Charles-Simon Favart
Les Fêtes villageoises
Opéra comique, en un acte
BnF ms. fr. 9290
definitacteur, monsieur l’écluse MonsieurLecluse
definitacteur, l’amour Lamour
definitacteur, l’opérateur loperateur
definitacteur, l’intendant lintendant
Acteurs
Le seigneur du village
Sa femme
Un comédien : Monsieur Drouillon
Un maître à danser
Monsieur L’écluse, un opérateur : Pierrot
Une nourrice, Monsieur Antoni : Arlequin
Un maître à chanter
Madame Antoni
Julie, fille de village et déguisée en bohémienne
Une bohémienne : Mademoiselle Vérité cadette
L’amour, opérateur
Un berger
Une fillette de village
Le factotum du seigneur
Le procureur fiscal
Le tabellion
Le magister
Les Fêtes villageoises
Acte i
Scène i
pierrot, le tabellion, le procureur fiscal, le magister
pierrot
De quoi s’agit-il, messieurs ?
le procureur fiscal
Votre nouveau seigneur fait aujourd’hui son entrée dans le village, monsieur Pierrot, et il épouse une jolie femme, il faut l’y faire un compliment sur tout ça, entendez-vous ?
pierrot
Oh que oui ! Notre nouveau seigneur épouse aujourd’hui le village et fait son entrée...
le magister
Ce n’est pas ça, monsieur Pierrot, il prend possession de sa terre.
pierrot
Oui, oui, et il épouse aujourd’hui sa femme, n’est-ce pas ce que je vous dis ?
Air : Oh Pierre, j’étais mort sans toi
Ainsi faudra l’y faire
Un compliment tantôt.
le tabellion
Assurément.
pierrot
Allez, laissez-moi faire,
Je suis votre ballot.
Oh Pierre, oh Pierre,
Oh Pierrot
N’est pas sot.
Vous ne voulez pas vous charger de ça, monsieur le Tabellion, parce que révérence parler, vous êtes une bête, je comprends bien ça. Pour vous, monsieur le Magister, c’est différent. Vous ne voulez pas non plus parce que vous avez peur qu’on se moque de vous à cause là... de ce que vous n’avez pas d’esprit, n’est-il pas vrai ? Pour monsieur le Procureur fiscal...
le procureur fiscal
Oh ! Pour moi, j’avons affaire ailleurs.
Air : confiteor
Notre nouveau seigneur a pris
Faites distribuer des rubans à tous les garçons et les filles du village.
sc
Scène ii
le seigneur, sa femme
la femme
En réalité, Monsieur le Vicomte de la Taupinière, vous êtes d’une générosité qui surpasse.
le seigneur
Ah, ah ! Madame, vous n’y êtes pas, je veux que tous ressentent la joie que j’ai de vous avoir pour femme, j’ai donné mes ordres afin que l’on vous rende les honneurs qui vous sont dus.
la femme
Que demande ce personnage ?
Scène iii
le seigneur, sa femme, un comédien
le comédien, déclame
Recevez mes respects, Seigneur, je suis un prince
Qui promène son sort de province en province,
Vous voyez devant vous un héros ambulant,
Un fameux chef de troupe, un acteur excellent.
la femme
Air : Quand le péril est agréable
Ah ! Monsieur de la Comédie
Soyez ici le bienvenu,
Je vous ai d’abord reconnu.
À votre modestie.
le seigneur
Vous venez sans doute nous offrir la comédie.
Le comédien fait une révérence.
la femme
Avez-vous de bons acteurs ? Votre amoureux est-il passable ?
le comédien
Notre amoureux, Madame, est un prince parfait,
Gosier sonore, air noble, ah ! C’est un grand sujet,
Il chante en récitant et sa voix cadencée
Ne s’ajuste qu’aux vers, et non à la pensée,
Jouant avec fierté, beau gesticulateur,
Ce divin personnage est votre serviteur.
le seigneur
Qui fait les rois chez vous ?
le comédien
C’est un homme de taille,
Dont le ventre est morbleu plus gros qu’une futaille
Personne comme lui n’inspire la terreur,
Par ses sons caverneux il imprime l’horreur
Il frémit, il pâlit sans changer de visage
Il semble de la voix avoir perdu l’usage.
Il demeure immobile et dans son embarras,
Il ne sait où fourrer ses jambes et ses bras.
Ce n’est pas tout encor, nous avons une reine
Qui joue avec fureur, qu’un feu rapide entraîne,
Dont les éclats forcés et les gémissements
Trouvent l’art d’arracher des applaudissements.
Que dirai-je de plus ? Notre jeune amoureuse
Est un de ces objets dont la figure heureuse
Par un charme inconnu s’empare de nos sens
Rien ne peut résister à ses attraits puissants.
Dans des yeux enchanteurs, elle porte son âme,
Et sa voix nous pénètre avec un trait de flamme,
Nous ne lui reprochons qu’un défaut seulement,
C’est qu’elle joue hélas trop naturellement.
On croit voir en effet Zaïre ou Bérénice
L’art n’est pas fait pour elle, elle n’est point actrice.
la femme
Mais, Monsieur, vous ne parlez que des talents pour le tragique, est-ce que vous ne jouez point de comédie ?
le comédien
Pardonnez-moi, Madame, si vous voulez nous vous en donnerons une toute nouvelle.
le seigneur
Vous l’appelez...
le comédien
La jalousie imbécile, ou le cocu imaginaire retourné.
