Pierre-François Biancolelli, Jean-Antoine Romagnesi
Arlequin Roland
Parodie
Représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens ordinaires de Roi
le 31 décembre 1727
Les Parodies du nouveau Théâtre-Italien, Briasson, 1738
Acteurs
Roland, corsaire
Angélique
Médor, amant d’Angélique
Témire, suivante d’Angélique
Le Chanteur, en habit d’Opéra
Les Danseurs
Troupe de Masques, chantants et dansants
Farinette, boulangère
Briochet, pâtissier
Un Masque, chantant
Tersandre, père de Farinette
Un Garçon Limonadier
Arlequin Roland
Scène i
Angélique seule
Le théâtre représente l’appartement d’Angélique.
Angélique
Air : Mais surtout prenez bien garde à votre cotillon
Ah ! que mon cœur est agité !bis
L’Amour y combat sa fierté,
Je ne sais qui l’emportera :
L’un veut ceci, l’autre cela,
J’ai bien la mine de faire,
Comme à l’Opéra.
Scène ii
Témire, Angélique
Témire
Que faites-vous ici, Madame ? Venez, venez voir le riche présent que Monsieur Roland vous envoie pour votre fête ; il faut avouer que cet honnête Corsaire vous aime bien : quand vous rendrez-vous donc à ses feux ?
Angélique
Air : Je jure par vos yeux
Il a trop fait pour moi,bis
Fais-moi ressouvenir de ce que je lui dois.
Témire
Bon, bon, vous le savez,
Puisque vous l’avouez.
Air : Ici chacun s’engage
Son ardeur est extrême,
Vous ne l’ignorez pas.
Angélique
Je sais combien il m’aime.
Témire
Aimez-le donc.
Angélique
Hélas !
Témire
Quoi ! seriez-vous éprise,
De quelque Amant nouveau ?
Angélique
J’en ferai la sottise,
Ah, que Médor est beau !
Témire
Air : Ô reguingué
Médor ! Madame, y pensez-vous ?
Pourriez-vous en faire un époux ?
Angélique
Je veux suivre un penchant si doux.
Témire
Médor ! fi donc, qu’allez-vous faire ?
Médor n’est que Clerc de Notaire.
Air : Le fameux Diogène
Bannissez de votre âme
Une honteuse flamme.
Angélique
Comment la surmonter ?
Témire
Je le vois qui s’avance.
Angélique
Que je crains sa présence !
Ne va pas me quitter.
Scène iii
Médor, Angélique, Témire
Médor
Air : Chant de l’Opéra
Ah ! quel tourment,
De garder en aimant,
Un éternel silence !
Ah ! quel tourment,
D’aimer sans espérance !
Air : Pierre Bagnolet
Plutôt que d’aimer Angélique,
Je devrais me casser le cou ;
L’amour trop faiblement s’explique,
Lorsque l’amant n’a pas le sou.
Que je suis fou !
Que je suis fou !
Plutôt que d’aimer Angélique, etc.
Il reprend la fin de l’air [de l’opéra].
Ah ! Quel tourment !
D’aimer sans espérance !
Médor, apercevant Angélique
Ah, Madame, vous voilà ? excusez, je ne vous voyais pas. Hé bien, Monsieur Roland vous a-t’il envoyé votre bouquet ? qu’on est heureux quand on est riche ! on peut prouver son amour...
Angélique
Il n’est pas si heureux que vous le pensez...
Médor
Il est vrai qu’il n’a pas l’honneur de vous voir.
Témire
Ah ! que cela est galant.
Angélique
Il ne s’agit point ici de tout cela, Médor ; répondez-moi positivement : ai-je un absolu pouvoir sur vous ?
Médor
En pouvez-vous douter sans offenser ma juste reconnaissance ? croyez-vous que je puisse jamais oublier les services que vous m’avez rendus ? vous avez eu la bonté de me soigner vous-même lorsque j’étais malade.
Angélique
Air : Réjouissez-vous bons Français
Ce fut par pitié pour vos jours
Que je vous donnais du secours :
Je ne vous suis plus nécessaire,
Ma pitié n’a plu rien à faire.
Médor
Et pourquoi cela ?
Angélique
Air : Tout cela m’est indifférent
Médor, il faut nous séparer.
Médor
Ô Ciel !
Angélique
Partez sans différer.
Médor
Vous avez beau dire, je ne saurais m’y résoudre.
