Pierre-François Biancolelli, Jean-Antoine Romagnesi
Arlequin Tancrède
Parodie en un acte
Représenté pour la première fois par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi
le 19 mars 1729
Les Parodies du nouveau Théâtre-Italien, Briasson, 1738
Acteurs
Tancrède, amant de Clorinde : Arlequin
Clorinde, amante de Tancrède
Argan, géant amoureux de Clorinde
Herminie, cousine d’Argan
Isménor, sorcier
Suite d’Argan
Dragons et soldats
Un soldat
Magiciens et magiciennes
Guerriers et guerrières, captifs
Danseurs et danseuses
Diables et sorciers
Arlequin Tancrède
Scène i
Argan, Herminie, Suite d’Argan
Le théâtre représente un lieu où sont les tombeaux des Rois Sarrazins.
argan
Air : Ramplon
Rassemblez nos dragons
Ramplon,
Rassemblez nos dragons,
Qu’on les rappelle vite
Ramplon pataplon.
Ramplon pataplon
Car à prendre la fuite
Ils ont été trop prompts ;
Ramplon.
Air : Mon père je viens devant vous
Le funeste sort des combats
Donne à Tancrède l’avantage ;
Et ma maîtresse, et nos états
En ce moment sont au pillage ;
Mais quoiqu’il nous ait bien rossés,
Je n’en ai point encore assez.
C’en est fait, je vais arracher Clorinde à Tancrède.
Air : Il est pourtant temps
Je cède à ma juste fureur.
herminie
Que vous me causez de frayeur !
Vous allez périr.
argan
C’est trop discourir.
herminie
Où va-t’il courir ?
argan
Il est pourtant temps,bis
Princesse,
Il est pourtant temps de la secourir.
Air : Colin, va-t’en dire à Nanon.
Au pied de ce vieux monument,
Nous allons jurer gravement
D’exterminer ce téméraire.
herminie
De quoi servira ce serment
S’il ne veut point se laisser faire ?
argan
Comment donc ? vous prenez le parti de ce chevalier errant ? Oh ! il mourra, je vous en réponds.
herminie
Oh ! Ciel !
argan
Qu’est-ce que cela signifie ? ne me cachez rien, vous savez que nous sommes parents.
Air : On n’aime plus [dans nos forêts]
Parlez en toute liberté,
Expliquez-vous, belle cousine,
Avouez-moi la vérité,
Tancrède en secret vous lutine,
Vous aimez ce déterminé.
herminie
Cousin, vous l’avez deviné.
argan
Air : Pierre Bagnolet
Vous l’aimez ?... Ciel ! est-il possible ?
Ne vous souvient-il plus, hélas !
Que sous son bras invincible
Vos parents ont passé le pas
Et vos états ?bis
herminie
C’est là ce qui me rend sensible.
argan
Oh ! parbleu ! vous n’y pensez pas.
Vous aimez Tancrède ?
herminie
Air : Depuis que j’ai vu Nanette
De la mort l’affreuse image
Triomphait de toutes parts ;
Dans mon funeste esclavage
Il s’offrit à mes regards.
Contre lui toute ma haine
Me fut d’un faible secours,
Je sentis trop que ma chaîne
Était celle des amours.
argan
Qu’est donc devenue votre raison et que dira-t’on de vous ?
herminie
Air : En certain détour
Quand une fois
D’amoureuses lois
Déterminent notre choix,
De la raison aux abois
Entend-t’on la voix ?
Cette pie-grièche
Voudrait endurcir notre cœur,
Mais l’amour ce doux vainqueur,
L’ouvre d’un coup de flèche,
Et la raison par la brèche
S’enfuit,
La peur du qu’en dira-t’on la suit.
On vient, ne parlez point de cela, je vous prie.
Scène ii
Isménor, Argan
isménor
Air : Landerirette
Je viens seconder ta valeur :
Herminie a touché mon cœur,
Landerirette.
Je voudrais la toucher aussi
Landeriri.
Air : Ami, qui l’aurait pu croire.
Je puis des Royaumes sombres
Forcer les ombres
Par ma voix.
Je puis des Royaumes sombres
Forcer les ombres
À suivre mes lois.
argan
Non, non, je prétends que Tancrède
Tombe aujourd’hui sous l’effort de mes coups.
isménor
Que j’aime ce courroux !bis
Venez Démons que la rage possède,
Tous à mon aide ;
Suivez nos feux et nos transports jaloux,
Si les dieux sont pour lui, les diables sont pour nous.