Air : Tout cela m’est indifférent
Dans cette pièce toute en l’air
L’esprit paraît comme un éclair,
De dictons gaillards elle est pleine.
la femme
Est-elle drôle ? comme un gude ?
le comédien
Vraiment, oui.
L’auteur a tronqué chaque scène,
Pour tâcher d’écarter l’ennui.
le seigneur
Ne nous donnez point de sujet suivi.
Air : Nous autres, bons villageois
Quelques scènes seulement,
Je ne veux rien qui me fatigue
L’esprit se lasse aisément
À suivre le fil d’une intrigue.
la femme
Un pot pourri sans liaison
Qui n’ait ni rime, ni raison ;
Pas plus qu’un ballet d’opéra
Voilà tout ce qu’il nous faudra.
le comédien
Voulez-vous un opéra comique ?
la femme
J’en serais assez contente, s’il y avait un Arlequin.
le comédien
Qu’à cela ne tienne, Madame, Nous en avons un. Arlequin chante en coulisse Je l’entends, il vient vous faire la révérence.
Scène iv
le seigneur, sa femme, arlequin, le comédien
arlequin, entrant, chantant et dansant
Lalalala Monseigneur... non, non, on doit commencer par le sexe. Madame... non, non, à tout Seigneur tout honneur. Monseigneur... non, non, Madame... non, non.
Scène v
le seigneur, sa femme, madame antoni, arlequin, le comédien
madame antoni
Doucement, doucement monsieur Arlequin. Je suis venue tout exprès pour voir si vous auriez l’audace de jouer à l’Opéra-Comique sans ma permission.
arlequin
Oh ! Oh ! En voici bien d’une autre.
madame antoni
Je ne souffrirai point absolument que vous fissiez une pareille sottise, nous allons voir, nous allons voir.
arlequin
Parbleu, voilà une action bien sage qu’elle fait là de troubler un spectacle. Je vous prie, Messieurs, de l’excuser, cela ne m’empêchera pas de continuer.
Elle vient sur le théâtre.
madame antoni
Suivez-moi !
arlequin
Tarare.
madame antoni
Au logis !
arlequin
Mais Madame !
madame antoni
Au logis !
arlequin
Vous agissez...
madame antoni
J’agis
Comme je dois agir, je prends soin de sa gloire.
Quoi ! Du théâtre italien,
Il ferait un saut à la foire ?
Non, Monsieur, il n’en sera rien.
Mon mari de comédien
Deviendrait un forain ?
le comédien
Ma foi la différence
N’est pas si grande que l’on pense.
la femme
Madame le prend sur un ton...
madame antoni
Sur le ton qui me plait.
arlequin, aux acteurs
Devant tout le public, je veux avoir raison
Retirez-vous c’est mon affaire,
Je vais lui faire une leçon,
Oh ! Je ne suis pas un oison.
Scène vi
arlequin, madame antoni
madame antoni
Je viens renverser votre attente
Je vous ferai bien voir que vous n’êtes...
arlequin
Qu’un sot,
Achevez, achevez ce mot.
madame antoni
Non, Monsieur, je suis trop prudente
Mais ne vous flattez pas.
arlequin
Bon, bon,
Je saurai bien lever l’obstacle.
madame antoni
Fuyez à jamais le spectacle
Où l’on vient dans l’intention
De s’amuser par le tapage,
Où toujours la prévention
D’avance condamne un ouvrage,
Où le plus chétif personnage
Zeste, à cheval sur un bon mot
Heurte le bon sens, fait ravage,
Et crie encore plus haut qu’un sage
Pour ne point passer pour un sot.
arlequin
Ma femme
madame antoni
Ou le bel air est l’usage
Est de mépriser tout.
arlequin
J’enrage.
madame antoni
Où l’on siffle sans écouter,
Où personne n’a le courage
De vouloir détourner l’orage
Que l’on s’empresse d’exciter.
arlequin
Mais, mais...
madame antoni
En un mot comme en mille
Avec moi vous retournerez.
arlequin
Mais enfin.
madame antoni
Discours inutile
Vous parlez comme un imbécile.
arlequin
Morbleu.
madame antoni
Tempêtez, murmurez,
Criez, pestez, jurez,
Patipata
Tout ça.
Rien n’ôtera
Ce que j’ai là
Ah !
arlequin
Apertua bona.
Oh, oh, oh.
madame antoni
Ah, ah, ah.
arlequin
Morbleu je suis las.
madame antoni
Point tant de fracas.
arlequin
De tout ce tracas.
ensemble, ensemble
deuxcol,
Retourne sur tes pas,
Je ne céderai pas,
Tu sentiras
Mon bras
[Tu sentiras
Mon bras.]
Retourne sur tes pas,
Non, tu ne joueras pas,
Tu sentiras
Mon bras,
[Tu sentiras
Mon bras.]
arlequin
Doucement, vous chantez un peu trop haut, ma femme,
Ceci va nous mettre d’accord.