Air : On n’aime point dans nos Forêts
De vos appas vous me privez,
Cruelle ! votre Arrêt me chasse ;
Des jours que vous m’avez sauvés,
Que voulez-vous donc que je fasse ?
Angélique
Air : Tout cela m’est indifférent
Médor, il faut nous séparer.
Médor
Ô Ciel !
Angélique
Partez sans différer.
Médor, en pleurant
Hé bien, puisque vous me l’ordonnez, inhumaine, je partirai ; mais... patience, je vous donnerai bientôt des nouvelles de ma mort.
Il s’en va.
Scène iv
Angélique, Témire
Angélique
Air : On dit qu’Amour est si charmant
Je ne verrai plus mon Amant,
Ah ! quel funeste éloignement !
Tu vois à quel affreux tourment
Ma cruauté l’expose :
Il va mourir, le pauvre enfant,
Et j’en serai la cause.
Témire
Air : Allons gai
Le secours de l’absence
Est un puissant secours ;
C’est l’unique espérance
Des malheureux Amours :
Allons gai
D’un air gai,
Toujours gai.
Croyez-moi, Madame, vous l’aurez bientôt oublié.
Angélique
Moi, l’oublier ! qu’oses-tu me dire ? j’en suis plus folle que jamais.
Air : Je reviendrai demain au soir
Va cours... fais revenir Médor,
Je veux le voir encor.bis
Je veux... attends... sort rigoureux !
Sais-je ce que je veux !...bis
Témire
Je le sais bien moi.
Angélique
Va dire à Médor qu’il ne parte point.
Témire
Cela suffit ; mais contraignez-vous. Roland vous envoie un présent en Musique ; c’est l’Opéra lui-même qui vous l’apporte.
Scène v
Le Chanteur et les Danseurs en habits de ballet chargés de présents ; Robes de Chambre, Criardes, Rubans, etc.
Après la marche des Danseurs :
Le Chanteur
airopera
Au généreux Roland, je dois ma délivrance,
Mes créanciers par lui sont écartés,
Il n’a voulu de ma reconnaissance
Que ces présents au Palais achetés.
Je viens vous les offrir des lieux où la discorde
Ouvre la carrière aux plaideurs ;
Où l’Avocat braillard s’embrouille dès l’exorde ;
Où les clients, que jamais on n’accorde,
S’apaisent en jurant contre leurs Procureurs.
Recevez, belle Angélique,
Recevez tous ces présents,
Ce n’est qu’aux plus riches amants,
Qu’il est permis d’avoir votre pratique.
Recevez, belle Angélique,
Recevez tous ces présents.
On danse.
Scène vi
Angélique, Témire, Roland
Témire
Hé bien, Madame, résisterez-vous encore à un Amant si libéral ? le voici, faites-lui du moins un accueil favorable.
roland
Air : Chant de l’Opéra
Belle Angélique, enfin je vous trouve en ces lieux.
Angélique sort.
Mais où allez-vous donc ?
Air : [La Tampone]
Angélique, Angélique.
Angélique, en fuyant
J’ai la colique,
Roland ne me suivez pas,
Ah ah ah ah.
Scène vii
Roland, Témire
roland
La cruelle ! elle ne m’écoute point.
Air : Passant sur le Pont-Neuf
À vous prouver mes feux
Chaque jour je m’applique :
J’en suis plus malheureux,
Trop ingrate Angélique !
Belle inhumaine.
Lorsque pour vous l’amour m’enchaîne,
Quel barbare plaisir trouvez-vous à ma peine ?
Air : Quand le péril est agréable
Elle me méprise sans doute,
Je cherche en vain à l’enflammer ;
Cependant pour m’en faire aimer
Tu sais ce qu’il m’en coûte.
Témire
Il est vrai qu’elle vous cause bien de la dépense ; mais ne croyez pas qu’elle vous méprise : du moins si elle ne vous aime pas, je suis persuadée qu’elle vous estime un peu.
roland
Belle consolation ! que dois-je donc faire ? de grâce, conseille-moi, ma chère.
Fin de l’air : Au jardin de mon père
Et prête-le-moi donc,
Ton avis ma commère,
Et prête-le-moi donc,
Ton avis s’il est bon.
Témire
Ne vous rebutez pas.
Fin de l’air : Laire lan laire
Laissez faire
Laire lan laire,
Laissez faire au temps.
roland
Air : Ta la leri, ta la leri, ta la lerire
Angélique... en vain je l’appelle...
