Taconet
Nostradamus
Parodie de Zoroastre
Représentée pour la première fois à la Foire Saint-Germain
1756
Acteurs
Nostradamus, mathématicien
Laensbergh, mathématicien
Aigrefine, année passée
Follette, année précédente
Gaillardin, ami de Laensbergh
De La Pierre, ami de Nostradamus
Alix, servante de Nostradamus
Troupe de colporteurs
La scène est aux portes de Paris.
Nostradamus
Le théâtre représente la campagne du coté de l’observatoire, que l’on voit dans le fond.
Scène i
Laensbergh, Gaillardin
gaillardin
Air : Damon, calmez votre colère
Quelle nouvelle prophétie
Vous brouille avec Nostradamus ?
Qui de vous, suit la jalousie ?
Vos almanachs sont bien vendus :
L’un et l’autre fait des merveilles.
Qui sait lequel ment de vous deux ?
Votre nom vole jusqu’aux Cieux :
Il ne manque au fruit de vos veilles
Que d’être d’accord.
laensbergh
Vois donc si j’ai tort.
Air : Du haut en bas
Du bas en haut,
Il met toute l’année entière,
Du bas en haut,
Il promet du froid pour du chaud ;
Mais la faute la plus grossière,
C’est qu’il a placé le tonnerre,
Du bas en haut.
Air : Trembleurs
C’est pour en tirer vengeance,
Que dans ces lieux par avance,
Je te fais la confidence
Du piège que je lui tends.
Oui, je prétends satisfaire
Les transports de ma colère ;
Pour l’accabler, je vais faire
Et la pluie et le beau temps.
gaillardin
Air : Le seigneur Turc a raison
Je ressens au fond du cœur
Des douceurs parfaites.
On ne peut pour notre honneur,
S’arranger mieux que vous faites.
laensbergh
Je connais un Procureur,
Capable dans sa fureur,
D’assigner les planètes.
Air : Je vous prêterai mon manchon
Tu dois servir mon stratagème :
La gloire est commune entre nous.
La nouvelle année, elle-même,
Doit sentir le poids de nos coups.
L’ingrate aussi s’arme contre mon style :
Après l’avoir fait bissextile,
Elle a changé
Et dérangé
Mon méridien.
Je suis mathématicien ;
Mais je n’y comprends rien.
gaillardin
Air : Monsieur de Grimaudin
Faisons pleuvoir à tasse pleine,
Toute la nuit,
Afin que demain on la prenne
Au saut du lit :
Et nous l’enfermerons soudain
Dans mon château de Gaillardin.
laensbergh
Air : Voulez-vous être heureux amants
La dernière année en ces lieux,
Ce matin m’a donné parole.
gaillardin
Elle vient ; demeurez tous deux,
Car je n’ai plus rien dans mon rôle.
Il sort.
Scène ii
Laensbergh, Aigrefine
laensbergh
Air : Des fraises
Ma chère, vous connaissez
L’embarras où nous sommes.
Les astres mal dispersés,
Verront les beaux jours passés
Sans pommes, sans pommes, [sans pommes].
aigrefine
Air : Cet oracle est plus sûr
Je sens comme vous nos alarmes.
La nouvelle année a des charmes.
Mais à mon tour il faut que je cède le pas.
Ce qui me rassure et me venge,
C’est que dans neuf mois on la change.
Cet Oracle est plus sûr que celui de Calcas.
laensbergh
Air : Mirliton
Nostradamus seul m’inspire
Un jaloux ressentiment.
En tous lieux il me déchire
Et me prend apparemment
Pour un mirmidon,
Mirmidaine,
Pour un mirmidon, dondon.
aigrefine
Air : Valet chez une fermière
Jalouse de l’avantage
Que ma rivale a sur moi,
La haine me dicte sa loi.
Qu’un astrologue est volage !
Nostradamus inconstant,
Comble Follette de beau temps.
