Anonyme
Les Rêveries renouvelées des Grecs
parodie d’Iphigénie en Tauride
Représentée, pour la première fois, sur le théâtre des Comédiens Italiens ordinaires du roi
le samedi 26 juin 1779
Paris, Delormel, 1779
definitacteur, Chœur des Prêtresses chœurdespretresses
Les Rêveries renouvelées des Grecs
Acteurs
Iphigénie, grande prêtresse de Diane : Madame Dugazon
Oreste, frère d’Iphigénie : Monsieur Rozières
Pylade, ami d’Oreste : Monsieur Trial
Thoas, roi de la Tauride : Monsieur Ménier
Un ministre du Temple : Monsieur Coraly
Première prêtresse : Madame Gonthier
Seconde prêtresse : Mademoiselle Desbrosses
Un scythe : Monsieur Leclerc
Une furie : Monsieur Thomassin
Prêtresses
Euménides et démons
Scythes
Gardes et soldats de Thoas
Grecs de la suite de Pylade
La scène est en Tauride.
Les Rêveries renouvelées des Grecs
Acte i
Le théâtre représente un péristyle ouverts de toutes parts ; on voit la mer et le ciel à travers la colonnade du fond. La scène commence par une tempête. On voit, dans l’éloignement, un vaisseau battu des flots ; et plus près, une petite chaloupe dans laquelle sont Oreste et Pylade. Ces deux objets ne font que traverser le théâtre.
Scène i
Iphigénie et les prêtresses
Les prêtresses entrent successivement pour se sauver de l’orage.
chœurdespretresses, tant celles qui arrivent, que celles qu’on ne voit pas encore
Air : Bossus
Il pleut, il grêle : ah, grands dieux, quels éclairs !
La foudre éclate ; elle embrase les airs.
Les deux prêtresses
Ah ! De frayeur
J’ai le cœur
Tout transi.
deux autres prêtresses
Fuyons, fuyons, mettons-nous à l’abri.
toutes les prêtresses
Entrons au Temple, on fera mieux qu’ici
iphigenie
Non, non, j’ai mes raisons pour rester en ces lieux.
Laissez-moi contempler ce funeste rivage :
Cette mer agitée et ces vents furieux,
Du trouble de mes sens représentent l’image.
Pendant que l’on verra ce tableau curieux,
Implorez avec moi l’assistance des dieux.
Air : Jusques dans la moindre chose
Juste ciel, que ta clémence
Adoucisse nos destins :
Des coupables prends vengeance ;
Mais rends nos jours plus sereins.
Le Chœur répète avec elle ces quatre vers :
Juste ciel, [que ta clémence]
[Adoucisse nos destins :]
[Des coupables prends vengeance ;]
[Mais rends nos jours plus sereins.]
iphigenie
Vers les dieux, en assurance,
Levons nos sanglantes mains :
Nous vivons dans l’innocence,
En égorgeant les humains.
Le Chœur répète encore avec elle ces derniers vers.
iphigenie
Ah, dieux ! Pourquoi faut-il, barbares que nous sommes,
Contre nos intérêts, sacrifier les hommes ?
Devais-je me prêter à cette cruauté,
Moi, qui de si bon cœur chéris l’humanité.
première prêtresse
Il fallait supporter, dans l’emploi qu’on vous donne,
Que vous n’aviez encor sacrifié personne.
Peut-on être touché du sort d’une beauté
Qui plonge dans les cœurs son bras ensanglanté ?
On aurait pu sauver cette image effrayante ;
Vous en auriez été bien lus intéressante.
iphigenie
Diane, devais-tu me transporter ainsi,
Pour me faire jouer un pareil rôle ici ?
Je n’ai pas le cœur fait pour dépeupler le monde.
Un songe met le comble à ma douleur profonde.
première prêtresse
Qu’avez-vous donc rêvé ? Cela doit être beau.
iphigenie
Ce que je vous dirais ne serait pas nouveau.
Seconde Prêtresse
Je crois aux rêves, moi, tous ne sont pas mensonges.
iphigenie
Vous trouverez le mien dans l’Almanach des Songes.
Eclairs, mugissements, spectres, pâles flambeaux,
Gémissements, terreurs, lieux funèbres, tombeaux,
Horreur, bruit souterrain, la terre qui s’entrouvre,
Un fantôme sortant de l’Enfer qu’on découvre ;
Abyme, accents plaintifs, poignards, lambeaux sanglants,
Ombre, crime, remords, effroi, genoux tremblants,
Autel, temple, cyprès, coupable encens, Idole,
Ou père, ou mère, ou sœur, ou frère qu’on immole,
Voilà quel est mon songe. Et l’on reconnaît là
L’histoire de tous ceux que l’on a faits déjà.
première prêtresse
Racontez-nous le vôtre, auguste Iphigénie ;
Il nous amusera.
iphigenie
Je cède à votre envie.
Air : Nous avons une terrasse
J’étais dans mon lit tranquille,
Goûtant le repos,
Dans l’oubli de mes maux :
Le doux souvenir d’Achille
M’offrait d’agréables tableaux.
Air : Oh, oh, oh
J’entends marcher à grands pas.
chœurdespretresses, en levant ensemble les bras au ciel
Ah ! Ah !
iphigenie
La frayeur me rend muette ;
Je m’enfonce dans mes draps.
chœur, comme ci-dessus
Ah ! Ah !
iphigenie
Je sens trembler ma couchette ;
Mes rideaux
Du haut en bas se déchirent ;
Par les pieds deux mains me tirent,
Plus froides que des carreaux.
chœur, encore plus effrayé
Oh, oh, oh, oh !...
iphigenie
Air : J’étais dans mon lit
J’entends une voix sépulcrale,
Qui perce la voûte infernale ;
J’entends qu’on m’appelle tout bas.
chœur
Fragment d’un autre air
Ah, dieux ! Hélas !
iphigenie
Air : J’étais dans mon lit, majeur de l’air
Au même instant, quel horrible fracas !