Mais pourquoi tant souffrir... pourquoi !
Elle est sans pitié, la cruelle !
N’aurai-je point pitié de moi...
Témire
Que ces pitiés-là me font rire !
Ta la leri, ta la leri, ta la lerire.
roland
C’en est fait mon parti est pris, et je veux qu’elle le sache.
Témire
Quoi ?
roland
Elle peut se cacher où elle voudra, je n’irai point la chercher.
Témire
Bon bon ! vous voulez rire.
roland
Non non, je suis trop piqué.
Air : Que faite-vous, Marguerite
Le dépit éteint ma flamme,
Heureuse la cruauté
Qui rend la paix à mon âme,
Et me rend la liberté !
Témire
Voilà d’heureuses restitutions.
roland
Je jure de ne la plus revoir.
Témire
Chansons.
Air : L’autre jour soupirant en secret
Un Amant juste dans son courroux
De briser des nœuds qui sont si doux,
Vains projets !... il a trop de faiblesse,
De quoi lui sert ce frivole serment ?
Revoit-il l’objet de sa tendresse,
Bientôt l’amour en fait un Bas Normand.
roland
Air : Quel plaisir d’aimer sans contrainte
Je le sens trop, ma colère est vaine,
Vers elle un fatal penchant m’entraîne.
Angélique ! barbare ! inhumaine !
Quel plaisir trouvez-vous à ma peine ?
Il s’en va.
Scène viii
Angélique, Témire, Médor qui survient
Témire
Ah ! vous voilà Madame ? Hé bien votre colique est donc passée ?
Angélique
Je ne l’ai feinte que pour me débarrasser de Roland ; mais j’aperçois Médor, qu’il a l’air tranquille, écoutons-le.
Elles se retirent.
Médor
Angélique m’a envoyé la fille de Chambre pour me consoler, et me dire de ne point partir ; mais ma résolution est prise, et je viens faire ici un coup de désespoir : allons courage, mourons en Clerc de Notaire.
Il tire une grande écritoire de sa poche, il en prend un canif, et veut s’en percer, Angélique l’arrête.
Médor, à part
Elle est venue bien à propos !
Angélique
Air : Savez-vous bien beauté cruelle
Vivez Médor.
Médor
Mon adorable
Laissez-moi courir au trépas :
C’est un supplice insupportable
De voir le jour, et de ne vous voir pas.
Angélique
Vivez.
Médor
Non, non, j’offense vos appas
Et je ne suis qu’un misérable.
Angélique
Air : Vivons pour ces Fillettes
Des jours que je vous ai sauvés,
Prenez plus de soin.
Médor
Achevez.
Sans vous puis-je vivre ?
Angélique
Vivez !
S’il faut que je m’explique,
Vivez pour Angélique,
Vivez,
Vivez pour Angélique.
Médor
Vivons pour Angélique.
Vivons,
Vivons pour Angélique.
Il faut avouer que voilà une bonne pâte de femme.
Angélique
Ô Ciel ! j’entends Roland ! sortez vite par le petit escalier dérobé.
Médor, en s’en allant
Je crois que je ferais mieux de me cacher derrière ce paravent.
Scène ix
Roland, Angélique, Médor caché
roland
Parbleu, Madame, je suis un grand nigaud de vous aimer encore, j’en rougis.
Air : Ce n’est point par effort qu’on aime
Trop d’ardeur pour vous me domine,
Et vous avez les yeux si doux,
Qu’on ne peut, quoiqu’on détermine,
Vous voir et garder son courroux :
Vous ne méritez pas, coquine,
Le tendre amour que j’ai pour vous.
Angélique
Roland, je sais tout ce que je vous dois ; mais je voudrais que votre amour ne vous fît point oublier votre gloire.
roland
Bon, bon, il est bien question de ma gloire.
Air : À la santé de la folie
Je sais trop bien qu’elle est ternie,
Que l’on m’accuse de manie,
Mais auprès de vous, ma mie,
Je ne saurais me retenir :
Lorsque vous causez ma folie,
Est-ce à vous de m’en punir ?
Angélique, en soupirant
Hélas !
roland
Air : Les triolets
Vous soupirez bien tendrement ?