Il met sa batte.
madame antoni, la lui arrache et le frappe
Il faut donc l’éprouver.
arlequin
Ahi, ahi, ahi, ahi, Madame
Peste, comme vous frappez fort !
Vous jouez à fausser ma lame.
madame antoni
Vous ai-je mis à l’unisson ?
Vous n’avez qu’à dire sinon...
arlequin
Elle m’a tout meurtri le râble,
Si vous osez encore...
madame antoni
Eh bien, que ferez-vous ?
arlequin
Morbleu, je souffrirai les coups,
Mais je crierai comme un beau diable.
Se plaignant.
Ahi, ouh.
madame antoni
Qu’en dirons-nous ?
De vous faire siffler vous reste-t-il envie ?
arlequin
Non, vos raisons ont trop de poids.
Je m’y suis opposé pour la dernière fois.
madame antoni
Mon cher ami, je suis ravie
Que tu me parles sur ce ton,
On me prend par douceur, c’est la bonne façon.
Je me sens un regret extrême,
Au sujet des coups de bâtons.
arlequin
Ah !
madame antoni
Que...
arlequin
N’en parlons plus.
madame antoni
Tu sais bien mon chaton
Que ta femme est la douceur même.
arlequin
Il y paraît.
madame antoni
Osez-vous dire
Que je suis sans douceur, morbleu ?
arlequin
Bon c’est pour rire.
madame antoni
Air : Tout cela m’est indifférent
Je suis une franche brebis
Quand on dit tout comme je dis,
Je veux tout ce qu’on me propose
Si mon esprit en est flatté,
Et je ne désire autre chose
Que de faire ma volonté.
Ta soumission me désarme.
arlequin
Ah ! Le pauvre petit mouton.
madame antoni
Je suis même portée à te donner raison.
arlequin
Fort bien.
madame antoni
J’ai réfléchi, j’ai trop tôt pris l’alarme,
Mon bon sens était à l’écart.
S’il est certain public volage
Il en est un aussi juste que sage,
À la prévention, il n’a jamais d’égard,
Il ne juge point au hasard.
À lui plaire il nous encourage,
D’avance il donne son suffrage,
À nos succès lui seul à part.
Notre mérite est son ouvrage.
arlequin
Oui, voilà bien du verbiage.
madame antoni
Va, ne crains rien de tes rivaux,
De te nuire je les défie,
C’est le motif qui justifie
Tu veux plaire au public par des efforts nouveaux.
Il te saura bon gré du zèle qui t’anime.
Et pour mériter son estime,
Tous les théâtres sont égaux
Pour celui-ci surtout on a tant d’indulgence,
Le public a tant de bonté
On a cent fois ici laissé sa patience,
Il n’a pas tort en conscience
D’en paraître un peu rebuté.
Mais chasse loin la défiance,
Tu peux jouer en liberté.
arlequin
Air : Est-ce un pouce
Je n’ai garde
Ta frayeur
A passé dans mon cœur
Je hasarde
Un peu trop, ma foi.
madame antoni
Quoi !
arlequin
Je me retire.
madame antoni
C’est pour me contredire
Vous jouerez à l’instant
Car je le prétends.
arlequin
Non, ma charmante,
Le sifflet m’épouvante
Ma foi je n’en ferai rien.
madame antoni
Oh ! Je t’y forcerai bien.
arlequin
Non, non, non, non, non.
madame antoni, lui arrache sa batte et le frappe
Nanny.
arlequin
Ahi, ahi, ahi, si, si
Comme elle y va, je cède en enrageant,
Mon dos n’est pas si dur que celui d’un serpent.
madame antoni
Je te sais gré de ton obéissance.
arlequin
Je tremble...
madame antoni
Il faut t’encourager.
Air : Belle brune, belle brune
Pour la danse,
Pour la danse,
Ici je vais m’engager.
arlequin
Mamour quelle complaisance
madame antoni, sautant
Pour la danse
Pour la danse
Songeons tous deux à nous former le goût,
On peut se distinguer partout.
arlequin
Tu répondras pour moi si j’ai mauvaise chance
madame antoni
Oui, oui.
arlequin
Je savais bien que j’en viendrais à bout.
madame antoni, au public
Messieurs, secondez nos désirs
On ne s’avilit point en cherchant à vous plaire
Nous ferons nos efforts pour charmer vos loisirs
Que ceci soit notre salaire.
arlequin, au public
Air : De tous les capucins du monde
Messieurs, le théâtre italique
Ainsi que l’Opéra-Comique
Va bien souvent coussi, coussi
Bagatelle pour bagatelle
Venez vous amuser ici
Nous redoublerons notre zèle.
Scène vii
le seigneur, sa femme, le comédien et les précédents
arlequin, au comédien
Approchez, mes amis, j’ai rendu ma femme traitable. Oh, oh ! Je m’en suis tiré vertement, elle s’engage avec nous.
le comédien, à Madame Antoni
Je vous en félicite.
arlequin
Dans le fond, je l’ai toujours considéré comme une bonne femme.
madame antoni
En mon particulier, je vous ai toujours regardé comme un bon homme.
le comédien
Je suis charmé de votre accord, continuons.
le seigneur
Messieurs les comédiens de campagne, il faut du temps pour élever votre théâtre, les divertissements du village nous tiendront lieu aujourd’hui d’Opéra-Comique, préparez-nous un petit bal pour ce soir, allez trouver mon intendant, À sa femme. Les habitants du village viennent nous complimenter, prenons un siège, Madame, pour les recevoir décemment.