La foudre éclate, elle ébranle la terre,
Le noir abîme est ouvert sous mes pas,
Je crois entendre les cris de Cerbère.
De ces lieux sombres
Sortent des Ombres.
Aux prêtresses, qui l’approchent de trop près.
Mais, mais, ne me serrez donc pas.
Elle continue.
Je vois mon père,
Je vois ma mère,
Je vois Mégère
Poursuivre mon frère.
Air : Il était une fille
Je vois un beau jeune homme,
Plaintif, chargé de fers ;
Je cours à lui les bras ouverts.
Hélas ! Savez-vous comme
Je sers ce pauvre humain ?
Le poignard à la main :
Heim ?
Après le songe, les prêtresses épouvantées se disent l’une à l’autre :
Air : Hélas, ma sœur ! Je tremble,
Ah, ma sœur !
Ah, ma sœur !
Quel songe plein d’horreur !
Je meurs de peur. bis
iphigenie
Air : Trembleurs
Quel présage redoutable !
une prêtresse
Rien n’est plus épouvantable :
Tuer un jeune homme aimable.
iphigenie
Ah ! Ce n’était qu’en dormant.
première prêtresse
Des sens un songe est l’ivresse.
En veillant, sage Prêtresse,
Votre cœur plein de tendresse
Eût agi différemment.
iphigenie
Air : On me disait souvent
Pressentiment funeste !
Mon pauvre frère est mort ! bis
iphigenie
Ce songe me l’atteste :
Un songe n’a pas tort.
Oreste est mort, bis
Pleurez son sort. bis
les prêtresses, excepté la première
Oreste est mort, bis
Pleurons son sort. bis
iphigénie et la première prêtresse, ensemble
deuxcol,
iphigenie
Ce songe me l’atteste ;
Mon pauvre frère est mort :
Un songe n’a pas tort.
première prêtresse
Non, la bonté céleste
Prendra soin de son sort.
Souvent un songe a tort.
Toutes les autres prêtresses, pendant qu’Iphigénie chante les deux derniers vers
Le pauvre Oreste est mort ;
Pleurons, pleurons son sort.
une prêtresse
Le Roi vient.
iphigenie
Que nous veut le farouche Thoas ?
Dans ses yeux effarés, je vois de l’embarras.
Scène ii
Les Précédents, Thoas, plusieurs Scythes
thoas
Partout j’entends gémir : la frayeur nous rassemble.
Si je viens vous trouver, c’est parce que je tremble,
Prêtresse.
iphigenie
À ce mal là vous êtes fort sujet.
thoas
Oui. Du courroux du ciel pourquoi suis-je l’objet ?
Je le sers avec zèle. Au gré de ses demandes,
Lorsque des étrangers osent nous approcher,
Je lui fait de leur sang d’agréables offrandes.
iphigenie, à part
Barbare !
thoas
Ainsi les dieux ont tort de se fâcher ?
iphigenie
Mais pourquoi vous livrer à des terreurs si grandes ?
thoas
Mes jours sont menacés. Un devin m’a prédit
Que si, des étrangers jetés sur nos rivages,
J’en épargnais un seul, j’étais mort.
iphigenie, à part
Pauvre esprit !
Haut.
Il se moquait de vous.
thoas
Non, j’en crois ces présages ;
Et tout, avec raison, m’inspire de l’effroi.
Dans le fond de mon cœur...
Fragment d’un air, \provair de la Servante Maîtresse
Certaines voix secrètes
Répètent, répètent,
Thoas, prends garde à toi,
Songe à toi.
Air : Mes chers amis, pourriez-vous m’enseigner
Au moindre bruit,
Et le jour et la nuit,
Mon âme éprouve des secousses.
Oh, je m’y perds...
Je dors les yeux ouverts ;
Je crois voir l’enfer à mes trousses.
Ah, c’est est trop, ma foi,
À tout moment, je crois
Toucher à mon heure dernière.
Ceci passe le jeu,
Morbleu :
A-t-on bientôt fini,
Jarni,
De me tourmenter de la manière ?
iphigenie, ironiquement
Ah ! Les dieux ont grand tort.
thoas
Apaisez leur courroux,
Conservez-moi la vie, ou je m’en prends à vous.
Scène iii
Les Précédents, un Scythe, le peuple
le scythe et le peuple au roi., ensemble
Air : Allons gai, réjouissons-nous
Allons, gai, réjouissez-vous ;
Tout va bien pour nous.
Le Scythe
Deux étrangers, par la tempête,
Sont jetés au Port ;
Rendez grâce au sort.
On les surprend, on les arrête.
Allons gai, réjouissons-nous ;
Ah ! Pour nous quelle fête !
Allons [gai, réjouissons-nous]
Et faisons les fous.
tout le chœur, ensemble
Allons, gai, etc.
iphigenie
Quels sont ces malheureux ?
Le Scythe
Deux mauvais garnements :
L’un d’eux a l’air sournois, l’autre n’aime qu’à mordre.
On voit dans ses discours un esprit en désordre,
Je le crois querelleur ; il fait à tous moments
Aux hommes, comme aux dieux, de vilains compliments ;
J’ai remarqué surtout qu’au fort de sa colère,
Il s’écrie : \og hélas ! Ma chère Mère !\fg
On dit que les démons sans cesse autour de lui,
le frappent de serpents pour le rendre poli.
iphigenie
Sont-ils jeunes ?
Le Scythe
Beaucoup.
iphigenie
Leur mort me désespère.
thoas
Allons, prêtresse, allons, il faut nous en défaire.
C’est le plus sûr moyen d’éviter le danger.
iphigenie
D’un si cruel emploi daignez me dégager.
Deux malheureux captifs, sels, sans secours, sans armes,
Peuvent-ils à ce point vous causer des alarmes.
thoas
Je suis né défiant ; cependant vous verrez,
Si j’empêcherai rien de ce que vous ferez.
Vous pourrez me tromper sans avoir de l’adresse.
Je ne reparaîtrai que pour finir la Pièce ;
Retirez vous.
iphigenie
Pourquoi ?
thoas
C’est qu’à vous parler net,
J’ai besoin de ces lieux pour donner un Ballet.
