Pierre-François Biancolelli, Antoine-François Riccoboni, Jean-Antoine Romagnesi
Médée et Jason
Parodie
Représenté pour la première fois par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi
le 28 mai 1727
Les Parodies du nouveau Théâtre-Italien, Briasson, 1738
Acteurs
Médée
Jason
Créon
Créuse
Cléone
Arcas
Troupe de Magiciens, chantants et dansants
Démons
Matelots
Matelottes
Monstres
Gardes
Un Exempt
Médée et Jason
Scène i
Jason, Arcas
Le théâtre représente une place publique.
arcas
Eh ! Quoi, Seigneur Jason, ne m’apprendrez-vous point le sujet de votre tristesse ? Dans un temps où vous devez être plus content que jamais, vous êtes rêveur et taciturne : en vérité, je ne vous comprends pas, la gloire, l’amour, tout vous est favorable ; que vous manque-t-il donc ?
Air : Tout cela m’est indifférent
Pour prix de vos derniers exploits,
L’amour pour vous a fait le choix
D’une Princesse qui vous aime,
Quel sort peut être plus charmant !
jason
Hélas, c’est dans cet hymen même
Que je trouve un nouveau tourment.
arcas
Que me dites-vous là ? Créuse ne vous aimerait-elle plus ?
jason
Bon, c’est tout le contraire ; elle est folle de moi, elle ne peut rester un moment sans me voir : il ne tient qu’à moi de l’épouser ; mais je me sens déchirer par mille remords, et c’est avec raison ; car entre nous, je ne fais pas l’action d’un honnête homme.
Air : On n’aime point dans nos Forêts
Tout prêt à devenir heureux,
Je sens une secrète peine,
Tu sais que pour former ces nœuds
J’ai rompu ma première chaîne.
Puis-je ailleurs engager ma foi ?
Médée a des enfants de moi.
Que deviendront ces pauvres innocents ? Ils seront déclarés bâtards, et cela me fend le cœur : Médée que j’ai trahie m’accablera de reproches.
Air : Ne craignez rien, l’hymen est votre asile
À l’oublier vainement je m’efforce,
Père cruel, et trop injuste époux !
arcas
Vous pouvez vous reprochez un divorce,
Que l’honneur seul su exiger de vous ?
jason
Tout ceci ne laisse pas que d’être embarrassant ; Médée d’un côté, Créuse de l’autre... L’amour... Le devoir... Je ne sais auquel entendre.
Air : Je reviendrai demain au soir
Le devoir et le tendre amour
Me parlent tour à tour ;bis
Mais sur moi, trop faible devoir,
Tu n’as pas le pouvoir.bis
Mais Créuse s’avance : Amour, c’est à toi seul que la victoire est réservée.
Scène ii
Créuse, Cléone, Jason
jason
Air : Belle brune
Ah ! Princesse, ah ! Princesse,
L’hymen va combler mes vœux,
Pour Jason, quelle allégresse !
Ah ! Princesse, ah ! Princesse.
Le Roi se déclare en ma faveur, c’est la meilleure pâte d’homme que je connaisse : allons, de la joie ; mais quoi, vous ne répondez rien !
Créuse
Seigneur, je suis soumise à ses ordres.
jason
Qu’est-ce à dire ? Vous êtes soumise à ses ordres ; comme vous dites cela ? Expliquez-vous le belle, parlez sans façon : si vous avez la moindre répugnance, ne vous gênez pas, je n’abuserai point des bontés de Monsieur votre père ; je ne veux rien par force : pour faire un bon mariage, il faut toujours que les parties soient d’accord.
Créuse
Air : Si ta femme gronde
Que notre tendresse
Fasse à jamais notre bonheur :
Livrons-nous sans cesse
À notre ardeur.
Qu’amour nous engage,
Il n’a pour nous que des appas ;
Mais du mariage,
N’en parlons pas.
jason
Qu’entends-je, ô Ciel !
Créuse
Non, Jason, je ne puis vous rendre heureux.
jason
Quel galimatias faites-vous là ? Comment, morbleu, il ne dépend que de vous de devenir l’épouse d’un joli homme, bien fait, rempli de mérite, et vous avez de la peine à vous déterminer ? La pauvre petite, qu’elle est à plaindre ! Il y en a bien qui s’estimeraient heureuses de me posséder.
