Antoine-François Riccoboni, Jean-Antoine Romagnesi
Pyrame et Thisbé
Parodie
1726
Les Parodies du nouveau Théâtre-Italien, Briasson, 1738
Acteurs
Ninus, chef des flibustiers : Paghetti
pyrame, son lieutenant : Thomassin en Arlequin
Thisbé : Silvia ou le chanteur en femme
Zoraïde : la demoiselle Lalande
Zoroastre, berger, père de Zoraïde : Romagnesi ou Riccoboni fils
Troupe d’esclaves chantants et dansants
Troupe de mitrons, de poètes et de musiciens
Troupe d’archers
Un cerf
Pyrame et Thisbé
Scène i
Zoraïde, Thisbé
zoraïde
Air : On n’aime plus [dans nos forêts]
Le perfide ne m’aime plus,
Rien ne saurait calmer ma crainte,
Dans ses soins les plus assidus
Je m’aperçois de sa contrainte,
Il soupire à bâtons rompus ;
J’ai perdu le cœur de Ninus.
thisbé
Zoraïde a trop de défiance ; une personne aussi aimable que vous doit-elle craindre une infidélité ? Ce chef des flibustiers, dont vous êtes éprise, revient vainqueur des pirates d’Alger. N’en doutez point, Ninus vous aime : il rêve, il soupire, il ne sait ce qu’il fait.
zoraïde
Air : Je reviendrai demain [au soir]
J’aurais déjà reçu sa foi,
S’il soupirait pour moi.bis
thisbé
À qui fait-il donc les yeux doux ?
zoraïde
Je crois que c’est à vous.bis
thisbé
Moi ?
zoraïde
Air : Ouiche, ouiche
Vos attraits, votre naissance
Vont me ravir ce cœur-là.
thisbé
Croyez que toute sa puissance
Jamais ne m’éblouira.
zoraïde
Ah, ah, ah !
Ouiche, ouiche,
Quelle fille refusera
Un amant riche ?
Ouiche, ouiche,
Eh oui-da !
thisbé
Air : Quand j’ai ma cornette [à deux rangs]
Vous m’offensez, en vérité,
Il ne sera point écouté.
Et qui peut ébranler mon âme ?
L’amour y fait régner Pyrame.
zoraïde
Ô Ciel !
thisbé
Nous nous aimions depuis longtemps, et je n’attendais que son retour pour conclure notre mariage.
zoraïde
Vos parents y donnent sans doute leur consentement ?
thisbé
À vous dire le vrai, nous n’en connaissions autrefois que de très bourgeois ; mais depuis peu un nouveau généalogiste nous a fait descendre de têtes couronnées, qui veulent que cet hymen s’achève. Je ne sais comment tout cela tournera. Mais voici venir Ninus, et Pyrame avec lui ; voulez-vous les aborder ?
zoraïde
Non, je dois leur cacher mon trouble.
thisbé
Ce ne sera pas mal fait ; car aussi bien ont-ils quelque chose à se dire que nous ne devons pas entendre.
Scène ii
Ninus, Pyrame
ninus
Air : Trois enfants gueux
Viens recevoir les honneurs éclatants
Qu’on te prépare en cet heureux asile,
Nos flibustiers de toi sont fort contents ;
Mais pour moi seul ta gloire est inutile.
pyrame
J’en suis bien fâché ; vous avez pourtant eu la meilleure part du butin.
ninus
Ah, mon ami ! Je suis dans un grand embarras.
pyrame
Ma foi ?
ninus
Air : La jeune Isabelle
D’une amour nouvelle
Je suis occupé,
Je quitte la belle
Dont j’étais frappé.
Pourquoi Zoraïde
M’aime-t-elle encor ?
Si je suis perfide,
Elle seule a tort.
pyrame
Bon ?
ninus
Sans doute, si elle ne m’aimait plus, elle n’aurait plus rien à me reprocher.
pyrame
Fi donc !
ninus
Cela est comme je te le dis.
pyrame
Tant pis.
ninus
Air : Trembleurs d’Isis
Élevé dans les alarmes,
Dans le tumulte des armes,
Je ne goûtais point les charmes
Qu’un tendre amour nous produit ;
Mais en mettant pied à terre
J’ai vu la fille du frère
De la femme de mon père,
Ma cousine autrement dit.
pyrame
Thisbé ?
ninus
Air : Dieu des amours, Menuet
Eh quel autre pourrait, grands dieux,
Me rendre sensible ?
