Louis Fuzelier
L’Opéra de Campagne
[Représenté au Jeu de paume de] Bel-Air, Foire Saint-Laurent
le [22 août] 1713
Ms Bnf fr. 9335
acteurs\footnote Cette liste ne figure pas dans le manuscrit ; nous la reconstituons. n
Arlequin
Octave
Pierrot
Mezzetin
Le Docteur
Colombine
Jeannot
Thérèse
Madame Prenelle
Scaramouche
L’Opéra de Campagne
Acte i
Scène i
Arlequin, Octave
octave
Air : Joconde
Oui, le bailli, cher Arlequin,
Veut me donner sa fille.
arlequin
Monsieur, vous allez donc enfin
Entrer dans sa famille.
octave
Tu sais...
arlequin
Que sais-je ? Expliquez-vous.
octave
Que madame Prenelle
Contredit toujours son époux.
arlequin
C’est la loi naturelle.
octave
Air : Dirai-je mon confiteor
L’objet des feux que je ressens
Ne dépend pas trop de son père.
arlequin
Il est juste que les enfants
Ne dépendent que de la mère,
Sans quoi mille époux aujourd’hui
Disposeraient du bien d’autrui
octave
Air : Vous m’entendez bien
Le bailli trop souple et trop bon
Craint sa femme comme un démon.
Toujours elle l’appelle
Jeannot.
arlequin, riant
N’est-il pas jean pour elle,
Vous n’en dites mot.
octave
Air : Dirais-je mon confiteor
Elle écoute un certain Pierrot
Qui du logis est le monarque
Le bailli souffre comme un sot
Que ce valet...
arlequin
Quand de la barque
Un mari n’est pas le patron
Un valet en prend le timon.
octave
Air : Lampons
De Pierrot, comme tu vois,
Il me faut briguer le choix.
Près de lui que peux-tu faire ?
arlequin
Je sais son ami sincère
octave
Eh ! qui ?
arlequin
Le vin.
[C’est] l’ami du genre humain.
Thérèse paraît à une fenêtre ; Octave lui fait des signes, lorsque Pierrot arrive qui les surprend.
octave
Air : Quand le péril est agréable
J’aperçois la beauté que j’aime,
Hélas !
arlequin
Et moi je vois Pierrot.
octave, lui donnant sa bourse et s’en allant
Prends ma bourse et gagne ce sot.
arlequin, fouillant dans la bourse et prenant quelques écus
Gagnons d’abord moi-même.
Scène ii
Arlequin, Pierrot entre en rêvant gravement
arlequin
Air : Sois complaisant
Bonjour ami, renouons connaissance !
Depuis mille ans, je ne t’ai vu, je pense.
pierrot
Bon, la date est plus ancienne,
Car je ne m’en souviens pas
arlequin
Air : Quand le péril est [agréable]
Pour vous rafraîchir la mémoire,
Allons trinquer un coup de vin.
pierrot
Le vin échauffe et nuit au teint.
arlequin, se passant la main sur le visage et minaudant
C’est un fard que de boire.
Air : Pendu
Quoi ! vous ne me remettez pas ?
Sans cesse à cache mitoulas
Nous jouions allant à l’école...
pierrot
Je ne sais pas lire...
À part.
Quel drôle !
arlequin
C’est en nourrice, il m’en souvient,
Que je vous ai connu.
pierrot
Fort bien.
Même air
C’est un aigrefin, sur ma foi.
Il vient pour m’emprunter, je crois.
arlequin
Vous vous trompez, je vous apporte...
pierrot, se radoucissant
Monsieur, la somme est-elle forte ?
arlequin
Prenez sans compter
pierrot
J’obéis
Aux ordres de mes vieux amis.
Air : Vous m’entendez bien
Là, parlez-moi sans barguigner :
Vous voulez débaucher Pierrot
Pour débaucher Thérèse.
Ma foi,
Vous faites ce message
En maître à chanter.
Pierrot regarde de tous côtés d’un air inquiet et Arlequin imite le lazzi.
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Votre maître Octave sans doute
Vous a chargé de m’emboiser.
