Louis Fuzelier
Les Fêtes parisiennes
[Parodie des Fêtes vénitiennes de Danchet et Campra]
Données au public par la troupe des danseurs de corde du jeu de paume d’Orléans, à la foire Saint-Germain
au mois de février 1712
Édition, s.l., s.d. [1712]. Le ms. BnF fr. 25476 contient une copie de cette édition.
definitacteur, l’opérateur loperateur
definitacteur, l’amour lamour
[Avertissement]
Le public est averti de ne pas s’arrêter à l’ordre des Fêtes parisiennes rassemblées dans ce livre, que l’on change quelque fois dans l’exécution, pour y mettre plus de goût et de variété.
Les Fêtes parisiennes
Acte i
Première fête. Le carnaval.
Le théâtre représente les dehors de la porte Saint-Antoine. Arlequin et Scaramouche impatients de goûter les plaisirs du Carnaval l’appellent par un écriteau.
arlequin
Air : Branle de Metz
Carnaval, viens à nos belles
Donner leur temps favori.
Bacchus fait charivari
Chez les jalouses cervelles.
Tu sais aux yeux d’un mari,
Quand tu doubles les chandelles,
Tu sais aux yeux d’un mari
Soustraire un galant chéri.
Le Carnaval paraît descendre des nues dans une grande casserole : deux marmitons l’accompagnent. L’un s’est assis sur un réchaud et tient un plat a la main ; l’autre est à cheval sur une marmite. Le Carnaval porte un bassin de beignets qu’il laisse tomber en sortant de sa casserole. Arlequin et Scaramouche se battent à qui les mangera et il les réconcilie en les faisant boire ensemble. Ensuite, il appelle les Amours par un écriteau.
la carnaval
Air : Cédez, tambours, à ma musette
Amours, quittez tous votre mère,
Volez, abandonnez Cythère,
Accourez sur des bords plus doux !
Mille amants, suivis de leurs belles,
Vous attendent à Saint-Cloud,
Ainsi qu’au moulin de Javelles.
Les Amours et les Plaisirs descendent avec Bacchus et se joignent au carnaval.
Le bœuf gras arrive avec son cortège au son des tambours et des trompettes. Il est conduit par deux romains. Arlequin les apercevant présente un écriteau.
arlequin
Air : Sois complaisant, affable, débonnaire
Y pensez-vous, superbe Melpomène ?
Quoi, vos héros ont déserté la scène !
Ah !
Je vois la troupe romaine
À la suite du bœuf gras.
Le bœuf gras continue sa marche. Un boucher de sa suite présente un écriteau.
un boucher
Air : Vous, qui vous moquez par vos ris
Bourgeois, accourez à nos cris,
Venez voir notre fête.
Du plus beau bœuf gras de Paris
Chez nous la mort s’apprête.
Mais quoi ! Déjà bien des maris
En ont volé la crête.
Dès que le bœuf gras et sa suite sont partis, la Folie arrive conduisant une troupe de masque. Après leur entrée la Folie présente un écriteau.
la folie
Air : Tu croyais [en aimant] Colette
De mes sujets voyez l’élite
Sur mes pas ici s’empresser.
S’ils voulaient tous être à ma suite,
Je ne saurais où les placer.
Un Français et une Amazone dansent un menuet qui est suivi d’un rigaudon dansé par un petit berger et une jeune bergère. La Folie montre un écriteau.
la folie
Air : Ne m’entendez-vous pas
Au temps du carnaval
Que d’époux on maltraite !
L’amour fait sa recette
Tout en courant le bal,
Au temps du carnaval.
Pierrot et Dame Gigogne dansent un menuet.
Les danses de la suite de la Folie sont interrompues par la Raison qui marche gravement accompagnée du pleureur Héraclite, et du rieur Démocrite. Elle montre un écriteau.
la raison
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Vous me méconnaissez, sans doute
Vous n’êtes pas faits à ma voix.
Je suis la Raison, qu’on m’écoute !
Ce sera la première fois.
La Folie turlupine la raison et les philosophes par un écriteau.
la folie
Air : [J’ai fait à ma maîtresse]
Voyez quel est un sage !
Quel air grave et serré !
En public il m’outrage,
Il m’adore en secret.
Sous vos habits fantasques
Vous trompez mal les yeux
Les Catons sont des masques
Qui se déguisent mieux.
