Denis Carolet
Samsonet et Bellamie
Le Racoleur
Parodie critique d’Achille et Déidamie
Représentée pour la première fois sur le nouveau Théâtre de l’Opéra-Comique au fauxbourg Saint-Germain
le 11 mars 1735
Paris, De maudouyt et Guillaume, 1735
Acteurs
Samsonet, fils de madame Testue
Bellamie, fille du procureur fiscal d’Asnières
Madame Testue, maîtresse du bac d’Asnières
Père Sirot, procureur fiscal d’Asnières
La Malice, sergent de milice
Lucas, milicien, ami de la Malice
Catau, cousine de Bellamie
Fileuses
Garçons de milice et paysannes
La scène est à Asnières.
Samsonet et Bellamie
Le théâtre représente le village d’Asnières sur le bord de la seine.
Scène i
Madame Testue, Père Sirot
père sirot
Air : Je ne veux point troubler votre ignorance
Quoi, sous l’habit d’un magister d’école
Vous prétendez déguiser votre fils ?
Non, ce n’est pas ainsi que l’on engeole
Les enrôleurs qui courent ce pays.
Et d’ailleurs, madame Testue, votre fils Samsonet, qui est mon neveu, est un gaillard qui ne demanderait pas mieux que de devenir un Samson.
madame testue
Il n’en sera rien, mon pauvre père Sirot, je le cacherais plutôt dans ma chemise, je ne me souviens que trop de la prédiction d’une bohémienne qui passa par Asnières il y a vingt ans et qui me dit très expressément.
Air : Ramonez-ci, [ramonez-là]
Quand vous verrez la milice
Il faut user d’artifice,
Si votre fils est soldat
Je vois par-ci et je vois par-là
Là, là
Qu’il périra dans un combat.
Depuis ce malheureux jour ces paroles-là ne me font point sorties de l’esprit, vous me prenez pour une folle, je le vois, mais enfin, on n’est pas mère pour rien, je lui ai caché qu’il était mon fils. Il se croit fils de feu Jean Renaud notre carillonneur et j’ai de lui tous les soins possibles sans qu’il me croie sa mère.
père sirot
Que de précautions inutiles ! Et que vous êtes folle ! Ne devriez-vous pas être plus raisonnable ? Une femme de tête comme vous doit-elle donner dans les contes d’une diseuse de bonne aventure ? Elle vous aura fait sans doute cette prédition pour avoir la pièce et parce qu’elle aura connu votre faible pour Samsonet.
madame testue
Air : Non, je ne ferai pas
Je voudrais de bon cœur avoir perdu la vie,
Aimable et cher objet, si l’on te sacrifie.
père sirot
Ma foi, vous radotez et de qui parlez-vous ?
Serait-ce d’un amant, serait-ce d’un époux ?
madame testue
Non, c’est de mon fils.
père sirot
L’expression est déplacée.
madame testue
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Que les cœurs tendres sont à plaindre,
Devrait-elle prévoir un malheur ?
C’est le sentir que de le craindre.
père sirot
Quel galimatias, ma sœur !
Votre fils vous fait tourner la cervelle. Si l’on vous entendait, on croirait que vous pleureriez un amant et non pas un fils. Il faut qu’à votre dernier voyage quelqu’un vous ait menée à l’Opéra, vous avez tout l’esprit de ce pays-là.
madame testue
On voit bien que vous êtes procureur, car vous n’avez guère l’âme compatissante.
père sirot
Je ne vous blâme pas d’aimer votre fils. Je l’aime pour le moins autant que vous, je vous dirai même que j’ai fait cette nuit un rêve à son sujet.
Air : Quand le péril [est agréable]
J’en suis hors de moi-même,
Une voix me disait tout bas
Que votre fils ne vivrait pas
Jusqu’à la mi-carême.
J’ai été effrayé de cette prédiction
et je ne demande pas mieux que de vous aider à conserver votre fils, mais dites-moi un peu,
Air : L’amour est un voleur
Que ne le cachiez-vous
Sous un habit de fille... ?
Sa figure est gentille.
madame testue
Vous moquez-vous de nous ?