Scène iv
Thoas, le Peuple
thoas
Peuple, amusez les dieux par de joyeux hommages ;
Exécutez ici la danse des Sauvages ;
Pour éviter l’ennui de l’uniformité,
Cette fois seule appelons la gaieté,
Et que le Calinda, joint aux \emph Branbransonettes,
Témoigne les transports de la joie où vous êtes.
divertissement
Le Scythe, à Thoas
Air : Ah ! Il n’est pas de fête
Faudra-t-il danser sans femme ?
thoas
Eh bien, faites-en venir.
Le Scythe
Venez donc, venez, mesdames,
Augmenter notre plaisir.
Il serait trop malhonnête
De dédaigner vos appas :
Ah !
Il n’est point de fête,
Si vous n’en êtes pas.
Les femmes arrivent et l’on danse.
Scène v
Les précédents, Oreste, Pylade
Le Scythe, à Thoas
Voici ces étrangers, Seigneur, qu’on vous amène.
thoas
Je crois m’apercevoir qu’ils ont l’humeur hautaine.
Air : Allemande,
Quel air audacieux !...
À leurs yeux,
Je les crois furieux.
Que veniez-vous tous deux
Chercher dans les états
De Thoas ?
pylade
C’est le secret des dieux ;
Tu ne le sauras pas.
thoas, à Pylade
Quel discours arrogant,
Insolent !
Parlez plus poliment.
Je donne ici la loi,
Je suis roi.
pylade
Eh bien, tant pis pour toi.
thoas
Ah ! Tremblez, malheureux.
pylade
Nous bravons le trépas.
thoas
En ce cas,
Dès aujourd’hui, tous deux,
Vous sauterez le pas.
oreste, bas à Pylade
C’est fort mal t’annoncer ; à ces mots téméraires,
On te prendrait pour moi, gardons nos caractères.
thoas
Leurs regards me font peur, mes sens épouvantés ;
Holà, gardes ?... Voyez s’ils sont bien garrottés.
Le Scythe
Oh ! Je vous en réponds.
thoas
coupletvaud 0
1
Leur présence me gêne,
Pour m’en débarrasser, qu’au temple on les entraîne.
Le divertissement continue et finit par des couplets, sur l’air R’lan tan plan tirelire.
On va leur percer le flanc,
En flin, flan, r’lan tanplan tirelire en plan,
On va leur percer le flanc ;
Ah ! Que nous allons rire !
2
Ah ! Que nous allons rire !
R’lan tanplan tirelire.
Que le ciel sera content !
En plein, plan, r’lan tanplan tirelire en plan,
Que le ciel sera content !
On fait ce qu’il désire.
3
On fait ce qu’il désire ;
R’lan tanplan tirelire.
Pour lui plaire il faut du sang,
En plein, plan, r’lan tanplan tirelire en plan,
Pour lui plaire il faut du sang ;
C’est l’encens qu’il respire.
4
C’est l’encens qu’il respire,
R’lan tanplan tirelire.
Et c’est de là que dépend,
En plein, plan, r’lan tanplan tirelire en plan,
Et c’est de là que dépend
Le salut de l’Empire.
finacte
Acte ii
Le théâtre représente un temple souterrain, qui a l’air d’une prison. Au milieu est un autel rustique, devant lequel est un lit de repos.
Scène i
Oreste, Pylade
Oreste s’avance tristement. Pylade le suit à une certaine distance, en l’observant avec pitié.
oreste, à part
Je deviens furieux, Destin ! Quand je te nomme.
Tu ne fais qu’un coquin souvent d’un gentilhomme ;
Mon exemple en fournit une affreuse leçon :
Je suis un misérable, et je suis né bon garçon ;
Je suis doux, et souvent je me mets en colère ;
J’adore mes parents, et j’ai battu ma mère.
Je cours les champs, portant dans mon cœur le remord,
Et je rencontre un chien enragé qui me mord ;
Je le deviens moi-même, et répands l’épouvante.
Pylade, d’une humeur sensible et complaisante,
Veut bien m’aimer malgré ce petit défaut-là ;
Mais les Destins maudits n’approuvent pas cela :
Par l’ordre d’Apollon je viens sur ce rivage,
Je traverse les mers pour avoir une image ;
Mon ami, sans prévoir l’état où nous nous voilà,
Par intérêt pour moi veut être du voyage,
Il me suit, nous trouvons la mort en arrivant :
Mon infortune, oh Ciel ! T’amuse trop souvent.
pylade
Toujours triste et pensif, tu parles sans rien dire.
oreste
C’est peu que sous mes coups ma chère mère expire,
Je t’ai donné la mort.
pylade
Mais je me porte bien.
oreste
Mais nous allons mourir.
pylade
Tant mieux, ce n’est qu’un rien ;
Les dieux apaiseront alors leur barbarie.
Air : Monsieur de la Palisse
Tu n’auras plus de remords,
Ta peine sera finie :
Sitôt que nous serons morts,
Nous ne serons plus en vie.
Je mourrai près de toi.
oreste
Tu me consoles bien.
pylade
Air : Je le compare avec Louis
Sur les meilleurs de tes amis
J’avais toujours la préférence ;
Dans tous les jeux de ton enfance
Pylade était toujours admis.
Quand par les goûts on se ressemble, bis
Qu’il est doux,
Qu’il est doux,
De jouer ensemble,
De jouer ensemble !
Depuis ce temps, tu veux courir ;
Je n’ai point cessé de te suivre.
Ah ! Lorsqu’ensemble on aime à vivre,
Il ne faut point se désunir.
Mon cher Oreste, que t’en semble ? bis
C’est bien doux,
C’est bien doux,
De mourir ensemble,
De mourir ensemble !
Scène ii
Les précédents, un ministre du Temple
Le Ministre
Il faut vous séparer
À Pylade.
Allons, vous, suivez-moi.
oreste
Quel est donc ce faquin pour nous faire la loi ?