De ses beaux yeux,
Vifs, amoureux,
Je sens tous les feux.
Du Dieu d’amour,
En ce jour,
Un trait invincible
Arme la cruelle main
Pour chasser le repos de mon sein.
D’un vainqueur,
Plein de douceur,
Ô pouvoir terrible !
Le trait vole et perce mon cœur.
Air : Vous n’avez pas besoin
Un seul moment de notre sort décide,
Au Dieu d’amour je n’ai point échappé,
J’ai cru d’abord adorer Zoraïde,
Mais je vois bien que je m’étais trompé.
pyrame
Et son père ?
ninus
Que diable, tu ne me parles que par monosyllabes !
pyrame
C’est que tous mes amis me conseillent de ne plus rien dire.
ninus
Puisque tu ne peux me donner aucun avis, je vais chercher Thisbé ; je ne puis être un moment sans la voir.
Scène iii
Thisbé, Pyrame
thisbé
Air : Un canard
Je vous revois, mon cher Pyrame,
Dans cet agréable séjour,
Tout rit à notre heureuse flamme,
La fortune, et la gloire, et l’amour.
pyrame
Air : Quand Moïse [fit défense]
Celui qui pour cette affaire
Quitte son natal séjour
Risque toujours trop à faire
Le voyage le plus court :
Si le pauvre diable laisse
Ou sa femme, ou sa maîtresse,
Qu’il s’attende, en revenant,
À trouver du changement.
Hélas !
thisbé
Vous soupirez, qu’avez-vous ?
pyrame
Air : Ô reguingué
Lorsque vous partagez mes feux,bis
Je n’en suis que plus malheureux,
Ô reguingué, ô lon lan la.
thisbé
Éclaircissez-moi cette emblème.
pyrame
Ninus...
thisbé
Parlez.
pyrame
Ninus vous aime.
thisbé
Le flibustier ?
pyrame
Air : Prenez bien garde à votre [cotillon]
Flatté de l’espoir le plus doux,bis
Il va venir à vos genoux
Vous offrir argent et bijoux.
thisbé
Ah ! Vous m’offensez, Pyrame.
pyrame
Quel tendre courroux !bis
thisbé
Il est plus juste que tendre : pouvez-vous me croire intéressée ?
pyrame
J’ai tort : je dois appréhender son pouvoir, et non pas ses richesses. Nous dépendons ici de lui ; et si vous le refusez, je crains qu’il ne s’irrite.
thisbé
Zoraïde le rappellera par ses larmes, il lui a promis de l’épouser.
pyrame
Bon ! Il s’embarrassera bien de lui tenir parole. Vous ne le connaissez pas.
Air : Monsieur La Palisse
Par un attentat cruel
Il brisera notre chaîne ;
Si vous n’allez à l’autel,
Craignez qu’il ne vous y mène.
thisbé
Ne vous figurez point cela.
pyrame
Je dois prévenir ce malheur en vous cédant à mon rival. Je crois que c’est le plus court.
Air : Birène
Par charité, ne pensez plus à moi,
Quand cet amant aura rempli ma place,
Je gémirai de vous voir sous sa loi,
Mais il faudra qu’à la fin je m’y fasse.
thisbé
Que je ne pense plus à vous ! Ah, que vous êtes sage pour un amant passionné ! Il y en a bien d’autres qui penseraient différemment.
Air : l’opéra nouveau, menuet
Souvent l’amant
Voit sans tristesse
Prendre à sa maîtresse
Un engagement ;
Il espère,
S’il sait lui plaire,
Goûter les plaisirs
Dont on privait ses désirs.
pyrame
Je profiterai de l’avis ; mais voici Ninus, ne faites semblant de rien.
Scène iv
Ninus, Pyrame, Thisbé
ninus, à Pyrame qui veut s’en aller
Arrêtez, Pyrame.
pyrame
Je suis discret.
ninus
Non, il est nécessaire que vous entendiez mon compliment.
À Thisbé.
Air : Pendus
L’Amour qui me guide en ces lieux
Me fait chercher dans vos beaux yeux
Le destin que je dois attendre ;
Plus en amant soumis et tendre
Qu’en vainqueur des Algériens
Je viens m’offrir à vos liens.
thisbé
Air : Chantez petit Colin, Menuet
Résistez mieux, Seigneur,
Au transport qui vous guide.