Les diables sont pour nous.
argan
Nous avons là une belle ressource.
Tous deux, ensemble
airopera
Suivons la fureur et la rage,
Cher ami, vengeons-nous et hâtons son trépas,
Ne différons pas davantage,
Tant que nous chanterons, il ne périra pas.
argan
Je cours délivrer ma princesse.
L’orchestre joue la marche des dragons.
Air : Réjouissez-vous bons Français.
Nos dragons viennent à propos,
Je vais leur dire quatre mots.
isménor
Et moi faire le diable à quatre,
Pour les engager à se battre.
Scène iii
Argan, Chœur de Dragons.
Air : Marche des dragons
Que dans le péril, braves dragons,
Aucun de vous ne m’abandonne ;
Vous avez fui comme des poltrons,
Mais je vous le pardonne.
Air : Quand je tiens ce jus d’octobre
De la même ardeur qui m’inspire,
Soldats, laissez-vous animer ;
Je prétends que Tancrède expire,
chœur
Il faut périr ou l’assommer.
argan
Ah ! les jolis garçons !
Air : Il ne veut pas qu’on danse
Mes chers enfants, courage,
Redoublez ce transport ;
Que pour prix de sa rage,
Il reçoive la mort.
Jurez-moi donc tous qu’il mourra.
chœur
Tout comme il vous plaira.
Scène iv
Magiciens, Magiciennes, Argan, Isménor, Soldats
isménor
Entrez, Messieurs les sorciers.
Air : Je ne suis né ni roi, ni prince
Votre présence est nécessaire,
Sans vous on ne saurait rien faire,
Venez seconder mon courroux ;
Faites triompher l’art Magique,
Allons, Messieurs, efforcez-vous
À chanter un chœur magnifique.
Air : Revenant de Lorette
Vous à qui je commande
Remplissez mon espoir :
Qu’en ces lieux on entende
Quel est votre pouvoir.
Chœur de magiciens
Contre nos perfides ennemis
Mettons tout en usage,
Contre nos perfides ennemis
L’artifice est permis.
Les Magiciennes
Pour en faire carnage,
Pour vaincre leur courage,
Transformez-vous, démons,
En jolis Cupidons.
chœur
Achéron,
Phlégéton,
Pour redoubler le tapage,
Jusqu’au fond de nos cœurs,
Lancez vos noires fureurs.
isménor
Air : Toure loure loure
Pour mieux terminer l’histoire,
Au tour lyrique ayons recours,
Attaquons leurs jours et leur gloire,
Attaquons, toure loure loure loure,
Attaquons leur gloire et leurs jours.
chœur
Attaquons, etc.
isménor
Air : Et frou frou frou
Quoique vous soyez bien morts,bis
Repassez les sombres bords...bis
Rois qui jadis
Des Amadis
Étiez la vive image :
À des guerriers peu hardis
Donnez votre courage.
chœur
Rois qui jadis, etc.
Les diables sortent de dessous le théâtre avec des vessies et battent les magiciens qui s’enfuient.
argan
Air : Quand le péril [est agréable]
Vous avez eu la bastonnade
Comme les chercheurs de trésor :
Vous avez fait, pauvre Isménor,
Une belle ambassade !
isménor
Vous verrez que j’aurai oublié quelque chose dans l’évocation ; mais laissez-moi faire, je vais refeuilleter mon grimoire.
argan
Oui, vraiment vous êtes un habile homme.
Air : N’oubliez pas votre houlette
Il n’était pas fort nécessaire
De braire,
Pendant une heure ou deux ;
Et du rivage ténébreux
D’évoquer Hécate et Cerbère.
Il n’était pas fort nécessaire, etc.
argan, aux guerriers
Air : J’entends déjà le bruit [des armes]
Il suffit de notre courage,
Laissez-là vos enchantement :
Courons où l’honneur nous engage,
Souvenez-vous de vos serments.
isménor
Quoiqu’ils soient Sarrazins, je gage
Qu’ils deviendront tous bas-Normands.
Scène v
Clorinde seule
clorinde
Le théâtre change et représente le camp de Tancrède.
Suis-je Clorinde ? hélas ! je ne me reconnais plus.
Air : La chasse de la Reine des Péris
Ou la guerre, ou la chasse,
Ont fait jusqu’ici mes plaisirs,
Mes désirs,
Et mon cœur tout de glace,
N’a jamais poussé de soupirs.
