Anonyme
Parodie de Pyrame et Thisbé
BnF ms. fr. 25480
Parodie de Pyrame et Thisbé
Scène i
thisbé, zoraïde
thisbé
Air : De quoi vous plaignez-vous, belle Iris, quand on vous aime
De quoi vous plaignez-vous,
Adorable Zoraïde,
De quoi vous plaignez-vous
zoraïde
Ah, mon cœur est jaloux.
thisbé
Quoi, Ninus serait perfide ?
zoraïde
C’est ce qui fait mon courroux.
thisbé
Ah, que me dites-vous,
Adorable Zoraïde,
Ah, que me dites-vous ?
zoraïde
Oui, mon cœur est jaloux.
Air : Cahin-caha
Dans ma jeunesse
Le beau Ninus disait
Que son cœur m’adorait,
Et qu’il m’épouserait,
Et pour moi qu’il aurait
Toujours de la tendresse.
Aujourd’hui ce n’est plus cela,
Il fuit, il m’évite,
Le cruel me quitte,
En vain mon mérite
Et mon feu l’excite,
Son amour va cahin-caha.ter
thisbé
Air : Ô gué, lan la landerirette, ô gué, lan la danrerira
Vous avez une rivale,
Ninus éteint son ardeur,
Et quelle est la martingale
Qui vous a ravi son cœur ?
zoraïde
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Hélas, je tremble à vous le dire
C’est..
thisbé
Madame, achevez, qui ?
zoraïde
Vous.
Vous seule causez mon martyre.
thisbé
Ah ! Madame, rassurez-vous !
Air : Un mitron de Gonesse
Ne craignez point sa flamme,
Un autre a mes amours.
S’il veut tenter mon âme,
Je lui dirai toujours :
C’n’est pas pour vous
Que le four chauffe,
C’n’est pas pour vous
Qu’on cuit chez nous.
J’aime le jeune Pyrame, c’est un enfant de famille de notre quartier. Nos maisons étaient voisines, mais comme c’était un égrillard, on ne voulait pas que nous nous vissions. Savez-vous ce que nous fîmes ? La muraille mitoyenne était vieille, nous y pratiquâmes une fente et par là nous exprimions notre mutuelle ardeur.
Air : Robin turelure
Notre amour se cimenta,
Turelure,
Au travers de l’ouverture,
Robin turelure lure.
zoraïde
Mais pouviez-vous l’entendre par un si petit trou ? Sa voix est bien grosse pour passer par là !
thisbé
Oh, ce n’est que depuis peu qu’on s’est avisé de lui faire chanter la basse-taille, car Pyrame est un jeune homme qui ordinairement a la voix fort délicate. Enfin, nous nous entendions à merveille et nous nous aimions à la folie. Faut-il que Ninus trouble une si belle union ?
zoraïde
Cela arrive toujours ainsi : dès qu’un jeune guerrier aimable est épris d’une princesse, le roi en devient amoureux, et cela les met en peine pendant quatre ou cinq heures. Mais voici le roi, éloignons-nous.
Scène ii
ninus, pyrame
ninus
Depuis que tu es parti, mon cher Pyrame, je suis devenu amoureux.
pyrame
Quoi, Seigneur, vous abandonneriez Zoraïde ! Songez à la puissance de son père, qui est le premier sorcier que l’on ait vu.
ninus
Cela ne m’empêche pas d’aimer. C’est Thisbé qui m’a ravi mon cœur, je lui ai découvert mon amour et je lui ait dit :
Air : L’autre jour, me promenant
L’autre jour me promenant,
Ah, Thisbé, je vous aimerai tant !
J’entrai dans votre appartement,
Je vous vis, je vous veux, je vous aimerai tant,
Ah, Thisbé, je vous vois, je vous aime,
Si je vous ai, je vous aimerai tant.
pyrame
Air : Menuet de Monsieur de Grandval
Seigneur, à votre tendre flamme
Son cœur répond-il sans façon ?
ninus
C’est ce qui me chiffonne l’âme,
Elle ne dit ni oui, ni non.
pyrame
Vous voilà bien avancé.
ninus
Mais pour changer de discours, vous vous êtes bien conduit dans la guerre, je veux vous faire roi.
pyrame
Moi, Seigneur ? Vous vous moquez ! Je n’ai pas assez d’esprit pour cela.