Il lui prendrait envie
De faire quelques mauvais coups.
père sirot
Mais la mythologie...
madame testue
Ce serait confier aux loups
La bergerie.
père sirot
Air : Prévôt des marchands
Je suis le maître dans ces lieux,
Je vous servirai de mon mieux,
Mais si, venant à se connaître,
Samsonet veut servir le roi
Je n’en pourrai plus être maître
A-t-il le cœur tendre ?
madame testue
Pourquoi ?
père sirot
C’est que l’amour ordinairement amolit le courage et s’il avait cœur pris, il deviendrait poltron.
madame testue
Votre affaire va donc bien, car il aime votre fille Bellamie ?
père sirot
Ma fille ! Sa cousine ?
madame testue
Air : L’autre jour dans un bocage
L’autre jour dans un bocage
j’aperçus sur un vert gazon
Ce garçon
Ses yeux parlaient un langage
Que votre fille trouvait bon.
Il suit pas à pas la belle,
Hier dans une ruelle
Il lui dit un mot,
Il n’est pas sot.
père sirot
De ma fille c’est le ballot.
madame testue
Samsonet est connaisseur.
père sirot
Ma fille lui plaît, ma sœur,
Il trouve du mérite en elle,
Cette affaire-là
Le fixera.
N’est-on qu’amant
On a la tête au vent.
Ici, Samsonet paraît et rentre dans le moment avec un air sauvage.
madame testue
Air : Que Dieu bénisse la besogne
Mon fils paraît, car je le vois,
Il rêve.
père sirot
Il est fol par ma foi,
Notre présence l’embarasse.
madame testue
Mon frère, cédons-lui la place.
Oh ! je le vais recommander à mes fileuses, elles l’égayeront de la belle manière.
Scène ii
Samsonet seul
samsonet
Air : Confiteor
Pourquoi faut-il que j’aie un cœur
Si je ne puis en faire usage ?
J’aime... à l’objet de mon ardeur
Je voudrais montrer mon courage,
Sous cet habit de magister
Je l’ai emprunté d’un frater.
J’aperçois madame Testue, parlons-lui... Pourquoi non, une femme si grosse dame qu’elle soit
Sur le ton de l’Opéra
Me donne du respect sans m’inspirer de crainte.
Scène iii
Samsonet, madame Testue
samsonet
Air : Pendus
Écoutez mes tristes soupirs.
madame testue
Je veux savoir vos déplaisirs,
Je pourrai vous mettre à votre aise,
Je suis riche.
samsonet
Ne vous déplaise,
Si je ne suis qu’un paysan
Je suis encore plus fier qu’un pan,\versfaux[Il y a une syllabe en trop. Il est probable que le "e" final de "encore" soit élidé.] \SR
J’ai plus de cœur que je ne suis gros.
Air : Trembleurs
J’ai fait assez de carnage,
À l’entour de ce village,
Des loups j’ai bravé la rage,
J’ai détruit tout le gibier,
Ne puis-je aller à la guerre ?
Si j’avais encor mon père
Il verrait qu’il a su faire
Un redoutable guerrier.
Il me prend de fois à autres des crises de valeur qui me mettent tout je ne sais comment, au premier jour j’emmènerai mes écoliers avec moi et j’en ferai une compagnie d’enfants perdus pour la campagne prochaine.
madame testue
Air : Dupont, mon ami
Tout beau, Samsonet,
Vous n’êtes pas sage,
À vous parlez net,
Point tant de courage
N’êtes-vous pas bien ici ?
Comme un roi.
madame testue
Tenez-vous y.
samsonet
Tout cela est vrai, mais les pieds me brûlent, les mains me démangent et quand je songe que tout le monde est à la guerre et que je suis ici avec cette souguenille, j’enrage du meilleur de mon cœur. Oh, je ferai quelque coup de ma tête !
madame testue
Vous êtes fol, vous dis-je, on voit bien que vous ne savez ce que c’est que le métier de soldat, si vous aviez mangé de la vache enragée pendant seulement deux jours, vous regretteriez bien les dindons que vous mangez ici.
samsonet
Air : Vous m’en contez, [vous m’en contez toujours]
Vous m’amusez, vous m’endormez,
madame testue
Non, non.
samsonet
À d’autres ! Je sais qu’il fait bon
Dans une garnison.
