Charles-François Panard et Claude Florimond Boizard de Ponteau
Les Fêtes galantes
Ballet en trois intermèdes
Représenté sur le théâtre de l’Opéra-Comique de la foire Saint-Laurent
le 30 juillet 1736
BnF ms. fr. 9323, folio 295-306 verso
definitacteur, l’amour lamour
Les Fêtes galantes
Acte i
Scène i
Lizette, Frontin
lizette
Air : Robin turelure
Mon cher Frontin, qu’en dis-tu ?
frontin
Je ris de la conjecture.
lizette
Depuis longtemps on n’a vu
Turelure
Une pareille aventure
Robin turelurelure !
frontin
Oui, ma foi cela est original.
lizette
Air : Confiteor
Le hasard ou plutôt l’amour
Rassemble au château de Julie
Deux frères qui lui font la cour
De la façon la plus polie.
Par même soin et même ardeur
Tous deux se disputent son cœur.
frontin
Dorante et Damis me sont connus depuis longtemps.
Air : La besogne
Pour d’autres objets tous les deux,
Je les ai vu fort amoureux.
Araminthe à Damis savait plaire
Lucille captivait son frère.
lizette
Cela est vrai mais Julie a eu le gloire de leur enlever ces deux conquêtes, et ce qu’il y a de singulier, c’est que l’amitié de ces deux frères ne souffre point de leur amour et qu’ils sont en bonne intelligence.
frontin
Air : Étonnements
Que Cupidon rassemble en ces climats
Deux amants qui pour ma maîtresse
Sentent une égale tendresse,
Cela ne me surprend pas.
Mais que la paix règne où l’amour ordonne
Et que Dorante avec Damis
Aux lois d’un même objet soumis
Soient rivaux sans être ennemis
C’est là ce qui m’étonne.
lizette
Je ne suis pas moins surprise que toi.
frontin
Et Julie, quel accueil fait-elle à leur tendresse ? Tu es seule dépositaire de ses secrets.
Air : L’allumette
Faites-moi savoir de quel côté
Chez elle penche la balance.
lizette
Elle est égale en vérité
Aucun n’obtient la préférence.
Elle les aime également, ou pour mieux dire elle ne les aime ni l’un ni l’autre, mais pour contenter son humeur coquette elle les amuse tous deux, et comme si elle avait dessein de donner la préférence à celui des deux qu’elle jugera plus galant, elle leur a permis de lui donner chacun une fête.
frontin
C’est donc aujourd’hui que ces fêtes doivent s’exécuter.
lizette
Oui.
Air : Donne-moi, chère voisine
Déjà tous les apprêts
Sont prêts
La salle en est remplie
Pour commencer danseurs
Chanteurs
N’attendent que Julie.
frontin
La voici. Chut.
Scène ii
Julie, Lizette, Frontin
julie, donne deux lettres à Frontin
Tenez Frontin, il faut tout à l’heure partir pour Paris. Portez ces deux lettres à leur adresse.
Scène iii
Julie, Lizette
julie
Tu ne sais pas Lizette ce que j’écris à la prude Araminthe, et à Lucille ? Je mande à ces deux dames de venir ici aujourd’hui pour prendre part au divertissement que les frères rivaux me préparent.
lizette
Air : On n’aime point [dans nos forêts]
Quel est donc l’objet de vos soins ?
D’elles que prétendez-vous faire ?
Voulez-vous les rendre témoins
De ce que l’on fait pour vous plaire ?
Les attirer dans ce séjour
C’est leur jouer un mauvais tour.
julie
D’où vient...
lizette
D’où vient madame ? Vous savez que Damis a brulé pour Aminthe et Dorante pour Lucile.
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Vous leur enlevez leurs conquêtes,
Pouvez-vous vous imaginer
Qu’elles prendront plaisir aux fêtes
Que leurs amants vont vous donner ?
Vous leur paraitrez bien vaine.
julie
Dis plutôt généreuse ! Apprends ce que je médite pour elles. Ces quatre amants se sont brouillés par caprice et je veux les raccommoder. Juge donc mieux de moi Lizette et sache que bien loin de vouloir soustraire Damis et Dorate à leur anciennes maitresses, je prétends leur rendre.
lizette
Air : La serrure
Leur paix sera donc votre ouvrage
Et vos rivales deviendront
La récompense de l’hommage
Que vos soupirants vous rendront.
julie
C’est mon dessein.
lizette
Air : Vivons comme le voisin
On ne voit point de si beaux traits
Dans la fable et dans l’histoire
Vous allez vivre pour jamais
Au temple de Mémoire.