Vous saurez...
arlequin
Personne n’écoute.
pierrot, riant
Je m’en vais tout te dégoiser.
arlequin
Air : Quand le péril [est agréable]
Ah ! tu verras notre ressource.
Mon cher Pierrot.
pierrot, riant et pleurant
Mais sois discret,
Et garde aussi bien mon secret
Que je ferais ta bourse.
arlequin
Air : Réveillez vous [belle endormie]
Dis ce secret joyeux ou triste
Que tu nous veux...
pierrot
Écoute donc !
arlequin
J’écoute comme un nouvelliste
À la lecture du lardon.
pierrot, riant
Air : Quand le péril [est agréable]
Eh bien, il faut enfin t’apprendre
Ce que tu désires de moi.
Notre Thérèse, par ma foi,
Ami, n’est point à vendre.
arlequin
Même air
C’est là ce secret d’importance.
pierrot
Mon cher, méditez en ce lieu.
arlequin
Rendez-moi donc ma bourse.
pierrot
Adieu
La vieille connaissance.
Scène iii
Arlequin, Le Docteur, Colombine masquée, Mezzetin maître de l’Opéra de campagne
Marche de l’Opéra de Campagne.
On entend un bruit de timbales et de trompettes en même temps paraît une charrette chargée d’ustensiles d’opéra. Marinette est habillée en Junon avec trois petits enfants. Le charretier est vêtu en magicien. Un bossu vient ensuite, c’est Polichinelle chargé de livres de musique. Il est suivi d’un timbalier, le timbalier d’un trompette, le trompette d’une basse de violon posée sur des roues, celui-ci d’un dessus de violon et d’une épinette attachée au cou d’un homme. Tous ont des papiers de musique attachés sur le dos et jouent chemin faisant. Les deux Gilles sont en nymphes avec des guirlandes de fleurs. Après que tout ce cortège a fait le tour du théâtre il se range ; deux hommes avec des fusils sur l’épaule se mettent à la tête. Tous répètent en chœur, après le charretier ces mots : a dia huriau, oris.
mezzetin
Je vous casserai les os.
Air : Tu croyais en aimant Colette
Pour nos montures éreintées
Nous cherchons un lieu de repos.
arlequin
Ces héros à guêtres crottées
Ont l’air de bien vider les pots.
mezzetin
Air : Quand le péril [est agréable]
Je suis l’Opéra de campagne,
Les chaleurs m’ont bien fait souffrir.
arlequin
Vos belles viennent de courir
Les foires de Champagne.
arlequin, apercevant Marinette
Air : Joconde
Que vois-je-là ? Quelle dondon !
Elle a de la fressure.
mezzetin
Je suis Jupin. C’est ma Junon.
arlequin, montrant les petits enfants
Où donc est son Mercure ?
mezzetin
Elle est sage.
arlequin
Tant mieux pour vous.
Car dans force ménages
On voit des Jupiter jaloux
Et des Junon volages.
Air : [Je ne suis né ni roi, ni prince]
Quelle est cette troupe gentille ?
mezzetin
Mon cher monsieur, c’est ma famille.
J’ai deux ou trois petits chanteurs
Tous les neuf mois.
arlequin
La belle rente !
Voila pour bien peupler les chœurs
Une pépinière charmante.
arlequin, regardant le Docteur
Air : Dirais-je mon Confiteor
Est-ce là le juré crieur
Qui mène le deuil dans Alceste ?
mezzetin
Monsieur, ce n’est pas un acteur,
C’est un médecin...
arlequin
Malepeste !
Vous conduisez un médecin !
Votre opéra n’est donc pas sain.
mezzetin, en montrant Colombine
Air : Ô reguingué
Cette actrice a pris ce docteur,
Ce jaloux inquiet rêveur,
Ô reguingué, ô lon lan la,
Toujours la suit et la contrôle.
arlequin
Ce médecin joue un sot rôle.
Arlequin examine Colombine et fait des lazzi en la reconnaissant.
Air : Quand le péril [est agréable]
Sachons... Mais que vois-je paraître ?