Quoi, vous m’offrez un cœur
Qui doit brûler d’une autre ardeur ?
Ah ! Si pour Zoraïde
Vous devenez perfide,
Je dois à mon tour,
D’un volage amour
Craindre le retour.
ninus
Bon, ne voyez-vous pas que mon cœur n’était fait que pour vous ?
thisbé
Mais vous avez promis à Zoraïde de l’épouser ; pouvez-vous lui manquer de parole ?
ninus
C’est une bagatelle à laquelle mon esprit a remédié.
Air : Dansons le nouveau cotillon
Sur mon fidèle lieutenant
Je puis déposer un fardeau si pesant.
Mon cher Pyrame,
Prends pour femme
Ce jeune tendron.
pyrame
Le beau présent, ah, voyez donc !
Il agit avec ses amis
Comme les traitants avec leurs commis.
ninus
Et pour t’obliger à me rendre ce service, je te fais mon égal, sois comme moi chef des flibustiers.
pyrame
Justement, il me donne une direction.
Air : Je n’en veux pas davantage
Faites votre mariage
Sans disposer de mon cœur,
J’estime peu l’avantage
Et l’éclat de la grandeur.
Mon respect pour vous m’engage
À n’être que votre second,
Eh, non, non, non,
Je n’en veux pas davantage.
ninus
Vous êtes trop modeste, Pyrame ; je vous fais présent des galères que vous avez prises. Que leurs forçats viennent célébrer à l’impromptu l’hommage qu’ils doivent au charmant objet de mes vœux.
thisbé
Mais attendez du moins que j’aie accepté le vôtre. Vous vous dites amant soumis et tendre, et vous me donnez une fête sans savoir si elle me sera agréable.
ninus
Oh ! Cela est sous-entendu : les flibustiers n’y cherchent pas tant de façons ; et d’ailleurs, quand il s’agit d’un divertissement, il faut bien qu’il arrive, n’importe comme il est amené.
Marche de forçats algériens.
Un Forçat
Air : Laissons-nous charmer du plaisir d’aimer
Que de nos transports
Naissent des accords
Qui surpassent Lully
En vif, en joli.
Si parfois nos vers
Vont un peu de travers,
Un bon air à danser
Les fait passer.
La musique,
Quoique antique,
Par notre art se recrépit ;
Et la Muse
La plus buse
Peut plaire en dépit
Même de l’esprit.
Que de nos transports, etc.
Un spectacle parfait
Ne va pas sans ballet,
Mais qu’ici sur tout point l’entrechat brille ;
Que la fille
Y sautille,
Et nous fasse voir
Tout son savoir.
Que de nos [transports] etc.
vaudeville
1
Quand pour un tendre voyage
Vous voulez vous embarquer,
Belle, craignez l’esclavage,
On viendra vous attaquer.
Si vous voulez être sage,
Ne combattez qu’en fuyant,
Dès qu’on vient à l’abordage,
Votre galère se rend.
2
Voyageur que l’amour guide,
Voguez toujours hardiment ;
Ne soyez jamais timide,
Pour vaincre, risquez souvent.
La beauté qui paraît fière,
Et n’aime qu’à pirater,
Souvent déclare la guerre
Pour se laisser emporter.
3
Une victoire parfaite
Doit toujours un peu coûter ;
Gardez-vous de la coquette
Qui se rend sans résister :
Elle vous paraît fidèle,
Pendant quelque temps vous suit ;
Mais dès qu’elle voit sa belle,
Vous coule à fond et s’enfuit.
Scène v
Zoraïde, les Acteurs précédents qui se retirent après son couplet
zoraïde, à Ninus
Air : Allez-vous-en gens de la noce
À qui dans ces lieux veut-on plaire ?
Ne puis-je l’apprendre de vous ?
Pourquoi me faire un mystère
D’un spectacle si beau, si doux ?
Expliquez-vous.bis
pyrame
Comment voulez-vous qu’il s’explique si vous l’étranglez ! Il ne fait pas bon ici pour nous ; allons-nous-en.
zoraïde
À qui dans ces lieux veut-on plaire ?
