Auteurs : | anonyme |
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Parodie de : | Les Danaïdes de du Roullet et Salieri |
Représentation : | Inconnu |
Source : | ms. BnF, fr. 9260 |
Mes filles, mes chères filles, venez, accourez ! C’est moi, c’est votre père qui vous appelle.
J’ai une grande nouvelle à vous apprendre. Vos futurs époux, vos cinquante cousins... ils arrivent.
Du haut de ma tour, je les ai aperçus dans la plaine. Courons, volons à leur rencontre ! Mes filles, suivez-moi, suivez votre père : il vous commande, obéissez. Ah çà ! Mais où logerons-nous ces cinquante drôles ? Je n’y pensais plus ; dans vos lits. Allons, sortons.
Bonjour, tonton. Bonjour, cousines.
Eh, vous voilà ! Comment vous portez-vous ? Et le
papa, comment va-t-il ?
Voici une lettre de sa part.
Donne. En attendant, embrassez vos cousines.
Très volontiers.
Le bon frère ! À Le Grand. C’est donc toi qui es l’aîné ?
Oui, mon tonton, prêt à vous faire mes obéissances.
Je m’en étais douté. C’est aussi pour cela que je me suis adressé à toi pour parler, par préférence à tout autre. Je l’ai aussi connu à ton esprit et je suis sûr que tu as, comme dit le proverbe, emporté tout l’esprit de la maison. Mais parlons de choses plus intéressantes. Il faut vous marier mes chers enfants ! Oui, mariez-vous. Mes cinquante filles, épousez vos cinquante cousins ! Que l’aîné prenne l’aînée, le cadet, la cadette, ainsi de suite jusqu’aux cinquantièmes. Le voulez-vous ? Que les garçons répondent les premiers.
Oui.
Et vous, mes chères filles, parlez, le voulez-vous ?
Oui.
Eh bien, mettez-vous à genoux que je vous bénisse. Les garçons et filles s’inclinent. Allez, soyez heureux. \did À Le Grand. Tiens, toi, grand garçon, voilà mon bijou, mon trésor, ma fille aînée, ma Lulu. Je te la recommande. Prends-y bien garde.
Ah ! Ne portez pas peine, tonton. Et toi, tu m’aimeras bien, cousine, ma femme ?
De tout mon cœur, cousin, mon mari.
Allons, chantons.
Il a raison, c’est bien dit.
Tous ensemble, ça sera plus gai.
Air : La meunière
Nous n’avons pas encore dansé et cela est nécessaire pour bien consommer le mariage.
Oui, parce que la danse en agitant le corps excite les esprits animaux, les nerfs optiques, les fibres tendantes, et ainsi en chaleur, le marié a plus d’ardeur pour vaquer à ses affaires.
Mais nous avons déjà dansé.
Un peu, très peu ; ce n’est pas assez.
Et, d’ailleurs, que ferions-nous ?
C’est vrai. Faisons comme à l’opéra. Commence-t-on à s’ennuyer, on danse. N’a-t-on plus rien à dire, on danse ; ne sait-on que faire, on danse.
Et pour s’ennuyer, qu’y fait-on ?
On danse.
Que fait-on encore ?
On danse.
Et bien, dansons. Ce sera beau, puisque nous ferons comme à l’Opéra.
Oui, mais pour danser, il nous faut des instruments et où les prendrons-nous ? Ah, voilà papa, notre frère et notre sœur.
Pourquoi, petit papa, venez-vous si tard ?
Pourquoi ? Pour vous donner le temps de finir la première scène et j’arrive pour commencer la seconde.
C’est arrivé fort à propos ; un peu plus tard vous l’auriez trouvée faite, car nous allions envoyer quelqu’un nous quérir les ménestriers ; et vous savez que dans une pièce, l’entrée, la sortie, tout compte.
Ah ! Il n’est pas si sot que je croyais. Eh bien, mes enfants, dansez, que je ne vous gêne pas.
Va-t-en donc chercher les violons.
Aussi bien ça fera une autre scène. Vous une, moi une autre, lui la troisième, les violons la quatrième... En voilà bien assez pour un acte. Cours et reviens vite, car si tu restais longtemps, nous nous trouverions embarrassés.
Je vais mettre mes sabots, mes jambes à mon col.
Ah çà ! Qu’allons nous devenir ? Si nous nous rafraîchissions, nous danserions mieux. Allons buvons un coup.
Tenez, faites-en des avocats.
Approchez ; je donne de la liqueur visqueuse en abondance.
Et toi, si tu chantais un peu. Voyons comme à l’Opéra.