Quelle générosité... J’entends déjà la symphonie.
julie
C’est la fête de Damis qui va commencer.
On exécute le divertissement du bal.
Acte ii
Scènes qui précèdent les intermèdes.
Scène i
Lizette, Julie
julie
Que dites-vous de cette fête Lizette ?
lizette
Elle me paraît assez bien imaginée et l’exécution n’a pas mal été.
julie
C’est Damis qui en est l’auteur.
lizette
Air : Jus d’Octobre
Cet amant fort bien s’en acquitte
Vous lui devez un compliment.
julie
Je sais que son cadeau mérite
De ma part un remerciement
Mais il ne la recevra qu’après la fête de Dorante. Je t’ai déjà dis de quelle façon je compte leur en marquer ma reconnaissance à tous deux.
lizette
Frontin vient d’arriver et vous allez recevoir des nouvelles d’Aminthe et Lucile, vos rivales.
julie
Les voici. Laisse-nous un moment.
Scène ii
Aminthe, Lucille, Julie
aminthe
Vous voyez madame avec quelle ardeur nous nous rendons à vos ordres.
julie
Air : Je ne suis pas si diable
Selon toute apparence
Des dieux le doux vainqueur
De votre diligence
Pourrait se faire honneur
Aux amants comme aux belles
Il rend le chemin beau
Il leur prête ses ailes
Et son flambeau.
lucille
Je vous jure que nos amants ont moins de part à notre empressement que le désir de voir une rivale aussi généreuse que vous.
julie, à Aminthe
Air : Que faites-vous, Marguerite
Vous paraissez agitée.
aminthe
Je crains de trouver ici
Le fourbe qui m’a quittée
C’est ce qui me trouble ainsi.
julie
J’en augure bien pour Damis.
aminthe
Vous pourriez vous tromper, je voudrais qu’il fut la pour vous prouver la parfaite indifférence que j’ai pour lui.
julie
Vous ne le verrez que ce soir.
aminthe
Est-ce qu’il n’est pas ici ?
julie, à part
Elle ne l’aime pas.Haut. Pardonnez-moi mais il est occupé au sujet de la fête qu’il vient de me donner. Dorante va s’acquitter de la sienne.
lucille
Le traitre sans la considération que j’ai pour vous, je ne le verrais de ma vie.
Air : Pouvoir
Autant qu’il plaisait à mes yeux
L’ingrat m’est odieuxbis
julie
Ce langage semble affecté
Le dépit l’a dicté.
lucille
Non, je vous proteste que je ne l’aime plus.
julie
Tant pis, le pauvre garçon depuis quelques jours ne se porte pas bien.
lucille
Qu’a-t-il donc, s’il vous plaît ?
julie
Quelle vivacité !
Air : Quand le péril [est agréable]
Ce ton-là prouve que Lucille
Y prend encore quelque part.
lucille
Soyez sûre qu’à cet égard
Mon cœur est fort tranquille.
julie
Il y a part. Quoiqu’il en soit, voulez-vous me dire le sujet de vos brouilleries ? Ce que je fais aujourd’hui pour vous mérite cette confidence.
aminthe
Volontiers, Damis était d’une humeur sombre, taciturne, rêveuse. Pour l’en punir, je lui ai donné quelques petits sujets de jalousie qui lui ont fait prendre le parti de la retraite.
julie
C’est votre faute, et vous ?
lucille
Dorante était toujours gai, badin, folâtre, un amant de cette humeur n’est pas fort amoureux. Je lui en ai tant fait de reproches qu’il s’est éloigné.
julie
Quel caprice.
Air : Place au régiment
L’une voudrait dans son amant
Trouver toujours de l’enjouement
L’autre voudrait le voir sans cesse
Dans la douleur et la tristesse
Près de Lucille, il faut chanter
Chez Aminthe,il faut lamenter
La plaisante marotte
Plan plan plan
Place au régiment
De la Calotte.
aminthe
Un amant qui rit toujours, le sot personnage !
lucille
Un amant doucereux et transi, la plaisante figure !
julie
En vérité, voilà de beaux sujets de querelle ! Allez, allez, je suis sûre que dans le fond du cœur vous vous aimez toujours et que vous n’êtes pas fâchées du dessein que j’ai formé de vous raccommoder ce soir !
aminthe
Les bontés que vous avez pour nous exigent quelque complaisance de notre part.
julie
La fête de Dorante va commencer.