Arlequin et Scaramouche surviennent qui donnent des rats à la Raison et ses suivants. Les deux philosophes donnent leurs râbles à Arlequin et Scaramouche et se joignent aux masques pour chasser la Raison. La Folie arme Arlequin pour aller combattre la Raison et montre un écriteau.
la folie
Air : Joconde
À la raison, cher Arlequin
Cours, va livrer la guerre !
Ah, que nous ferons de chemin
Pour la trouver sur terre.
Pour vous, ne suivez point nos pas :
Pour lui livrer bataille,
J’aurai toujours trop de soldats
En quelque lieu que j’aille.
Le Carnaval invite les sauteurs à célébrer un si beau jour, et finir la fête en présentant cet écriteau :
la carnaval
Air : Le bon branle
Dans les beaux jours du carnaval
Bacchus mène le branle.
L’amour augmente le régal.
Chacun danse tant bien que mal
Et cotillon et branle ;
Mais ce n’est qu’en sortant du bal
Qu’on danse le bon branle.
Acte ii
Deuxième fête.
Le théâtre représente la vue du Pont Neuf et du cheval de Bronze.
Isabeau paraît, conduisant sa petite Lisette qu’elle querelle par un écriteau sur l’air : Réveillez-vous, belle endormie.
lisette, répond :
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Je brave l’amour et ses armes.
J’aime peu les soins des amants ;
Mais je conçois qu’il est des charmes
À tromper les yeux des mamans.
Isabeau veut emmener Lisette qu’elle tiraille d’un air grondeur.
Un opérateur arrive dans son carrosse qui fait le tour du théâtre et s’arrête. En s’ouvrant on y voit l’Opérateur et l’Amour saltimbanque. Ce carrosse est caractérisé par les symboles de la galanterie moderne.
Un paysan vient se faire arracher une dent. L’opérateur après ses lazzi montre un écriteau.
loperateur
Air : Je vois bien, jeune bergère
Qui croit n’aimer de sa vie
Des cœurs qu’un tendre nœud lie
Connaît peu le doux tyran :
L’amour charlatan
Arrache une dent
À qui souvent ne s’en méfie.
Scaramouche, goutteux, vient demander un remède à l’opérateur, par un écriteau.
le goutteux
Air : Réveillez-vous, belle endormie
La goutte qui me désespère
A besoin de votre talent :
S’il guérissait la consulaire
Vous gagneriez bien de l’argent.
Après le lazzi de l’opérateur, un petit Arlequin et un petit Polichinelle dansent une chaconne. L’Amour saltimbanque descend de son char et étale ses secrets par une cantate en écriteaux.
lamour
Premier air, sur Tu croyais, maintenant \emph Sic dans l’édition et le manuscrit. \LC, Colette
Venez tous, venez faire emplette,
Je vends l’art de charmer les cœurs.
Je fais dispenser ma recette
Par les banquiers et les traiteurs.
Une jeune Bacchante de la suite de l’Amour saltimbanque danse un rigaudon.
Récit sur les Folies d’Espagne
Je rends piquante une belle insipide
Je rends léger un épais financier
J’ouvre l’esprit d’un écolier timide
Et le comptoir d’un avare caissier.
Ariette sur l’air O gué lanla
Ô l’effet admirable
Et surprenant !
Je sais tout rendre aimable,
C’est mon talent ;
Mon pinceau sans rouge ni blanc
Décore un minois comme un opéra :
O gué lan la, bergère, o gué lan la.
Danse d’un petit Satyre et d’une jeune Bacchante.
Récit [sur les Folies d’Espagne]
Monstres jadis on avait à combattre,
Preux chevalier ne parvennait qu’ainsi ;
Un fiacre au plus à présent s’offre à battre,
Quand vous menez votre infante à Passy
Ariette sur La verte jeunesse
Ce n’est plus la mode
Des belles ardeurs ;
L’amour s’accommode
Au défaut des cœurs :
Souvent par tendresse,
Dans ce temps brutal,
On bat sa maîtresse
Et non son rival.
Isabeau, enchantée par les discours de l’Amour, oublie les leçons qu’elle a données à Lisette, et demande à l’Amour un secret pour attirer des galants. Elle montre un écriteau.
isabeau
Air : La nuit et le jour
Tu réchauffes mes ans
Amour ton feu m’éclaire
Ah ! fais que les galants
Viennent encore me faire
L’amour
La nuit et le jour.
arlequin
Même air
Le fard fait les appas
D’une sexagénaire ;
Mais, ma foi, sans ducats
On ne vient pas lui faire
L’amour
La nuit et le jour.