C’est Colombine. Ah ! le bouquin !
colombine, bas
Ah ! fais semblant, cher Arlequin,
De ne me pas connaître.
le docteur, à Arlequin
Même air
La connaissez-vous ?
arlequin
Je n’ai garde.
mezzetin
Ah ! qu’un jaloux est malheureux,
Qui près de l’objet de ses vœux
Monte toujours la garde.
arlequin
Air : [Je ne suis né ni roi, ni prince]
Quelle troupe encore s’avance ?
mezzetin
Ce sont nos acteurs pour la danse.
arlequin
Peste ! Quel peuple frétillant !
mezzetin
Leur légèreté vous étonne ?
Jamais ce petit camp volant
Ne marche qu’en pas sissone.
Air : Lanturlu
Allons mes Princesses,
Un pas de ballet.
Voyez leurs souplesses !
arlequin
Plaignez leurs jarrets.
mezzetin
Ce n’est pas la danse
Qui les fatigue le plus
Lanturlu, [lanturlu, lanturelu.]
On peut placer ici des danses de toutes sortes de caractères. Arlequin même peut chanter. Après le ballet, Arlequin tire Mezzetin à part et dit ceci à la suite :
arlequin
Air : Vous m’entendez bien
Déesses et dieux, allez tous
Boire au cabaret quelques coups.
Monsieur de la musique...
mezzetin
Eh bien ?
arlequin
Venez que je m’explique...
Il lui parle à l’oreille et ensuite dit :
Vous m’entendez bien.
mezzetin
Air : Trembleurs
Je vous réponds de mon zèle
Et de madame Prenelle
Puisque la sempiternelle
Est folle de l’opéra.
Allez, l’affaire est certaine.
Tandis qu’une tendre scène
Intriguera la doyenne,
Octave la dénouera On chante \guill dénoura, sans prononcer l’e. \LC.
Scène iv
Arlequin seul
arlequin
Air : Vous m’entendez [bien]
Que diable est-ce donc que fera
Ma Colombine à l’Opéra ?
Elle ne peut je pense,
Eh bien,
Entrer que pour la danse.
Vous m’entendez bien.
Scène v
Octave, Arlequin
Arlequin explique à son maître par des lazzi tout ce qu’il vient de voir, ce qui l’impatiente. Cette scène fournit un grand jeu italien.
octave
Air : [Je ne suis né ni roi, ni prince]
Arlequin, que prétends-tu dire ?
Est-ce donc ivresse ou délire ?
Explique donc ce que tu veux !
Pourquoi ces postures, ces mines ?
arlequin, après ses lazzi
L’Opéra pour servir vos feux
Me prête aujourd’hui ses machines.
Scène vi
Jeannot, Octave, Arlequin
jeannot
Air : Sois complaisant, [affable, débonnaire]
Mon cher monsieur, vous m’avez touché l’âme.
Je veux donner ma fille à votre flamme.
Mais
Pierrot peut-être et ma femme
N’y consentiront jamais.
octave
Air : Folies d’Espagne
Femme en tout temps aime la compagnie,
Ainsi l’époux peut venger ses ennuis.
De son épouse il punit la manie
En la quittant les jours...
arlequin
Surtout les nuits.
jeannot
Air : Vous m’entendez bien
Ah ! Dame, dans notre maison
Ce secret ne serait pas bon.
Pierrot... la ménagère
Chez nous
Ont toujours quelque affaire...
arlequin
Qu’ils font bien sans vous.
octave
Air : Sois complaisant
Prenez l’épée.
jeannot
Oui, j’aime les ferrailles.
octave
Faites-vous craindre, usez de représailles.
jeannot
Ouais,
Je suis fait pour les batailles.
arlequin
Qu’on livre aux petits poulets.
octave
Air : Tu croyais en aimant Colette
Animé d’un jus de Champagne
Domptez votre femme aujourd’hui.
arlequin
Ah ! pour sa première campagne,
Quel exploit voulez-vous de lui ?
octave
Même air
Parlez haut, faites pis encore
Vous êtes le mâle, une fois...
arlequin
Sa femme apparemment l’ignore.
octave
Allez la ranger sous vos lois.
arlequin
Moi je vais chercher Colombine... Mais la voici.
Scène vii
Arlequin Colombine
arlequin
Air : Réveillez-vous, belle [endormie]
Enfin je te vois, ma princesse.