Déjà le retour de Flore
L’embellit et la décore ;
L’hiver est au berniquet :
La fleur s’empresse d’éclore
Dans son joli jardinet.
laensbergh
Air :
Bientôt vous les verrez à mains jointes,
Implorer en vain notre pitié.
Mon compas eut toujours quatre pointes ;
Partageons tous deux par la moitié.
Pour servir dans l’occasion,
Je vous laisse le porte-crayon.
Bientôt vous les verrez à mains jointes,
Implorer en vain notre pitié.
ensemble, ensemble
Air : Ziste, zeste, zon, zon
Par l’espoir mon âme entraînée,
Aux soins ne se refuse plus :
Vengeons-nous de Nostradamus,
Et de toute l’année.
Qu’il fasse du beau temps, oh non,
N’approfondissons point le reste.
Ziste, zeste, zon, zon, zon,
Moquons-nous du quand dira-t-on !
aigrefine
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Mais la nouvelle année avance
Sur les pas des sots compliments,
Et ne fait plus la différence
Des ennemis et des parents.
laensbergh
Air : Vous m’entendez bien
Évitons de fâcheux témoins,
Qui pourraient nuire à tous nos soins.
Je saurai la surprendre.
aigrefine
Fort bien.
Quand on se fait entendre,
J’entends toujours bien.
Ils sortent.
Scène iii
Follette seule
follette
Air : Dans ma cabane obscure
Je ne suis plus la même,
Depuis que dans ce lieu,
Le seul objet que j’aime,
Vint pour me dire adieu.
Le Soleil m’importune,
Quand je ne te vois plus :
Reviens avant la lune,
Mon cher Nostradamus.
Air : Votre cœur, aimable Aurore
Je n’entends plus sur la branche,
Le chant des tendres oiseaux.
Il a plu depuis dimanche ;
Pour mon amant, quels travaux,
S’il faut qu’il paye la planche,
Pour passer les grands ruisseaux !
Air : À quoi s’occupe Magdelon
Que l’année a peu de beaux jours !
Quand on espère sans cesse,
Que l’année a peu de beaux jours !
Quand on espère toujours.
Je ne puis passer les instants,
Sans l’objet de ma tendresse,
Je ne puis passer les instants,
Sans dire de temps en temps,
Que l’année a peu de beaux jours,
La nuit annonce une éclipse de Soleil.
Air : Voici les dragons qui viennent
Mais, quelle éclipse à la ronde !
Non, rien n’est pareil.
Que faut-il que je réponde ?
J’ai promis à tout le monde,
Un beau Soleil, un beau Soleil.
Scène iv
Follette, Aigrefine
aigrefine
Air : Ciel ! l’Univers
C’est trop longtemps épargner ma rivale :
N’écoutons plus que mes transports jaloux.
Qu’au moins la vengeance égale
Le mépris qu’on fait de nous.
Mais je n’étale
Que du courroux.
Depuis plus de deux mois,
J’en veux sans cesse
À la traîtresse,
Et je la laisse
Jouir de mes droits.
follette
Air : Je viens devant vous
Quel est mon forfait ?
Et qu’ai-je fait ?
Qui vous outrage ?
Que puis-je sitôt ?
Je ne suis encore qu’en maillot.
aigrefine
C’est assez pour armer mon courage.
On manque à tout âge.
De Nostradamus,
N’espère plus
Voir l’avantage.
Il me pousse à bout,
Mais je vais lui river son clou.
follette, à part
Air : Raisonnez ma musette
O Ciel ! prends sa défense.
Tu connais sa science :
Donne pour les combats,
Le fil de son compas.
Air : Joconde
N’avez-vous pas eu votre tour
Avec plus d’avantage ?
Un Prince vient de voir le jour\footnote Naissance de Monseigneur le Duc de Berry. :
Quel plus heureux partage.