Air : Gagne petit,
Bravo ! Applaudissons, puisque personne ne veut applaudir. À vous deux à présent, chantez-nous quelque chose de grand, que vous n’entendiez pas, que personne n’entende.
Air : Malbrough
Voilà les ménestriers.
Ah bon, dansons, dansons, amusons-nous.
Je vous laisse dansez et puis retirez-vous.
Mes filles, vous êtes mariées ; et ce n’est pas au badinage ! Vous n’êtes plus en ma puissance, vous dépendez de vos époux. Depuis la tête jusqu’aux pieds, tout ce que vous possédez est le bien de ceux à qui vous avez engagé votre foi. Aussi, il vous faudra faire tout ce que vos maris voudront ; ou au moins vous laisser faire.
Nous le jurons.
Et non pas moi.
Cela ne plait pas à Lulu. Elle est chagrine, il faut la consoler. Haut. Allez mes filles,
allez-vous-en trouver vos maris. Toi Lulu, arrête ; j’ai quelque chose à te dire.
Tu boudes, tu pleures ! Qu’as-tu, qu’as-tu, ma chère fille ?
Cela n’est-il pas chagrinant. Voilà qu’il me faudra coucher avec un homme ! Et qui plus est lui permettre tout ce qu’il voudra. Et non, mon père, je n’aurai jamais le courage de me déshabiller devant Le Grand.
Ce n’est que ça ? Va, la pudeur t’aura bientôt passée ! C’est l’affaire d’un quart d’heure pour l’enlever ta fleur virginale et puis plus de rougeur. Au reste, je ne te presse pas. Attends demain, si tu veux, tes sœurs te diront tout ce qui en est et tu verras que la virilité n’est pas un monstre dont il faille s’effrayer. Adieu, ma fille, adieu. Tranquillise-toi et compte toujours sur ton père, comme sur ton ami. J’aimerais mieux coucher moi-même avec toi pour t’accoutumer, plutôt que de forcer tout de suite ton goût. Adieu, baise-moi.
Tu as beau dire, beau faire, non, je coucherai jamais avec un homme. Plutôt mourir !
Air : Avec les yeux
Air : Mon honneur
Papa, vous arrivez fort à propos, votre fille ne veut pas entendre raison. Elle ne veut pas qu’on lui parle d’amour.
Et pourquoi cela ma fille ?
Vous le savez mon père.
Le grand, retire-toi pour un instant. Je vais convertir ta femme, et puis je te la renverrai humble et soumise.
Eh ! bien ma fille, toujours des farces ; aurez-vous bientôt fini de jouer la comédie ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Il faut vous soumettre. Non, partez, allez trouver votre époux. Vite, allez donc.
Mon père !
Allez donc vous dis-je.
Enfin tout est fini. Ce n’est pas peu de chose qu’un mariage de cent personnes, aussi voilà qui est fait pour longtemps et je n’y reviendrai pas si tôt. Mais je crois que je me suis assez fatigué ! Il faut que je me repose. Oui, je vais me reposer. Cependant j’ai quelque chose qui m’inquiète toujours : savoir comment Lulu s’arrangera avec Le Grand. Comment ? L’amour y pourvoira.
Air : À ma tendre musette
La belle chose que le mariage !
N’est-ce pas ?
Oh ! Pour ça oui. Rien de plus joli que ces exercices nocturnes ! Oh ! Je veux me marier dix fois pas jour.
Entends-tu ?
Oui.
Eh bien ?
Je me rends. Je me livre à ta foi. Guide mes pas dans le sentier d’amour. Le bouton et la rose, Le Grand, tout est à toi.
Sortons. Dépêchons-nous d’arriver au point où sont tes sœurs. Viens chère amante, la force étincelle dans mes yeux ; un feu divin s’empare de mes membres, la chaleur vivifiante, reproductive, ne demande plus qu’à se communiquer, se... sortons, sortons.
Il fait beau.
Oui, mais le temps a envie de se brouiller.
Eh ! vela qu’il pleut.
Sauvons-nous !
Mais vela, papa qui dort et d’un bon appétit.
Que faire ?
Dansons.
Mesdames et Messieurs, telle est à peu près la marche de l’opéra qui attire tant de monde. Mariage, danse, serments, rébellion, et pluie ; voilà ce qui a donné matière à cinq actes terribles, horribles. Nous n’avons pas cru pouvoir faire mieux pour parodier le sujet que de le présenter tel qu’il est, nous ayant paru assez risible par lui-même ! Heureux, cent fois heureux, trop heureux, Mesdames et Messieurs, si cherchant à vous amuser nous avons le bonheur de vous plaire et si vous vaquez, comptez pour quelque chose notre zèle et notre respect.
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