L’Opéra brille dans tes yeux !
De quelle classe es-tu déesse,
Es-tu de la terre ou des cieux ?
colombine
Air : Prenez bien garde à votre cotillon
En campagne on est sans façon.
Suivant que veut l’occasion
Je fais plus d’une fonction...
arlequin
Ventrebleu prenez bien garde
À votre cotillon.bis
colombine
Air : Quand le péril est agréable
Mezzetin est venu m’apprendre
Ce que tu désires de moi.
arlequin
Déesse, jusqu’à cet emploi
Daignerez-vous descendre ?
colombine
Air : J’ai fait à ma maîtresse un
Oui, compte sur mon zèle.
Des amants j’ai pitié.
Déjà de la Prenelle
J’ai surpris l’amitié.
Il faut dans ce village,
Par un subtil effort,
Conclure un mariage...
arlequin
Ce n’est pas là ton fort.
colombine
Air : La nuit et le jour
On garde là dedans
L’objet qui sait vous plaire,
Un tendron de quinze ans.
arlequin
Le bel âge pour faire
L’amour
La nuit et le jour
Air : Flon flon
Mais apprends-moi ma chère
Ce qu’on fait à Paris ?
colombine
Le manège ordinaire
Des Grands et des petits.
Flon flon
Larira dondaine
Flon flon
Larira dondon.
arlequin
Air : Réveillez-vous, belle [endormie]
Comment l’Amour fait-il son compte ?
colombine
Fort bien, il sait le numéro.
À présent Cupidon sans honte
Fait dans Cythère l’agiot.
arlequin
Air : Ah ! Robin tais-toi
Mars n’a donc plus rien à faire ;
Enfin nous avons la paix.
colombine
Vénus enrôle les plumets
Depuis qu’ils n’ont plus affaire.
Les petits collets,
Les galants du Palais
Qu’on trouve à Cythère
Sont mis aux arrêts.
arlequin
Même air
On les casse avec justice.
colombine
Les traitants sont plus chéris.
Les vieux corps les plus aguerris
Valent-ils cette milice ?
Dans son camp volant
Le caissier obligeant
Elle fait le lazzi de prendre de l’argent.
Fait bien le service
Des convois d’argent.
arlequin
Air : [Des fraises]
Le théâtre est-il à bout ?
A-t-il repris sa gloire ?
colombine
Jamais on n’eut moins de goût.
On entend prôner partout
La foire, la foire, la foire.
arlequin, à Colombine
Chut ! voila le Docteur.
Scène viii
Arlequin, Colombine, le Docteur se place entre Colombine et Arlequin ce qui donne lieu à plusieurs lazzi
arlequin
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Or je dis donc Mademoiselle
Que si l’homme pouvait... pouvait...
Excusez, je veux savoir d’elle...
le docteur
C’est de moi seul qu’il faut savoir.
Air : Trembleurs
Rien n’égale ma doctrine.
Je sais la langue latine,
Celle qu’on parle à la Chine...
arlequin
Et celle du perroquet.
le docteur
Je sais à fond la logique,
La morale, la physique.
Je montre la botanique.
arlequin
Et le jeu du bilboquet.
le docteur
Même air
Je sais la chiromancie,
Pilotage, hydromancie.
arlequin
Apprenez l’apoplexie.
le docteur
Oh ! cela n’est pas pressant.
Tout l’univers je dévoile,
Et quand la nuit tend son voile,
Je visite chaque étoile.
arlequin
Et vous restez au croissant.
Après quelques lazzi Arlequin chasse le Docteur à coups de sangle.
Scène ix
Arlequin, Jeannot, Octave, Colombine
Cette scène doit être pleine de lazzi d’Arlequin qui turlupine Jeannot en lui donnant des croquignoles et des coups de pied au cul.
jeannot, se quarrant et en épée
Air : Amis, sans regretter Paris
Hé bien ! morbleu, mon général,
N’ai-je pas l’air d’un brave ?
octave
Vous avez l’air très martial.
colombine
Autant qu’un rat de cave.
jeannot
Même air
Dame Prenelle tremblera.