Scène viii
le seigneur, sa femme, pierrot en habit de cérémonie, le magister, le tabellion, deux paysans qui tiennent une corbeille couverte
pierrot, à moitié ivre, à sa suite
Mes amis, souvenez-vous que je vous dis de faire tout comme moi.
Au Seigneur.
Monseigneur,
Air : Quand le péril est agréable
Nous vous demandons la licence
De haranguer votre grandeur,
Votre altesse, votre hauteur,
Votre circonférence.
le seigneur
Parlez !
pierrot
Monseigneur, votre réputation fait plus de bruit dans le village que notre carillonneuse dans son clocher ; vous êtes la terreur des lièvres et des lapins, le destructeur des poulets, il n’y a point de gentilhomme dans toute la Beauce qui jure plus noblement que vous après le paysan, et qui les rosse de meilleure grâce, il ne manquait à vos qualités que d’être le mari d’un joli tendron.
Air : Je ne vous ai vu qu’un seul petit moment
Une jeune femme, pain tendre et bois vert,
Mettent, dit-on, la maison en désert,
Mais pour moi j’assure
Que c’est imposture,
Belle et jeune femme achalande un logis
V’ai pour garant grand nombre de maris
Nombre de maris
Qui font à Paris
Figure à ce prix
Qui font à Paris figure.
Madame vous enrichira bientôt, comme les autres, en dépit du proverbe. Vous n’avez pas fait un mauvais marché et Monsieur votre beau-père
Air : Fille qui voyage en France
Vous donne outre grosse somme,
Vingt attelages complets,
De toutes bêtes de somme
Ânes, chevaux et mulets
Avec Madame,
Pouviez-vous trouver jamais
Plus riche femme ?
Air : Menuet de Granval
Vous y gagnez nombre de vignes,
De prés, de champs, surtout de bois,
L’un de l’autre vous êtes dignes
Le sort bénisse votre choix.
Monseigneur, nous allons offrir un petit présent convenable à votre qualité et qui se fait entre personne de considérance Il va prendre le présent, il fait trois révérences et se laisse tomber à la troisième. Monseigneur.
Les paysans font de même en se laissant aussi tomber.
Monseigneur.
pierrot, aux paysans
Que le diable vous emporte !
les paysans
Que le diable vous emporte !
la femme
Qu’est-ce à dire ?
pierrot, aux paysans
Que la peste vous étouffe !
les paysans
Que la peste vous étouffe !
le seigneur
Holà ! Quelqu’un ! Qu’on me chasse ces canailles là !
On vient les chasser, les arquebusiers apportent le prix. On danse.
Scène ix
une bohémienne, julie en bohémienne
la bohémienne
Vous nous faites bien de l’honneur, Mademoiselle Julie, de vouloir être des nôtres, mais je ne puis m’empêcher de vous dire qu’une fille comme vous qui me paraît des mieux élevée du village manque à la bien séance en se mêlant d’une troupe de bohémiennes.
julie
Oh ! il n’y faut pas regarder de si près.
la bohémienne
airvide
À voir cet air fripon et doux,
Belle vous n’avez pas je jure,
Dessein d’apprendre parmi nous
À dire la bonne aventure
Je crois à ne vous rien cacher
Que vous venez pour [la] chercher
Pour la chercher
[Pour la chercher]
Oui, vous venez pour la chercher
julie
Vous devinez juste.
Air : La bonne aventure, ô gué
Le malin dieu des amours
M’a fait sa blessure.
la bohémienne
Mon trognon, sans mon secours
De vous dépendra toujours
La bonne aventure ô gué,
La bonne aventure.
julie
Air : Je l’ai pris pour mon amant
Pierrot ce petit gingeolet
Que vous pouvez connaître
Vient jouer de son flageolet
La nuit sous ma fenêtre,
Il en touche si tendrement
Si joliment, si drôlement,
Et je l’ai pris pour mon amant
À cause qu’il a du talent.
la bohémienne
C’est fort bien fait.
julie
Je le soupçonne d’être un peu fripon en amour.
Air : Perette était dessus l’herbette
Sous ce ridicule équipage
De votre art sans savoir l’usage
Je regarderai dans sa main
Je verrai s’il est volage.
la bohémienne
Ah ! Que votre projet est fin.
Mais votre amant vous reconnaîtra.
julie
Oh ! Je prendrai un masque.
la bohémienne
L’heureuse imagination !
pierrot, chante sans être vu
Air : Ziste, zeste, point de chagrin
Ziste, zeste, point de chagrin,
Je me ris, je me ris, je me rigole,
Ziste, zeste, point de chagrin
Pierrot va toujours son train.
julie
Je l’entends écoutons un peu ce qu’il chante avant de nous montrer.
Scène x
pierrot
Air : Contre danse nouvelle
Diversité flatte le goût
Toute fille
Bien gentille
À l’inconstance me résout,
Diversité flatte le goût
D’une cruelle
Quand je viens à bout
Mon cœur infidèle
Prévient le dégout
Tout me réveille,
Comme l’abeille
Je sais m’accommoder de tout.