Créuse
Il est vrai, mais...
jason
Air : Je ne suis né ni roi, ni prince
Non, je ne puis plus vous entendre,
Mon désespoir me force à prendre
Un parti qui n’est pas trop bon :
Adieu.
Créuse
Qu’allez-vous entreprendre ;
Où courez-vous, mon cher Jason ?
jason
Inhumaine, je vais me pendre.
Créuse
Je frémis... Demeurer.
Air : Quand le péril est agréable
Apprenez un fatal mystère,
Je dois enfin le découvrir,
La mort, où je vous vois courir
M’empêche de me taire.
Quand je vous refuse ma main, soyez bien persuadé que l’Amour lui-même m’en inspire le dessein : je crains la fureur de Médée ; cette Magicienne me fait trembler pour vous ; elle va faire éclater la plus terrible des vengeances, et franchement elle n’aura pas tort.
Air : Lere la, lere lan lere
Un mari doit-il s’engager,
Et d’une femme se charger
Du vivant de la première ?
jason
Lère la, lere lan lere,
Lère la,
Lère lan la.
Créuse
Air : N’y a pas d’mal à ça
Jason Polygame !
Qu’est-ce qu’on dira ?
Las de votre femme
Vous la plantez là.
jason
N’y a pas d’mal à ça.bis
Créuse
Air : Le joli jeu d’amour
Au joli jeu d’Amour
Livrons-nous tour à tour,
Il réserve pour nous
Tous ses charmes.
L’Hymen est moins doux,
Bientôt il cause aux époux
Des soins, des dégoûts,
Des alarmes :
Au joli jeu d’Amour, etc.
jason
Que diable, voulez-vous que j’attende que ma femme soit morte pour me marier avec vous ? Elle a l’âme cramponnée dans le corps ; et quand ce ne serait que pour me faire enrager, elle vivra cent ans, et plus ; elle a des secrets pour cela.
Créuse
Rien ne peut me rassurer, et je crois déjà la voir prête à vous immoler à sa fureur.
jason
Quoi, vous tremblez pour mes jours ? Le bon petit cœur ! Allez, ma mie, ne vous inquiétez de rien.
Air : Pierre Bagnolet
Aux plaisirs cédons sans contrainte,
On ne les goûte pas toujours :
Étouffez une injuste plainte,
Et profitons de nos beaux jours,
Ils sont si courts,
Créuse
Ils sont si courts.
Ensemble, ensemble
Ah ! Pourquoi faut-il que la crainte
Trouble les plus tendres Amours.
Jason s’en va.
Scène iii
Créuse, Cléone
Cléone
En vérité, Madame, votre crainte est mal fondée.
Air : La verte Jeunesse
Chassez les alarmes,
Et rassurez-vous,
L’Hymen a des charmes ;
Non, rien n’est si doux ;
Fille de votre âge
En fait son bonheur,
Et du mariage
N’a jamais peur.
Quelle raison pouvez-vous donc avoir ; et qui peut tant vous inquiéter.
Créuse
Un songe affreux : je l’aurais raconté à Jason ; mais j’ai craint qu’il ne se moquât de moi.
Cléone
Ce songe est donc bien extravagant ?
Créuse
À tel point, que j’en suis encore toute épouvantée.
Air : Ma mère, mariez-moi
J’ai rêvé toute la nuit,
Qu’on faisait trembler mon lit ;
J’ai vu luire des flambeaux,
Médée en fureur tirer mes rideaux,
Tenant en main un poignard.
Cléone
Bon, c’était le cauchemar.
Créuse
Air : Passant sur le Pont-neuf
Le feu prend à mes draps,
Quelle effrayante image !
Jason avec fracas
Veut s’ouvrir un passage ;
J’ai beau me plaindre,
À mon lit il ne peut atteindre ;
Le feu gagne toujours, il ne saurait l’éteindre.
Cléone
Vous êtes bien bonne de vous effrayer pour si peu de chose ; vous avez rêvé de feu, c’est joie.
Créuse
Oui, mais j’ai rêve de femme, c’est trahison.
On entend une symphonie effrayante, pendant laquelle le tonnerre gronde, et les éclairs brillent.
Créuse
Qu’entends-je ! Quel bruit épouvantable !