Je suis le maître, oh dame !
colombine
C’est bien avec ces armes-là
Qu’on soumet une femme.
jeannot, à Octave
Air : Tu croyais en [aimant Colette]
Vous allez parler à Thérèse.
arlequin, sort
Nous allons tout préparer\versfaux[Il manque une syllabe.] \LC.
Il sort avec Colombine.
jeannot
Jarni !
Je ne veux plus rien endurer.
octave
Même air
Mais quoi ! Thérèse est enfermée ?
jeannot
Oh ! j’ai bien pris la clef.
octave
Comment ?
jeannot
Ma femme l’avait oubliée,
Je m’en suis saisie bravement.
Scène x
Jeannot, Octave, Thérèse
jeannot, ouvrant la porte
Même air
Tenez, voyez, sortez ma fille.
thérèse
Mais...
jeannot, bas
Votre mère le veut bien.
octave, à part
De combien d’appas elle brille !
jeannot, à Octave
Je vous permets son entretien.
Octave et Thérèse s’entretiennent. Jeannot se campe derrière eux et les écoute en riant sottement et s’applaudissant du coup qu’il a fait.
octave
Air : Quand le péril [est agréable]
Malgré les soins de votre mère,
Je puis vous marquer mon ardeur,
Monsieur me permet ce bonheur.
thérèse, d’un air niais
Ah, que j’aime mon père !
octave
Air : Flon, flon
Monsieur veut que j’espère,
Daignez suivre ses lois.
thérèse
Ah, que j’aime mon père
D’avoir fait un tel choix.
jeannot, sautant
Flon, flon
Larira dondaine
Flon, flon
Larira dondon.
octave, à Thérèse
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Ah ! que mon bonheur est extrême
Belle Thérèse...
jeannot, riant
Il perd l’esprit.
octave, à Jeannot
Monsieur, vous voyez qu’elle m’aime.
jeannot
Tudieu ! c’est qu’elle m’obéit.
octave
Air : Quand Moïse fit défense
J’entends quelqu’un ; je vous quitte...
Il sort.
jeannot, à part
Encourageons-nous un peu.
thérèse
Si c’était maman ?
jeannot
Petite,
Je lui ferais voir beau jeu.
thérèse
Mais si...
jeannot
Taisez-vous, marmotte.
Votre mère est une sotte.
Je la vois.
Bas et très tremblant.
Gardez-vous bien
D’aller m’accuser de rien.
Il se cache derrière sa fille et fait des lazzi qui expriment sa peur.
Scène xi
Madame Prenelle, Thérèse
madame prenelle
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Comment osez-vous de la sorte
Sortir de votre cabinet ?
Qui vous a donc ouvert la porte ?
Petite fille, parlez net.
thérèse
Même air
Elle s’est ouverte, ma mère.
madame prenelle, fouillant dans ses poches
M’y voila, j’ai laissé ma clef.
C’est un tour de votre sot père.
Ah, qu’il sera bien houspillé !
Jeannot s’enfuit avec précipitation, il s’embarrasse dans son épée et tombe.
Scène xii
Madame Prenelle, Thérèse, Colombine
madame prenelle
Air : Quand Moïse fit défense
Vous voyez une morveuse
Qui court après un mari.
colombine
Fi ! n’est-elle point honteuse ?
Rien n’est si fort en décri.
madame prenelle
On sait que le mariage
Est un dangereux passage
Plein de bourbiers et de trous.
colombine, à part
Pourquoi vous embourbiez-vous ?
Haut à Thérèse.
Air : Réveillez-vous belle [endormie]
Oh ! si vous saviez la morale,
Un ménage est papa, maman.
On ne voit que du linge sale,
Toujours pipi, caca, nanan.
madame prenelle
Même air
Je saurai dompter cette folle.
colombine
Madame, laissez-moi ce soin.
Préparez-vous pour votre rôle.
madame prenelle
Je vais m’habiller dans ce coin.
Scène xiii
Colombine, Thérèse, Madame Prenelle à sa toilette au fond du théâtre
thérèse
Air : Tu croyais en aimant [Colette]
Est-il vrai que le mariage
Est si vilain qu’on me le dit ?
colombine
Bon, rien n’est si beau qu’un ménage
Où l’on ne peut trouver qu’un lit.
thérèse
Même air
Vous disiez...
colombine, bas
La maman regarde
Haut.