Ah ! ce soupir me fait connaître
Que pour un rival moins constant
L’Amour vient de le faire naître ;
Tremblez pour cet heureux amant,
Et qu’il se garde de paraître ;
Si je le vois... dans le moment
Je le jette par la fenêtre.
Médor, caché
Par la fenêtre ! tudieu quel brutal ! je ne suis pas si sot que de me montrer.
roland
Que regardez-vous Angélique ? ah ! je ne le vois que trop, vous songez à me quitter... ne me dérobez pas sitôt le funeste plaisir de vous voir.
Angélique, d’un air tendre
C’en est fait, Roland.
Air : Les filles de Montpellier
L’Amour veut vous rendre heureux,
Et sous ses lois il me range,
De mes mépris rigoureux
Ce puissant vainqueur se venge.
Médor, caché
Ahi ! ahi ! ahi !
roland
Juste Ciel ! qu’entends-je ?
Angélique
Roland, ahi ! ahi ! ahi !
roland
Quoi ! C’est pour moi qu’Angélique soupire ?
Angélique
Oui, Roland, il n’est que trop vrai.
Médor, caché
J’enrage.
Angélique
Air : Grimaudin
Votre constance est triomphante,
Mon cœur se rend,
Épargnez ma vertu mourante,
Mon cher Roland.
roland
Ne craignez rien, petit bouchon,
Je suis sage comme un Caton.
Air : Tarare pompon
En des lieux écartés, dans une paix profonde,
Allons jouir du sort qui va combler nos vœux.
Médor, caché
Ah ! le sot ! c’est bien la peine d’aller si loin.
Angélique
Non Roland, je ne veux point sortir de Paris, je veux me réjouir : j’ai quelques ordres à donner, trouvez-vous à minuit au bal de l’Opéra, je ne manquerai pas de m’y rendre.
roland
Ah ! de tout mon cœur : comment serez-vous déguisée ?
Angélique
En Domino, il ne vous sera pas difficile de me reconnaître.
roland, en s’en allant
C’est assez, belle Angélique ; je vais vous envoyer un Carrosse de Remise, soyez exacte, je ne manquerai pas de l’être.
Il s’en va.
Scène x
Médor, Angélique
Médor, sortant de derrière le paravent
Ah ! infidèle ! c’est donc ainsi que vous me jouez ? Vous m’avez cru bien loin, n’est-ce pas ? non perfide, j’étais caché derrière ce paravent, d’où j’ai tout entendu.
Angélique, en riant
Ah ah ! vous avez tout entendu : je vous en félicite.
Médor
Comment ? vous n’en êtes pas plus émue pour cela, à ce qui me paraît : vous êtes maîtresse passée dans l’Art de la coquetterie.
Angélique
Je vous conseille de vous fâcher, Monsieur Médor : ne voyez-vous pas bien que j’ai fait prendre le change à ce furieux pour l’éloigner de nous ? je veux vous épouser, mon cher Médor, et faire votre fortune : tout ce que je possède est à vous.
airvide
Oui, dans ce moment
Je me rends enfin,
Mon cher amant,
Le destin
Réserve à ta tendresse,
La Maîtresse
Qui t’a charmé.
Même ardeur l’enflamme, sois aimé,
En vain ta naissance,
Me fait rougir de mon dessein ;
Le devoir s’en offense,
Mais l’amour va toujours son train :
Il s’agit bien de Noblesse,
Quand un tendre soin nous presse.
Tu triomphes, mon mignon,
Et je vais t’épouser sans façon,
Je me moque du qu’en dira-t-on.
Médor
Que je suis content !
Angélique
Il ne faut pas qu’on nous voie ensemble, je vais vous attendre à Poissy, où nous prendrons les Batelets.
Médor
Quoi ! vous voulez déjà me quitter ? je crois qu’il vaut mieux que je meure.
Angélique
Êtes-vous fou, Médor ? vous êtes le plus heureux de tous les hommes, et vous voulez mourir ?
Médor
Excusez, je suis un peu benêt ; mais je fais une réflexion : Roland vous attend au Bal de l’Opéra, vous dites que vous m’allez attendre à Poissy, n’auriez-vous point donné rendez-vous à un troisième à la Râpée ?
Angélique
Fi donc, petit badin... Ah ah ah ah.
Médor
De quoi riez-vous ?
Angélique
Du tour que je joue à Roland.
Médor
Franchement, il est un peu gaillard.