Que Tancrède est charmant !
Quel changement !
Je suis toute je ne sais comment.
Ô trop malheureux jour !
Mars m’abandonne, je cède à l’Amour.
Air : Ma raison [s’en va beau train]
Raison, viens à mon secours,
À toi seule j’ai recours :
Ah ! je le sens bien,
Par un doux lien
L’Amour retient mon âme ;
Faible raison tu ne peux rien,
Sur l’esprit d’une femme, lan la,
Sur l’esprit d’une femme.
Il vient, faisons du moins la fière.
Scène vi
Tancrède, Clorinde
tancrède
Air : Que l’on ne parle plus de guerre
Que l’on ne parle plus de guerre,
Parlons d’amour,
Rengainons notre cimeterre,
Dans ce beau jour ;
Vous n’êtes plus dans l’esclavage,
Ni vos soldats,
Et nous allons tous rendre hommage
À vos appâts.
clorinde
Air : Vivons pour ces fillettes
Quoique dans la captivité,
Je saurai garder ma fierté.
Vous ne m’offrez la liberté
Que par fanfaronnade,
C’est une gasconnade,
Seigneur,
C’est une gasconnade.
tancrède
Non, le diable m’emporte si je vous mens.
clorinde
À d’autres, c’est pour augmenter votre gloire.
tancrède
Ma gloire ? bon, bon, c’est bien à quoi je pense.
Air : Tout cela m’est indifférent
Hélas ! vous jugerez mon sort,
Je ne dois chercher que la mort.
clorinde
Quoi donc ?
tancrède
Je vous cache un mystère ;
Mais non, il faut le découvrir,
Pourquoi m’obstiner à le taire ?
Il vaut mieux parler que mourir.
Air : Angélique [pour la colique]
Je vous aimebis
Plus que moi-même.
clorinde
Ah ! que me dites-vous là ?
Ah, ah, ah, ah !
tancrède
Je m’en vais vous dire comment cela s’est fait.
clorinde
Ah ! point de récit, cela m’ennuierait.
tancrède
Pardonnez-moi, cela est nécessaire.
Air : Un Cavalier
Je vous ai vue au fort de la bataille
D’estoc et de taille
Enfoncer nos rangs,
Déconfire mes gens ;
Vous les tuiez sans faire la grimace
Avec tant de grâce,
Que l’Amour vainqueur
Vous a soumis mon cœur.
clorinde
Quel avœu téméraire ! puis-je trop m’en plaindre ?
tancrède
Qu’a-t’il donc qui vous offense ?
clorinde
Moi qui n’ai jamais aimé !
airopera
Dès l’enfance, élevée au milieu des forêts...
tancrède
Je ne vous demande pas l’histoire de votre vie.
Air : Je ris, je chante et je badine
Vous traitez l’amour de faiblesse,
Mais vos yeux en ont-ils moins de traits ?
Lorsqu’on inspire la tendresse,
On doit se livrer à ses attraits :
Rendez-vous à mes vœux, princesse,
Et ne parlez plus de vos forêts.
clorinde
Non, Tancrède, je dois vous haïr.
tancrède
Parce que nous sommes ennemis ? Bon ! l’Amour s’embarrasse bien de la cause commune.
clorinde
Voici vos captifs, soyez sage, au moins cachez bien votre amour.
tancrède
Au contraire, il faut que tout le monde le sache, vous verrez le joli effet que cela produira.
Scène vii
Les Acteurs de la scène précédente.
Les captifs entrent.
tancrède
Air : Joconde
Jouissez d’un destin plus doux,
Clorinde est votre reine,
Mes enfants, divertissez-vous,
Et quittez votre chaîne.
Pour prix de votre liberté,
Il faut par une danse,
Témoigner à cette beauté
Votre reconnaissance.
Une Guerrière
airopera
Si le danger vous étonne
Fuyez, faibles cœurs ;
L’Amour, ainsi que Bellone,
Vend cher ses faveurs.
Il est des détours à prendre,
Une maman à tromper,
Une Agnès qu’il faut surprendre,
Et des maris à duper.
Si le danger, etc.
Mars veut un cœur intrépide,
Et l’Amour veut de l’argent,
On méprise un guerrier timide,
On rit d’un amant indigent.