Non, rien n’est si laid qu’un époux,
Brusque, impoli, l’humeur hagarde.
Bas.
Octave sera tendre et doux.
thérèse, sur le dernier vers
Ma chère, le connaissez-vous ?
colombine, bas
Parlons bas, c’est lui qui m’emploie
Pour vous obtenir en ce jour.
La maman... Cachez votre joie !
Haut.
C’est un plaisant fat que l’amour.
thérèse
Air : Au gué lon la, bergère
Quoi donc ! l’objet que j’aime
M’épousera ?
colombine
Un heureux stratagème
Vous mariera.
Je suis sûre que notre opéra
Très fort vous plaira.
Haut.
Qui mari prendra,
Ou tôt ou tard, dans l’aile
Elle en aura.
thérèse
Air : Mon mari est à la taverne
Le maître à danser de ma mère
Vient lui répéter sa leçon.
colombine
Ah ! tantôt je lui ferai faire
Un contretemps de ma façon ;
Ce pas nouveau nous fera rire.
Elles s’en vont toutes deux en sautant, et Arlequin qui n’avait que paru dans la coulisse, entre en faisant ses lazzi de maître a danser.
Ta la lerira la lerira la lerire
Ta la etc.
Scène xiv
Madame Prenelle, Arlequin maître à danser, il entre en dansant et chantant
arlequin
Air : [Des fraises]
Ah ! que la danse a d’appas !
L’épée... et la finance
La robe, les avocats...
Les financiers... les soldats :
Tout danse, tout danse, tout danse.
Arlequin doit entrecouper ces vers de pas de ballet et contrefaire la danse pédantesque des gens de robe, la mauvaise grâce des bourgeois et les attitudes dégingandées des petits maîtres.
madame prenelle
Même air
Qui corrige l’embarras
Et l’air sot de l’enfance ?
Qui fait la taille et les bras ?
Qui soutient les opéras ?
La danse, la danse, la danse.
arlequin
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Répétons un peu notre entrée.
Ah ! que tous ces pas sont charmants.
Ah !
madame prenelle, d’un ton précieux
Ne suis-je pas trop tirée ?
arlequin
Vous avez des beaux mouvements.
Air : Dirais-je mon confiteor
Marquez la cadence avec feu,
Rangez cette épaule indocile.
Allons ferme... et ce cul, morbleu !
Lorgnez d’une prunelle habile,
Figurez-vous être un tendron
Dont l’amant est dans le balcon.
Sur le dernier vers en lui donnant un coup de pied au cul.
Encore ce cul, baissez-le donc !
madame prenelle
Air : [Vous chiffonnez mon falbala]
Vous chiffonnez mon falbala.
Ah, fripon ! que faites-vous là ?
arlequin
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Ce n’est qu’un coup de pied, madame.
Oh ! je ne m’émancipe point.
madame prenelle, à part
Le petit coquin sur mon âme
A du goût pour mon embonpoint.
Madame Prenelle revient en minaudant au bord du théâtre et Arlequin lui donne la main.
finacte
Acte ii
Le théâtre représente le palais d’Armide tout composé d’ustensiles de ménage, dans le fond est une cheminée ou l’on voit quelques volailles qui tournent à la broche.
Scène i
Pierrot Chevalier danois, Octave Ubalde
octave
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Souviens-toi de ton personnage :
Tu fais le Chevalier danois.
Moi, je suis Ubalde...
pierrot
J’enrage !
Faut-il répéter tant de fois ?
airvidecrochets
Je sais qu’on vous nomme la Gale,
Que je suis un gentil Danois.
N’avez-vous pas quelque levrette
Avec qui je puisse aboyer ?
C’est ici le palais d’Armide.
Qui sait, dit-on, tourner le sas.
Je tremble ici pour ma fressure
Mais revenons à nos moutons,
Allons chercher Renaud.
octave
Tu sais sa destinée.
On dit qu’Armide est enragée :
Il a méprisé ses appas.