Air : L’allumette
Retirez-vous pour un moment
De tout on saura vous instruire
Cachez-vous dans l’appartement
Où Lizette va vous conduire.
On exécute la fête des jardiniers.
Couplet qui se chante
Vous qu’une belle
Trop cruelle
Fait languir sous sa loi,
Tendre amant, venez à moi
\’A soulager votre peine.
Je saurai bientôt l’engager
Et qui peut mieux que vous fléchir une inhumaine
Qui suit l’heure du berger ?
Fin du deuxième ballet.
Acte iii
Scènes qui précèdent le troisième intermède.
Scène i
Cléon, Julie, Dorante, Damis
cléon
Voilà ma fête finie, il s’agit à présent de décider.
julie
Attendez un moment, la présence de vos rivaux est nécessaire.
Air : Tarare Pompon
Messieurs, approchez-vous.
cléon
Non, je ne saurais croire.
Que votre cœur balance à couronner ma foi.
Oui, j’aurai cette gloire.
dorante
Sur les autres je dois
Remporter la victoire.
damis
C’est moi !
julie
Air : Que, dans l’amoureux mystère
À Cléon.
Votre fête est très galante.
À Damis.
Tout, dans la vôtre, est de choix.
À Dorante.
De vous je suis très contente.
Je ne sais à qui je dois
La préférence,
Mais vous en aurez tous trois
La récompense.
Damis, je vais commencer par vous.
damis
Ciel !
julie
C’est votre tour Dorante.
dorante
Que vois-je ?
damis
Air : Pour la baronne
Est-il possible
Qu’Aminthe se trouve en ces lieux ?
dorante
Vous pour qui je fus si sensible
Lucille je vois vos beaux yeux !
Est-il possible ?
cléon
Comment donc messieurs, vous avez des engagements ailleurs et vous en contez à Julie ?
Air : Jus d’Octobre
C’est lui faire un sensible outrage.
Pour moi je l’aime uniquement.
julie
Cessez de tenir ce langage,
Voici quelqu’un qui vous dément.
cléon
Je n’en puis revenir !
julie
Air : De tous les capucins [du monde]
Un long discours est inutile
De Paphos supprimez le style
Que chacun reprenne son bien
Faites la paix en diligence
Sur ce théâtre l’on fait bien
D’abréger la reconnaissance.
dorante
Ce que nous voyons est une énigme pour nous.
julie
J’aurai soin de vous l’expliquer, c’est un plaisir que je me réserve pour le dessert.
cléon
Air : L’autre nuit, j’aperçus [en songe]
Puis-je me flatter belle Hortence
De trouver grâce auprès de vous ?
hortence
Vous méritez tout mon courroux
Mais l’amour prend votre défense.
damis
Aujourd’hui par un même sort
Nous voilà tous trois d’accord.
julie
Une réunion si singulière doit être célébrée : que la fête soit continuée !
On danse.
Scène ii
Premier Intermède Jardiniers et jardinières
Paroles pour couper les danses.
un jardinier
À jouir du sort le plus doux
L’Amour nous convie.
Pourquoi donc le refusez-vous ?
C’est une folie !
Quand un amant tout de bon
Cherche à vous plaire,
Laissez dire la raison,
Laissez faire Cupidon.
la jardinière
L’amour a des fleurs mais souvent
Leur fruit est funeste,
La rose tombe au moindre vent
Le souci nous reste
Pour vivre en paix tenez bon
Jeune bergère
Laissez dire Cupidon
Laissez faire la raison.
Rossignol, chanté par une bergère.
Lorsque Philomelle
Chante dans nos bois,
Sans doute elle appelle
L’objet de son choix.
Quand sa voix jolie
Lui fredonne ainsi
Psi psi psi psi psi psi psi psi psi,
Tu tu tu tu tu tu tu tu,
Cla cla cla cla cla cla cla,
ta ta ta ta ta,
Pipi roulette
Cela signifie
Les mots que voici
Si si si si si si si si si si si si :
tu tu tu tu tu tu
Tu n’aimais que moi.
Mon cœur pour toi
Serait constant
Tant tant tant tant
Qu’il vivroit
Il t’aimeroit
\’A son langage
\’A son ramage
L’autre répond
Du même ton.
vaudeville
Quand une loi dure et sévère
Nous défend ce qui sait nous plaire
Le désir est-il ralenti ?
Nanny nanny
L’œil regarde, le cœur soupire
Les pieds, les mains, tout semble dire
Vas-y, vas-y.