Elle chante.
airvide
Quelle grêle, quelle tempête.
Cléone
Cela ne durera pas, Madame, ce ne sont que des giboulées de mars.
Médée descend sur un manche à balai, entouré de Sorciers et de Démons.
Scène iv
Médée, Créuse, Cléone
Air : Des fraises
Quel objet s’offre à mes yeux,
Cléone
C’est Médée, ou je meure,
Créuse
Son aspect m’est odieux,
Viens, suis-moi, quittons ces lieux,
Médée touche Créuse de sa baguette
Demeure, demeure, demeure.
Cléone fuit.
Créuse
Ah ! Juste ciel ! Je ne puis ni reculer, ni avancer.
médée
Connais ta rivale, tu vas voir beau jeu ; comment, petite effrontée, tu sais que Jason est mon Epoux, et tu souffres qu’il t’en conte ?
Médée, au son de la Symphonie, fait des cercles avec sa baguette.
Scène v
Médée, Sorciers, Démons, Créuse, etc.
médée
Air : Le Prince Belzébuth
Suivants de Belzébuth,
Habitants du Cocyte,
Suivants de Belzébuth
À tous, honneur, salut.
Amenez ici l’élite
Des bons enfants du Sabbat,
Venez tous accourez vite,
Faites valoir mon contrat.
definitacteur, Chœur de Sorciers chœursorciers
chœursorciers, qui sortent de dessous le théâtre
Guin, guin, guerlin, guin,
Guerlinguette, guerlinguette,
Guin, guin, guin, guin,
Guerlinguette, guerlinguin.
Le théâtre change, et représente un lieu effroyable. Troupe de Démons et de Magiciens.
Des sorciers conduisent un bouc avec cérémonie ; Danses de Magiciens et de Démons.
médée, à Créuse
Comment, tu n’as pas encore peur ? Mes amis, faites-lui un petit détail des maux qui lui sont préparés.
definitacteur, Chœur de Sorciers et de Démons chœursorciersdemons
chœursorciersdemons
Air : Ah ! Vous avez bon air
Tremble, Créuse, tremble,
Crains tous les maux ensemble,
Tremble, Créuse, tremble,
Et frémis d’effroi.
Tremble, Créuse, tremble.
Crains tous les maux ensemble,
Tremble, Créuse, tremble,
Et frémis d’effroi.
Danse de Démons pour épouvanter Créuse.
definitacteur, Chœur de Magiciens chœurmagiciens
chœurmagiciens
airvide
Que le mal de dent,
L’asthme, la migraine,
La fièvre quartaine,
Le redoublement
La serre, l’entraîne,
L’étrangle à l’instant :
La fièvre quartaine,
La serre, l’entraîne
Dans le monument.
médée
Mais en vérité cela est étonnant ; voilà la première personne à qui je n’ai pas fait peur ; voyez-vous comme elle est tranquille ?
Créuse
Air : Tu croyais en aimant Colette
Je serais toujours tendre amante,
Et j’ose ici vous défier :
médée
Comment donc, rien ne t’épouvante !
Créuse
Vous ne faites que m’ennuyer,
Air : Menuet d’Hésione
Satisfais ta barbare envie,
Que l’Enfer s’unisse avec toi :
Tu ne menaces que ma vie,
Tu ne m’inspires point d’effroi.
médée
Patience, vous ne serez pas toujours si intrépide, ma petite mignonne ; et je sais le moyen de me venger de vous, et de l’infidèle Jason.
Air : Je reviendrai demain au soir
Sur lui je vais jeter un sort
Plus cruel que la mort.bis
Créuse
Quoi, vous pourriez l’ensorceler ?
Je commence à trembler.bis
médée, la touchant de sa baguette
Va, je ne te retiens plus, tu peux aller trouver ton amant.
Air : Tiens-moi bien
Tiens le bien tandis que tu le tiens,
Tu ne le tiendras plus guère.
Créuse s’en va.
Scène vi
Médée, Sorciers, et Démons
médée
Air : La jeune Abbesse de ce lieu
Rentrez dans l’infernal séjour,
Armez pour moi la jalousie ;
Que Créuse éprouve à son tour
L’horreur dont Médée est saisie ;
Agitez et tourmentez son cœur,
Comme l’âme d’un procureur.
Tous disparaît.
Le théâtre change, et représente un bois.