Diversité flatte le goût
Toute fille
Bien gentille
À l’inconstance me résout,
Diversité flatte le goût.
Scène xi
pierrot, julie, masquée
julie
Air : La bohémienne, contredanse
Pour moi rien n’est obscur,
C’est à coups sûr
Que je devine
Consultez tous en ce jour
La devineresse d’amour.
Amants pour savoir votre destin
Je ne regarde point dans la main,
J’examine,
La mine,
Oui, vos yeux, vos yeux
M’instruisent beaucoup mieux
Quand j’y vois cette flamme
Dont l’ardeur embrase une âme
Je vous promets du retour
L’amour est le prix d’un tendre amour.
pierrot
Vertuchoux, quelle éveillée !
julie
Air : Qu’un mari soit poulmonique
Ma science est peu commune
Pour dire la bonne fortune,
Voulez-vous éprouver cela la la
Falala lira liron fa
Venez mon beau jeune homme,
Vous allez apprendre comme
Votre chance en amour tournera,
Lala lira liron fa fa fa.
pierrot
Je n’ai pas de foi à tout ça, mais dites toujours.
julie
Air : Gué gué gué mon officier
Vous soumettez sans peur,
Par vos discours fripons,
Tous les tendrons.
Vous en avez douzaine
Et vous changez d’objet
Petit coquet
Tous les lundis
Les mardis
Les mercredis
Les jeudis
Les vendredis
Le long de la semaine.
pierrot
Ventrebille, faut que vous soyez sorcière, v’là qui me surpasse, vous dites vrai, je suis diantrement couru des filles.
Air : La mirtanplan
Sans vanité, dans mon lot
J’en ai plus de trente
Mais, jarni, je n’en dis mot
Chacune croit avoir fixé Pierrot
Chacune est contente.
julie
Air : C’est la chose impossible
Vous avez depuis peu de temps
Fait une nouvelle maitresse.
pierrot
C’est Mademoiselle Julie, est-ce que vous devinez encore ça ?
julie, continue l’air
C’est une fille de vingt ans
Qui n’a jamais eu de faiblesse.
pierrot
Venir jusqu’à cet âge-là
Sans avoir eu le cœur sensible
C’est la la la la la la
C’est la chose impossible.
julie
Air : Mon honneur allait faire naufrage
Dans son cœur vous pourrez trouver place
Si vous lui jurez avec serments...
pierrot
Quels serments veut-elle que je fasse ?
J’en ferai, car je suis de la race
De nos bas normands.
julie, à part
Je te crois plutôt des Gascons. Haut. C’est-à-dire que si vous lui promettiez d’être fidèle...
pierrot
Je lui manquerais de parole.
julie
En ce cas, je t’annonce qu’elle aura pour toi des rigueurs éternelles.
pierrot, reprend les deux derniers vers de la précédente chanson qu’il a fini
C’est la la la la la la
C’est la chose impossible.
Je ne vous crois pas.
julie, se démasquant
Crois en donc elle-même.
pierrot
Jarnicoton, c’est vous !
julie
Ah ! Le nigaud qui se laisse tirer les vers du nez, va, mon ami, tu es aussi fat que sot, tourne moi les talons.
pierrot
Pardi, vous viendrez me chercher.
Ziste, zeste, point de chagrin,
Pierrot va toujours son train.
Scène xii
la bohémienne et troupe de paysans
Les bohémiennes dansent.
la bohémienne
airopera, parodié
Accourez jeunesse fortunée
Mon savoir
Peut tout prévoir
Je lis dans la destinée,
Et c’est rarement
Que l’avenir me dément.
Vieux barbon d’humeur jalouse
Si d’un jeune objet charmant
Tu veux faire ton épouse,
Je vois à l’instant
Quel est le sort qui t’attend.
Accourez jeunesse fortunée,
Mon savoir
Peut tout prévoir
Je lis dans la destinée,
Et c’est rarement
Que l’avenir me dément.
Je promets aux filles
Gentilles
Des maris,
Des favoris ;
Aux coquettes
Nouvelles fleurettes ;
A tous les amants
Constants
D’heureux instants.
Accourez, jeunesse fortunée,
Mon savoir
Peut tout prévoir
[Je lis dans la destinée,]
Et c’est rarement
Que l’avenir me dément.
Un paysan lui présente sa main pour se faire dire sa bonne aventure
la bohémienne
Air : On n’aime point dans nos forêts
De manant tu seras laquais
Ensuite au rang des secrétaires
Tu seras financier.
le paysan
Après !
la bohémienne
Ton mérite dans les affaires
Un jour t’élèvera bien haut.
le paysan
Morguié, je vais faire un grand saut.
un autre paysan
Air : Mathurin mon compère
Je vis mal à mon aise
Et quand les temps sont froids
Pour épargner la braise
Je souffle dans mes doigts
Aurais-je toujours misère égale ?
la bohémienne
De riche femme tu feras choix
Si tu ne te fais bouillir la timbale,
Ce ne sera pas faute de bois.
unTroisiemepaysanetsafemme
la femme
Air : Vive Michel Nostradamus
J’ai près de trois ans de ménage
Et je n’en ai pas vu le fruit.
le paysan
Pour me voir un jour reproduit
J’ai fait un long pèlerinage
Voilà ma main, voyez dedans
Si j’aurons quelques descendants.
la bohémienne
Air : A la l’raguioux
À la femme.