Si lorsqu’on reçoit cet honneur,
Chacun nous porte envie :
Je souhaite de tout mon cœur,
Causer la jalousie.
aigrefine
Air : Monsieur de Catinat
Perfide, il te sied bien de me braver ici.
On est sûr de sa grâce, en s’excusant ainsi.
Si je me plains de toi, c’est dans tes trahisons ;
Que ne m’as-tu toujours donné de ces raisons ?
Air : Entre l’Amour et la Raison
Mais il n’est point dans ton logis,
Jusqu’à votre servante Alix,
Qui ne se mêle de médire
Sur l’almanach de l’an passé.
Si mon cœur paraît courroucé,
Je crois que cela doit suffire.
follette
Air : L’occasion fait le larron
Malgré l’orgueil de vos mathématiques,
Nostradamus est bien au dessus d’eux :
Leur plus haut vol, c’est l’appui des boutiques ;
Le sien s’élève jusqu’aux cieux.
aigrefine
Air : Polichinelle
Me répondre avec cette audace !
Je dois m’en venger dès ce jour.
On n’a pour moi que de la glace ;
Je veux que tu gèles à ton tour.
Air : Ramonez-ci, [ramonez-la]
Venez servir ma vengeance,
Victimes de l’indigence,
Que l’année offre au destin,
Saisissez-la,
Conduisez-la,
Enfermez-la,
Dans la cave à Gaillardin.
Scène v
Gaillardin, Chœur de Colporteurs, Follette, Aigrefine
colporteurs
Air : la Turque
Nous obéissons,
Car la misère nous assomme,
Nous obéissons,
Et sommes pis que des démons.
Nous ne vendons pas
La valeur d’un coup de rogomme,
Nous ne vendons pas
La moitié de nos almanachs.
Et en, et en, et
Enfin il est temps
Que nous nous vengions,
Car la misère nous assomme,
Que nous nous vengions,
Nous sommes pis que des démons.
follette, qu’on emporte
Air : la Béquille
Au secours ! au secours !
À l’aide ! l’on m’emporte.
aigrefine, aux colporteurs
Enlevez-la toujours :
Et fermez bien la porte.
Sans fenêtre ni grille,
Elle ne pourra pas
Retrouver la béquille
Du père Barnabas.
Elle sort.
\scene[Le théâtre change et représente une place publique. On voit dans le fond, les dehors du château de Gaillardin.] Nostradamus
tenant une lunette d’approche
nostradamus
Air : Dans le bel âge
De mon étoile,
J’ai lieu d’être content.
Tout se dévoile
À mon art pénétrant.
Qu’on apprenne en ces lieux,
Quel bon vent jusqu’aux cieux,
M’a conduit à la voile.
Éblouissons les yeux
De mon étoile.
Air : Attendez-moi sous l’orme
Cependant quand j’y pense,
Mon cœur ne craint pas moins
Que pendant mon absence
On ait trahi mes soins.
L’Année est bien folâtre
Dan ses premiers désirs :
On en est idolâtre
Jusqu’aux derniers soupirs.
De la Pierre fait claquer son fouet dans la coulisse.
Scène vi
Nostradamus, De la Pierre
nostradamus
Air : Babet, que t’es gentille
Quel est ce bruit confus ?
Ah, mon cher De la Pierre !
De La Pierre
C’est pour Nostradamus,
Que je mets pied à terre.
D’où diable viens-tu ?
Depuis qu’on t’a vu,
Une année est passée.
nostradamus
J’avais affaire aux Éléments :
Et pour vouloir avec le temps,
Faire entendre raison aux vents,
J’ai la tête cassée.bis
De La Pierre
Air : De tous les capucins
Le temps que tu fus chez Borée,
Fit du tort à ta chicorée.
Mais, j’ai le remède à tes maux.
À ton honneur, le mien se borne.
J’ai monté sur mes grands chevaux,
Pour combattre le Capricorne.
nostradamus
Air : La chaîne, contredanse
Par quelque nouvel outrage,
Veut-on me pousser à bout ?