Si le danger, etc.
tancrède
Il me semble, Madame, que vous ne prenez pas beaucoup de plaisir à cette fête ! si cela vous ennuie, vous n’avez qu’à vous en aller. À propos, m’aimez-vous ?
clorinde
Air : La serrure
Perdez une vaine espérance,
Votre amour ne peut me toucher :
Si je suis en votre puissance,
Argan saura m’en arracher.
Scène viii
Tancrède seul
tancrède
Ah ! morbleu ! que viens-je d’entendre ? Argan est mon rival ! je ne puis plus en douter, je vais l’accommoder de toutes pièces ; si je ne l’ai pas encore tué, en voici la raison.
Air : Sois complaisant
Le simple honneur,
Que fit notre querelle,
Pour un grand cœur
N’est qu’une bagatelle.
Mais,
Quand il s’agit d’une belle
J’y regarde de plus près.
Air : J’entends déjà le bruit [des armes]
Suivons le courroux qui m’enflamme
Donnons-lui quelque mauvais coup,
La vengeance, quoiqu’on la blâme,
Peut me consoler tout à coup ;
Elle n’est pas une belle âme,
Mais elle soulage beaucoup.
Scène ix
Un Soldat, Tancrède
le soldat
Ah ! Seigneur Tancrède, tout est perdu.
tancrède
Qu’y a-t’il de nouveau ?
le soldat
Air : Que je chéris [mon cher voisin]
Un sorcier, qui ne vous craint pas,
Par son art nous lutine ;
Il fait périr tous vos soldats,
Dans la forêt voisine.
tancrède
Fort bien ! il ne me manquait plus que cela ; de quoi diable s’avise-t’il ? courons à leur secours.
le soldat
Ah ! Seigneur ne vous y risquez pas.
Air : C’est le bout du bras
L’Enfer semble vomir dans ces lieux
Sa rage.bis
tancrède
Qu’est-il de périlleux
Pour mon courage ?
Va, les enchantements
Ne font peur qu’aux petits enfants.
Scène x
Herminie, Argan
herminie
Me dites-vous bien vrai ? Tancrède aime-t’il Clorinde ?
argan
Oui, vous dis-je, mes soldats ne parlent d’autre chose ; Tancrède en a fait confidence à toute l’armée.
herminie
Air : Menuet Italien
Jugez de ma douleur
argan
Et vous,
De mon juste courroux.
Tous deux, ensemble
Quels funestes coups !...bis
Pour nos cœurs jaloux.
herminie
Dieux ! quelle horreur !
J’ai le malheur
De trouver une rivale.
Tous deux, ensemble
Ah ! quel tourment ! quels funestes coups !
Quel tourment ! quels funestes coups !
Pour nos cœurs jaloux.
argan
Mais croyez-vous que Clorinde l’aime ?
herminie
Il n’en faut point douter, j’en juge par moi-même.
argan
Ce n’est donc pas sans cause que l’ingrate a refusé sa liberté.
Air : Ne m’entendez-vous pas
Je vous livre mon cœur,
Transports jaloux, vengeance,
Venez en diligence
Seconder ma fureur,
Je vous livre mon cœur.
herminie
Allez, tout ira bien ; c’est Isménor qui se mêle de cette affaire, il vient d’enchanter cette forêt.
argan
La peste, nous sommes en bonne main ! c’est un habile homme, nous n’avons qu’à nous attendre à lui.
Air : Je suis un bon soldat
Pour un dernier combat,
Titata,
Argan va donner l’ordre,
Et voir si nos dragons,
Patapon,
Voudront encor y mordre.
herminie, seule
J’aurais grande envie de le retenir ; mais cela ressemblerait trop à la première scène.
Scène xi
Tancrède seul dans la forêt
tancrède
Où suis-je ? quelle épaisse forêt ! ne serait-ce point le bois de Boulogne ?... malepeste ! prenons garde à nous.
Air : Quand le péril [est agréable]
Ah ! quoiqu’une route facile
Conduise dans ce bois touffu,
Plus d’un chevalier s’est perdu
Dans cet obscur asile.
Mais, que dis-je ! je n’y pense pas, je suis dans la forêt de l’enchanteur... On jette des flammes. Miséricorde ! des flammes ! vous verrez que le feu aura pris à la cuisine. Courage Tancrède, il ne s’agit pas ici d’avoir peur : entrons dans la forêt. \did On joue l’air des Pendus. Qu’entends-je ! l’air des pendus ! ah ! que cela est touchant, je me sens attendrir.