Angélique
Ce n’est pas encore tout, j’ai pris mes mesures d’avance ; il trouvera au Bal des Masques qui le turlupineront de la bonne manière. Pour nous, mon cher Médor, ne songeons qu’à notre départ, allons nous établir à Rouen ; mais dites-moi, mon mignon, ne craignez-vous point l’eau ?
Médor
Bon, bon ? vous moquez-vous ! j’ai été autrefois mousse de Vaisseau, je puis bien servir de Pilote sur la Rivière.
Air : Et vogue la Galère
Je réponds du voyage,
Mon amour est plus fort
Que le vent et l’orage,
Puis-je manquer le port ?
Ensemble, ensemble
Et vogue la Galère
Tant qu’elle, tant qu’elle,
Et vogue la Galère
Tant qu’elle pourra voguer.
Scène xi
[Roland seul]
Le théâtre change, et représente la salle du bal de l’Opéra ornée de glaces.
La symphonie joue une ritournelle avant que Roland paraisse.
roland
Air : Chant de l’Opéra
Ah ! j’attendrai longtemps, minuit est loin encore.
Il tire sa montre pour voir l’heure qu’il est, et dit
Comment morbleu, il n’est pas encore onze heures.
Air : Y avance, y avance
Que ma montre va lentement,
Elle retarde assurément,
Jalouse de ma bonne chance
Avance, avance, avance ;
Car je me meurs d’impatience.
Il n’y a encore personne au bal ; promenons-nous en attendant Angélique, et examinons un peu cette nouvelle décoration... Cela n’est pas mal inventé.
Air : Ne m’entendez-vous pas
Ces tapis sont brillants,
Ces glaces magnifiques,
Ah ! qu’il faut de rubriques
Dans ces endroits galants,
Pour attraper six francs \footnote On ne prenait avant la nouvelle décoration que quatre francs par place du Bal de l’Opéra, et ensuite on les a mis à six livres..
Il lit un écriteau tout bas, et dit :
Ce que je viens de lire est fort plaisant.
Air : À la façon de Barbari
Cet écrit m’apprend qu’un amant
Et sa chère maîtresse,
On choisi ce réduit charmant
Pour parler de tendresse,
Et que conduits par Cupidon,
La faridondaine, la faridondon,
Ils sont venus danser ici
Biribi,
À la façon de Barbari
Mon ami.
Patience, j’aurai mon tour ! Angélique ne tardera pas à venir.
Air : Robin turelure
L’amour va conduire ici
L’objet d’une ardeur si pure,
Bientôt dans ce Bal aussi
Turelure,
On lira notre écriture,
Robin turelure lure.
Il lit tout bas un autre écriteau.
Air : Or écoutez, petits et grands
Voyons tout... qu’est-ce que je vois ?
Je ne me trompe pas, je crois ;
C’est l’écriture d’Angélique :
Pour un autre son cœur s’explique
Ce que j’ai lu tout bas, il faut
Que je le relise tout haut.
Il lit les vers suivants sans les chanter.
Angélique engage son cœur,
Médor en est vainqueur.
Médor en est vainqueur !... quel est donc ce Médor ? ce nom-là ne m’est point connu, et je n’en ai jamais entendu parler.
Air : On n’aime plus dans nos forêts
C’est moi seul qu’elle doit aimer,
Cet injuste soupçon l’offense ;
J’aurais raison de m’alarmer,
Et de craindre son inconstance,
Si l’on me nommait pour rival,
Quelque gros Fermier Général.
Lisons ces autres noms... ah ! que cela est mal écrit, c’est de la chicane.
Air : Ah ! Mon beau laboureur
Qu’ai-je lu ? juste Ciel !bis
Allons, il faut relire
Ô lire, ô lire,
Allons il faut relire
Ô lire on la.
Il lit les vers suivants sans les chanter.
Que Médor est heureux !
Angélique a comblé ses vœux.
Encore Médor ?... mais cela passe la raillerie.
Air : Quand je tiens de ce jus d’Octobre
Je veux, morbleu, quoiqu’il en coûte,
Savoir quel est ce fanfaron !
Il se vante trop, c’est sans doute
Quelque petit-maître Gascon.
Rassurons-nous, c’est apparemment une pièce que l’on me joue.
Air : J’ai fait à ma maîtresse
Que la beauté que j’aime
A peu d’empressement !
Ah ! quelle peine extrême,
Pour un fidèle amant !
Où donc est Angélique,
L’objet de mes ardeurs ?
