[Simon-Joseph Pellegrin]
Arlequin Grand Turc
Divertissement muet
1715
Foire Saint-Germain
BnF ms. fr. 25480
Arlequin Grand Turc
Le théâtre représente la boutique de Lustucru.
lustucru
Air : Mon père, je viens devant vous
Frappons, ne nous lassons jamais,
Frappons, que rien ne nous arrête !
La femme malgré ses attraits
A bien des défauts dans la tête.
Ne nous lassons jamais, frappons !
Refondons-la si nous pouvons.
Air : Que je chéris mon cher voisin
C’est Vulcain, ce pauvre boiteux
Qui forge le tonnerre.
L’Amour forge les traits fâcheux
Qu’il lance sur la terre.
Même air
Lustucru, ce grand forgeron
Que partout on réclame,
Sait par son art sage et profond
Faire une bonne femme.
pierrot
Air : Quand le péril est agréable
Voulez-vous le repos de l’âme
Et dans vos maison vivre en paix ?
N’ayez ni dettes ni procès,
Encore moins de femme.
Lustucru examine le travail des forgerons et présente un écriteau :
Même air
Maris, venez tous prendre place
Sur les bancs du bon Lustucru !
Il rend le front le plus tortu
Lisse comme une glace.
On entend du bruit et Lustucru présente un écriteau :
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Quels bruits à nos désirs contraires !
Quels tintamarres et quels cris !
Ô ciel, c’est un tas d’harengères !
Vraiment, je n’en suis pas surpris.
Colombine s’adresse à Lustucru et présente un écriteau :
colombine
Air : Que je chéris mon cher voisin
Crois-tu de nous faire la loi ?
Quelle mouche te pique ?
Si nous tombons toutes sur toi,
C’est fait de ta boutique.
isabelle, à Lustucru
Air : Quand le péril est agréable
Le traître à qui le sort me lie
A fort bien fait de décamper.
Ah, si j’avais pu l’attraper,
C’était fait de sa vie !
Lustucru répond par un écriteau :
lustucru
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Honteux de vous voir la culotte,
Votre époux a recours à moi.
Il veut, Madame, qu’on vous l’ôte ;
Il n’a pas grand tort, par ma foi.
colombine, à Lustucru
Même air
Aujourd’hui, la plupart des hommes
Sont devenus efféminés
Et nous, femmes tant que nous sommes,
Nous les menons tous par le nez.
lustucru, à Colombine
Air : Vous m’entendez bien
Ce discours si sage et si doux,
Cet air à faire des jaloux,
Ce maintien, cette gorge,
Ces yeux
Méritent qu’on vous forge
La tête un peu mieux.
colombine, à Isabelle
Air :
Ce magot nous outrage,
Arrachons-lui les yeux !
Qu’on reconnaisse à notre rage
Que les femmes sont dans ces lieux.
Colombine et Isabele font mourir Lustucru et présentent un écriteau :
Maris, que vous êtes à plaindre,
Vos cris seront superflus !
Vos femmes vont se faire craindre.
Bon bon bon, Lustucru ne vit plus.
finprologue
Acte i
colombine
Air : Que je chéris mon cher voisin
Garderai-je éternellement
Mon innocence en gage ?
Ah, c’est un fardeau bien pesant
Quand on est à mon âge.
Air : Quand le péril est agréable
Quand on est déjà grandelette,
Le cœur par amour attaché,
Hélas, quelle fatalité
D’être toujours seulette !
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Que pour mes amoureuses flammes,
Le sérail est de mauvais goà»t !
On est ici plus de cent femmes,
Et nous n’avons qu’un homme en tout.
Même air
Pour brûler d’une ardeur nouvelle
Le Grand Turc vient ici nous voir.
Amour, fais qu’il me trouve belle,
Et qu’il me jette le mouchoir !
isabelle, au Grand Turc
Même air
Les cris d’une amante alarmée,
Ingrat, seront-ils superflus ?
Ah, pourquoi m’avez-vous aimée
Ou pourquoi ne m’aimez-vous plus ?
le grand turc
L’amour est un oiseau volage
Qu’on ne peut guère retenir.
Mais quoiqu’il sorte de sa cage,
Il peut parfois y revenir.
isabelle, au Grand Turc
Air : Les Trembleurs
Ah, que votre âme est cruelle
De trahir un cœur fidèle !
Ne suis-je plus assez belle
Pour vous plaire encore un peu ?
Depuis longtemps pour mes charmes
Vous ne prenez plus les armes,
Et si j’en crois mes alarmes,
Vous brûlez d’un autre feu.
le grand turc
Air : Mon père, je viens devant vous
Vous méritez un sort plus doux.