Ne croyez pas qu’une maitresse
Dans le fond du cœur soit tigresse
Quoiqu’elle dise à son amie
Nanny nanny.
Sortez, laissez-moi je vous prie,
N’est qu’un jargon qui signifie
Vas-y, vas-y.
Es-tu comme moi ma cousine
Quand un garçon de bonne mine
Me veut amuser, je lui dis
Nanny, nanny,
Mais je sens toujours là, Javotte
Quelque chose qui me chuchote
Vas-y, vas-y.
Au choix que le cœur nous propose
Bien souvent la raison s’oppose
Et nous dit d’un air rembrunis
Nanny, nanny,
Mais suit-on ce qu’elle conseille
Quand l’amour nous dit à l’oreille
Vas-y, vas-y.
Quand d’une voix flatteuse et tendre
Cupidon cherche Amour surprendre
D’un ton ferme répondons-lui
Nanny, nanny.
Du péril il cache l’image,
Lorsqu’il vous souffle ce langage
Vas-y, vas-y.
Lorsqu’allant à la Guadeloupe
Un marchand perd barque et chaloupe
Est-il dégoûté du parti ?
Nanny, nanny.
Dès le lendemain du naufrage
L’intérêt lui tient ce langage,
Vas-y, vas-y.
Second intermède.
un masque
Qu’un amant à Philis adresse son hommage
S’il est dans cet âge charmant
Où l’amour veut que l’on s’engage
Le premier quart sonne à l’instant
S’il est galant et poli
Les trois quart sonnent pour lui,
S’il est libéral et qu’il donne
Tout répond à ses vœux et l’heure entière sonne.
Un courrier distribue des nouvelles aux masques.
vaudeville
On m’écrit de Dijon
Que Madame Géronte
Afin qu’aucun garçon
\’A sa fille n’en conte
Les observe d’un œil jaloux
Et pour elle les garde tous.
La méthode est plaisante
Et zon, zon, zon
Partout dans ce canton
Cette mode est fréquente.
On m’écrit de Beaujeux
Qu’auprès de cette ville
On a vu depuis peu
Un devin fort habile
Par qui tout d’un coup on savait
Le vrai père que l’on avait.
Le fâcheux personnage
Dans ces climats
S’il adressait ses pas
Que de remue-ménage !
On m’écrit de Beauvais
Que l’époux d’une belle
Qui faisait le mauvais
Quand on était près d’elle
Est devenu comme un mouton
Depuis qu’on lâche le teston,
La plaisante nouvelle !
Et zon, zon, zon
Sans cesse en ce canton
Cela se renouvelle.
De Bourbon on m’écrit
Qu’une jeune malade,
Après avoir sans fruit
Sablée mainte rasade,
Par le secours de Cupidon
Avait trouvé sa guérison !
Ceci n’est point merveille,
Et zon, zon, zon
\’A Passy ce dit-on
On voit chose pareille.
On m’écrit de Bayeux
Comme chose très rare
Qu’un homme dans ces lieux
D’une humeur fort avare
Avait vendu pour cent louis
Le meilleur de ses amis
Voyez la belle affaire
Auprès du Mans.
Quelque fois pour cent francs
On vendrait père et mère.
On m’écrit de Turin
Qu’un homme de finance,
Un plumet, un robin,
Aiment la jeune Hortence
Et que dans l’embarras du choix
La belle les retient tous trois.
Je crois cela sans peine
Et zon, zon, zon
Plusieurs dans ce canton
Vont jusqu’à la douzaine.
Fin du second intermède.
Scène iii
Troisième intermède Les Guerriers
un guerrier
De l’Amour compagnons fidèles,
Doux plaisirs venez avec nous.
Pour attirer ici toutes les belles
En guerriers transformez-vous,
Volez accourez tous.
Marche
Par une danse de caprice
Faites voir aujourd’hui l’essai de vos talents
Que vos pas figurés nous tracent l’exercice
Que font en France les galants
lamour, à la tête des femmes
Que le tambour aux instruments s’unisse
Ce bruit convient à nos amusements
Patapan patapan pan
Et que chacun promptement obéisse
À mon commandement.
vaudeville
Des tourments que mon caprice
Vous fit longtemps endurer
Il ne faut plus murmurer
L’Amour vous en fait justice
Touchez-là mon cher Damis
Quitte à quitte bons amis.
Une fâcheuse querelle
A longtemps troublé nos cœurs
Pour nous combler de faveurs
L’Amour ici nous rappelle
Soyons à jamais unis
Quitte à quitte bons amis.
Fin