Cherchons dans la boutique
Où l’on vend des liqueurs.
Scène xii
[Une Troupe de Masques]
Les Masques entrent au son de la symphonie.
un masque, chantant
airvide
Ces retraites
Par l’Amour sont faites
Pour combler tous les cœurs,
De ses douceurs
Les plus parfaites.
Un moment
De notre sort décide :
La timide
Sous le masque se rend,
La coquette
Y fait valoir sa défaite ;
Le mari
Méconnu de sa femme,
À la Dame,
Tiens lieu de favori,
Et lui-même
Y trouve un plaisir extrême.
On danse.
Après le divertissement, un Masque voyant entrer Farinette et Briochet, dit :
Ah ! ah ! voici de drôles de Masques, c’est une noce d’un Pâtissier, et d’une Boulangère, il faut leur céder la place.
Scène xiii
Farinette, Briochet
Air : J’aimerai toujours ma Bergère
briochet
J’aimerai toujours Farinette.
farinette
J’aimerai toujours Briochet.
briochet
Mon ardeur est parfaite,
J’aimerai [toujours] Farinette.
farinette
Mon amour est parfait,
J’aimerai toujours Briochet.
Scène xiv
Roland revient, Farinette, Briochet
briochet
Air : Si le Roi m’avait donné
Si le Roi m’avait donné
Paris sa grand’ville,
Et qu’il me fallut quitter
L’amour de ma mie,
Je lui dirais, grand merci,
Reprenez votre Paris,
J’aime mieux ma mie
Oh gué,
J’aime mieux ma mie.
Angélique est belle et riche ; mais ma foi je ne te changerais pas pour elle.
farinette
Air : Le joli jeu d’amour
Quand le charmant Médor
M’offrirait un trésor,
Il me ferait une offre inutile :
Mon cher Briochet
Me plaît bien mieux tel qu’il est,
Car je ne suis pas difficile.
Quand le charmant Médor, etc.
roland
Air : Zon, zon, zon
Que disent ces manants,
De Médor, d’Angélique ?
briochet
Ce sont d’heureux Amants
Dont l’histoire est publique.
roland
Ouf, qu’entends-je ?
farinette
Qu’avez-vous donc, Monsieur ? vous paraissez chagrin ; laissez-nous faire, nous allons bientôt vous tirer de cette sombre mélancolie ; conte-lui un peu cela, mon petit Briochet, écoutez, écoutez, vous allez bien rire.
briochet
Oh morgué oui, vous connaissez peut-être une nommée Angélique ?
roland
Que trop.
farinette
Air : Vous m’entendez bien
Cette matoise à certain sot
Fait ici croquer le marmot,
Et tandis qu’il enrage.....
roland
Hé bien ?
briochet
L’heureux Médor voyage,
Vous m’entendez bien.
roland
Je crève de dépit.
farinette
Quoi ! vous ne riez pas encore ? écoutez le reste.
Air : Ah, c’est un certain je ne sais qu’est-ce
Médor a soumis à sa loi
L’objet de sa tendresse,
Il n’a naissance ni richesse,
Mais pour plaire, il ne faut ma foi,
Qu’avoir un certain je ne sais qu’est-ce,
Qu’avoir un certain je ne sais quoi.
briochet
Air : Quand le péril est agréable
On ne peut s’aimer davantage,
Jamais bonheur ne fut si doux.
farinette
Ils se sont donnés devant nous
La foi de mariage.
farinette
Air : Que je chéris mon cher voisin
Nous avons signé le Contrat
Dans ces belles retraites.
briochet
Tous deux ont pris du Chocolat
Sur le banc où vous êtes.
roland, en se levant
Ah ! ventrebleu, je n’y puis plus tenir.
farinette
Où allez-vous donc ? attendez un moment, je veux que vous dansiez avec moi ; mais voici mon père qui vient fort à propos, il vous dira mieux que nous ce qu’ils sont devenus.
Scène xv
Tersandre, Roland, Farinette, Briochet
tersandre
Fin de l’air : Nanon dormait
Allez, allez,
Allez loin d’ici, soins fâcheux.