Scène vii
Jason seul en pleurant
Ah ! Que je crains pour ma chère Princesse ! Il n’en faut point douter, cette diablesse de Médée va se venger sur elle de ma perfidie ; un mari est bien malheureux quand il a une femme qui commande à baguette, et qui peut perdre sa rivale.
Air : Ces filles sont si jolies
Doit-elle la punir, hélas !
D’avoir de si charmants appas ;
Quoi donc, est-ce sa faute
S’ils me mettent en belle humeur ?
Ah ! Que ma femme est sotte, lon la,
Ah ! Que ma femme est sotte.
Que ne suit-elle mon exemple ; c’est à mon avis, la seule manière dont une femme devrait se venger d’un époux fidèle... Mais, que vois-je, c’est Créuse ?
Scène viii
Créuse, Jason
jason
À quoi diable vous exposez-vous ? Allez-vous en, ma mie, allez-vous en, vous cherchez noise.
Créuse
Que je m’en aille ! Tu me donnes là un beau conseil ; ah ! Perfide, sans doute, tu me trahis.
jason
Non, ou le diable m’emporte.
Créuse
Médée lui aura jeté le sort ; que je suis malheureuse !
jason
Et non, de par tous les diables, non, je vous jure que je vous adore.
Créuse
airvide
Hé bien, si tu m’aimes encore,
Fais-le-moi donc connaître.
Suis mes pas, et quitte des lieux où te retient ma rivale.
Elle lui fait signe de le suivre.
jason
Allons-donc, vous faites de moi tout ce que vous voulez.
Il va pour la suivre, Médée l’arrête.
Scène ix
Médée, Jason
médée
Arrête.
jason
Air : Ton humeur est Catherine
Non, je ne veux rien entendre ;
médée
Quoi, perfide, tu me suis ?
jason
Je ne saurais m’en défendre.
médée
Elle meurt, si tu la suis ;
Crains ma puissance extrême.
jason
Bon ! Quand on est amoureux,
Un clin d’œil de ce qu’on aime
Tire plus que quatre bœufs.
médée
Infidèle ! Oses-tu, sans rougir, avouer une pareille faiblesse ?
Air : Changement pique l’appétit
Pour moi, sans craindre qu’on me fronde,
Je cours de la brune à la blonde,
Et de tout je fais mon profit ;
Changement pique l’appétit.
En conscience, je ne puis vivre avec vous : vous savez tout ce que vous avez fait.
médée
Ingrat, tu me reproches des crimes que je n’ai commis que pour toi.
jason
Oui, vous verrez que c’est moi qui lui ai dit de tuer son père : ceci n’est pas mauvais ; accuser l’Amant, des fautes que l’Amour fait commettre.
médée
Apparemment.
jason
Air : Je ne suis né ni roi, ni prince
Quoi, le poison, le parricide...
médée
C’est pour t’avoir aimé, perfide,
Que j’en fis éclater l’horreur.
Amour, jusqu’où va ta puissance !
Avec le repos de mon cœur,
Il m’en coûte mon innocence.
jason
Voilà une belle bagatelle, cela est arrivé à bien d’autres.
médée
Ce qui me console, c’est que ma rivale ne portera pas plus loin l’outrage qu’elle me fait.
Air : Que faites-vous, Marguerite
Tu vois ma fureur extrême,
Gardes-toi de m’outrager :
Un cœur qui perd ce qu’il aime,
N’a plus rien à ménager.
Ensemble, ensemble
jason
Craignez ma fureur extrême.
médée
Tu vois ma fureur extrême.
jason
Gardez-vous de vous venger,
médée
Garde-toi de m’outrager.
Tous deux, ensemble
Un cœur qui, etc.
Jason s’en va.
Scène x
Médée et Jason
médée
Voyez-vous comme il me quitte ? C’en est trop, vengeons-nous.
Air : C’est le bout du bras
Démons, venez faire dans ces lieux
Tapage, tapage,
Ceci devient sérieux,
Servez ma rage.bis
Vite, transformez-vous
En chats-huants, en loups-garous.
Les Démons transformés en monstres, traversent le théâtre.
Scène xi
Créuse seule
Le théâtre représente la mer.
Air : Contre un engagement
J’ai perdu mon amant,
L’ingrat éteint sa flamme,
À quel affreux tourment
Va-t-il livrer mon âme ?