Mais, j’entends des violons.
madame testue
Ce sont mes fileuses qui viennent danser ici, écoutez leurs chansons et vous me direz après des nouvelles de votre cœur.
Scène iv
Entrée de fileuses
divertissement
une fileuse
Tout file dans la vie.
La parque file nos jours,
L’amant auprès de sa Sylvie
File tendrement ses amours.
Tout file dans la vie,
Une femme jeune et jolie
Que l’on attend au rendez-vous
Avec son mari file doux,
Tout file dans la vie.
Danse.
vaudeville
1
Iris si vous êtes sage,
Ne comptez pas sur le retour.
Il n’appartient qu’au bel âge
De filer le parfait amour.
2
La sirène de coulisse
Paie un financier de retour,
Mais son cœur est très novice
Pour qu’il file un parfait amour.
3
Le mousquetaire est alerte,
L’abbé ne reste jamais court,
Le robin nous déconcerte,
En filant le parfait amour.
Danse qui est interrompue par un coup de fusil. Samsonet paraît joyeux et empressé.
madame testue
Air : Tu croyais, en aimant Colette
Mon fils d’où provient votre joie ?
samsonet
Adieu.
madame testue
Vous nous quittez bien tôt.
samsonet
C’est le signal pour tirer l’oie.
madame testue
Voilà les concerts qu’il lui faut.
Il sort.
Scène v
madame Testue seule
madame testue
Air : Quand je tiens de ce jus [d’octobre]
Allez, mon fils, à cette fête,
Puissiez-vous toujours en repos
Pour le salut de votre tête
Tirer votre poudre aux moineaux.
Scène vi
Bellamie, Catau
catau
Air : Traquenard
Ma cousine, vous savez
Que tous nos bleds sont sauvés.
Le jeune Samsonet
A tué ce loup sauvage
Qui tous les soirs venait
Gâter notre jardinet.
bellamie
C’est Samsonet, cousine.
catau
Lui-même, oh, quel garçon ! Il n’est non plus fait pour être magister de village que je le suis moi
pour être bourgeoise d’une ville. Il vient...
bellamie
Reste avec moi, cousine, tu ne seras pas de trop et tu m’épargneras la peine de parler toute seule, car enfin, que dirais-je ? Toujours la même chose.
Air : Gardons nos moutons [Lirette]
Que j’ai perdu ma liberté
Que depuis longtemps j’aime,
Que l’Amour, ce dieu redouté,
M’a rendu le teint blême,
On sait tout cela.
catau
Tenez, le voilà.
bellamie
Qui ?
catau
Samsonet lui-même.
bellamie
Air : Eh ! avance
O ciel ! quel est mon embarras,
Fuis amour, ne m’approche pas,
Et toi fierté prend ma défense,
Eh ! avance, eh ! avance, eh ! avance,
J’ai besoin de ton assistance.
Scène vii
Samsonet, Bellamie, Catau
bellamie
Air : Je ne suis né ni roi, ni prince
Vous avez donc fait des merveilles,
Vos faits ont frappé mes oreilles.
samsonet
J’aimerais mieux frapper vos yeux.
bellamie
Chacun vante ici votre adresse,
Vous tirez bien.
catau, à Bellamie
Qui le sait mieux
Que votre cœur plein de tendresse ?
samsonet
Vos compliments sont bien flatteurs. Hélas ! Je ferais bien d’autres choses pour plaire à l’objet que j’aime, mais, motus, j’en dirais peut-être trop.
bellamie
Eh ! que diriez-vous, s’il vous plaît ?
samsonet
Air : Bouchez, Naïades, vos fontaines
Depuis que j’ai vu la lumière,
Élevé dans une chaumière,
J’ignore de qui je suis né.
Cela n’est-il pas effroyable ?
J’ai du cœur.
catau, à part
Il est bien tourné.
samsonet
J’aime.
bellamie
Vous ?
samsonet
Oui. Mais c’est le diable
noindent, Car je n’ose dire qui... Mais ma foi, je souffre trop à ne pas dire mon secret. Tenez, c’est vous-même.
bellamie
L’insolent. Allons-nous en, cousine.
catau
Eh pourquoi donc ?
bellamie
Comment ? Il m’aime.
catau
Voyez un peu le grand mal, si l’on m’en disait autant, je ne serais pas si ridicule.
samsonet
Un petit moment d’audience, je vous prie.