Mes enfants, voyez ce que la belle Angélique m’a donné pour l’avoir conduite jusqu’aux Batelets, voilà de quoi faire les frais de votre noce.
roland
Que vois-je ? c’est la bague dont je lui avais fait présent !
tersandre
Air : Quand on a prononcé ce malheureux Oui
Je viens de voir partir cette fille si belle.
roland
Angélique est partie ?
tersandre
Et Médor avec elle.
roland
En êtes-vous bien sur ?
tersandre
Vraiment, j’en suis témoin.
roland
Ils sont partis ensemble ?
tersandre
Ils sont au port Saint-Ouen.
roland
Ah, la perfide !
farinette
Allons-nous-en, Briochet, cet homme-là me fait peur.
tersandre, à Briochet
Quel est donc cet Original-là ?
briochet
Je ne le connais point, nous l’avons trouvé ici.
Roland se promène en s’agitant.
farinette
Air : La Chasse
Il semble ma foi qu’il nous menace
Ah ! voyez comme il roule les yeux.
tersandre
Qu’il fait une vilaine grimace !
C’est l’amour qui le rend furieux.
briochet
Le pauvre homme souffre et gémit.
farinette
Nous en avons, je crois, trop dit.
tersandre
Comme il pâlit !
briochet
Non, il rougit.
tersandre
Admirez le plaisant conflit,
Il jure et se radoucit.
roland, tendrement
Air : Sylvie, j’ai vu vos beaux yeux
Cruelle !bis
Pourquoi trompez-vous
Un cœur fidèle,
Qui n’aime que vous ?
tersandre
Ah ! puisqu’il n’est plus si fâché, il faut lui en donner encore une dose.
Air : Flon, flon
Bénissons en Musique,
Pour l’animer encor,
Et l’amour d’Angélique,
Et l’amour de Médor.
Tous trois, ensemble
Flon, flon
Larira dondaine,
[Flon, flon]
[Larira dondon.]
roland
Air : Voici les dragons qui viennent
C’est pousser trop loin l’outrage,
Faquin, taisez-vous :
N’en dites pas davantage,
Craignez l’effet de ma rage.
Tersandre et les autres, ensemble
Ah ! fuyons tous.
Ah ! fuyons tous.
Scène xvi
Roland seul
roland
Air : Ne craignez rien, l’Hymen est votre asile
Je suis berné, Ciel, quelle perfidie !
Pour me braver tous deux sont de complot,
Tous deux ensemble ils vont en Normandie,
Et dans ces lieux je reste comme un sot.
Air : Des fraises
Quoi ! mon Rival
A sur moi l’avantage,
Pour mon cœur, quel coup fatal !
Morbleu, faisons dans ce bal
Tapage, tapage, [tapage].
Roland, au son de la symphonie, s’anime ; il jette son chapeau, sa perruque, ôte son habit, et reste en chemise.
Air : Au son de cet instrument
Ah ! me voilà descendu
Sous le Théâtre par la trappe :
Dans ce dédale perdu
C’est un bonheur si j’en échappe.
Que de tourniquets !
Que d’affiquets !
De moulinets !
Ah ! que de trous
Sans garde-fous !
Air : Je suis un bon Soldat titata
Faut-il en ce séjour
Que l’Amour
Me brave et me poursuive,
Hélas en cet endroit
On le voit
Jusques sous la solive.
Air : Menuet des Fêtes Grecques
Mais quels bruyants Concerts
Ici se font entendre !
Ah ! que de mauvais Airs,
Et de pitoyables vers.
Air : Sais-tu la différence
Ma foi, plus je l’écoute,
Moins il me semble beau :
On répète sans doute
Un Opéra nouveau.
Air : Ho ! ho ! Tourelouribo
Quel supplice affreux pour mes oreilles !
Ho ! ho !
Tourelouribo.
airvide
À boire, à boire, à boire.
Le Limonadier vient à lui avec un panier plein de carafes de liqueurs, il lui présente un verre de limonade.
roland
Air : Verse, verse
Verse, verse, verse tout plein.
Après avoir bu.
Air : Menuet d’Hésione
Combien faut-il ?
Le Limonadier
Une pistole.
roland
Au diable les empoisonneurs !
Dix francs, pour qui me prend ce drôle ?
N’a-t’on pas taxé les liqueurs\footnote On avait dans ce temps-là taxé les Liqueurs que l’on vendait au Bal de l’Opéra. ?
Attends, attends, je vais te donner ta pistole.
Il saute sur le Limonadier, le rosse, et lui casse toutes ses carafes ; ensuite il prend son sabre, et au son de la symphonie, casse toutes les glaces et toutes les porcelaines.
Fin