Ne puis-je l’apprendre de vous ?
ninus
Air : Viens ici que je te régale
Mon embarras doit vous suffire.
zoraïde
Expliquez-vous sans nul détour.
ninus
Que diable ici vais-je lui dire ?
zoraïde
Ah ! Trahiriez-vous mon amour ?
ninus
Vraiment oui ; mais c’est à regret, je vous assure, et ce qui fait que je ne vous aime plus, c’est que j’adore Thisbé.
zoraïde
Ah, scélérat !
ninus
Vous devriez prendre une résolution généreuse, vengez-vous de moi en épousant Pyrame ; c’est un joli garçon, qui est de mes parents à ce qu’on dit, et qui...
zoraïde
Halte-là ! C’est bien à toi de disposer d’une main que tu méprises ! Mais ne te mets pas en peine, je vais le dire à mon père.
Air : Sur la terre et sur l’onde
Sur la terre et sur l’onde
L’enfer le seconde,
Il fait, s’il veut,
Beau temps quand il pleut,
Par son pouvoir tout se meut.
Il voit dans la main
Si l’homme est enclin
Au destin de Vulcain.
Ne sait-il pas
Tourner le sas,
Arrêter un carrosse ?
Il rosse,
Fait bosse,
Tord le cou,
Change en loup-garou.
ninus
Bon, bon, je ne crois point aux sorciers.
zoraïde
Air : Tarare ponpon
Par un tendre retour,
Reviens à moi, barbare !
Tu vois que mon amour
Surmonte ma raison,
Que rien ne nous sépare :
Aime-moi, cher Ninon,
Quitte Thisbé.
ninus
Tarare
Ponpon.
Tout ce que je puis faire, c’est de vous plaindre, de me plaindre, et de nous plaindre tous deux. Croyez-moi, oubliez jusqu’au nom de Ninus.
zoraïde
Air : Nanette dormez-vous
Eh ! Puis-je t’oublier ?bis
Tu veux donc que je t’aide à te justifier !
Non, non, non, mon seul recours
Est de trancher mes jours.
ninus
La pauvre fille !
Air : Quand je tiens de ce jus [d’octobre]
Que votre sort est déplorable !
Je voudrais bien le partager :
Je vois le mal qui vous accable,
Mais je ne puis vous soulager.
zoraïde
Air : Voici les dragons [qui viennent]
Trouve en ta nouvelle flamme
Un supplice égal ;
Tu peux y livrer ton âme,
Puisqu’il est vrai que Pyrame
Est ton rival.bis
Scène vi
Ninus seul
ninus
Pyrame est mon rival !
Air : De tous les capucins [du monde]
Ah ! Je vous apprendrai, Pyrame,
À vous faire aimer d’une femme
Dont je veux faire ma moitié !
Mais, hélas ! ce n’est pas sa faute ;
Je dois plutôt avoir pitié
Du pauvre diable à qui je l’ôte.
Non, je ne puis oublier ce que je lui dois... Bon, c’est bien à un pirate à faire de semblables réflexions ! Ne devait-il pas m’avertir de ne point m’attacher à Thisbé ?
Air : Voilà les critiques de reste
C’est toi seul qui me rends parjure,
Ton sang lavera cette injure.
Coulez, perfide sang, coulez.
Mais quel remords trouble mon âme ?
Fierté, raison, funeste flamme,
Accordez-vous si vous voulez.
Je vais toujours à bon compte faire mettre Pyrame en prison.
Scène vii
Pyrame, Thisbé
pyrame
Ah ! Ma chère Thisbé, cette babillarde de Zoraïde vient de me dire qu’elle avait découvert notre amour à Ninus, nous sommes perdus.
thisbé
Qu’allons-nous devenir, mon cher Pyrame ?
pyrame
Je vous l’avais bien dit tantôt, il faudra nous séparer.
thisbé
Air : La jeune Iris
Nous séparer, ah ! Seriez-vous perfide ?
Nous séparer, aimez-vous Zoraïde ?
pyrame
Non,
Mais je suis un peu timide,
Je crains les coups de bâtons.
thisbé
Quoi, vous qui avez pris tant de galères, vous tremblez ? N’est-ce pas à vous à nous délivrer d’un pouvoir tyrannique ?
pyrame
Air : Quand on a prononcé [ce malheureux oui]
Hé bien ! Vous le voulez, il faut vous satisfaire :
Je vais contre un tyran exercer ma colère,
Je vais percer le sein d’un rival odieux ;
Mais je puis m’en punir en mourant à ses yeux,
Et ma main aussitôt contre mon sein tournée\footnote Vers déclamé.