Quoi, sans craindre le blâme,
Le perfide Jason
Me quitte pour sa femme,
Dieux, quelle trahison !
Mais le voici lui-même ; voyons un peu comme il s’en tirera.
Scène xii
Jason en fuyant, Créuse
jason
Ah ! Ventrebleu, quel ravage ! Médée fait ici le diable à quatre, l’Enfer est déchaîné contre nous, et les Dieux sont sourds à nos vœux.
Créuse
Air : La Serrure
Leurs bontés vous sont favorables,
Lorsqu’ils suspendent leurs courroux ;
S’ils punissaient tous les coupables,
Vous auriez à trembler pour vous.
jason
Il est vrai, c’est moi qui suis cause de tout cela ; et pour prévenir la punition que je mérite, ma prudence me conseille de déguerpir.
Créuse
Traître, tu veux me quitter, et je serais encore assez folle pour t’aimer ! Non.
Air : Pierre Bagnolet
Avec toi plutôt que de vivre,
Je préférerais le trépas ;
Tu n’as pas voulu me suivre,
Lorsque je t’appelais tout bas.
jason
Je le voulais bien, je ne pouvais pas,
Mamour, je voulais bien vous suivre,
Mais ma foi je ne pouvais pas.
Créuse
Le joli garçon !
Air : Réjouissez-vous, bons Français
Et pourquoi ne pouvais-tu pas ?
jason
J’étais dans un grand embarras,
Et si je l’avais fait, Médée
Vous aurait bien accommodée.
Créuse
Non, tu prétends en vain t’excuser : l’exemple de Médée suffit pour m’instruire.
Menuet
airvide
Un infidèle
Doit toujours nous alarmer,
Malheur à celle
Qu’il sait charmer.
Quand d’un parjure
Nous écoutons le serment,
Son feu ne dure
Qu’un moment.
Si le volage
Qui nous engage
Devient heureux,
Il rompt ses nœuds.
jason
Il est vrai que je suis un peu coquin, mais ce n’est pas ma faute : pourquoi êtes-vous si belle ?
Air : Monsieur la Palisse
C’est une fatalité,
Tout doit vous rendre les armes ;
Est-il de fidélité
À l’épreuve de vos charmes ?
Créuse
Volage !
jason
Cruelle !
Créuse
C’est trop m’abuser.
jason
C’est trop m’accuser.
Créuse
C’est trop m’abuser.
jason
C’est trop m’accuser... Voilà ce qui s’appelle un duo en prose.
Créuse
Le Roi vient, je parts.
jason
Attendez donc que je me justifie, et que je profite d’un temps si favorable.
Créuse
Non, non, car je n’aurais plus rien à dire au cinquième Acte.
Scène xiii
Créon, Gardes, Jason
Créon
Air : Joconde
Quoi, je vois périr dans ces lieux
Mon peuple misérable !
Faites tomber sur moi, Grands Dieux,
Le malheur qui l’accable :
Mais vous m’immolez dans chacun
De ces sujets que j’aime.
jason
À la vérité, c’est tout un,
Mais ce n’est pas de même.
N’accusez que moi seul dans tous les maux qui désolent ces lieux. Médée est venue me chercher, permettez, Seigneur, que je parte avec elle ; j’épouserai votre fille une autre fois.
Créon
Air : Quand je tiens de ce jus d’Octobre
Non, cette fatale ennemie
Ferait d’inutiles efforts ;
Je veux qu’elle perde la vie.
jason
Songez qu’elle a le diable au corps.
Créon
Quand elle aurait cent fois plus de puissance, je ne m’en embarrasse point.
Scène xiv
Un Exempt, Créon, Jason
definitacteur, L’Exempt lexempt
lexempt, à Créon
Bonne nouvelle, Seigneur, je viens d’arrêter Médée, et vous l’allez voir.
Créon et Jason en tremblant, ensemble
Miséricorde !
jason
Sauve qui peut.
Créon
Laisse-moi faire, je me charge du soin de la punir.
jason, en pleurant
La pauvre diablesse, elle me fait pitié.Il se jette à genoux devant le Roi. Ah ! Seigneur, je vous demande sa grâce.