De La Pierre
Ne faisons point de tapage :
Et je te réponds du tout.
Il faut déloger, sans tambour, ni trompette.
Viens, et te jette
Sur ma mazette.
Courrons au plus tôt
Tirer du cachot,
Notre innocente Follette.
nostradamus
Air : Aïe ! aïe ! aïe ! Jeannette
Que viens-tu m’apprendre là ?
Ah ? malheureuse planète !
Puis-je encor après cela,
Fixer vers toi ma lunette.
Aïe ! aïe ! aïe !
Aïe ! aïe ! aïe ! Follette,
Follette, aïe ! aïe ! aïe !
De La Pierre
Air : Un inconnu
Rassure-toi, je ferai ton affaire :
Des ennemis, je saurai disposer.
Leur ton sévère
Va s’apaiser.
Contre un bourgeois, ils pourraient s’opposer,
Un gentilhomme est un autre adversaire.
nostradamus
Air : Manon dormait
Dans mon malheur,
J’aurai trouvé main forte.
Un Procureur
Demeure à cette porte,
Mais je n’ose, ma foi...
De La Pierre
Pourquoi ? pourquoi ?
nostradamus
Je n’ai pas un denier sur moi.
De La Pierre
Air : Saint-Cloud
J’ai dans ma malle une échelle
Pour sortir de l’embarras.
Va te mettre en sentinelle :
Bientôt je suivrai tes pas.
Prends garde qu’on ne t’écoute.
Aujourd’hui chez Gaillardin,
Je veux t’ouvrir une route,
Pour pouvoir goûter son vin.
nostradamus, l’embrassant
Air : la Magnotte
Pour reconnaître amplement,
L’amitié qui te lie :
Je ne veux pas seulement
Te remplir de génie,
Mais de la pro, mais de la pro,
Mais de la prophétie.
De La Pierre
Air : Confiteor
Sans intérêt je prends ces soins.
Mais sortons, car l’heure s’avance.
Pour le machiniste, du moins,
Ayons un peu de complaisance.
Pour mieux nous prêter au sujet,
Attendons le coup de sifflet.
Ils sortent d’un coté, Nostradamus rentre seul de l’autre.
Scène vii
Nostradamus seul
nostradamus
Air : Quel désespoir !
Qu’un tendre cœur,
Quand il craint tout pour ce qu’il aime,
Qu’un tendre cœur
Éprouve un sort plein de rigueur.
Mon pouvoir suprême
Dispose du Soleil même :
Mais l’Amour extrême
Ici me fait trembler de peur.
Qu’un tendre cœur etc.
Scène viii
Nostradamus, De la Pierre
De La Pierre, apporte une échelle de corde
Air : La farira dondaine, gai !
Avec ce gradin,
Je monte à la Lune :
Pour notre dessein,
C’est une fortune.
nostradamus
Bon,
La farira dondaine, gai !
La farira dondé.
De La Pierre
Air : Pour voir un peu comment ça fra
Lâche l’échelle, et la tiens bien ;
Ce soupirail nous est utile.
nostradamus
Lâcher et tenir ? le moyen
Me paraît un peu difficile.
De La Pierre
Fais toujours ce qu’on te dira,
Pour voir un peu comment ça fra.
nostradamus, lâchant l’échelle par le soupirail
Air : Enfants de Paris
Toi, qui cause tout mon souci,
Es-tu là bas ? je suis ici.
Follette ? Follette ?
follette, dans la cave
Air : Mon joli petit [cœur]
Mais, qui m’appelle dans la rue ?
nostradamus
Méconnais-tu la voix de ton amant ?
Ma Follette, as-tu la berlue ?
Vois cette échelle et monte promptement.
follette
Je vous obéis de bon cœur,
Mon joli petit, mon petit joli,
Mon joli petit protecteur.
Elle sort par le soupirail.