Le Ministre
Respectez-moi, je suis le ministre du Temple.
pylade
Tes prêtresses, Diane, ont donc un Desservant.
Le Ministre
J’ai ce suprême honneur, mon district est fort ample ;
Mais point tant de propos, allons, marche devant.
oreste
Cher ami, je te perds, qu’ensemble on nous assomme.
pylade
C’est ce que je désire.
Le Ministre, tirant Pylade à part
Écoute-moi, jeune homme,
Ton camarade est fou.
pylade
Vraiment, je le sais bien.
Le Ministre
Avant de le tuer, laissons-lui faire un somme ;
Oh ! Nous avons des cœurs pitoyables.
pylade
Fort bien.
Le Ministre
Il doit dormir ici, ce siège te l’annonce.
oreste, toujours plongé dans sa rêverie
Ciel !
pylade
À cette raison, je n’ai pas de réponse.
Le Ministre
Vous allez vous revoir ; après, selon vos vœux,
Vous aurez le plaisir de mourir tous les deux.
pylade
Au Ministre.
Vous êtes obligeant.
À Oreste.
Adieu.
oreste
Monstres sauvages !
Scène iii
Oreste seul
oreste
Il va mourir pour moi ! Cruels anthropophages,
Dans le même tombeau, puissiez-vous m’engloutir !
Mais quel calme imprévu !... Je me sens assoupir ;
Je ne suis pas le seul... qui dans son infortune
S’abandonne au sommeil sans espérance aucune.
Air : Dodo, l’enfant do
Après m’avoir fait endurer
Tout ce qu’il est de plus funeste,
Les dieux laissent donc respirer
Le triste et malheureux Oreste.
Il baille.
Ah ! Je vois là, fort à propos,
Pour dormir un lit de repos.
Dormons un moment ;
C’est un petit soulagement.
Scène iv
Oreste, les Furies
une furie
Il est temps d’approcher, il dort profondément,
Venez, songes d’Atys, venez troupe funeste,
Pour mieux le tourmenter dansez autour d’Oreste ;
Obscurcissez les airs par de noires vapeurs,
Mêlez à son sommeil les horreurs d’un beau rêve.
Tisiphone, Alecto, venez mes chers sœurs,
Qu’en veillant, ou dormant, il n’ait ni paix ni trêve.
Air : Enfin, méchant, te voilà pris
Air ajusté à la scène.
Il a battu sa mère.
chœur
Il a battu sa mère :
Frappez-lui les flancs
De vos serpents ;
Devant lui, grincez les dents.
Secouez vos flambeaux.
Secouons nos flambeaux.
Par des bonds et des sauts,
Des enfers exprimez la colère.
Des enfers exprimons la colère.
Donnez-lui vingt soufflets.
Donnons-lui vingt soufflets.
Autant de camouflets.
oreste
Aïe, aïe.
chœur, sourdement
Il a battu sa mère,
Il a battu sa mère.
L’Ombre de Clytemnestre paraît, la tête entortillée de chiffons et le bras en écharpe.
oreste
Un spectre !... Ah ! C’en est trop.
chœur
Il a battu sa mère.
Le spectre s’abîme ; Iphigénie en prend la place. Les démons et les furies disparaissent. Le théâtre s’éclaire.
Secouez vos flambeaux.
Secouons nos flambeaux.
Scène v
Oreste, Iphigénie, prêtresses
oreste
Ma mère !
iphigenie
Vous tremblez en voyant la Prêtresse ;
Je vais vous immoler, mais avec politesse.
Ici les étrangers dans mes mains sont remis.
Et c’est moi qui leur fais les honneurs du pays.
oreste
Quels traits, et quel rapport !
iphigenie
Que l’on ôte sa chaîne ;
Je dois agir ainsi pour que rien ne le gêne.
Air : Monsieur Charlot
À part.
Du pauvre Oreste il retrace l’image ;
Il serait de son âge,
Il serait mon appui.
Son air est fier, son œil hardi :
Il ressemble à mon frère ; on dirait que c’est lui.
Approchez, qui êtes-vous ? Parlez.
oreste
Que vous importe,
En me faisant mourir, de savoir qui je suis ?
iphigenie
J’ai pour le demander une raison très forte :
Parlez ; vous êtes Grec, si j’en crois vos habits.
oreste
Oui, je suis de Mycènes.
iphigenie
Ô Ciel ! C’est mon pays ;
Qu’y dit-on de nouveau ? Contez-moi des histoires :
Agamemnon jouit du fruit de ses victoires ?
oreste
Air : Dans un détour
Agamemnon...
iphigenie
Vous vous taisez, achevez donc.
oreste
Ciel ! Agamemnon !
iphigenie
Vous frémissez à ce nom.
oreste
Un perfide assassin...
iphigenie
L’horreur glace mes sens !
Quel monstre a fait ce coup ?
oreste
Hélas ! Sa chère femme.
iphigenie
Clytemnestre !
oreste
Elle-même.
iphigenie
Ah ! Vous me percez l’âme.
oreste
On peut, quand on est belle, avoir quelques galants ;
Mais, tuer les maris ? Ils sont si bonnes gens !
iphigenie
Electre ?...
oreste
Est à Mycènes à pleurer sa misère.
iphigenie
Oreste ?...
oreste
Oreste !... Ô Ciel !... Quel horrible destin.
Madame... il s’est conduit fort mal avec sa mère.
iphigenie
Qu’a-t-il donc fait ?
oreste
Madame... Il a vengé son père.
iphigenie
Ce garçon-là doit faire une mauvaise fin :
Que cherche-t-il ?
oreste
La mort... qu’il a trouvée enfin.
iphigenie
Air : Trop de pétulance gâte tout
Oreste est mort ! C’est bien dommage.
De cet affreux trépas,
Hélas !
Mon rêve était le sûr présage.
oreste
Vous saurez...
iphigenie
Non, je ne veux pas.
Ne me dites rien davantage,
Ce n’est pas encore le moment
Je veux réserver l’éclaircissement
Pour le dénouement. bis
Les prêtresses emmènent Oreste.