Air : Lampons
En vrai héros de roman...bis
Surmontons l’enchantement.bis
Une simple ritournelle,
Pour m’arrêter suffit-elle ?
Non, non, non, non,
L’air n’en est pas assez bon.
Le théâtre change, et représente une place publique où on voit plusieurs affiches.
tancrède
Que veut dire ceci ? me voilà transplanté tout d’un coup. Que d’affiches ! voyons ce que l’on joue aux Italiens.
Il lit.
Air : Ma raison s’en va bon train
C’est la Foire Saint-Germain,
Où le sieur Mezzetin
Représentera ;
Et l’on payera
Pour cette fois le double :
Le beau prétexte que voilà !
Ils pêchent en eau trouble, lan la,
Ils pêchent en eau trouble.
Air : Nanon dormait
À l’Opéra,
Voyons ce que l’on crie.
Tancrède... ah ! ah !
Quoi ? l’on me parodie
Sur ce théâtre-là ?
Morbleu ! \ibis\ Je lui revaudrai celui-là.
Que de romans ! que d’histoires !
Air : Là-haut sur ces montagnes
Ô ! Libraires peu sages,
Que je vous plains ! hélas !
Tout ces nouveaux ouvrages
Feront peu de fracas.
Scène xii
[Tancrède, Garçons et Servantes de Cabaret]
Les danseurs et les danseuses en garçons et servantes de cabaret, entrent sur le théâtre au son de la symphonie, une table est tout d’un coup dressée, les servantes de cabaret y font asseoir Tancrède et le servent.
tancrède
Ah ! le coquin d’enchanteur ! il m’a pris par mon faible.
Air : [De nos agréables retraites]
De nos agréables retraites
Bacchus a banni les façons,
Et l’Amour les soupçons.
Les plaisirs dont nous jouissons,
Nous offrent des douceurs parfaites,
Si nous vidons à grand bruit nos flacons,
Nous caressons en secret nos fillettes.
On danse.
Un Garçon
Air : L’amour dans la vie
Bacchus dans la vie
Peut seul nous charmer,
Sa douce ambroisie
Sait nous animer.
Une Servante
La grandeur suprême
N’offre qu’un bien trompeur ;
Boire à ce qu’on aime
Fait le vrai bonheur.
À deux, ensemble
Bacchus dans la vie
Peut seul nous charmer,
Sa douce ambroisie
Sait nous animer.
Tancrède s’endort à table, les danseurs l’emportent sans qu’il se réveille.
Scène xiii
Herminie, Clorinde
herminie, à part
Air : Quand on a prononcé ce malheureux oui
Tancrède est, par mes soins, transporté dans la cave,
Au défaut de l’Amour, Bacchus m’offre un esclave ;
Ma rivale paraît, éprouvons-la, je crois
Qu’elle aime à babiller, autant et plus que moi.
Air : Tuton tutaine
Quel bonheur vous offre à mes yeux ?
clorinde
J’ai suivi Tancrède en ces lieux,
J’ai craint un pouvoir odieux ;
Et de l’enchanteur furieux
La trop fatale haine.
herminie
Tu, tu
T’en alarmes-tu ?
Bon, bon.
clorinde
Vraiment, pourquoi non ?
Quoi ! se venge-t’on
Par la trahison ?
Tutaine tu ton
Tutaine.
Air : Ce n’est point par effort qu’on aime
Il faut triompher avec gloire,
Et je prétends le secourir.
herminie
Il n’est plus temps.
clorinde
Le puis-je croire ?
herminie
Dans la cave il vient de périr.
clorinde
Était-ce en le faisant trop boire
Qu’il fallait le faire mourir ?
Il est mort ! juste Ciel ! que viens-je d’entendre ?
Air : Les Dieux comptent nos jours
Que dans le monument
Notre ardeur nous rassemble ;
Diffère d’un moment
Attends-moi, cher amant,
Attends-moi donc...bis
herminie
Est-ce pour aller chez Pluton
Qu’il faut partir ensemble ?
Comment vous soupirez, vous l’aimez donc, ma mie ?
clorinde
Hé bien oui ! puisqu’il est mort, il faut l’avouer.
Air : Croyez-vous qu’amour m’attrape ?
Par ce soupir qui m’échappe
Connaissez mon tendre amour.
herminie
Comme elle mord à la grappe !
Quoique ce soit un vieux tour :
Allez, ce n’est qu’une attrape,
Car il voit encore le jour.