Mais je m’embarbouille dans Cinna. Voyez comme on se rencontre.
thisbé
Arrêtez, Pyrame, puisque vous m’aimez, je suis contente.
pyrame
Et moi, je ne le suis pas, je crains Ninus.
thisbé
Il m’aime trop pour m’épouser malgré moi, et je suis sûre qu’il immolera son amour à mon contentement.
pyrame
Air : Triolets
Ninus n’est pas si sot que moi,
Il veut être content lui-même,
Son amour veut faire la loi,
Ninus n’est pas si sot que moi.
Ce n’est pas un gaillard, ma foi,
À s’immoler pour ce qu’il aime.
Ninus n’est pas si sot que moi,
Il veut être content lui-même.
thisbé
Je vois bien qu’il faudra l’épouser ; mais tandis que nous avons le temps,
Tous deux, ensemble
Air : Des fraises
Amusons-nous à pleurer,
Puisque Amour nous rassemble,
On ne peut nous envier
Le plaisir de soupirer
Ensemble, ensemble, ensemble.
Scène viii
Zoraïde, Pyrame, Thisbé
zoraïde
Ah ! Mes chers enfants, la bonne nouvelle ! Je crois que Ninus revient à lui, et qu’il me rend son cœur.
thisbé
Sur quoi fondez-vous cette conjecture ?
zoraïde
Nous venons de nous rencontrer, et sitôt qu’il m’a vue, il s’est mis à fuir.
thisbé
Et vous appelez cela vous aimer ?
zoraïde
Il n’en faut pas douter, ce sont ses remords qui agissent.
pyrame
Je dois profiter d’une occasion si favorable.
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Sur de si justes conjectures,
Je vais tâcher de l’adoucir :
Nous prenons fort bien nos mesures,
Je crois qu’elles vont réussir.
[Il sort.]
thisbé
Je vous suis, cher Pyrame.
Toutes deux, ensemble
Air : Quand le péril [est agréable]
Protège, Amour, deux malheureuses,
Qu’elles voient leurs maux finir.
Hélas ! Voudrais-tu nous punir
D’être trop amoureuses ?
Scène ix
Zoroastre dans une lanterne magique, Zoraïde
zoroastre
Air : Je viens exprès du Congo
Je viens exprès du sabbat, a a a,
Du sabbat,
J’ai pitié de ton état,
Rassure-toi, ma fille,
Le diable est mon ami, i i i,
Mon ami,
Le diable est mon ami.
Je vais bientôt lui faire emporter Ninus.
zoraïde
Ah ! Gardez-vous-en bien, mon père : il m’est plus cher que jamais.
zoroastre
Je veux donc couler ses galères à fond, et noyer tout son équipage.
Air : l’opéra
C’est par le malheur des sujets
Qu’on peut punir des rois les injustes projets.
zoraïde
Ah ! Mon cher père, les fautes sont personnelles.
Air : De tous les capucins [du monde]
Qu’a fait ce peuple misérable
Pour que votre courroux l’accable ?
Ah ! Vous raisonnez à peu près
Comme cette belle maxime :
La vertu poussée à l’excès
Est plus à plaindre que le crime.
zoroastre
C’est par là que l’on brille.
zoraïde
Mon père, je vous conjure d’apaiser votre courroux.
zoroastre
Non, je veux du moins faire paraître quelque monstre extraordinaire pour lui faire peur.
zoraïde
Cela ne servira de rien. Vous verrez que votre monstre sera inutile.
zoroastre
Comment, inutile ? Je veux qu’il fasse un ravage épouvantable ; qu’il tue à tort et à travers.
Air : J’irai vous voir
Non, rien ne peut désarmer ma colère
Puisque Ninus ose se dégager,
Il périra...
zoraïde
Sa personne m’est chère,
C’est me punir en voulant me venger.
zoroastre
Mais je n’y comprends rien ; qui aurait jamais cru qu’une femme amoureuse et trahie fût si peu vindicative ? Mais je ne dois consulter que mon honneur offensé ; en le vengeant, je punis ensemble l’amant perfide et la trop faible amante.
Air : l’opéra
Qui craint de se venger mérite qu’on l’outrage.
À propos, Pyrame est en prison par votre faute ; allons le délivrer, tant pour faire enrager Ninus que pour réparer votre indiscrétion. Ne songeons qu’à nous venger !
Air : La Chasse
L’honneur doit étouffer la tendresse.