Dans huit ou neuf mois Madame,
Un enfant je vous promets.
Au paysan.
Mais pour vous Monsieur, Oh dame,
Je ne parierai jamais.
le paysan
Accordez-vous
Car je suis son époux.
la bohémienne, danse
O la la la la la la la la la
la villageoise
Même air
Je vais vous mettre à l’épreuve
Voyez dans cette main-là
Suis-je femme, fille, ou veuve ?
la bohémienne
Mais j’y vois un peu de tout cela.
la villageoise
Comment cela ?
la bohémienne, danse
O la la la la la la la la la
Danse des bohémiennes.
Scène xiii
mercure opérateur, colin berger
colin
Air : Petits oiseaux, rassurez-vous
Hélas ! Monsieur l’opérateur
Soulagez les mots que j’endure,
Deux yeux m’ont fait une blessure
J’ai pour jamais perdu mon cœur,
J’aime Lison, mais on l’obsède
Un sort cruel s’oppose à mon bonheur.
Faut-il donc sans espoir expirez de langueur ?
Hélas ! À mes tourments, n’est-il point de remède ?
mercure, lui tate le pouls
Voilà un amour double tierces qui est bien fort.
colin
Cela m’a pris tout d’un coup.
Air : N’oubliez pas votre houlette
Comme l’on voit les dons de Flore
Éclore
Aux rayons d’un beau jour,
Dans tous les cœurs éclot l’amour
À l’aspect des yeux que j’adore,
Comme l’on voit les dons de flore
Éclore
Aux rayons d’un beau jour.
mercure
Air : Allons la voir à St Cloud
Vous aurez soulagement
À vos maux je m’intéresse
J’aime à servir un amant
Vous connaissez mon adresse,
Bientôt on saura vous guérir
Et je me charge avec plaisir
Du soin de cette cure
Mon ami, je suis Mercure.
colin
Mercure !
mercure
Oui, l’Amour s’est fait vendeur de Mithridate, il s’est associé avec moi. L’associé de l’Amour doit être Mercure.
colin
Puis-je espérer que par votre moyen...
mercure
Laissez-nous faire, Lison vient souvent avec sa nourrice nous voir débiter notre marchandise, nous pourrons... Les voilà, suivez-moi.
Ma mère était bien obligeante,
Mais moi je le suis encore plus.
Scène xiv
arlequin en nourrice, lison
arlequin
Air : Songez à vous défendre
Songez, songez à vous ma fille
Tout amant n’est qu’un enjôleur
Quand une fois on perd son cœur
Tout s’ensuit de fil en aiguille
Songez, songez à vous ma fille
Tout amant est un enjôleur.
lison
Air : Prenez bien garde à votre cotillon
De grâce, ma bonne à quoi bon
Me faites-vous pareil sermon ?
arlequin
L’amour est un petit fripon,
Mon enfant prenez bien garde...
lison
En vérité ma bonne je ne sais ce que vous me voulez dire. L’amour, des amants, un cœur... Qu’est-ce que tout cela ?
arlequin
Eh ait qu’elle est ignorante !
lison
Je n’ai pu m’instruire qu’avec vous, vous ne me quittez pas d’un instant.
arlequin
airvide
Il faut que je vous accompagne
Sur tous vos pas je veux voir clair,
L’honneur comme un vin de champagne
Pst s’échappe dès qu’il prend l’air.
lison
Air : confiteor
Quel est l’honneur !
arlequin
C’est un trésor
Dont les fripons ont grande envie,
Il est plus précieux que l’or.
lison
Je n’eus de trésor de ma vie.
arlequin
Craignez bien de le perdre.
lison
Hélas !
Peut-on perdre ce qu’on a pas ?
arlequin
Eh allons donc, vous faites l’innocente.
lison
Oh ! Je la suis bien aussi, mais vous m’apprendrez à ne plus l’être.
arlequin
Je vous en réponds. Par exemple le berger Colin nous suit partout pour vous parler.
lison
Je ne savais pas cela, je vous suis obligée ma bonne de me l’avoir appris.
arlequin
Oh ! Tout ce que je vous dis n’est que pour vous défendre de le regarder.
lison
Pourquoi donc ? Il est si gentil, il a l’air si doux.
arlequin
Oui, oui, ne vous fiez pas à cette douceur-là.
airvide
N’écoutez jamais la fleurette
On attrape une fillette
Mon enfant a peu près
Comme le soldat prend les poulets,
S’il en voir un hors de sa cage
Il jette du pain, du fromage,
Viens petit, petit, petit,
Le poulet suit
Et crac
Le voilà dans le sac.
Par exemple, y-a-t-il rien qu’ait
l’air plus doux que ces petits abbés
vous en avez vu au château.
lison
Hé bien !
arlequin
Hé bien ! Ce sont des petits maitres.
Air : Tout de fil en aiguille
Avec beaucoup d’adresse
Le galant à rabat,
Cache sous sa tendresse
Sa volonté traitresse
Auprès de sa maitresse
Figurez-vous un chat.