Scène ix
Nostradamus, De la Pierre, Follette
follette
Air : Ah ! Maman, que je l’échappai belle !
Ah ! pour le coup, je l’échappai belle !
Par votre secours,
Je dois mes jours
À cette échelle.
Ah ! pour le coup, je l’échappai belle !
Une heure plus tard,
Les rats me prenaient pour du lard.
nostradamus
Air : Ça, que je te mette
Viens çà qu’on te mette,
Charmante Follette,
Viens çà qu’on te mette,
Plus en sûreté.
De ta liberté,
Tu nous dois la conquête.
Viens çà, etc.
follette
Air : Sans le savoir
Je ne reviens point de la crainte
Que me cause ce labyrinthe.
Si vous saviez comme il est noir :
Pour un instant, je vous en prie,
Descendez, vous pourrez le voir.
De La Pierre
Nous nous passerons bien, ma mie,
De le savoir.
follette, à Nostradamus, en le caressant
Air : Pour passer doucement la vie
Malgré l’excès de ma tristesse,
Je parlais de vous, nuit et jour.
nostradamus, à De la Pierre
L’oreille me cornait sans cesse :
C’est la preuve de son amour.
De La Pierre
Air : Lustucru
Oui, d’une tendresse extrême,
C’est une preuve en effet.
Le mot de corne pourrait
Renfermer plus d’une emblème :
Mais si l’un de nous cornait,
C’était Follette à merveille,
Mais si l’un de nous cornait,
C’était Follette au guichet.
follette
Air : Vous avez raison, la Plante
J’aime assez qu’on me badine :
Il est bon sur ce ton-là,
Larira.
aigrefine, dans la coulisse
Arrête ! arrête ! Ah ! coquine,
Bientôt l’on te rejoindra,
Tu verras.
De La Pierre
Sauvons-nous, c’est Aigrefine.
M’attrapera qui pourra.
De la Pierre s’enfuit en faisant claquet son fouet. Nostradamus et Follette le suivent.
Scène x
Laensbergh, Aigrefine, les colporteurs
colporteurs, ensemble
Air : Lampons, lampons
Voyons partout avec soin.bis
Mais ils sont déjà bien loin.bis
Quelque détour me les cache :
Qu’à les trouver on s’attache.
Cherchons, cherchons,
Camarades, cherchons.
Les colporteurs sortent.
laensbergh, à Aigrefine
Air : Nous autres, bons villageois
Mais ne vous trompez-vous point ?
Était-ce bien notre Follette ?
aigrefine
Soyez d’accord sur ce point,
Qu’on ne peut mieux voir sans lunette.
Je n’eus pas besoin de chercher
De quoi me les rapprocher.
Comme j’ai vu tous les objets,
On ne peut les voir de plus près.bis
Gaillardin rit avec éclat, en montant par le soupirail, une chandelle à la main.
laensbergh
Air : Adieu, paniers, [vendanges sont faites]
Cette joie est des plus parfaites,
Mais n’a point de charmes pour moi.
Apercevant Gaillardin appuyé sur le soupirail.
Mon cher Gaillardin, est-ce toi ?
gaillardin, sortant du soupirail, riant
Adieu paniers, vendanges sont faites.
Scène xi
Laensbergh, Aigrefine, Gaillardin
gaillardin
Air : Turelurelure, flon, flon
J’ai trouvé le nid,
Mais tout dégarni.
On peut déloger de la sorte,
Sans forcer ni fenêtre ni porte.
Pour se tirer d’un mauvais pas,
On trouve l’esprit qu’on n’a pas.
Jeune fille avec des appas,
Sait toujours sortir de l’embarras,
Turelurelure, flon, flon, flon,
Chacun a son tour et son allure.
laensbergh
Air : Pierrots
Ah ! que n’ai-je aperçu plus tôt
Cette ouverture !
J’aurais, je vous jure,
Bien su prévenir le complot,
Qui me fait passer pour un sot.