Craignons pour lui tout l’enfer effroyable.
pierrot
Femme amoureuse et que l’on n’aime pas
Est plus à craindre que le diable.
Scène ii
Octave, Pierrot, troupe de Démons sous la forme de Jeux et de Ris
pierrot
Air : Folies d’Espagne
Qui sont ces gens ?
octave
Ah ! C’est un tour d’Armide.
Je vois les Ris, les Plaisirs et les Jeux.
pierrot
Quoi, là, les Jeux ! Vous vous trompez, compère.
Ma foi, Pierrot n’en reconnaît pas un.
Air : J’ai fait à ma maîtresse
Le joli jeu de quilles
Ne paraît point ici,
Le jeu du trou madame
N’y paraît point non plus.
Ardé ! ces jeux sont drôles,
J’y voudrais bien jouer.
Je le vois à leur mine,
Ce sont les jeux de main...
Danse des mille Plaisirs et Jeux. Après la danse paraît un démon sous la figure de Paquette, maîtresse de Pierrot. C’est Colombine qui doit jouer ce rôle-là.
Scène iii
Colombine, Pierrot, Octave
pierrot
Même air
J’aperçois ma Paquette
Parmi ces messieurs-là.
octave
C’est un tour de baguette
Qui te fait voir cela.
Cette nymphe gentille
Est un diable, crois-moi.
pierrot
Bon, il n’a point de queue,
Monsieur, vous vous trompez.
colombine
Même air
Ah ! Pierrot !
pierrot
Ah ! Paquette !
octave
Pierrot, prends garde à toi.
pierrot
Je commence à vous croire :
Elle a l’air d’un lutin.
Morgué, sous les fontanges
Et ses cheveux frisés
Elle cache ses cornes.
Que le diable est méchant !
colombine, approche de Pierrot et veut le caresser
Air : Sois complaisant, [affable, débonnaire]
Mon cher Pierrot, devenez plus traitable,
Et bannissez un soupçon qui m’accable.
pierrot, fuyant
Chou
Vous avez Monsieur le diable
Quelque dessein sur mon cou.
colombine
Air : Sarabande de L’Inconnu
Connais le prix des vœux qu’on te présente.
Veux-tu, faquin, m’accabler de douleurs ?
Pour toi, constante,
Je suis la fleur.
Ce beau laquais qui chez un procureur
À trois grands clercs enleva la servante.
pierrot
Air : Absent de ma belle
Le diable me tente,
J’entre en appétit.
Vous allez, friponne,
Me friponner mon tabri leri lera la la lire,
Me friponner mon cœur.
octave
Air : [Des fraises]
Vous vous laissez cajoler
Par ce démon aimable.
Gardez-vous de l’accoler !
Voulez-vous vous en aller
Au diable, au diable, au diable ?
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Ce fouet dissipe les charmes,
On nous l’a donné pour cela.
pierrot
Voyez si c’est là ma Paquette
Faites bien claquer votre fouet.
Octave donne un coup de fouet enchanté à Colombine qui disparaît par une trappe et emporte le chapeau de Pierrot.
pierrot
Au voleur, au voleur !
Et sur les deux derniers vers.
Ah ! monsieur, ces diables femelles
Sont bien avides de chapeaux.
Les monstres arrivent et enlèvent Pierrot.
Scène iv
Octave, Thérèse
octave
Air : Folies d’Espagne
Qui retient donc la beauté que j’adore
Mais je la vois, ah ! partons dans l’instant.
Tout est propice au feu qui me dévore,
Pour nous unir le papa nous attend.
Scène v
Arlequin en Renaud
Les violons jouent le sommeil d’Armide et Arlequin voyant la broche pleine de viandes dit :
arlequin
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Je sens le rôt ! Quelle constance
Il faut pour s’éloigner de là !
Ah ! la broche tourne en danse
C’est le souper de l’opéra.
Air : Plus j’observe ces lieux,
Plus j’observe ce rôt et plus je le désire.
La broche tourne lentement.
Je m’éloigne à regret d’un morceau si friand.
Les violons reprennent le sommeil d’Armide et Arlequin continue :
Le fumet embaumé des chapons qu’on fait cuire
Parfume l’air que je respire.