À regret, je suis infidèle.
Je reviendrai bientôt à vous,
Si je n’en trouve de plus belle.
Mais ma foi, ne m’attendez pas,
Si je rencontre plus d’appas.
le grand turc, apercevant Colombine
Air : Folies d’Espagne
Cette beauté qu’ici mon ordre amène
Va par ses soins répondre à mes désirs.
Portez ailleurs vos cris et votre peine,
Et gardez-vous de troubler mes plaisirs !
isabelle, au Grand Turc
Air :
Quoi, Seigneur, vous le ne cachez pas ?
Vous allez chercher d’autres appas.
De fureur déjà mon cœur palpite.
Je ne suis plus maîtresse de mes sens.
Si vous ne revenez au plus vite,
Je c[r]èverai des maux que je ressens.
chœur
Air : Folies d’Espagne
Maris jaloux, oubliez vos alarmes !
Imitez tous le Grand Turc aujourd’hui.
Et comme il a le croissant dans ses armes,
Sans murmurer portez-le comme lui.
le grand turc, à Colombine
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Vous brillez seule en ce refuge,
Ne retardez pas mon dessein !
Si je ne vous croque et ne vous gruge
Mon amour va mourir de faim.
Colombine fait des minauderies au Grand Turc et présente un écriteau :
Air : Le Prévôt des marchands
Seigneur, sur moi l’amour a fait
Comme sur vous le même effet.
Déjà mon âme vous dévore.
Pourquoi teniez-vous renfermé
Ce que tout l’univers adore
Et dont mon cœur est si charmé ?
Isabelle entre en fureur et présente un écriteau :
Air :
Malheureux moment
Qui fait mon tourment !
Allons avec cet instrument
Embrocher l’amante et l’amant !
Auprès de ses appas,
Je vois bien qu’il n’a pas
Perdu la parole.
Vertuchoux, comme il la cajole,
Au lieu qu’auprès de mon jabot,
Il ronfle et dort comme un sabot !
arlequin
Air : Quand le péril est agréable
Je crois qu’elle est ensorcelée,
Vite, qu’on l’ôte de mes yeux !
Pour calmer ses feux furieux,
Qu’elle soit empalée !
Colombine demande grâce pour Isabelle et présente un écriteau :
Air : Que je chéris mon cher voisin
Seigneur, au nom de notre amour,
Ne vengez cet outrage
Qu’en me redoublant chaque jour
Votre amoureux hommage.
Arlequin révoque son arrête et présente un écriteau :
Même air
Allons, que tout signale ici
Nos ardeurs mutuelles,
Et que dans un moment aussi
On souffle les chandelles !
Acte ii
Pierrot, voulant secourir Arlequin, demande du secours par un écriteau :
Air : Ne m’entendez-vous pas ?
Au secours, au secours !
Ô fortune ennemie !
Arlequin perd la vie
Au plus beau de ses jours.
Au secours, au secours !
Colombine arrive au secours et présente un écriteau :
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Quel objet ! J’en suis attendrie,
En vain j’appelle ma fierté.
Ah, faut-il lui rendre la vie
Aux dépends de ma liberté ?
Air : Ah, qu’il est beau, l’oiseau qu’Amour m’amène
Qu’il est joli le jouveanceau,
C’est pour mon cœur du fruit nouveau.
Je l’aime, je l’aime !
Ah, que son teint est beau,
C’est l’Amour même !
pierrot
Air : Quand le péril est agréable
Cette eau de la reine d’Hongrie
N’est pas bonne pour un mari.
Donnez-lui plutôt de bon vin,
Ou bien de l’eau de vie.
Colombine présente du ratafia à Arlequin, qui en boit et présente un écriteau :
arlequin
Air : Vous m’entendez bien
Vous m’avez sauvé du trépas
Mais cela ne me suffit pas.
Cher objet que j’adore,
Hélas !
Je voudrais bien encore,
N’entendez-vous pas ?
Scaramouche, en habit de femme, les surprend et présente un écriteau :
scaramouche, en Calypso, à Colombine
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Je ne sais pas si c’est un somme
Ou si mon réveil est parfait.
Quoi ! Seule ici près d’un jeune homme !
Qu’y faisiez-vous s’il vous plaît ?
Colombine, scandalisée, présente un écriteau :
colombine
Même air
Ce cavalier a fait naufrage
Et l’eau l’avait presque étouffé.
Il serait mort de froid je gage,
Si je ne l’avais réchauffé.
calypso ou scaramouche
Air : Que je chéris mon cher voisin
Avez-vous demandé le nom
De ce charmant corsaire ?