Air : Tu croyais, en aimant Colette
Je ne suis pas né de grand chose,
Mais j’ai du cœur.
bellamie
Nous y voilà.
Vous nous dites en vers, en prose,
Tout ce que nous savons déjà.
Que les amants sont ennuyeux avec leur répétitions !
samsonet
Eh bien, cela fait voir que je vous aime, je ne le dirais pas deux fois si cela n’était pas vrai.
bellamie
Quel aveu, cousine, un magister ! Est-ce assez de m’en plaindre ?
catau
Quoi, voulez-vous le faire pendre ?
samsonet
On ne se fait pas soi-même, ce n’est pas ma faute si je ne suis pas gentilhomme.
bellamie
O ciel !
samsonet
Air : Menuet de Grandval
Le cœur que j’ai devrait me faire
Un homme de condition.
bellamie
Moi, je voudrais être bergère.
catau, à sa mère
Vous faut-il l’explication ?
samsonet
Qu’entends-je ! Eh, que dois-je croire de l’envie que vous avez d’être moins que vous n’êtes ?
catau
On vous dira cela tantôt.
bellamie
On vient, retirons-nous.
catau
Air : Laire lan laire
Ce sont les garçons d’alentour.
bellamie
Samsonet, j’ai vu votre amour,
Vous n’avez pas vu ma colère.
catau, à Samsonet
Laire la, laire lan laire,
Laire la
Elle en tient là.
Scène viii
Entrée de miliciens et de paysannes
divertissement
un milicien
La milice de Mars et celle des Amours,
Toutes deux en tout se ressemblent,
Elles n’assemblent
Que ceux qui sont au printemps de leurs jours.
La milice de Mars et celle des Amours,
Toutes deux en tout se ressemblent,
Ni les amants, ni les guerriers qui tremblent
Ne sont jamais d’aucun secours.
La milice de Mars et celle des Amours,
Toutes deux en tout se ressemblent.
Danse.
vaudeville
4
En amour ce n’est qu’artifice,
Tous les cœurs en sont logés là,
D’un amant sincère on rira,
C’est un jeune amant de milice.
5
Pour un caissier en exercice
Tous les cœurs sont aux qui va là,
Mais sa bourse est-elle à quia ?
On le renvoie à la milice.
6
Satisfaite de mon service
Catau me préfère à Lucas,
La belle en moi ne trouve pas
Un fluet amant de milice ;
7
Quand un cœur est encor novice,
Il fait bon de prendre parti,
Mais sitôt qu’il est dégourdi,
Serviteur au corps de milice.
8
Jeunes cœurs entrez dans la lice,
L’amour déploye ses drapeaux,
Maris, il met à vos chapeaux
Les cocardes de sa milice.
samsonet
Eh bien, tout cela ne donnerait-il pas envie de servir le roi quand on serait le plus grand poltron du monde ?
catau
Cela est vrai, mais vous avez ici une maîtresse à servir.
bellamie
Adieu, Samsonet, je vais rejoindre mon père qui m’attend à goûter chez monsieur le Bailly.
samsonet
Air : Je n’irai plus à l’Opéra
J’y vais accompagner vos pas.
bellamie
Non, Samsonet, n’y venez pas.
catau
Elle parle pour rire.
bellamie
Eh bien ?
catau, à Bellamie
Ça laissez vous conduire !
À Samsonet.
Pour vous, tout va bien.
Scène ix
La Malice, Lucas
la malice
On nous triche ici, mon cher Lucas. Tous les garçons de ce village n’ont pas tiré pour la milice, usons de ruse, notre recrue n’est pas complète.
lucas
Je le sais, mon Sergent, et nous sommes près de notre départ.
la malice
Le jeune magister de ce village n’est pas ce qu’il paraît, c’est le fils de madame Testue, maîtresse du bac d’Asnières. Nous avons besoin de ce garçon, il est bien fait. Elle le cache sous un nom et dans un état supposé. On le dit brave, prenons-le par son faible, en lui faisant présent de ce couteau de chasse.
lucas
C’est bien dit, mon Sergent, s’il est le fils de sa mère, le bon sang ne pourra mentir. Cette madame Testue est une femme résolue, à qui quatre hommes ne feraient pas peur. La voici ! Allons trouver son fils, il ne demande qu’à bien faire.
ensemble, ensemble
Allons, allons,
Allons en faire emplète,
Allons.