Arlequin fait le lazzi d’embellir Isabeau.
L’Amour saltimbanque, qui est l’aimable Tourneuse Il s’agit de Gertrude Boon, surnommée la Belle Tourneuse. Campardon rapporte à son propos le témoignage de Bonnet dans l’Histoire de la danse (Paris, d’Houry, 1723, p. 170–172), qui donne une idée de ce pouvaient être les \guill exercices dont il est ici question : \guill La danseuse qu’on appelait la Belle Tourneuse a fait trop de bruit sur le théâtre des danseurs de corde pour n’en pas faire mention ; je crois même qu’à moins de l’avoir vue on aura peine à croire ce que je vais rapporter. Elle paraissait d’abord sur le théâtre d’un air imposant et y dansait seule une sarabande avec tant de grâce qu’elle charmait tous les spectateurs. Ensuite elle demandait des épées de longueur aux cavaliers qui voulaient bien lui en présenter pour faire sa seconde représentation. Ce qu’il y a de surprenant, c’est qu’elle s’en piquait trois dans chaque coin de l’œil qui se tenaient aussi droites que si elles avaient été piquées dans un poteau. Elle prenait son mouvement de la cadence des violons, qui jouaient un air qui semblait exciter les vents, et tournait d’une vitesse si surprenante pendant un quart d’heure que tous ceux qui la regardaient attentivement en demeuraient étourdis, ainsi qu’il m’est arrivé. Ensuite elle s’arrêtait tout court et retirait ses épées nues l’une après l’autre du coin de ses yeux avec autant de tranquillité que si elle les eût retirées du fourreau. Néanmoins, quand elle me rendit la mienne, dont la garde était fort pesante, je remarquai que la pointe était un peu ensanglantée. Cela n’empêcha pas qu’elle dansât encore d’autres danses, tenant deux épées nues dans ses mains, dont elle mettait les pointes tantôt sur sa gorge et tantôt sur ses narines sans se blesser. Campardon ajoute : \guill Dans une note adressée à propos de ce passage aux auteurs du Dictionnaire des Théâtres, Gueullette prétend que Bonnet exagère et que la Belle Tourneuse ne fichait pas les épées dans ses yeux, mais qu’elle les appuyait seulement au coin de l’œil et les soutenait avec ses mains en dansant, comme font toutes les autres tourneuses (Campardon, \emph Les Spectacles de la Foire, p. 164–165). \LC, fait ici ses exercices.
Acte iii
Troisième fête
Le théâtre représente au fond la boutique d’un Provençal.
Le Provençal paraît, battant la poudre sur l’appui de sa boutique. Il en sort d’un air inquiet et montre ces écriteaux.
le provençal
Air : Réveillez-vous, belle endormie
La femme, dit la Comédie,
Est le potage du mari.
Mon voisin sans que je l’en prie
Viens partager ma soupe ici.
Même air
Pour toucher sa moitié chérie,
L’époux a beau philosopher :
Quand cette soupe est refroidie
L’amant seul peut la réchauffer.
Le Provençal voyant approcher la nuit ferme sa boutique.
Une boulangère amoureuse d’un cuisinier son voisin, amant de la femme du Provençal, vient l’épier dans la rue de sa maîtresse. Elle aperçoit une bouchère aussi amoureuse du cuisinier et présente cet écriteau :
la boulangère
Air : Folies d’Espagne
Ici de nuit je fais le pied de grue,
Je vois aussi notre bouchère au guet.
Nous nous allons enrhumer dans la rue
En épiant un cuisinier coquet.
La bouchère approche, aborde la boulangère et lui présente un écriteau.
la bouchère
Air : Quand le plaisir est agréable
Vous veillez lorsque tout sommeille,
Sans travaillez à votre pain.
Ah ! Vous ferez croire à la fin
Que l’amour vous éveille.
Les deux rivales, animées par l’Amour jaloux, se battent, se décoiffent et se raccommodent par cet écriteau :
les rivales
Air : Tu croyais en aimant Colette
Pour un faquin qui nous offense
Faut-il gâter nos affiquets ?
C’est trop honorer l’inconstance
Que de déchirer nos bonnets.
Elles aperçoivent le cuisinier qui vient donner une sérénade à sa maîtresse, accompagné de deux de ses garçons et se cachent pour l’observer.
Le cuisinier, après les lazzi nocturnes, présente un écriteau.
le cuisinier
Air : Quand le péril est agréable
Vous qui des parfums de Provence
Débitez ici les odeurs,
Ne versez que sur mes ardeurs
Votre amoureuse essence.