Air : Je suis un bon soldat, titata
Je suis un bon soldat
Titata
Tout cède à mon courage,
Mais, Seigneur, être roi,
Par ma foi,
C’est bien un autre ouvrage.
ninus
Air : Flon, flon
Acceptez la couronne
Que je veux vous donner,
C’est Ninus qui l’ordonne,
Pyrame,allez régner !
Et flon flon larira dondaine
Flon, flon larira dondon.
Je vous le dis pour la troisième fois, je veux que vous alliez rendre heureux les peuples que vous avez soumis.
pyrame
Mais, Seigneur, vous m’envoyez régner comme si vous m’envoyier dans l’antichambre. Donnez-moi donc du moins des lettres de recommandation pour ce pays-là et de l’argent pour faire le voyage.
ninus
Oh, oh ! Vous ne voulez pas être roi ! Il faut qu’il y ait quelque chose là-dessous. Vous irez en prison. Allez, gardes, qu’on l’emmène !
Scène iii
ninus, zoraïde
zoraïde
Que faites-vous Ninus ? Quelle injustice de traiter ainsi ce pauvre garçon !
Air : Ne m’entendez-vous pas
Ne vaudrait-il pas mieux,
Cœur ingrat et volage,
Me prendre en mariage
Que de troubler les feux
De deux cœurs amoureux ?
Mais, Prince, vous ne répondez rien, si vous restez ainsi, notre conversation ne sera pas longue.
ninus
Que voulez-vous que je vous dise ? Mon air triste vous marque assez que j’en suis fâché, mais ce n’est pas ma faute.
Air : [Belle brune]le premier air – de Pierrot Romulus
Je vous laissebis
Exhaler votre douleur,
Et je vais voir ma princesse,
Je vous laisse.bis
zoraïde
Allez, Prince, faites comme il vous plaira. Thisbé me vengera de vos mépris.
Air : Noblesse n’est que vétille
Votre amour est inutile,
Jean Gille, Gille joli Jean
Thisbé, cette aimable fille,
Jean Gille, Gille joli Gille,
Gille joli Jean
Joli Jean Jean Gille,
Aime un autre amant.
Air : Pour la baronne
Le beau Pyrame
Est l’objet de tous ses souhaits,
Ne croyez pas fléchir son âme,
Elle ne quittera jamais
Le beau Pyrame.
ninus
Je ne m’embarasse guère de lui : il est à présent en prison, j’ai fort bien fait de l’y faire mettre.
Scène iv
zoraïde, thisbé
zoraïde
Je viens de parler à Ninus entre les deux guichets mais je n’ai rien avancé.
Air : La naturelle
Pour fléchir le fier Ninusbis
Mes soupirs sont superflus
Et ma menace est vaine.
Tous mes discours ne sont plus
Qu’onguent miton-mitaine.
thisbé
Quoi donc ? Il n’y a plus d’espoir ? Pyrame retera toujours en prison ?
zoraïde
Air : Trembleurs
Non, l’auteur de ma naissance,
Par sa magique puissance,
Peut troubler tout l’univers ;
Par son art incomparable,
Ce magicien redoutable
Peut faire sortir le diable
Du plus profond des enfers.
Mais je le vois paraître, demandons-lui la liberté de votre amant.
Scène v
zoraïde, thisbé, zoroastre
zoroastre
Rassurez-vous, Thisbé, je vous vengerai de Ninus : il abandonne ma fille, je ne saurais trop le punir.
zoraïde
Air : Je ne saurais, je suis encor trop jeunette
Quoique Ninus soit volage,
Ne le faites pas périr,
Il me fait un grand outrage
Et je tremble à le punir.
Je ne saurais
Le haïr, quoique volage,
J’en mourrais.
zoroastre
Air : Lon la
Ma fille, ayez plus de cœur,
Punissons ce séducteur.
C’est vous outrager
Que se dégager
Malgré votre constance.
Celui qui craint de se venger
Mérite qu’on l’offense, lon la,
Mérite qu’on l’offense.
zoraïde
Cette pensée-là n’est pas nouvelle. Il y a un vieux proverbe qui dit que qui se fait brebis, le loup le mange.
zoroastre
À propos de loup, savez-vous bien que c’est en faisant manger ses peuples par les monstres que je prétends avoir raison de Ninus ? J’en ai déjà lâché un à leurs trousses qui les fait crier comme des perdus.
thisbé
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Quoi, vous voulez punir ce prince
En nous faisant manger des loups !