Scène x
Bellamie, madame Testue
bellamie
Vous me demandez, ma tante : me voilà, je ne me fais pas tirer l’oreille comme vous voyez.
madame testue
Air : La médisance
Vous craignez, dit-on, l’amour,
Samsonet vous fait la cour.
bellamie
Bon, c’est médisance,
J’ai payé d’indifférence
Sa folle témérité...
La honte est la récompense.
madame testue
Est-ce bien la vérité !
Vous ne sauriez vous empêcher de rougir. Oh, que vous savez mal cacher votre jeu, vous n’avez pas l’esprit de faire une intrigue, je vois que vous m’allez avouer que vous aimez notre magister sans que je me donne la peine de vous tirer les vers du nez.
bellamie
Cela est vrai et vous m’allez peut-être blâmer.
madame testue
Au contraire, un bon mariage avec lui ne gâtera rien à vos affaires et je puis même vous assurer qu’il vous fera honneur.
Air : Quand je vous ai donné mon cœur
Quand je laissai prendre mon cœur,
Je fus moins difficile,
Mon amant me plut, son ardeur
Eût un accès facile,
Notre amour y fut sans façon
Suivez mon exemple, il est bon.
ensemble, ensemble
Suivons, suivons l’amour,
Laissons-nous enflammer :
Ah ! qu’il est doux d’aimer.
madame testue
Ceux qui ont dit cela sont plus anciens que nous, il faut les en croire. Ma nièce, allons faire un tour de jardin.
Scène xi
La Malice, Samsonet
la malice, en entrant
Oui, rien n’est plus vrai.
samsonet
Je m’en doutais aussi et je sentais bien que je n’étais pas un enfant du commun, mais Bellamie sait-elle cela ?
la malice
Que vous importe ? Songeons à notre départ.
samsonet
Air : Vivons pour ces fillettes
Que ce couteau de chasse est beau. bis
Cette cocarde, ce chapeau
Flatte une âme guerrière.
Ça partons pour la guerre,
Partons.
Ça partons pour la guerre.
la malice
Que j’aime ces transports, on voit bien que vous n’étiez pas né pour être un magister de village. Allons, je vais vous mettre entre les mains d’un capitaine qui saura faire cas de votre courage.
samsonet
Allons, rien ne me retient plus, il n’y a que mon pauvre cœur qui tient un peu au grill.
la malice
Je vous en offre autant.
Air : Menuet d’Hésione
J’aime une femme qui m’adore,
J’ai su la quitter sans effort.
samsonet
Pour une femme passe encore,
Mais une maîtresse, c’est fort.
Cependant partons, je ne résiste plus.
Aux armes, camarades.
la malice
Ah ! Quel courage et que nos officiers vont être ravis de vous voir ! Allez dire adieu à votre mère, je vais vous attendre à la croix blanche, ne me laissez pas croquer le marmot, entendez-vous ?
Scène xii
Samsonet seul
samsonet
Air : Quand je suis dans mon corps-de-garde
C’en est fait, chère Bellamie,
Et mon départ est arrêté.
Ma mère vient, non, de ma vie,
Je ne fus si déconcerté.
Scène xiii
madame Testue, Samsonet
madame testue
Air : Mariez-moi, maman, avec ce militaire
Approchez, mon enfant.
samsonet
Vous êtes donc ma mère ?
madame testue
Approchez, mon enfant.
samsonet
Je pars, tambour battant.
madame testue
Vous sortiez de mon sein
Qu’une vieille sorcière
Me dit : ah ! pauvre mère,
Ce garçon sur le rhin
Perdra le goût du pain.