Scène vi
Iphigénie et une prêtresse
iphigenie
Oreste est mort, faisons ses funérailles.
Dépêchons.
La Prêtresse
Calmez vous, c’est prendre mal son temps :
Ne précipitons rien.
iphigenie
Quand on a des entrailles...
Ah...
La Prêtresse
Est-ce une raison pour perdre le bon sens ?
Quoi ! Sur un simple mot qui peut être équivoque,
Sur le rapport d’un fou, la douleur vous suffoque.
iphigenie
Attends, je vais sauver un de ces malheureux.
La Prêtresse
Qui peut en sauver un peut bien en sauver deux.
iphigenie
Je le voudrais en vain, le peuple y met obstacle,
Il a, comme chez nous, la fureur du spectacle,
Voir immoler un homme, est un plaisir pour lui,
C’est un amusement qu’il attend aujourd’hui.
La Prêtresse
Mais...
iphigenie
Ne chicane point sur mes inconséquences,
Elles réussiront mieux que tu ne le penses ;
Avec ces deux captifs je veux m’entretenir :
Qu’ils viennent.
La Prêtresse
Les voici.
iphigenie
Je me sens attendrir ;
Aux Prêtresses.
À présent laissez nous, Prêtresses immortelles ;
À part.
Ne puis-je faire un pas ni dire un mot sans elles ?
Scène vii
Iphigénie, Oreste, Pylade
iphigenie
Je m’intéresse à vous.
pylade
Hélas que de bontés.
iphigenie
Ce n’est pas sans raison.
pylade
Ah, Prêtresse !
iphigenie
Écoutez :
Nous sommes tous trois de la même patrie.
pylade
Quoi ! Des mains d’une grecque, il faut perdre la vie !
iphigenie
Air : Contre un engagement
On m’en fait une loi.
pylade
Ah ! Quelle barbarie !
iphigenie
Mais c’est bien malgré moi,
Je vous le certifie.
pylade
À votre âge, ma chère,
Quand on sait bien agir,
On ne doit jamais faire
Mourir que de plaisir.
iphigenie
Je voudrais vous sauver tous les deux ; mais hélas !
Thoas aime le sang : cependant, par adresse,
Je pourrai garantir l’un de vous du trépas,
En le faisant partir dès ce jour pour la Grèce.
Air : Chantons lætamini
oreste
C’est toi qui partiras.
pylade
Non, c’est toi qui vivras.
ensemble, ensemble
C’est toi qui partiras.
Non, c’est toi qui vivras.
iphigenie
Ne m’interrompez pas.
airvide
Pour un si bon office...
oreste et pylade, ensemble
Qu’exigez-vous ?
iphigenie
Je veux
Qu’il me rende un service.
oreste et pylade, ensemble
Il sera trop heureux.
oreste
Pour lui, j’en fais le serment.
pylade
Pour lui, j’en fais le serment.
ensemble, ensemble
Tous deux également
Nous en faisons serment.
iphigenie
Je veux à mes parents donner de mes nouvelles,
À Oreste.
Qu’une lettre remise entre vos mains fidèles...
oreste, avec étonnement
Qui ?... Moi !
iphigenie
N’en doutez pas, c’est vous que je choisis.
Pylade fait un saut de joie.
Vous partirez ce soir pour aller au pays,
Je vais tout préparer ; mais il faut me permettre
D’aller écrire avant, un petit mot de lettre.
Vous serez bien exact à la donner, au moins.
À Pylade.
Ensuite, mon enfant, vous aurez tous mes soins.
Scène viii
Oreste, Pylade
pylade
Ainsi nous voilà donc aux petits soins ensemble.
oreste, d’un ton courroucé
M’aimes-tu ?
pylade
Quand tu dis que tu m’aimes, je tremble ;
La prêtresse au contraire, au lieu de menacer,
En m’annonçant la mort, semble me caresser.
oreste
Parle donc : je te trouve un plaisant personnage
De prétendre mourir.
pylade
Ce n’est pas mon usage.
oreste
Je t’ai toujours connu pour un ambitieux.
pylade
Je veux rendre en mourant mon nom plus glorieux ;
Mais je t’aime, et voudrais, s’il était bien possible,
Tout à l’heure, te voir à l’autel attaché,
Va, je te céderais ma place à bon marché.
oreste
Tu m’aimes ? Ah ! J’en prends tous les dieux pour arbitres ;
Tu veux être immolé, parle, quels sont tes titres ?
As-tu dix fois par jour le transport au cerveau ?
Tout l’Univers pour toi devient-il un tombeau ?
As-tu jamais rossé personne dans ta vie ?
Des Spectres viennent-ils te tenir compagnie ?
Es-tu donc comme Oreste, insensé, forcené ?
Et vois-tu sur tes pas tout l’Enfer déchaîné ?
pylade
On ne saurait avoir tous les biens en ce monde.
oreste
Et dis-moi donc sur quoi ta vanité se fonde,
Avec fureur.
Ne sais-tu pas qu’Oreste est furieux ?
Ne sais-tu pas jusqu’où va sa misère ?
Ne sais-tu pas qu’il insulte les dieux ?
Ne sais-tu pas qu’il a battu sa mère ?
Avec sentiment.
Est-ce à toi de mourir ?
pylade
Mot sublime et charmant !
On ne me fera pas changer de sentiment.
oreste
Duo
Air : Marlborough
La mort qu’on te prépare,
Mironton ton ton, mirontaine,
La mort [qu’on te prépare,]
C’est à moi qu’on la doit ;
[bis]
C’est à moi qu’on la doit.
C’est à toi qu’on la doit.
Et tu voudrais, barbare,
Mironton ton ton, mirontaine,
Et tu [voudrais, barbare,]
Me faire un passe-droit ?
[bis]
Me faire un passe droit ?
Te faire un passe droit ?
Le jour, le jour m’ennuie,
Mironton ton ton, mirontaine,
Le jour, [le jour m’ennuie]
Et tu cours au trépas,
[bis]
Et tu cours au trépas.