Ah ! ma foi, l’appétit m’a troublé la mémoire.
Çà, revenons pourtant à nos chapons,
À mes moutons, dis-je.
Qui a des vieux chapeaux à vendre
Hom ! ce n’est pas cela, c’est pourtant l’air
Ah, m’y voilà !
Un son harmonieux se mêle au bruit des eaux.
Les poulets fricassés se cuisent pour m’attendre.
Des armes de la faim j’ai peine a me défendre.
Après avoir rêvé.
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Mon rôle veut que je repose
Avant que de pouvoir mâcher.
Mon rôle a mal réglé la chose
On soupe avant que se coucher.
Continuons pourtant quoiqu’en disent mes boyaux.
Il dit cela sur l’air De mon pot, je vous en réponds, et le répète en se déshabillant. Il jette à terre son habit à la romaine et son casque et paraît en chemise, et dans cet équipage, il traîne au milieu du théâtre un petit lit de repos qui était au fond et se couche dessus. Un moment après il se lève et regarde partout sous le lit en disant : \emph où est donc le pot de chambre ?
Tout m’invite au repos...
Ce gazon, cet ombrage frais,
Et ce feuillage épais.
Scène vi
Madame Prenelle en Armide
Enfin il est en ma puissance,
Ce mépriseur d’appas, ce glacé jouvenceau !
Il me vit sans m’aimer, j’enrage quand j’y pense
Cruel ! J’aurais moins pitié de ta peau
Que notre chat à jeun n’en aurait d’un fromage.
Qu’il éprouve toute ma rage !
Elle va pour le percer.
Sans faiblesse, mon cœur, qui te fait palpiter ?
Ma pitié sent un peu ce que je n’ose dire.
Frappons ! Ciel ! Qui peut m’arrêter ?
Achevons, je frémis, vengeons-nous, je soupire.
La vengeance pour moi n’a plus rien de charmant.
Suis-je donc femme ? Ô ciel ! Oui, je la suis vraiment.
Je passe en un moment de l’excès de la honte
À celui de l’amour.
Toute ma rage est vaine,
Je ne puis me résoudre à lui ravir le jour.
Quel embonpoint ! Quel air ! Quelle taille ! Quel râble !
Il semble être fait pour l’amour.
Je cède à ce maraud, l’appétit me surmonte.
Cachons ma faiblesse et ma honte,
Valet, livre-moi mon amant.
Venez
Fermez
Tous les verrous de mon appartement.
Elle se couche sur le petit lit avec Arlequin. Aussitôt deux démons descendent d’en haut et les enlèvent dans la couverture. Arlequin crie :
arlequin
Fi ! vous me chatouillez !
Scène vii
Jeannot, Scaramouche
jeannot, sautant
Air : [Des fraises]
Le mariage est conclu,
Quel bonheur, quelle gloire !
J’ai pris un ton résolu,
Chez moi je suis absolu.
Victoire, victoire, victoire !
scaramouche, prenant le contrat
Air : Tu croyais en aimant [Colette]
Sauvons de madame Prenelle
Ce bon contrat qu’elle a signé.
jeannot
Jarny, j’ai su triompher d’elle !
Je suis un petit obstiné.
Scène viii
Jeannot, Madame Prenelle
madame prenelle, se jette sur son mari qui se sauve, elle arrache sa perruque
Il m’échappe, il s’éloigne, il va quitter ces bords.
Quoi, Jeannot triomphe et me brave !
Allons l’enfermer dans la cave.
Je fais pour l’arrêter d’inutiles efforts.
Traître, attends, je le tiens, je déchire sa tignasse !
Ah, je l’immole à ma fureur !
Que dis-je ? où suis-je ?
Air : Trembleurs
Quel désespoir ! Quelle rage !
J’ai signé ce mariage
Qui de Jeannot est l’ouvrage.
Hélas ! Qu’est-ce qu’on dira ?
Mon sot époux est le maître,
Oserais-je encore paraître ?
Ah ! Jetons par la fenêtre
Les meubles de l’opéra !
Elle jette et renverse toutes les décorations et la comédie finit.
Fin