Pour rendre la cave plus sûre,
Je n’aurais point pris celle de devant :
Et voilà comme, et voilà justement,
Comme elle a son élargissement.
aigrefine
Air : Pour héritage
Dans sa retraite,
Je ne m’en prends qu’à vous.
Si la Follette
Échappe à mon courroux,
Vous, qui n’osiez
Faire la sentinelle :
Mais je prétends sur cette échelle,
Que vous me vengiez.
Air : Ma commère, quand je danse
Je veux qu’en notre présence,
Le feu n’en laisse plus rien.
L’un par ci, l’autre par là,
La, la, la, la, la, la, la, la, la, la.
Elle apporte l’échelle au milieu du théâtre et y met le feu, en prenant Gaillardin d’un coté et Laensbergh de l’autre : ils dansent en rond.
tous trois, ensemble
Ma commère, quand je danse,
Mon cotillon va-t-il bien ?
laensbergh
Air : Maman, qu’est ce qu’ils faisaient donc
Pour vous prouver combien je prends
Intérêt à votre vengeance,
Des astres les plus malfaisants,
Je vais emprunter la puissance.
aigrefine
Pour les démons,
Je t’en réponds,
Ainsi que des furies ;
Les voisines des environs,
Sont mes bonnes amies.
Ils sortent.
\scene[Le théâtre change et représente comme au commencement de la pièce.] Nostradamus, Follette, bergers et bergères
qui se réjouissent du retour de la nouvelle année
nostradamus
Air : Mon père, aussi ma mère
Tu vois, chère Follette,
Ces bergers te chérir,
Et courir
Au son de la musette ;
Faire pour ton plaisir,
Coussi, coussa, asterla,
Les bons amis que voilà.
Une bergère danse, un berger chante.
Air : Dans nos hameaux, la paix [et l’innocence]
On peint l’Amour dénué de ses charmes,
Quand on nous dit qu’il est trop dangereux.
Tel qui nous croit épargner bien des larmes,
Conduit nos pas vers les soins amoureux.
Les yeux charmants d’un objet qu’on adore,
Des plus beaux jours présente la clarté :
Et l’année est toujours à son aurore,
Quand on la passe auprès de la beauté.
Le tonnerre et la grêle annoncent un orage ; les bergers se sauvent.
nostradamus
Air : Ne v’la t-il pas que j’aime
Le temps se plaît à me trahir :
Et le diable s’en mêle.
C’est assez qu’on veuille sortir,
Ne v’la t-il pas qu’il grêle !
Air : Tes beaux yeux, ma Nicole
Il faut, chère Follette,
Changer notre logis.
Fais porter ta cassette
Par ma servante Alix ;
Va dans l’Observatoire,
Goûter la liberté :
Ici, je ne puis croire
Tes jours en sûreté.
follette
Air : Je veux être son époux
J’y consens quoiqu’à regret.
C’en est fait,
Je vais faire mon paquet :
Oui, cher amant, je te quitte,
Mais suis-moi tout au plus vite.
Ils s’embrassent. Elle sort.
Scène xii
Nostradamus seul
nostradamus
Air : Quel voile importun [le couvre]
Quel fâcheux rival me gène !
Ne puis-je, grands Dieux !
M’éclipser de ces lieux ?
Mais, toi, l’objet de ma peine,
Chère année, au moins
Profites de mes soins
Pour te rendre utile à la terre.
Du Soleil je fixe le cours,
Malgré les vents et le tonnerre,
C’est moi, qui prends le soin de tes jours.
Quel fâcheux, etc.
Nostradamus t’ordonne
De choisir un autre séjour :
Tu nous inspires trop d’amour,
Pour que l’on t’abandonne.
Quel fâcheux, etc.
follette, derrière le théâtre
Air : L’Amour me fait lon, lan, la
La peur me fait lon, lan, la,
La peur me fait mourir.
nostradamus
N’entends-je pas Follette,
Dans ces lieux revenir ?