Oui, je cours au trépas.
\six Pour me sauver la vie,
Pour te sauver la vie,
Mironton ton ton, mirontaine,
Pour etc.
Ah ! Tu ne m’aimes pas.
pylade
Air : Nous nous marierons dimanche
Laisse-moi jouir d’un bonheur si doux.
oreste
Ah ! Quelle rigueur extrême !
pylade
Je t’en conjure à deux genoux.
oreste
Moi, d’ même.
pylade
Je veux mourir,
C’est mon plaisir.
oreste
Moi, d’ même.
pylade
Cède à mes soupirs.
oreste
Cède à mes soupirs.
ensemble en s’embrassant, ensemble
Ah, mon cher ami ! Que j’ t’aime.
oreste et pylade, ensemble
Air : Au doux nom de l’amitié
Au doux nom de l’amitié,
[bis]
Oreste t’en supplie,
Pylade t’en supplie,
Au doux nom de l’amitié.
Par le nœud qui nous lie,
J’implore ta pitié,
Au doux nom
Au doux nom
Au doux nom de l’amitié.
oreste, tenant Pylade embrassé
Tableau touchant et rare !... En ce moment si tendre
Je sens...
Il se lève furieux.
Que mon accès de rage va me prendre.
pylade
Sauve qui peut.
oreste
Je vois tout l’Enfer sous mes pas !
pylade
La belle vue.
oreste
Ô Ciel ! Je sens entre mes bras
Un serpent venimeux, qui me pique et me glace.
Quelle femme, grands dieux, me fait donc la grimace.
pylade
Tu lui rends bien...
oreste
Un spectre est là pour l’appuyer ;
C’est Égiste, c’est lui qui lui sert d’écuyer !
Mais... Quel objet hideux m’embarrasse et m’arrête !
Il gémit... Ah, qu’il a de cornes à la tête !
Que vois-je ? C’est mon père !
pylade
Il n’est donc pas changé.
oreste
Dans quel nouveau malheur me trouvai-je plongé ?
Ô désespoir ! Je suis accablé par Pylade !
Il me fuit !
pylade
Point du tout, me voici, camarade.
oreste
Je n’avais qu’un ami, qu’un seul... Je l’ai perdu.
pylade
Je suis ici.
oreste
Viens donc.
pylade, s’approchant peu à peu
Je crains d’être mordu.
Air : Je suis Lindor
Reviens, mon cher, de ce délire extrême,
Reprends tes sens, viens tomber dans mes bras.
Quoi, mon ami ! Tu ne me connais pas !
Je suis pour toi toujours, toujours le même.
Scène ix
Les précédents, Iphigénie
iphigenie
Peut-on savoir pourquoi vous avez tant crié.
pylade
Madame, ce n’était qu’un débat d’amitié.
oreste
Je parlais doucement avec mon camarade.
iphigenie
Ce commerce du moins ne me paraît pas fade.
oreste, à Pylade
Si tu ne cèdes pas, je vais tout déclarer,
Et dire que je suis... Ecoutez-moi, Prêtresse !
pylade, à Iphigénie
Excusez un esprit trop prompt à s’égarer.
À Oreste.
Arrête, mon ami, c’est une maladresse.
oreste, À Iphigénie.
Abrégeons les discours, tout net expliquons-nous ;
Je ne me charge pas de porter votre lettre,
Madame, à mon ami vous pouvez la remettre ;
Qu’il vive, ou je m’étrangle à l’instant devant vous.
Décidez, je ne puis supporter la lumière.
pylade
Cruel !
oreste
Je veux mourir d’une ou d’autre manière.
iphigenie
Allons, il serait mal de disputer des goûts ;
À Oreste, avec sentiments.
Mais pourquoi préférer une mort rigoureuse,
Au soin de me servir et de me rendre heureuse ?
Vous n’êtes point galant, et c’est me faire tort.
oreste
Je ne le fus jamais.
iphigenie, d’un ton décidé.
Il mérite la mort !
Avec attendrissement.
Je ne puis y penser sans être saisie.
À Pylade.
Vous... Ne sentez-vous pas un peu de jalousie ?
pylade, d’un ton résigné
Non.
iphigenie, à Oreste
Pour payer l’honneur qu’il vous daigne céder,
Dites-lui, s’il se peut, adieu sans le gronder.
oreste, à Pylade
Adieu, mon cher ami, pardonne mes reproches,
Fais bien mes compliments à ma petite sœur ;
Et pour la consoler, apprends-lui mon bonheur.
pylade, bas, à Oreste
Je n’aurai pas toujours mes deux mains dans mes poches ;
Laisse-moi faire... Va... Je te délivrerai :
À part.
Je ne sais pas pourtant comment je m’y prendrai.
Scène x
Iphigénie, Pylade
Pour sortir de ces lieux, il ne faut pas attendre,
Electre est la personne à qui vous devez rendre
Ce billet important.
pylade
Par quel hasard heureux,
La connaissez-vous donc ?
iphigenie
Vous êtes curieux.
pylade
Je ne sais pas pourquoi vous faites ce mystère.
iphigenie
Je n’en sais rien non plus. Il faut me satisfaire ;
Un galant homme doit tenir ce qu’il promet ;
Partez.
En donnant le billet.
pylade
J’obéirai si le Ciel le permet.
Air : Pour voir un peu comment ça f’ra
Tirons Oreste d’embarras :
Mais le pourrai-je sans miracle ?
Je ne sais où porter mes pas,
Je vois obstacle sur obstacle.
Mais le hasard y pourvoira :
Voyons toujours comment ça f’ra.
finacte
Acte iii
Scène i
Iphigénie seule
iphigenie
Air : Il était un moine blanc
Je passe en ces tristes lieux
Les jours les plus ennuyeux,
Et j’y fais tout le contraire
De ce que je voudrais faire.
Scène ii
Iphigénie, les prêtresses qui amènent Oreste
chœurdespretresses
Air : Nous vivons dans l’innocence,
Ô Diane, sois propice ;
Mets un terme à tes rigueurs :
Nous t’offrons en sacrifice
Ce jeune homme avec nos pleurs.