Rassure ton cœur triste et plaintif,
Plus est cher l’offenseur qui nous blesse,
Plus on doit être rébarbatif.
Tu me connais vindicatif,
Je veux que ce marin chétif,
Pâle et craintif,
Plus mort que vif,
De son peuple fugitif
Ne puisse emplir un esquif.
Scène x
Thisbé
Le théâtre représente une prison.
Air : Ah que Monseigneur [est charmant]
Eh quoi ! L’objet de mon amour
Gémit dans un affreux séjour !
Nous verrions du moins en ce jour
Notre peine adoucie,
Si je pouvais dans cette tour
Lui tenir compagnie.
Scène xi
Zoroastre, Zoraïde, Thisbé, Pyrame
zoroastre
Cessez de soupirer, Thisbé, je viens au secours de votre amant, et le délivrer de sa captivité.
thisbé
Ah ! le voilà à la fenêtre de sa prison.
pyrame
Ma chère Thisbé, vois comme on me traite.
thisbé
On vient à ton secours, mon cher Pyrame. Monsieur est un habile magicien qui s’intéresse pour nous, et qui va te délivrer.
zoroastre
Oui, oui, vous allez voir.
Air : Passant sur le Pont-Neuf
Esprits, qui dans les airs allumez le tonnerre,
Et vous, qui demeurez au centre de la terre,
Tirez de peine
Un héros qu’on tient à la chaîne,
Sans paraître en ces lieux sous une forme humaine.
thisbé
Vous allez nous priver d’un divertissement de lutins.
zoroastre
Non, je vais y pourvoir.
pyrame
Ah ! Monsieur, gardez-vous bien de les faire danser. Ils ne finiraient jamais, et je suis pressé.
zoroastre
Air : Exaltons et chantons
Détruisons
Et brisons
Cette vieille architecture ;
Abattons,
Renversons
Et ces tours et ces prisons.
pyrame
Ah ! Monsieur, vous allez me faire assommer !
thisbé
Les solives lui tomberont sur la tête.
zoroastre
Non, non, vous allez voir de l’ouvrage bien fait.
chœur
Même air
Détruisons
Et brisons
Cette vieille architecture ;
Abattons,
Renversons
Et ces tours et ces prisons.
La prison est enlevée.
zoraïde
Ah ! Voyez de combien d’archers il est environné !
zoroastre
Ne vous embarrassez de rien ; voici comme je les mène.
Air : Dia huriau
Archers, qu’on cesse de garder,
Sans plus tarder,
Le bon Pyrame.
Fuyez vite et tôt,
Hola ho,
Dia huriau,
D’un saut.
Scène xii
Pyrame, Thisbé, Zoroastre, Zoraïde
pyrame
Air : Ne m’entendez-vous pas
Quoi ! Bergère, c’est vous ?
thisbé
Quoi ! C’est vous ?
Ensemble, ensemble
C’est moi-même.
pyrame
Je revois ce que j’aime.
thisbé
Ah, que mon sort est doux !
Ensemble, ensemble
Quoi ! Bergère, c’est vous ?
Quoi ! Pyrame, c’est vous ?
thisbé
C’est à Zoroastre que nous avons cette obligation.
pyrame
Je ne puis ni l’exprimer, ni la reconnaître : quel plaisir d’avoir affaire à ces messieurs ! Nous aurions eu de la peine à sortir d’embarras, si le diable ne s’en fût mêlé.
zoroastre
Ne vous amusez point à la bagatelle, les moments sont chers, profitez-en et fuyez au plus vite.
pyrame
Il a, ma foi, raison : que ne prenions-nous ce parti-là tantôt ? Mais, Thisbé, nous ne pouvons nous en aller ensemble, prenez d’un côté et moi de l’autre, nous nous retrouverons dans ce cimetière...
zoroastre
Eh, fi ! Voilà un beau rendez-vous.
Air : La faridondaine
Je vous conseille, mes enfants,
De vous rendre au rivage,
Là, ne perdez point les instants,
Mettez-vous en voyage.
pyrame
Ma foi, votre conseil est bon,
La faridondaine, la faridondon.
zoroastre
Oh ! Par mes soins tout réussit.
pyrame
Biribi,
À la façon de Barbari,
Mon ami.
Scène xiii
Zoroastre, Zoraïde
zoroastre
Air : Tu croyais en aimant Colette
Connais les traits de ma puissance,
Ninus, tu voulais me braver !