Dans quel trouble me jette
Ce nouveau déplaisir ?
follette, entre, soutenue par Alix
La peur me fait etc.
Air : Tout roule aujourd’hui dans le monde
À peine le pas de la porte
Était-il loin de nos talons,
Qu’on nous arrête et qu’on nous porte,
La tête dans nos cotillons.
En vain on voudrait à la piste,
Pouvoir vous suivre d’un peu plus près :
Et sans un accident plus triste,
C’était fait de nous pour jamais.
Air : Voulez-vous savoir l’histoire
J’étions près de la rivière,
Et quasi dedans,
Quand le cheval en colère,
Pris le mors au dents :
Puis frappant contre une butte,
Près du parapet,
Je vis faire la culbute
Au cabriolet.
nostradamus, à Follette
Air : Je ferai mon devoir
Tombant avec nos ennemis,
N’as-tu rien de démis ?bis
follette
Non, par bonheur ils vont sans nous
Aux filets de Saint-Cloud.bis
alix
Air : La bonne aventure, ô gué
Chacun voyant le danger,
Cherche à s’en exclure :
Mais le sort pour vous venger,
Les empêcha de nager.
tous trois, ensemble
La bonne aventure, ô gué !
la bonne aventure.
nostradamus
Air : Le démon malicieux
Quel éclat se répand dans ces lieux ?
Je crois voir descendre tous les Dieux.
Scène xiii
Nostradamus, Follette, Alix
nostradamus
Air : La jeune bergère
Quel sujet, ma chère,
Vous a mis comme vous voilà ?
Ma petite mère,
Contez-moi çà.
alix
Mais à la moutarde,
Je vois que vous vous amusez :
Plus le secours tarde,
Plus vous l’exposez.
Air : Sous un ormeau
Dans ce flacon,
J’ai de quoi mettre à la raison
Les plus obstinés.
Avalez-en par le nez :
Elle jette tout au visage de Follette.
T’nez.
Il faut pour plus d’effet,
Lui délasser un peu son corset.
Mais elle ouvre les yeux.
follette
Air : Ah ! Je sens que je suis un peu mieux
Je n’étais plus,
Sans vous mon cher Nostradamus,
Mon cœur s’éteignait,
Et s’en était tout à fait
Fait.
nostradamus
Air : Voilà la différence
Je vous croyais loin d’ici ;
Et j’allais partir aussi :
Voilà la ressemblance.
alix
Oui, mais sur le grand chemin,
On vous enleva fort bien :
Voilà la différence.
J’aperçois par un signe céleste,
Le temps lui-même embellir les saisons,
Et sa faux, bien loin d’être funeste,
Va nous servir aux fécondes moissons.
Scène xiv
Nostradamus, Follette, Alix
alix
Air : Va, va, Fanchon, j’irai en salle
Ma foi, le temps est un bon diable,
De nous protéger jusque-là.
On ne voit rien de plus affable
Parmi les chœurs de l’Opéra.
follette
Air : Quand la mer rouge apparut
Goûtons des amants heureux,
Les flammes nouvelles.
L’année est un jour pour eux,
Quand ils sont fidèles.
nostradamus
Oui, je veux pour tes appas,
Laisser lunette et compas.
Je suis vo, vo, vo ; je suis lon,lon, lon ;
Je suis vo, je suis lon ;
Je suis volontaire
Du Dieu de Cythère.
divertissement, Ballet des quatre saisons
L’HIVER, une ravaudeuse, un chaudron à la main.
LE PRINTEMPS, une bouquetière.
L’ÉTÉ, un savetier, un tranchet à la main au lieu de faucille.
L’AUTOMNE, un colporteur de chansons, jouant du violon ; ayant des bouteilles d’osier autour de lui, en forme de ceinture, pour faire boire tous ceux qui lui achètent.
Fin