Mais, si tu veux qu’il périsse,
Le supplice est pour nos cœurs.
iphigenie
Air : La mort de mon cher père
Mon petit ministère
Vous fera du chagrin ;
Je crains de vous déplaire ;
En vous perçant le sein.
Ah ! Si j’étais maîtresse
Des climats où je suis,
Les gens de votre espèce
N’y seraient pas détruits.
Air : Un mouvement de curiosité
De vous sauver j’aurais beaucoup d’envie,
Si ce bienfait pouvait se pardonner.
Tuer un homme, ah ! Quelle barbarie !
À cet emploi pourquoi me destiner ?
C’est mon devoir d’ôter ici la vie ;
Il me serait plus doux de la donner.
oreste
Air : Je sens un certain je ne sais quoi
Eh ! Tuez-moi sans compliments.
iphigenie
Votre sort m’intéresse.
oreste
Mais d’où vous vient ce sentiment ?
iphigenie
Je plains votre jeunesse.
oreste
À ce discours plein de tendresse
Mon cœur se trouble malgré moi.
iphigenie
Je sens un certain je ne sais qu’est-ce.
oreste
J’éprouve un certain je ne sais quoi.
iphigenie
Air : La colombe qui succombe
Oui, votre sort me désole.
oreste
Vous soulagez mon tourment ;
Votre pitié me console,
Et j’en mourrai plus gaiement.
La Prêtresse
Madame, il faut songer à la cérémonie.
iphigenie
Nous attendons ici le peuple avec Thoas.
La Prêtresse
Thoas est paresseux, il ne se presse pas.
oreste
Vous me faites languir.
La Prêtresse
Ce jeune homme s’ennuie.
iphigenie
Eh bien, puisqu’il le faut, qu’on le mène à l’autel.
oreste
Ah ! Je respire enfin.
iphigenie
Ah ! Quel moment cruel !
chœurdespretresses
Air : Je ferai mon devoir
Remplissez votre auguste emploi.
iphigenie
Quelle barbare loi !
Quelle barbare loi !
Ô dieux ! Donnez m’en le pouvoir.
chœur
Faites votre devoir.
Faites votre devoir.
Une prêtresse présente à Iphigénie le couteau sacré.
iphigenie
Air : Un matin brusquement
Avançons... Je ne puis.
À la Prêtresse.
Viens, que sur toi je m’appuie.
Je ne sais où j’en suis :
Soutient mon bras et me conduis.
oreste
Hâtez vous de m’ôter la vie.
iphigenie
Tu le veux... Eh bien, tu mourras.
oreste
En Aulide, en même cas,
Périt ma sœur Iphigénie.
À ma sœur je vais, hélas !
Me réunir par le trépas. bis
iphigenie
Air : Pendus
Ah, juste ciel ! Qu’ai-je entendu ?
oreste
Quoi ! Votre bras est suspendu ?
iphigenie
Par hasard, seriez-vous Oreste ?
oreste
Eh, morbleu ! Je le suis de reste.
Frappez.
iphigenie
En aurais-je le cœur ?
Mon frère, reconnais ta sœur.
oreste
Ma sœur !
iphigenie
Eh oui, ta sœur, elle te tend les bras.
Je suis Iphigénie.
oreste
Un peu de patience ;
Il ne faut pas brusquer une reconnaissance.
Vous, Iphigénie ?
iphigenie
Oui.
oreste
Cela ne se peut.
Air : Un jour, sur la fougère
On sait qu’un sacrifice
A terminé ses jours.
iphigenie
Diane fut propice,
Et vint à son secours.
oreste
Mon âme désolée
Gémit de son trépas.
La pauvre enfant fut immolée.
iphigenie
La pauvre enfant n’en mourut pas.
Air : Allons la voir à Saint-Cloud
Mais je dois douter aussi
Que vous soyez bien mon frère.
Que ce fait soit éclairci.
oreste
Oh, c’est ce que je vais faire.
iphigenie
Vous m’avez dit qu’il était mort.
oreste
Madame, je n’avais pas tort :
Ce n’était qu’une adresse
Pour faire durer la pièce.
oreste et iphigénie, ensemble
Air : Quatuor,
Ah ! C’est donc toi
Que je revois !
Pour nous
Ce moment est bien doux :
Ma chère sœur, embrassons-nous.
Mon cher Oreste, embrassons-nous.
iphigenie
Eh quoi ! C’est toi !
oreste
Moi, moi.
iphigenie, aux prêtresses
C’est votre Roi.
les prêtresses
C’est notre Roi.
oreste
Moi ! Moi !
les prêtresses
Lui, oui.
oreste
Moi ! Moi !
tous ensemble, ensemble
C’est notre appui.
C’est votre appui.
C’est notre Roi.
C’est votre Roi.
Ce moment pour nous
Est bien doux
Mon cher Oreste, embrassons-nous.
Ma chère sœur, embrassons-nous.
Mes chères sœurs, embrassons-nous.
À la fin de ce quatuor, toutes les prêtresses s’embrassent, à l’imitation d’Oreste et d’Iphigénie.
Seconde Prêtresse
Ah, Madame ! Tremblez, la mèche est découverte,
Thoas des deux captifs avait juré la perte,
Il sait que par vos soins l’un d’eux s’est échappé ;
Il écume, de rage et de terreur frappé,
Il vient pour vous punir de la supercherie.
iphigenie
Je l’attends de pied ferme.
La Prêtresse
Évitez sa furie.
chœur, chante
Ô Ciel ! Grands dieux, hélas !
iphigenie, l’interrompant
Eh ! Cessez vos hélas.
De vos tristes accents, j’admire l’harmonie ;
Mais on lasse à la fin par la Monotonie.
Qu’on dérobe mon frère aux regards de Thoas ;
Caché derrière vous, qu’il ne se montre pas.
Scène iii
Les précédents, Thoas, plusieurs Scythes
thoas
Ah, ah ! Vous voilà donc, prêtresse dégourdie !