Créon
Vous me demandez sa grâce ! En vérité, vous êtes bien bon, et voilà ce qui s’appelle un effort des plus généreux.
jason
Ce n’est pas que je n’aie grande envie d’être veuf, mais je voudrais que ce fût par les bonnes voies.
Créon
Quelle sorte donc de mes Etats, si elle veut éviter la mort ; mais la voici, la scélérate.
Jason voyant Médée, se sauve.
Scène xv
Médée, Créon
Créon
C’est donc vous, Madame la Sorcière ? Je devrais vous traiter comme vous le méritez, mais je suis bon Prince, et je borne ma vengeance à votre exil.
médée
Vous me faites-là une belle grâce !
Air : Menuet de Grandval
Vous me choisissez pour victime,
Et vous couronnez mon époux :
Pourquoi protégez-vous le crime ?
Ou pourquoi le punissez-vous ?
Créon
Il s’agit bien de me parler raison, ai-je quelque compte à rendre ?
médée
Air : Ho ho, ce dit-il, c’est la raison
À ce fatal voyage
Je ne puis consentir :
Quel sujet vous engage
À me faire partir ?
Créon
Ho ho ! Je le veux, c’est la raison
Qu’un Roi soit maître en sa maison.
médée
Hé bien, je partirai, puisque vous le voulez bien, mais que Jason me suive.
Créon
Non, je prétends qu’il reste ici.
Air : Embarquez vous, Mesdames
Embarquez-vous, Madame,
Sans perdre un seul moment.
médée
Vous accablez mon âme
Du plus cruel tourment,
De mon époux
Pourquoi me privez-vous ?
C’est m’offenser,
Je ne puis m’en passer.
Créon
Ah ! Que de discours : écoute le serment que je vais faire, il est terrible.
Air : Que les Ombres se réjouissent
Si demain, de cette sorcière
L’aspect trouble encore ces lieux,
Lancez sur moi, lancez, Grands Dieux,
Tous les traits de votre colère :
Que je sois réduit en poussière,
Que Corinthe soit sans raisin,
Que je puisse plus enfin,
Jusqu’à mon heure dernière,
Boire de son excellent vin.
Il s’en va.
Scène xvi
Médée
Va, va, je me ris de ton serment : mais voici sans doute les Matelots qui doivent me conduire ; s’imaginent-ils que j’aie besoin d’eux pour partir ? Je suis venue par les airs, et je puis m’en retourner par la même voiture ; laissons les parler de la pluie et du beau temps. Comme je ne veux point sortir de Corinthe sans être vengée, servons-leur un petit plat de mon métier.
Scène xvii
Une Matelote
Les Matelots entrent au son de la Symphonie.
airvide
Le temps est calme, et le vent doux,
Embarquons nous ;bis
Menons avec nous l’Amour,
C’est lui qui répond du beau jour :
Heureux Matelots
Ne craignez point les flots,
Son bandeau deviendra notre voile,
Ses traits pleins d’appas
Nous servirons de mâts ;
Et quand l’astre qui nous suit
Fera place à la nuit,
Son flambeau sera notre étoile.
Les Matelots dansent.
Un Matelot, chantant
Noirs orages
Qui grondez sur les ouvrages,
C’est trop siffler,
Cessez d’accabler
Par vos haleines indiscrètes
D’infortunés poètes.
Une lyre
Que tout le monde admire,
Malgré son orgueil
Doit craindre encore l’écueil :
Tel dans le port
Brave le fort,
Qu’un méchant envieux
Peut rendre malheureux.
On danse.
airvide
Un Matelot
Des vents le cruel ravage
Nous éloigne du rivage,
Et trompe souvent nos désirs ;
Mais qu’il est doux, après l’orage
D’arriver au port des plaisirs.
Une Matelote
Barbon qui veut encor faire
Le voyage de Cythère
Se flatte en vain d’un heureux sort :
Il a toujours le vent contraire,
Quand il croit arriver au port.
Une Matelote
Matelots dans le bel âge
Voguez sans craindre l’orage,
Et n’attendez que de beaux jours :
Il n’est qu’un temps où l’on s’engage
Dans les voyages de long cours.
Il s’élève une tempête sur les flots.
definitacteur, Chœur de Matelots chœurmatelots
chœurmatelots
Air : Ho, ho, tourelouribo
Quel bruit ! Quel épouvantable orage !