Un chat d’abord caresse
Aussitôt qu’on le flatte
Il saisit cet instant
Et sa griffe aussitôt s’étend
Paf, c’est un coup de patte.
Vertuchoux, je le sais par expérience.
lison
Par expérience, ma bonne !
arlequin
On me dit des douceurs sur ma physionomie, sur ma taille, j’y pris plaisir.
lison
Plaisir, ma bonne !
arlequin
Oui, mais je ne tardai guère à m’en repentir.
lison
Oh bien ! Il faut que j’éprouve cela, et je serai quitte aussi pour m’en repentir !
arlequin
Nenni, nenni, s’il vous plaît.
lison
Mais en quoi les amants sont-ils si dangereux ?
arlequin
En quoi ? Écoutez... en ce que... comme qui dirait... à peu près... Je vous expliquerai cela une autre fois, retournons à la maison.
lison
Ah ! Ma bonne, voici les opérateurs, laissez-moi leur demander un remède pour la migraine.
arlequin
Songez, songez à vous, ma fille.
Scène xv
l’amour, mercure opérateur, arlequin, lison
Lamour
Air : Arrachez de mon cœur
Accourez, accourez, l’Amour vient à votre aide,
Je vais finir vos maux, amants qui languissez,
Aux tourments amoureux, on trouve du remède,
Je dois guérir les cœurs que mes traits ont blessés.
mercure
Air : La besogne
Par ma foi, si vous guérissez,
Tous ceux que vos traits ont blessés,
Tendre Amour, dans notre boutique,
Nous aurons bien de la pratique.
loperateur
Air : Laissons-nous charmer
Mon baume divin
Rafraichit le teint,
Augmente la santé,
Produit la gaieté,
En toute saison,
On le prend sans façon,
Il n’a point de dégoût
Et guérit de tout.
lison
Air : Mais je sens que mon cœur soupire
Une secrète ardeur m’agite
Je mange peu, je ne dors pas,
Incessamment mon cœur palpite,
Ma tête est pleine d’embarras.
Malgré moi toujours je soupire
Je ne sais ce que ça veut dire.
Air : Ah ! Mon mal ne vient que d’aimer
Tous les jours on me voit chêmer
loperateur
Votre mal ne vient que d’aimer.
lison
Hélas ! J’étais rouge à charmer
Je deviens un fantôme.
loperateur, lui donne une fiole
Votre mal ne vient que d’aimer,
Avalez c’est mon baume
airvide
Prenez, ce baume est sans égal
Pour guérir tous les maux que trop d’amour vous cause
Mais de peur qu’il ne fasse mal
Que l’hymen en donne la dose.
le paysan
Air : Les feuillantines
L’amour cause ma langueur,
Son ardeur
A grésillé tout mon cœur,
Donnez-moi, Monsieur Mercure
De l’onguent
De l’onguent pour la brûlure.
arlequin
Air : De mon excellent élixir
Je voudrais de l’eau pour le teint
Et de votre baume divin,
Vendez m’en, Monsieur l’empirique
Vous aurez toujours ma pratique.
loperateur
N’attendez pas pour vous guérir
De mon agréable
De mon admirable
De mon excellent élixir.
arlequin
Vous me refusez, cela est bien malhonnête, retournons chez nous. S’apercevant que Lison n’est plus avec lui. Lison, Lison !
Il court la chercher.
La suite de l’opéra danse.
Lamour
airvide
Je suis un médecin vanté
Dans l’univers ma gloire vole,
Je débite dans cette fiole
L’élixir de crédulité
Femme, fillette,
D’humeur coquette,
Pour un amant, pour un époux,
En voulez-vous
Faire emplette ?
Le tout consiste au secret
D’en bien préparer l’effet,
Gratis j’en donne la recette.
vaudeville
1
Au riche aspect de vos bijoux
Femme, que votre époux soupçonne,
S’il veut savoir qui vous les donne
Le jeu seul, répondez-vous,
Il gobe la fiole à merveille,
Et charmez de votre heureux sort,
A jouer vous exhorte fort
Encor
Une seconde bouteille.
2
Quand votre mari vous surprend
Avec un galant en cachette,
Pour excuse fille coquette,
Dites que c’est votre parent
Vous donnez la fiole à merveille
Votre époux convient qu’il a tort
Le galant et lui sont d’accord
Encor
Une seconde bouteille.
3
Pour attraper un riche époux
Frais émoulu de la province,
Coquette dont le bien est mince
D’une Agnès affectez l’air doux,
Vous donnez la fiole à merveille,
En vous épousant le butor,
De vertu vous croit un trésor
Encor
Une seconde bouteille.
4
Assez souvent d’un pas subtil
Pour voir mon amant je m’esquive,
Et je dis chez nous quand j’arrive
Que je viens d’acheter du fil.
Ma bonne le prend à merveille,
Et m’en croyant sur mon rapport
M’envoie en chercher du plus fort,
Encor
Une seconde bouteille.
On danse.