Vraiment, votre conduite est tout à fait jolie !
Air : Sur le pont d’Avignon
Au lieu de les tuer, vous conservez les hommes.
iphigenie
Hélas ! Dans mon pays voici comme nous sommes.
thoas
De tout votre manège, on m’a fort bien instruit ;
Je sais qu’un des Captifs s’est échappé sans bruit.
iphigenie
Tu pouvais l’empêcher ; mais chez toi tu demeures,
Pourquoi faire, dis-moi ?
thoas
J’ai dormi vingt-quatre heures.
Mais que l’autre étranger périsse sans tarder,
Où moi-même à l’instant je vais te poignarder.
oreste, perçant la foule des prêtresses
Poignarder ! Qui ? Ma sœur !
iphigenie
Apprends qu’il est mon frère.
thoas
Et quand cela serait, il ne m’impute guère ;
Frappe, ou je vais...
iphigenie
Ô Ciel ! Qu’oses-tu commander ?
oreste
Tu n’es qu’un plat tyran dont la fureur oisive
Joint à l’emportement une action tardive :
Tu menaces toujours, sans rien effectuer.
Dis, pourquoi reviens-tu ?
iphigenie
Pour se faire tuer.
thoas
Madame, doucement, cela vous plaît à dire ;
Je crois qu’à mes dépends tous deux vous voulez rire ;
Gardes, délivrez-moi de ces audacieux.
iphigenie
Au premier qui viendra j’arracherai les yeux.
thoas
Lâches ! Vous avez peur !
un scythe
Nous respectons les dames,
Et ce n’est pas ainsi qu’on attaque des femmes.
Scène iv
Les précédents, un Scythe
Le Scythe
Le Temple se remplit de farouches soldats ;
Sauvez vous, s’il se peut, Seigneur, de la bagarre.
thoas
D’où diable viennent-ils ?
Le Scythe
On ne le conçoit pas.
thoas
Vous n’en mourrez pas moins tous les deux.
Scène v
Les précédents, Pylade, Suite
pylade, perçant la foule des prêtresses
Gare, gare !
C’est à toi de mourir.
thoas
À moi, mes gens, à moi !
À l’aide ! Mes amis, défendez votre roi.
pylade
Ne crois pas échapper, ton espérance est vaine.
iphigenie
Ah, ne le tuez point il n’en vaut pas la peine.
thoas
Messieurs, entendons nous, on peut être d’accord ;
Ensanglanter la Scène... Ah, c’est un peu trop fort.
Que veut-on ?
pylade
De Diane emporter la statue.
thoas
Eh bien, soit ; pour cela faut-il que l’on me tue ?
oreste
Nous voulons enlever les prêtresses d’ici.
thoas
Ah ! parbleu, j’en suis las, emportez les aussi.
iphigenie
Et qu’on n’ait plus chez toi, d’assez vilaines âmes,
Pour y faire périr les hommes par les femmes.
thoas
Mais je n’ose abolir un culte si sacré ;
Les dieux se fâcheraient, et je crains leur rancune.
iphigenie
Pour te faire savoir que c’est contre leur gré,
Diane, tout exprès, va tomber de la Lune.
thoas
Air : Allez-vous-en, gens de la noce
Épargnons les frais du voyage
À cette auguste déité ;
Ne voulez-vous rien davantage ?
oreste, pylade et iphigénie, ensemble
Non.
thoas
Je consens donc au traité.
Après cette belle équipée,
Serons-nous tranquilles chez nous ?
oreste, pylade et iphigénie, ensemble
Oui.
thoas
Partez donc, embarquez-vous
Avec votre digne Poupée ;
Allez-vous-en chacun chez vous.
Il sort.
Scène vi
Iphigénie, Oreste, Pylade, Grecs
pylade
Ici, fort à propos, je me suis présenté ;
À présent, mon ami, comment va ta santé ?
oreste
Je me trouve moins fou, ma tête se nettoie ;
Nous n’exciterons plus que des larmes de joie.
Je vais cesser enfin d’être un objet d’effroi,
Et les diables, je pense, ont pris congé de moi.
Prends part à mon bonheur, embrasse Iphigénie.
pylade
Comment, c’est là ta Sœur ? Elle est encore jolie,
Et faite pour l’amour.
oreste
Ce mot est déplacé ;
Ici personne encor ne l’avait prononcé.
Air : Sans un petit brin d’amour
Sans un petit brin d’amour,
Finit la Tragédie.
iphigenie
Ah, quant à moi, je suis pour
Un petit brin d’amour.
oreste, à Pylade
Eh bien, mon cher, épouse Iphigénie.
pylade
J’en suis d’accord.
iphigenie
Je le veux bien.
L’amour convient dans une parodie.
pylade
Reçois mon cœur.
iphigenie
Reçois le mien.
chœur
Sans un petit brin d’amour,
Finit la Tragédie.
iphigénie et pylade, ensemble
Mais quant à moi, je suis pour
Un petit brin d’amour.
tous trois ensemble, ensemble
Sans un petit brin d’amour,
Finit la tragédie ;
Mais ici nous sommes pour
Un petit brin d’amour.
oreste et pylade, ensemble
Rien n’est moins rare en ce jour,
Qu’une amitié fidèle.
iphigenie
Rien n’est moins rare en ce jour,
Qu’un petit brin d’amour.
oreste et pylade, ensemble
Des vrais amis, nous sommes le modèle.
iphigenie
Aux vrais amis on ne croit plus ;
L’amour, l’amour est chose plus réelle,
Partout ses droits sont reconnus.
ensemble, ensemble
Rien n’est plus rare, etc.
iphigenie
Pour vous, Messieurs, en ce jour,
Nous redoublons de zèle :
Marquez nous à votre tour,
Un petit brin d’amour ;
Daignez sourire à notre bagatelle,
Sans prendre garde à ses défauts :
Souvent un rien prouve une ardeur nouvelle,
Et des désirs toujours égaux.
ensemble, ensemble
Pour vous, Messieurs, etc.
Fin