Ho, ho, tourelouribo,
Les flots couvrent le rivage
Ho, ho, tourelouribo,
Sauvons-nous tous à la nage
Ho, ho, tourelouribo.
Scène xviii
Médée seule
Le théâtre change, et représente le palais de Créon.
Air : Ce n’est point par effort qu’on aime
Malgré ma fureur implacable
D’effroi tous mes sens sont glacés !
En vain sur un époux coupable,
Tous mes traits vont être lancés,
Je suis plus méchante qu’un diable,
Et je ne crois pas l’être assez.
Air : Il allait le trot, le trot
Brillant flambeau des cieux
Qui rends nos champs fertiles !
Ô toi sans qui les yeux
Nous seraient inutiles !
Soleil, permets, que de ton chariot,
Que de ton chariot,
Pour un moment je me fasse un brûlot ;
Que me voyant venir sur lui le trot, le trot, le trot,
Corinthe en feu brûle comme un fagot.
Mais pour m’exciter encore plus à la vengeance, ne ferais-je pas bien d’appeler les furies ? Non, elles me sont inutiles, et je ferai bien moi seule autant de bruit que quatre : faisons comme si elles y étaient.
airopera
Portons nos coups
D’intelligence,
Rien n’est si doux
Que la vengeance.
Mais j’aperçois mon coquin de mari : contraignons nous un moment, et faisons bien la doucette, pour obtenir de lui le moyen d’exécuter mon projet.
Scène xix
Jason, Médée
médée
Air : L’autre nuit j’aperçus en songe
Enfin voici l’instant funeste
Qui doit me séparer de vous,
Le souvenir de mon époux
Est l’unique bien qui me reste,
Du moins en me manquant de foi,
Souvenez-vous un peu de moi.
jason
Air : Car mon cœur n’est point partagé
Ma femme, consolez-vous,
Vous aurez de mes nouvelles,
Quand vous serez loin d’ici,
Je vous écrirai une lettre.
À propos, je ne sais pas écrire.
médée
Air : Les Filles de Montpellier
Ah ! Que cet éloignement
Sera cruel pour ma flamme ;
Que dans cet embrassement
Je soulage au moins, mon âme !
jason
Aïe aïe aïe
Aïe aïe, ma femme,
Ma femme, aïe aïe aïe.
médée
J’espère que vous ne me refuserez pas la grâce que je vais vous demander.
jason
Oh ! N’en douter point ! un mari peut-il rien refuser à sa femme quand elle s’en va ? Parlez, ma mignonne, de quoi s’agit-il ?
médée
Permettez, mon fils, que ma petite famille me suive.
jason
Mes enfants ? Oh pour cela non, ils sont trop bien ici ; Créuse les aime, comme s’ils étaient à elle, et ils appellent déjà Créon leur grand-père.
médée
Hé bien, soit.
airvide
Tout comme il vous plaira
Larira
Tout tout comme il vous plaira.
Elle s’en va, et revient sur le champ.
Puisque vous ne voulez pas qu’ils m’accompagnent,
Air : Les Filles de Nanterre
Ah ! Pour dernière grâce
Conduisez-moi près d’eux,
Qu’au moins je les embrasse,
C’est tout ce que je veux.
jason
Ce que vous demandez est raisonnable, j’y consens ; mais allez-y toute seule, car j’ai le cœur si tendre, que je ne pourrais m’empêcher de pleurer.
médée
Air : Jean, tu t’en vas
Adieu, Jason, vous ne m’aimez donc plus,
J’ai fait pour vous toucher des efforts superflus.
Adieu.
jason
Bonsoir.
médée
Adieu, mon cher... Jusqu’au revoir.
Scène xx
Créuse, Jason
jason
Air : Sont les garçons du Port-au-Blé
Médée abandonne ces lieuxbis
J’ai reçu ses derniers adieux.bis
Aurez-vous encore l’injustice
D’accuser mon cœur d’artifice ?
Créuse
Air : Vous m’entendez bien
Seigneur j’ai tout appris du Roi,
Enfin vous allez être à moi.
jason
Notre amour dans Corinthe,
Créuse
Hé bien
jason
Va s’expliquer sans crainte,
Vous m’entendez bien.
Que je suis heureux ! Me voilà délivré de ma femme.