Et qui plus est, tu vois ta rivale.
clorinde
Air : Vraiment ma Commère oui
Quoi ? vous l’aimez donc aussi ?
herminie
Vraiment, ma commère, oui.
clorinde
Cet amour est-il dans l’histoire ?
herminie
Vraiment, ma commère, voire,
Vraiment, ma commère, oui.
Et quand il n’y serait pas, l’épisode ne serait-il pas permis ? tu vas toujours le voir mourir à bon compte.
clorinde
Arrête, perfide.
herminie
Oui, oui, arrête, je t’en réponds, je ne reconnais point ta puissance, éprouve les effets de la mienne ; patience, tu vas voir beau jeu.
On entend derrière le théâtre un grand bruit de pots et de cruches cassées.
clorinde, seule
Ah ! quel carillon ! cher Tancrède, c’en est fait ! tu vas donc périr ?
Air : Pour mettre un homme au monument
Sauvons-le... ne le sauvons pas...
Clorinde que prétends-tu faire ? hélas !
Quel embarras !
Songe à ta gloire,
De l’amour perd la mémoire.
C’est mon ennemi... comment
L’arracherais-je au monument ?
Mais d’un autre côté, c’est mon amant,
Et je cède à ce mouvement.
Scène xiv
Tancrède seul
tancrède
Le théâtre représente un sombre caveau.
Air : Un Inconnu
Caveau profond où l’on m’a fait descendre,
Vous que le jour ne pénétra jamais,
Je vais répandre
Par mes hoquets,
Le vin charmant que je bus à longs traits :
J’en ai tant pris, qu’il faut enfin le rendre.
Air : Les filles de Nanterre
Sans secours, sans défense,
Ivre comme un cochon,
Amant sans espérance,
Ah ! le joli garçon !
Scène xv
Herminie, Tancrède
tancrède
Mais, que vois-je ! que venez-vous faire dans cette sombre retraite ?
Air : [L’autre jour Isabelle]
L’autre jour Isabelle
Vint me trouver dans mon caveau.
Tenez, je ne vous demande pour toute grâce, que mes armes, je suis modeste comme vous voyez.
Air : Et prête-le moi donc
Et faites-la moi donc
Rendre ma longue épée,
Et faites-le moi donc,
Rendre mon espadon.
herminie
Oui, oui, tu n’as qu’à t’y attendre, après tout ce que tu m’as fait.
tancrède
Moi ! je ne vous ai rien fait.
herminie
Air : Vous m’entendez bien
Par toi mes parents immolés,
Et tous mes états désolés,
Mais qui plus est, barbare,...
tancrède
Hé bien...
herminie
Clorinde... je m’égare !
tancrède
Je n’y comprends rien !
herminie
Cela est pourtant assez intelligible.
Air : Ô reguingué
Quoi ! cruel, tu ne m’entends pas ?bis
C’est trop mépriser mes appâts,
Tu vas recevoir le trépas.
À Isménor qui entre avec des diables.
Assouvissez votre colère,
De lui l’on ne saurait rien faire.
Scène xvi
Isménor, plusieurs diables, Tancrède, Herminie
isménor
airopera
Commence à ressentir l’effet de ma puissance.
tancrède, bâille
Quel ennui vient m’environner ?
isménor
Ce n’est pas tout.
Il touche Tancrède de sa baguette.
Air : Vaudeville de la foire des Fées
Lutins, paraissez en ces lieux,
Rendez ma vengeance complète.
tancrède
Si je pouvais ; liron lirette,
M’endormir pendant tout ce jeu,
Pour moi l’heureux coup de baguette.
Il s’appuie sur un tonneau.
isménor
Oh ! tu ne dormiras pas. Allons, faites-lui bien peur avant de le tuer.
tancrède
Cela est fort généreux.
Les lutins tourmentent Tancrède, on lui appointe un canon, dont l’amorce prend, on lui tire un coup de fusil qui est plein de farine dont il reste tout blanc, et autres lazzis.
tancrède
Que diable finissez donc, je n’aime pas les jeux de main, c’est assez badiner.
isménor
Il a raison, c’est trop le faire languir.
Il lève le bras pour frapper Tancrède.
herminie
Air : Ah ! qu’il est beau l’oiseau.
Arrêtez !
tancrède
Ciel ! m’a-t’il frappé ?
isménor
Qu’entends-je ? m’auriez-vous trompé ?
herminie
Je l’aime, je l’aime.
tancrède
Il est toujours dupé
Le Nicodème.
isménor
Son trépas va me faire justice de votre trahison ; mais voici Clorinde qui arrive fort à propos : il me vient une plaisante idée.