Scène xvi
l’intendant, arlequin, le maître de musique, le maître de ballet
lintendant
Eh bien ! Messieurs, le divertissement dont on vous a chargé est-il prêt ? Sera-t-il joli ?
arlequin
Air : Vous qui voyez les dames ou chantons laetamini
Vous devez tout attendre
De nous dans cet emploi
Beaux pas.
le maître de ballet
Musique tendre.
arlequin
Vous l’emportez sur moi.
le maître de ballet
Non, non, c’est vous, ma foi.
arlequin
Non, non, c’est vous, ma foi.
ensemble, ensemble
Non, non, c’est vous ma foi
Qui l’emportez sur moi.
lintendant
Messieurs, votre modestie me charme, c’est un phénomène entre gens de votre profession, continuez, vous avez raison de vous humilier.
arlequin
Raison !
Air : Non, je ne ferai pas ce qu’on veut que je fasse.
Grâce au ciel, de mon art je connais la rubrique,
Mon art fait le destin du théâtre lyrique
Je puis dans les accès de mes bruyants transports,
Des chantres du Pont Neuf effacer les accords.
le maître de ballet
Air : Tortillons les jambes
Regardez-moi, je suis des plus ingambes,
Tortillons les jambes,
C’est avec cela
Qu’on soutient l’opéra.
À mon instar nos danseuses illustres
Sautent jusqu’aux lustres,
Au public font voir
Jusqu’où va leur savoir.
arlequin
Air : Voyelles anciennes
Faut-il inspirer le repos ?
Par quelques airs de caractères,
Faut-il endormir un héros ?
J’endors morbleu jusqu’au parterre,
L’ennui se répand à propos,
Il n’est point d’auteur qui me vaille,
Je prête au sommeil des pavots
Dès qu’on m’écoute chacun baille.
le maître de ballet
Moi, je réveille, je fais danser les vents, Borée, les tourbillons, les aquilons, Il danse. les zéphires. \did Il danse.
Jusques aux vents coulis
Que ces pas sont jolis !
arlequin
Air : Le meunier Mathurin
S’agit-il d’exprimer un orage effroyable ?
Je mets le spectacle en rumeur
Bientôt j’agite avec fureur
Les flots du parterre implacable.
Je fais siffler comme le diable
Murmurer, gronder tout censeur.
Ré mi fa sol la.
L’orage
Fait rage
Je fais tomber l’opéra.
le maître de ballet
Je le relève, je fais danser les fleuves, les rivières, les ruisseaux.
Il danse.
lintendant
Qu’est-ce que cela ?
le maître de ballet
C’est une fontaine qui danse.
arlequin
Air : Sommeil de Dardanus
Ma touchante mélodie
Imite tous les accents,
Séduit les sens
D’un rossignol d’Arcadie,
Han hi, han hi, han hi an,
Je rends, je rends
Les tendres gémissements.
le maître de ballet
Je fais danser les dieux, les demi dieux, les quarts de dieux, les déesses, et le diable pêle-mêle, je fais danser jusqu’à la vertu.
Il danse.
arlequin
Air : Dieux que la momenec
Mon art exprime les gloux, gloux
Gloux, gloux, gloux, gloux, gloux, gloux
De ma chère bouteille
Dans les cris des matoux
Miaoux
J’offre à l’oreille
Des tons que l’on doit trouver doux.
lintendant
Voilà qui est bien tendre.
arlequin
J’ai fait tout un opéra dans ce goût-là.
le maître de ballet
Moi, j’en fais un tout en entrechats.
arlequin
Premièrement, mon opéra ouvre...par l’ouverture. Un amant, plaintif tourtereau, fait une déclaration à sa maîtresse sur ce ton, rou cou, sa belle n’a pas la force de résister à un aveu si touchant, et comme une tendre moutonne languissamment elle répond bré bré.
Air : Nanon dormait
Le dieu d’hymen
Vient secourir la belle
Sans examen
Il s’unit avec elle
Il chante.
Ut sol.
Que dites-vous de cette expression, ut sol ?
le maître de ballet
Que le diable vous emporte. À l’intendant. Voici le sujet de mon opéra. Jupiter, amoureux d’une aimable mortelle, envoie d’abord Mercure qui se déguise en maître à danser pour n’être pas reconnu.
arlequin
Votre Mercure est un imprudent, mon ami, il sera d’abord reconnu sous cet habit.
lintendant
Laissez-le dire.
le maître de ballet
Jupiter pour ne point effaroucher sa belle se déguise en petit maître.
arlequin
Autre sottise, mon ami, Jupiter, pour ne point effaroucher sa belle, doit paraître en petit collet.
le maître de ballet
Pourquoi ?
arlequin
C’est qu’il est permis aux dames d’avoir à leur toilette un chien, un perroquet et un abbé. Ce sont des animaux domestiques et sans conséquence.
lintendant, au maître de ballet
Continuez, continuez.
arlequin
Dites-moi un peu, on ne chante donc point dans votre opéra ?
le maître de ballet
Non.
arlequin
Il ne vaut pas le diable.
le maître de ballet
Vous êtes un âne.
arlequin
Air : Chantons Laetamini
Non, non, c’est vous ma foi.
le maître de ballet
Non, non, c’est vous, ma foi.
ensemble, ensemble
Non, non, c’est vous, ma foi,
Qui l’emportez sur moi.
le maître de ballet, se moque d’Arlequin
Han hi han hi han.
lintendant
Eh ! Messieurs, la modestie.
Arlequin les chasse à coups de batte.
Le bal commence.
Fin