Leur fuite ébauche ma vengeance,
Leur rendez-vous va l’achever.
zoraïde
Air : l’opéra de Thisbé
Loin de murmurer contre un père...
zoroastre
Pourquoi murmurerais-tu ? Je te défais d’une rivale.
zoraïde
C’en est fait, je suis absolument guérie de mon amour, sans savoir comment.
zoroastre
Effet surprenant de la magie !
zoraïde
Air : Si vous voulez que je vous [baise]
Raison, fierté, dépit, vengeance,
Ah ! C’est à vous que j’ai recours ;
Secondez mon impatience,
Venez, volez à mon secours.
zoroastre
Voilà des paroles bien aisées à mettre en musique ! Puisque tu ne songes plus à lui, je vais le trouver et, avec le secours de mes diables, l’assommer de coups.
zoraïde
Je veux être de la partie.
Ensemble, ensemble
Fin de l’air : [Lucas pour se gausser de vous]
Pour nous venger de li, tapons, tapons,
Tapons, morgué, tapons sur sa bedaine,
Tapons, morgué, à grands coups de gourdin.
Scène xiv
Thisbé seule
thisbé
Ah ! Ma lanterne s’est éteinte ! Je ne vois plus goutte, comment trouverai-je mon chemin ?
Air : Rossignolet du vert bocage
Amour, que ton flambeau me guide
En ce moment,
Conduis une fille timide
Vers son amant.
Ritournelle
Air : Y avance [y avance]
Cher Pyrame, tu ne viens pas.bis
Qui peut te retenir, hélas !
Que tardes-tu, le jour s’avance,
Avance, avance, avance ;
Car j’ai besoin de ta présence.
Faut-il que j’arrive ici la première, ah ! Pyrame, quand il s’agit du rendez-vous !
Air : Est-ce ainsi qu’on prend les belles
Les amants vraiment fidèles
Doivent devancer nos pas,
L’amour leur prête ses ailes,
Cependant tu ne viens pas.
Est-ce ainsi qu’on prend les belles,
Lon lan la,
Ô gué lan la ?
Air : [Rossignolet du vert bocage]
Amour, que ton flambeau me guide
En ce moment,
Conduis une fille timide
Vers son amant.
chœur
Fin de l’air : [Évitons le compère Blaise]
Fuyons, fuyons ce gros goulu,
Quelle faim diabolique !
thisbé
Ah ! Quels cris entends-je en musique ?
chœur
Fuyons, etc.
thisbé
Fin de l’air : Confiteor
Le monstre approche de ces lieux.
Sauvez Pyrame, justes Dieux !
Elle sort.
chœur
Fuyons, etc.
Scène xv
Pyrame seul
pyrame
Quel monstre vient ici me couper le chemin ?
C’est un cerf échappé du faubourg Saint-Germain.
Malheureux animal, je te revois encore !
Trouverai-je partout la bête que j’abhorre !
Percé de tant de coups, comment t’es-tu sauvé ?
Tiens, tiens, voilà le coup que je t’ai réservé.
Il combat le cerf comiquement et le tue.
Meurs, meurs une bonne fois, et ne va plus chercher ta revanche dans d’autres forêts, où tu ne serais pas mieux reçu qu’ici. Mais c’est en cet endroit que Thisbé devait être, pourquoi ne paraît-elle point ?
Air : Le vent soufflait
Thisbé, Thisbé,
Qu’êtes-vous devenue ?
Thisbé, Thisbé,
Offrez-vous à ma vue,
À force de crier,
Thisbé, Thisbé, Thisbé,
Je vais m’enrouer.
Air : Ramplon
Personne ne répond,
Ramplon,
Personne ne répond,
Hélas ! Ninus peut-être,
Ramplan,
Pataplan,
Ramplon,
Pataplon,
Hélas ! Ninus peut-être
Me croque ce tendron,
Ramplon.
Cherchons dans cette forêt ; peut-être la peur l’a-t-elle fait cacher quelque part.
Air : Aïe, aïe, aïe
Mais que vois-je, malheureux !
N’est-ce pas là sa cornette ?
Oui, je reconnais les nœuds
Qu’avait fait sa main blanchette,
Aïe, aïe, aïe,
Et sa bagnolette,
Aïe, aïe, aïe, aïe, aïe.