Air : Dedans nos bois il y a un ermite
Pour me venger d’une ingrate maîtresse,
Et d’un heureux rival :
Je le remets entre vos mains, Princesse.
clorinde
Quel trait original !
Des vrais jaloux, Isménor est la perle.
isménor, en s’en allant
Je suis un fin merle
Moi,
Je suis un fin merle.
herminie
Allons, puisque j’ai fait la sottise de le sauver, il faut encore les laisser ensemble.
Scène xvii
Tancrède, Clorinde
tancrède
Air : Galant, retirez-vous
C’est ma belle Princesse
Qui vole à mon secours,
Cette délicatesse
Redouble ma tendresse ;
Disposez de mes jours,
Comme de mes amours.
clorinde
Tenez Tancrède, voilà votre épée, mais quittons-nous au plus vite.
tancrède
Moi, vous quitter ? eh ! que deviendrais-je ? Il pleure. Je vais mourir.
clorinde
Non ! vivez !
tancrède
Oui, que je vive !
Air : C’est une chose
Vous aimer et quitter vos appâts,
C’est une chose qui ne se peut guère ;
Vous aimer et quitter vos appâts,
C’est une chose qui ne se peut pas.
Je devrais déjà être mort.
clorinde
Air : Comme un coucou [que l’amour presse]
Vivez, Clorinde vous l’ordonne.
tancrède
Vous me défendez de vous voir.
clorinde
Hélas ! quand je vous abandonne,
Je peste contre un fier devoir.
tancrède
Qu’entends-je !
clorinde
Air : Joconde
Va, fuis, importune fierté,
Cesse de me contraindre,
Laisse mes feux en liberté,
Tu ne peux les éteindre ;
L’amour me fait sentir des traits,
Qui déchirent mon âme :
Jugez, par l’aveu que j’en fait,
De l’excès de a flamme.
tancrède
Véritablement, cela est assez vif pour une première déclaration ; mais cela est pardonnable.
Air : [Il est certains petits moments]
Il est certains petits moments
Où les dames,
Les filles, les femmes,...
clorinde
Je réparerai bien tout cela, laissez-moi faire.
tancrède
Vous m’aimez ! que mon sort est charmant.
clorinde
Pas tant que vous vous l’imaginez, vous avez la gloire à craindre.
tancrède
Encore la gloire ?
clorinde
Tancrède devrait-il avoir besoin de semblables remontrances ; faut-il qu’une femme les lui fasse ?
Air : Toujours un bon gars
Toujours les guerriers :
Doivent être alertes,
Loin de leurs foyers,
Prompts aux découvertes.
Et prêts au combat,
Quand le tambour bat.
tancrède
Je comptais faire l’amour en quartier d’hiver.
Tous deux, ensemble
Air : Non, non, il n’est point de si joli nom
Sans toi, gloire trop barbare,
Nous n’aurions que de beaux jours ;
Faut-il que ta loi sépare
Deux cœurs faits pour les amours ?
\did Tancrède Quoi donc ? \did Clorinde Non, non,
\did Tancrède Faut-il que le bruit du canon
\did Clorinde Il faut que le bruit du Canon,
Et l’éclat de la fanfare,
\did Tancrède Quoi donc ? \did Clorinde Non, non,
\did Tancrède Faut-il que le bruit du canon
\did Clorinde Il faut que le bruit du Canon,
Tous deux, ensemble
Fasse envoler Cupidon.
clorinde
Séparons-nous, c’est assez chanter.
tancrède
Adieu, nous allons donc nous battre ! dans un moment vous verrez de la besogne bien faite.
clorinde, seule
Ma résolution est prise, pour me punir de mon amour, je vais combattre mon amant.
Air : Place au Régiment de la Calotte.
Avertissons le spectateur,
Si je le laissais dans l’erreur
Je pêcherai contre Aristote ;
D’Argan je prends la redingote,
Comment pourrais-je l’ajuster ?
N’importe, on pourra se prêter
Clorinde, à ta marotte,
Et plan, plan, plan,
Place au Régiment
De la Calotte.
Scène xviii
Herminie
Le théâtre change et représente les remparts d’une ville. On entend un bruit de trompettes, on joue l’air Aux Armes Camarades.
herminie
Air : Aux Armes Camarades
J’entends le bruit des armes,
Le soldat en fureur
Répand la terreur ;
J’entends le bruit des armes,
Mon cœur en est saisi d’horreur.