Oh, je gagerais bien que non :
Vous aviez autre affaire !
Arlequin, faisant le beau, présente un écriteau
arlequin, à Calypso
Même air
À ce grand air, à ces appas,
Sans fard, sans artifice,
Madame, ne voyez-vous pas
Que je suis fils d’Ulysse ?
Calypso entre en fureur au nom d’Ulysse et présente un écriteau :
calypso ou scaramouche
Air : Le Prévôt des marchands
Le fils d’Ulysse, justes dieux !
Ah, tu périras, malheureux !
Qu’on garrotte le téméraire !
Mes vœux sont enfin satisfaits.
Le fils payera pour le père
Tous les outrages qu’il m’a faits.
Arlequin pleure et le Docteur le blâme de sa faiblesse et présente un écriteau :
le docteur
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Ah, vous trahissez votre gloire
Par les pleurs que vous répandez.
Avez-vous perdu la mémoire
Du beau sang dont vous descendez ?
Arlequin, embrassant l’autel, présente un écriteau :
Même air
Cher auteur de ma chère vie,
Hélas, je vais mourir pour toi.
Je n’en ai pas trop grande envie,
Et ce sera bien malgré moi.
Air : Folies d’Espagne
Frappez, frappez, que rien ne vous arrête,
Mais prenez garde à bien porter vos coups,
Et n’allez pas me donner sur la tête :
Le sang pourrait en rejaillir sur vous.
Calypso, arrêtant le bras du Grand Sacrificateur, présente un écriteau :
calypso ou scaramouche
Air : Le Prévôt des marchands
Arrête, arrête, vieux penard,
Cruel, rengaine ton poignard !
Quelle est donc ta fureur extrême ?
Quoi ! poignarder un innocent ?
Et le crime en sera moins grand ?
Adraste, mécontent du soin que Calypso prend d’Arlequin, présente un écriteau :
adraste
Air : Mon père, je viens devant vous
Vous êtes reine, je suis roi ;
Mon royaume vaut bien le vôtre.
Mais puisqu’on se moque de moi
Et qu’on me quitte pour un autre,
Je m’en retourne dans ma cour,
Et je vous donne le bonjour.
En se retirant, il un autre écriteau :
Air : Vous m’entendez bien
Quel que soit pour lui votre amour,
Télémaque perdra le jour.
Et vous pouvez bien croire
Du moins
Qu’il mourra de la Foire
Malgré tous vos soins.
arlequin, à Calypso
Air : Réveillez-vous, belle endormie
N’ayez pas tant l’âme chagrine,
Calmez vos transports furieux !
Vous serez, après Colombine,
Tout ce que j’aimerai le mieux.
colombine
Air : Quand on a prononcé ce malheureux oui
Ne vous obstinez pas
À faire le sévère.
La reine a plus d’appas
Qu’il n’en faut pour vous plaire.
Chez elle tous les jours on fait de grands repas,
Et vous n’auriez chez moi que le reste des plats.
Calypso s’irrite et présente un écriteau :
Air : Le Prévôt des marchands
Puisque tu ne veux pas de moi,
Je ne veux plus aussi de toi.
Mais dans le sang de ton amante
Je prétends noyer mon amour
Qu’on saisisse cette insolente
Et qu’on la mène dans la tour !
Arlequin, voyant venir du secours, présente un écriteau :
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Fort à propos sur ce rivage,
Le ciel vous a fait arriver.
On a mis ma maîtresse en cage,
Et je voudrais bien l’enlever.
Calypso invoque les démons et présente un écriteau :
calypso ou scaramouche
Air : Le Prévôt des marchands
Plus de pitié, plus de retour !
Sors de mon cœur indigne amour.
Et toi, troupe diabolique
Si tu ne veux me voir mourir,
De la rage ou de la colique,
Hâte-toi de me secourir !
Le Docteur vient défendre Arlequin et présente un écriteau :
Air : Que je chéris mon cher voisin
Je saurai bien parer les coups
Que sa main vous réserve,
Calypso, me connaissez-vous ?
Je m’appelle Minerve.
Même air
Deviens, par mon commandement
Devenez immobiles !
Je vous rendrai le mouvement
Quand nous aurons fait Gilles.
calypso ou scaramouche
Air : Le Prévôt des marchands
Ô toi de qui je tiens le jour,
Venge-moi de ce vilain tour !
Renverse le céleste empire !
Punis tous ces dieux déchaînés,
Et si tu veux me faire rire,
Fais qu’il se cassent le nez !
Fin