C’est une vengeance bien mince
Pour un grand sorcier comme vous.
zoroastre
Vous ne pensez pas juste, c’est punir un roi que de faire périr ses sujets.
thisbé
Ces pauvres gens ont bien affaire de cela ! Pour Pyrame, les monstres ne le mangeront pas, car il est bien enfermé.
zoroastre
Laissez faire, nous le ferons sortir, mais après cela, que le Ciel vous conduise, je n’en réponds plus.
zoraïde
Eh bien, voyons, avez-vous quelque crochet dans votre poche pour forcer la serrure ?
zoroastre
Oh, que non ! Je vais abattre toute la prison.
thisbé
Asseyons-nous un peu, pour voir cela à notre aise.
zoroastre
airnote, du Capucin
Esprits qui connaissez ma voix
Que Zoroastre vous rassemble !
Venez, venez, et que tout tremble,
Accourez tous, suivez mes lois !
Brisez les tristes fers du malheureux Pyrame,
Ouvrez ces cachots obscurs !
Rendez le prince à l’objet de sa flamme.
Que l’on perce, que l’on renverse,
Que l’on renverse ces vastes murs !
On joue l’air des Esprits aériens. Les uns dansent et les autres avec des marteaux montent sur les tours de la prison : un d’eux y pend une latte, comme quand on démolit un bâtiment. Ils crient \og Gare là-bas !\fg et toute la prison tombe.
Scène vi
pyrame, thisbé, zoraïde, zoroastre
pyrame
Ohimé, Monsieur Zoroastre, un mœllon m’est tombé sur le cou du pied, me voilà boiteux pour le reste de mes jours !
zoroastre
Vous êtes bien délicat !
pyrame
Air : des Feuillantines
Ma foi, vous auriez mieux fait
En secret
De faire ouvrir le guichet,
Car Ninus fera tapage
S’il entend\iter tout ce ravage.
thisbé
Il est vrai qu’il parlait tout à l’heure à votre fille dans cette cour, et il ne peut pas être bien loin.
zoraïde
Oh, les enchanteurs empêchent d’entendre le bruit qu’ils font.
pyrame
J’ai toujours peur qu’il ne revienne.
Air : Allons, allons, à la guinguette, allons
Pyrame sort
De dedans cette trappe,
Mais je crains fort
Que l’on ne nous rattrape,
C’est pourquoi décampons,
Allons, allons, allons, hors du royaume allons !
zoraïde
C’est le meilleur parti à prendre.
thisbé
Air : Tourelourirette
S’il faut que je fuie,
C’est bien hasarder,
L’amour m’y convie,
Mais j’ai mon tourelourirette,
Mais j’ai mon lanla derirette
Mon honneur à garder.
pyrame
Comment donc, Thisbé, vous craignez d’aller avec le plus honnête homme du monde !
Air : L’amour plaît malgré ses peines
Allez, votre crainte est vaine,
Ah, suis-je un homme sans foi ?
Il n’est point à la douzaine
Quatorze amants comme moi.
Je vous promets que nous nous marierons sans faute au premier village que nous trouverons. Si j’y manque, je veux qu’on démolisse encore une prison sur moi.
thisbé
Votre serment me rassure. Trouvez-vous au sortir de la ville, auprès de la grande justice où reposent nos ancêtres. Je mettrai le bagnolet que je me suis fait moi-même, de peur que le serein ne m’enrhume. Demain l’aurore ne nous trouvera pas dans ces lieux.
zoraïde
Allez, heureux amants, je vous souhaite un bon voyage.
pyrame
Nous ne verserons pas en chemin car nous irons à pied.
\scene[Le théâtre change et représente une solitude.] thisbé
seule
thisbé
Aimable dieu de Cythère
Guide mes pas dans ce séjour
Que ton divin flambeau m’éclaire
Pour chercher tourelourelour
L’objet de mon fidèle amour.
Air : Attendez-là, sous l’orme
J’attends ici Pyrame,
Ah, qu’il tarde longtemps !
La crainte dans mon âme
S’augmente à tous moments.