Ô mortelles alarmes,
Cessez de me troubler.
Mes yeux, séchez des larmes
Qui ternissent vos charmes,
Mes yeux, séchez des larmes
Qu’un ingrat fait couler.
Le jour paraît.
Air : Je reviendrai demain au soir
L’éclat qui se répand aux cieux
Perce jusqu’en ces lieux...bis
La nuit se passe et le jour vient.
Scène xix
Tancrède, au son des timbales et des trompettes, Herminie
tancrède
Air : Les coqs noirs ont battu les gris
Jamais je ne vis tant de batailles !
Jamais je ne vis tant de combats !
En un jour, combien de fracas !
Le matin combats,
Et le soir combats :
Jamais je ne vis tant de batailles !
Jamais je ne vis tant de combats !
Ah ! nous y voici encore.
Air : Pour passer doucement la vie
Eh, quoi ! vous verrai-je sans cesse ?
Quel sort vous offre à mes regards ?
Que faites-vous ici, Princesse ?
Que n’allez-vous sur vos remparts ?
herminie
Air : Eh ! comment ne pas se rendre
Ce même amour qui vous gêne,
Seule en ces lieux a su me retenir.
Pour vos jours tremblante, incertaine...
tancrède
C’est trop aller et venir.
Ayez la bonté de vous tenir un moment à l’écart ; j’ai quelque chose à me dire.
Air : Passant sur le Pont-Neuf
Dans l’horreur de la nuit un guerrier redoutable
À mes coups redoublés toujours inébranlable,
Par sa défense
Me faisait perdre patience ;
C’était sans doute Argan, quoiqu’il n’eût pas de lance.
Je l’ai occis, et l’on va m’apporter ses armes ; mais ce qui m’inquiète,
Air : Ah ! qu’il est beau l’oiseau
Lorsque je l’ai vu fléchissant,bis
Mon cœur de sa mort gémissant
Dondaine, dondaine,
Sentait en le perçant
Beaucoup de peine.
Quoiqu’il en soit, Argan est mort.
herminie
Hélas !
tancrède
Je vous conseille de vous en aller.
Herminie s’en va.
Air : Qu’on apporte bouteille
Qu’on apporte les armes
Du chevalier vaincu.
On apporte le bouclier et le casque d’Argan.
Pour le coup je n’ai plus d’alarmes,
D’Argan je reconnais l’écu.
Alons, Alons, \emph vivat, c’est mon rival que j’ai tué. Mais à propos de mon rival, qu’est devenue ma maîtresse ? ah ! la voilà ! mais que vois-je ?, c’est mon rival que j’ai tué. Mais à propos de mon rival, qu’est devenue ma maîtresse ? ah ! la voilà ! mais que vois-je ?
Scène xx
Clorinde blessée, Tancrède, Soldats
tancrède
Air : Qui vous a, Margoton
Quel objet présente-t’on
À ma vue épouvantée ?
Ma Princesse, quel félon
Peut vous avoir maltraitée ?
Qui vous a, qui vous a, Margoton,
Qui vous a si bien ajustée ?
clorinde
Même air
Ne demandez pas son nom,
C’est un coup de votre épée.
tancrède
Ah ! le brave champion !
J’ai fait une belle équipée !
C’est donc moi, c’est donc moi, Margoton,
Qui vous ai si bien ajustée ?
Air : Que je chéris mon cher voisin
Morbleu ! quel trait extravagant !
Jugez de ma surprise,
Ma foi, j’ai cru tuer Argan,
Excusez la méprise.
Air : Quand le péril est agréable
Qu’en ce jour mon courage brille,
Et que j’en retire un grand fruit !
Toute ma valeur se réduit
À tuer une fille.
clorinde
Allez, je vous pardonne : comment auriez-vous pu me reconnaître sous les armes d’Argan ?
tancrède
Quoi ! vous portiez les armes de ce géant ? qui diable s’en serait douté ? il faut avouer que tout va bien aux dames.
clorinde
Air : Les ceux qui l’ont tué
Mes yeux à la lumière
Vont bientôt se fermer,
Je finis ma carrière
Sans cesser de t’aimer,
Prends bien soin de tes jours dans ta douleur ;
Et ne va pas mourir.
tancrède
N’ayez pas peur.
On emporte Clorinde.
Fin