Créuse
Elle est encore ici, et je ne suis pas tranquille.
jason
Ne craignez rien ;
Ensemble, ensemble
Air : Anneton vole, vole
Tendre amour vole, vole.
Créuse
À propos, pendant que nous nous amusons à chanter, je ne songe pas que mon père est fort embarrassé : il s’est avisé de faire un serment qui n’était pas fort nécessaire, puisque Médée est encore ici, malgré la règle des vingt-quatre heures.
jason
C’est une licence qu’elle a prise... Mais j’aperçois Créon : qu’a-t’il donc ? Il me paraît fâché.
Créuse
Ciel ! Comme il a les yeux égarés !
Scène xi
Créon, Gardes, Créuse, Jason
Créon
Air : Ouverture de Bellérophon
Démons qui causez mon effroi,
Sachons pourquoi
Vous venez m’insulter chez moi.
Air : L’autre jour à sa table
Où suis-je ? Le Ténare,
Le Styx, le Phlegeton,
L’Achéron,
L’Hérèbe, le Tartare,
Cerbère, et cætera
Ah ! que vois-je ici ! Ah ! que vois-je là !
jason
Ah !
Le bonhomme en tient là.
Créuse, allant au-devant de son père
Air : Belle brune
Ah ! Mon père,
Ah ! Mon père,
Créon, la prenant pour Médée
Quoi Médée en ces lieux !
Je te revois donc, sorcière ?
Créuse
Ah ! Mon père,
Ah ! Mon père,
Créon
Air : L’hôtesse de céans.
Tu parais ici malgré mon serment !
Je ne passerai plus que pour un bas Normand.
Que dira-t’on de moi ?
Je suis un plaisant Roi !
jason
Cela vous apprend bien
À ne jurer de rien.
Créon
Air : Songes funestes d’Atys
Ne pense pas te soustraire à mes coups,
jason
Ô Ciel ! Que faites-vous.
Créon
Je veux lui donner la mort,
Tiens, voilà ton passeport.
jason
Ceci devient un peu fort.
Créon
Qui s’oppose à mon transport ?
Et quoi des lutins encore !
Astaroth, Couplegor,
Belphégor
Pour m’arrêter tout l’Enfer prend l’essor.
Je meurs d’effroi,
Sauvons le Roi,
Je traîne tous les diables après moi.
Il s’en va.
jason
Gardes, conduisez Créon aux petites maisons.
Créuse
Quel ordre donnez-vous ! Ah ! Mon cher Jason courons plutôt à son secours.
Créuse entre dans le Palais, Jason y veut entrer, les portes se ferment.
jason
Attendez, ma bouchonne : je vous suis, mais que veut dire ceci ? On me ferme la porte au nez. Créuse, Créuse.
Air : Ouvrez-moi la porte, petite Nanon
Ouvrez donc la porte
À votre Jason.
Créuse, Créuse ! elle ne répond rien.
Le palais de Créon paraît tout en feu.
Que vois-je ? Le feu est à la maison : ma foi je suis bienheureux de n’y être pas entré... Au feu, au feu.
Scène xii
Jason, Médée
Médée paraît dans les airs dans un petit phaéton tiré par deux chiens ; un petit diable lui sert de cocher.
médée
Air : Flon, flon
Jason prenez courage,
Quoi vous n’osez entrer,
Pour votre mariage
J’ai fait tout préparer
Flon, flon
Larira don daine :
Guai guai
Larira don dé.
jason
Ah ! la chienne, elle se moque encore de moi, ma chère Créuse, qu’êtes-vous devenue.
médée
Air : Robin turelure
Elle brûle en ce moment
De la flamme la plus pure,
Va lui porter mon enfant
Turelure
De l’onguent pour la brûlure
Robin turelure.
jason
Et mes enfants, qu’en as-tu fait ?
médée
Va, va, ne t’en embarrasse pas ; ils n’étaient point à toi.
jason
Ah ! Ventrebleu, je suis au désespoir, tu ne mourras que de ma main.
Air : On vous en ratisse
C’en est trop veille guenon,
De ta noire trahison,
Il faut que je te punisse.
médée
Voyez comme il m’atteindra,
On vous en ratisse,
On vous en ratissera.
Le char de Médée se perd dans les nues.
jason
Ma carabine, que je la tire au vol.
Fin