Ah ! C’est moi qui suis la cause de sa mort ! Je voudrais bien savoir à quoi je me suis amusé.
Air : Margot sur la brune
Thisbé sur la brune,
Pour attendre fortune,
Thisbé sur la brune
Jamais ne reviendra ;
Mais son Pyrame,
Par cette lame,
Toute sa flamme
Lui prouvera,
En mourant, comme à l’opéra.
Il se tue.
Scène xvi
Thisbé, Pyrame
thisbé
Tout est calme, il faut que le monstre soit loin d’ici. Mais je le vois expirant : ah ! C’est Pyrame qui l’a tué, il n’y a que lui capable d’un si beau coup.
Apercevant Pyrame.
Air : Confiteor
Ciel ! Quel objet frappe mes yeux !
Pyrame ?
pyrame
Quelle voix m’appelle ?
Thisbé, c’est vous ? Sort rigoureux !
thisbé
Ô Ciel ! Quelle main criminelle...
pyrame
Je suis venu trop tard, tantôt,
Et je me suis tué trop tôt.
thisbé
Cher Pyrame, qui vous a mis dans cet état déplorable ?
pyrame
Je vais vous le dire. Il s’agit de savoir que, trompé par votre bagnolette, j’ai cru que ce maudit cerf vous avait tuée, je me suis aussi tué de désespoir : mais je n’ai pas voulu mourir sur le champ, parce que je me doutais bien qu’il fallait auparavant raconter mon histoire. À présent que voilà toutes mes affaires faites, je meurs.
thisbé
Air : Ils sont morts
Il est mort,bis
Pyrame n’est plus qu’un corps
Sans âme.bis
Mais voici le flibustier, faisons-lui envier notre sort, tout malheureux qu’il est.
Scène xvii
Thisbé, Pyrame, Ninus, Suite
ninus
Eh quoi ! Cruelle, vous me fuyez pour suivre un ravisseur qui ne peut échapper à ma vengeance ?
thisbé
Tiens, vois ce qui reste de ce héros, il est mort.
ninus
C’est dommage, que je le plains !
thisbé
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Pitié qui ne peut me séduire,
Ne l’espère pas aujourd’hui.
ninus
Hé bien, ce sera pour demain.
thisbé
Mon amant n’aura rien à dire,
S’il meurt pour moi, je meurs pour lui.
Scène xviii
Zoroastre, Ninus, Thisbé, Pyrame
zoroastre
Eh bien, mes chers enfants, n’ai-je pas fait merveille ?
thisbé
Oui assurément, votre monstre a fort bien opéré ; au lieu de punir un tyran,
il cause la mort de deux amants que vous vouliez défendre.
zoroastre
Ce n’est pas ma faute, s’il s’est trompé ; mon intention était bonne. C’eût été bien pis, si je vous avais envoyé Magotin, je n’aurais jamais pu raccommoder l’affaire. Mais il y a du remède à tout ceci, et je veux que vous épousiez Pyrame tout à l’heure.
pyrame
Vous n’y pensez pas ? Nous sommes morts.
zoroastre
Bon, vous avez cru cela ; vous vous porterez aussi bien que moi dans un moment.
pyrame
Vous m’allez peut-être noyer dans la fontaine de Diane pour me faire revivre ?
zoroastre
Non, un seul coup de ma baguette vaut toutes les eaux du monde.
thisbé
En effet, Pyrame, je me porte bien.
pyrame
Et moi aussi, Thisbé.
ninus
Puisque Thisbé n’est point morte, je prétends l’épouser.
zoroastre
Ne raisonne pas, je te ferai danser d’importance. Respecte des nœuds que je chéris. Hé bien, m’accuserez-vous encore d’avoir fait des bévues ?
pyrame
Cela va un peu mieux qu’à l’opéra.
zoroastre
Voici une troupe de poètes et de musiciens qui viennent implorer le secours de Cérès. Vous devez présider à cette fête comme fille de boulanger. Vous êtes esclave de votre naissance.
Scène xix
Thisbé, Zoroastre, Pyrame
Chœur de poètes et de musiciens qui chantent alternativement avec Thisbé à l’imitation de l’opéra
thisbé
Air : Ô Pierre, ô Pierre
Déesse de Gonesse,
Ah ! Que vos pains sont bons,
Vite, le temps nous presse,
Comblez-nous de vos dons :
Déesse, déesse,
Nous vous les demandons.
Fin