Peut-être je me forme
Mille vaines frayeurs,
Je l’attends sous cet orme,
Peut-être il est ailleurs.
chœur
Air : Voici les dragons qui viennent
Voici les lions qui viennent
Amis sauvons-nous.
thisbé
Air : En allant au bois du matin, branle
Juste Ciel quel affreux lion !bis
Il aura mangé mon mignon,
Mon petit toutou, mon lonlanla,
Non, je n’irai plus, je n’irai pas, je n’oserais,
Non, je n’irai plus seulette aux bois.
Fuyons, sauvons-nous de cette bête effroyable !
Elle s’enfuit et laisse tomber son bagnolet.
Scène vii
pyrame seul
pyrame
Air : Hallali
Hallali ! Hallali ! Hallali !
J’ai vu passer la bête, je tremble de tous mes mes membres. Pourquoi ai-je donné ce fatal rendez-vous ? Mais je vois le lion, qu’il a une vilaine physionomie ! Allons, il faut avoir du cœur et le tuer si je peux.
Air : Flon, flon
Mais cette bête fière,
Ma foi me mordrait bien !
Prenons-le par derrière,
C’est le plus sûr moyen.
Et flon flon larira dondaine
[Flon, flon larira dondon].
Il monte sur le dos du lion, lui enfonce son épée dans la gueule, ils tombent tous deux.
Ma foi, nous voilà tous deux à terre, mais il ne se relèvera pas si bien que moi. Cherchons à présent Thisbé.
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Thisbé, ma belle, en vain je crie,
Thisbé, Thisbé, rien ne répond.
Hélas, Thisbé, ma chère amie,
Dormez-vous au pied d’un buisson ?
Mais que vois-je ? Juste Ciel ! Le bagnolet de Thisbé teint encore de son sang ! Ah, malheureux que je suis, cette belle est la victime du monstre, ou plutôt de mon amour ! Je ne m’étonne plus si cette bête avait si bon courage, elle avait mangé une fille à son déjeuner.
Air : Allons gai, d’un air gai
Lorsque l’on perd sa belle,
Que le trépas est doux,
Périssons avec elle,
Allons, embrochons-nous !
Allons gai, d’un air gai !
Talera raritata[etc.]
Il se perce de son épée et tombe.
Scène viii
thisbé, pyrame mourant
thisbé
Air : Phaëton
Dans ces beaux lieux tout est paisible,
Hélas, que ne m’est-il possible
D’y trouver mon amant que j’ai tant attendu !
Mais que vois-je ?
Air : Voici mon compagnon par terre
Qu’avez-vous donc, mon cher Pyrame ?
Répondez, que vous a-t-on fait ?
Ciel, mon amant va rendre l’âme,
Et son visage est tout défait !
Es-tu mort ?
pyrame
Non, pas encor.
thisbé
Eh, relevez-vous donc, mon cher Pyrame !
Relevez-vous et fuyons bien fort.
pyrame
Je ne saurais, ma mignonne, je me suis tué parce que je ne vous trouvais pas.
thisbé
Vous ne seriez pas bon à jouer à la clemissette, si vous vous tuez comme cela quand vous ne trouvez pas les gens !
pyrame
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Adieu Thisbé, je perds la vie,
Mais pour vous, ne vous tuez pas,
Je sens que c’est une folie
De hâter ainsi son trépas.
Scène ix
ninus, thisbé
ninus
Air : Y avance, y avance
Arrête, arrête, arrête,
Thisbé, je viens troubler la fête.
thisbé
Oui, oui, vous avez fait de belle besogne ! Voyez ce qui reste de ce pauvre garçon.
ninus
Je plains...
thisbé
Ah, ce n’est pas assez de te plaindre. [À Pyrame.] Cher amant, il faut que la mort nous réunisse.
Air : Monsieur de Grimaudin
j’ai le poignard dedans ma poche
Mis tout exprès :
L’avenir me ferait reproche
Si je vivais,
Après avoir vu mon amant
Périr si malheureusement.
Elle se tue.
ninus
Grands dieux, elle expire ! Mais elle a beau faire, sa mémoire vivra toujours.
Air : Robin turelure lure
De ces amants malheureux
Chacun plaindra l’aventure,
Et l’on se souviendra d’eux,
Turelure,
Quand on mangera des mûres,
Robin turelure lure.
Fin