi,
Je veux [voir la fête.]
fatime
Voilà dire une grossièreté le plus galamment du monde. Voyons la fête chacun de notre côté.
tacmas
Vous croyez peut-être voir quelque fête persanne. Point du tout et comme je ne veux pas vous ennuyer
Air : La mie Margot
Un bon danseur,
Deux bons danseurs,
Trois bons danseurs, ma belle,
Nous vont donner, ma mie,
Nous vont donner, ma mie Margot,
Cette danse est nouvelle.
Elle nous est arrivée de Paris où elle est fort en règne.
Fin