Le cuisinier fait danser ses garçons tandis qu’il observe la maison de sa maîtresse.
La boulangère et la bouchère sortent l’une après l’autre et le cuisinier les prend alternativement pour la Provençale. Il fait le lazzi de les caresser ; elles lui donnent chacune un soufflet, qui le masque plaisamment ; et ensuite prenant un bâton lui font la révérence et présente,t cet écriteau.
les rivales
Air : Réveillez-vous, belle endormie
C’est avec un chagrin extrême
Que de bois je vas Sicdans l’édition et le manuscrit. \LC te charger :
Quand il faut rosser ce qu’on aime,
Qu’il en coûte pour se venger.
Elles lui donnent la bastonnade et s’en vont.
La Provençale paraît déshabillée, ce qui console le cuisinier des coups qu’il a reçus ; ils montrent chacun un écriteau.
Le Provençal, qui est caché, surprend sa femme et le cuisinier. La Provençale se sauve. Arlequin vient séparer le mari et le galant et montre un écriteau.
arlequin
Air : Joconde
Fi donc, l’on ne se fâche plus
Dans ce temps débonnaire,
Et les maris qu’on fait cocus
Prennent fort bien l’affaire.
Il n’est plus de chagrin mortel
Dans l’époux qu’on diffame,
Il devient le maître d’hôtel
Du galant de sa femme.
Acte iv
Quatrième fête
Le théâtre représente un hôtel avec cette inscription : Hôtel des Trois Dés.
Des joueurs de toutes sortes entrent précipitamment dans l’Hôtel des Trois Dés. On ouvre la ferme et on les voit à différentes tables remuant le gousset et les dés.
Une femme dont le mari se ruine au jeu vient le retirer du jeu et présente cet écriteau :
une bourgeoise
Air : Absent de Climène
Quel mari peu sage !
Quel dissipateur !
Le fou dans sa rage
Jouerait jusqu’à mon
Taleri leri lera la la la lire
Jouerait jusqu’à mon cœur.
Un financier prie un filou de le mettre de moitié par cet écriteau :
la dupe
Air : Lère la, lère lan lère
Monsieur, faites moi l’amitié
De me recevoir pour moitié
Dans le gain que vous allez faire,
Lère la
Lère lan lere,
[Lère la
Lère lan la.]
Le filou accepte le parti, joue et gagne, met l’argent blanc sur la table, et avale les louis d’or. Un joueur qui s’en aperçoit montre cet écriteau :
un joueur
Air : Amis, sans regretter Paris
Ce filou sait plus d’un métier,
Quel chimiste admirable !
Un louis d’or dans son gosier
Devient de l’or potable.
On fait venir un opérateur pour donner un remède au filou, qui lui fait vomir les louis d’or, et [ils] font leurs lazzis, et l’opérateur présente un écriteau.
\loperateur[ \unskip\loperateur[ \unskip Cette indication de personnage est suivie de deux lignes de pointillés dans l’édition et le manuscrit.]]
Un oublieux joue et perd. Arlequin déguisé en oublieux fait avec lui des jeux de théâtres amusants. Enfin les joueurs se querellent et sont séparés par Crispin qui leur donne un divertissement.
Danse d’une bohémienne, on présente deux écriteaux.
un joueur
Air : Vous m’entendez bien
De Plutus et du dieu des cœurs
Il faut dérober les faveurs :
Amants, on vous ballotte
Hé bien,
Si votre art n’escamote...
Vous m’entendez bien.
Même air
Tandis qu’aux Trois Dés un époux
Perd son argent et ses bijoux,
Sa femme mieux lotie
Hé bien
Tient une autre partie,
Vous m’entendez bien.
La loure des joueurs ; un des joueurs présente un écriteau.
un joueur
Air : Tu croyais en aimant Colette
Lorsqu’un bourgeois au jeu s’engage,
Il y perd son bien le plus net,
Mais la corne le dédommage
De ce qu’il perd par le cornet.
Les joueurs se retirent, et Crispin remercie la compagnie par cet écriteau :
crispin
airvidecrochets
Qu’à se rassembler dans ce lieu
Chacun de vous s’empresse.
Vous aurez bon gîte et bon feu,
Mais daignez vous serrer un peu :
Nous aimons fort la presse.
Messieurs on vous jouera beau jeu,
Apportez de l’espèce.