Ainsi, mon cher fils, restez en ces lieux et ne me donnez pas le chagrin de vous voir mourir à vingt ans.
samsonet
Fi donc, ma mère, vous pourriez me donner un conseil qui nous ferait plus d’honneur à tous les deux.
Air : Adieu donc, mes amours
Je suis né pour la gloire.
madame testue
Y pensez-vous, badin ?
Vous devriez me croire.
samsonet
Je ris de votre histoire,
Je pars demain matin.
madame testue
Adieu donc, cœur d’airain.
Scène xiv
La Malice, Samsonet
la malice
Air : Je suis un bon soldat
Jusqu’au moindre soldat,
Ti, ta, ta,
Tout vient vous rendre hommage.
samsonet
Partons, ou dans l’instant,
Mon enfant,
C’est fait de mon courage.
Je n’ai qu’à voir pleurer ma maîtresse, il faudra plus de six semaines pour remettre ma valeur en branle.
la malice
Eh ! que craignez-vous ? Vous voilà quitte des adieux de votre mère, c’est le principal.
samsonet
Il est vrai, pour quelques mots
que me dira Bellamie, ce n’est pas la peine de nous attendrir tous deux. Il n’y a pas assez longtemps que je sais qu’elle m’aime pour que j’aie tant de mesures à garder.
Air : Près du bal, un fiacre habile
Je n’ai rien dit, ce me semble,
Dont on ait fait son profit.
Lorsque nous étions ensemble,
Nous avions l’air interdit,
Point de mystère,
Nous ne nous sommes rien dit
Que d’ordinaire.
Cependant je partirai comme un coquin, mais si je la vois, je molirai. Les adieux d’une belle sont l’écueil de l’héroïsme, elle ne manquerait pas de débuter ainsi.
Air : Folies d’Espagne
Il est donc vrai, Samsonet m’abandonne,
C’est un perfide, un traître, un inhumain.
Je lui répondrais, avec un air assuré.
Ma belle enfant, ce que la gloire ordonne
Ne se saurait remettre au lendemain.
Ensuite je lui dirais ce que j’ai lu dans bien des opéras moulés.
Air : Non, je ne ferai pas
J’en gémis, mais enfin, si je trahis ma gloire,
Vous me mépriserez.
Elle me répondrait sur le champ
Je ne saurais te croire,
Non, jamais sur ton cœur je ne gagnerai rien :
Tu pars, rempli ton sort, Je termine le mien.
En disant cela, elle se percera, il faudra que je pleure par symétrie et que je tire mon épée. On ne manquera pas de me retenir le bras et la pauvre diablesse sera la victime de toute l’aventure.
Air : Adieu paniers, [vendanges sont faites]
Partons sans tambours, sans trompettes.
Pour éviter tout accident.
Voilà le meilleur dénouement.
Adieu paniers, vendanges sont faites.
Scène xv
madame Testue, Bellamie, La Malice
madame testue
Doucement, doucement monsieur le Soldat, voyez la belle besogne que vous avez faite.
Air : Comme un coucou
Votre cousine, Bellamie,
Pleure, se chemme, va mourir.
Allons, prenez soin de sa vie,
Vous seul pouvez la secourir.
la malice
Qui diable se serait attendu à un
pareil contre-temps, voilà notre apprenti héros dont la valeur va furieusement péricliter.
madame testue
Air : On vous en ratisse
Non, vous ne partirez pas.
la malice
Ne retenez point ses pas,
Il est né pour le service.
madame testue
Oui, mais il y périra.
la malice
On vous en ratisse, tisse, tisse,
On vous en ratissera.
Il sera capitaine avant qu’il ait fait deux campagnes, je vois cela dans ses yeux.
madame testue
Air : Sens dessus dessous
Peste soit de votre micmac,bis
Je vais faire briser mon bac,bis
Tout m’obéir sur la rivière,
Sens dessus dessous, sens devant derrière
De mes passeurs craignez les coups,
Sens devant derrière, [sens dessus dessous].
Vous pouvez partir seul, je vous ferai livrer passage. Mais si vous emmenez mon fils, je vous ferai jeter au fond de la rivière.
la malice
Air : La bourrée
Point tant d’emportement
La maman,
Je pars dans le moment.
samsonet
Oui, mais je veux vous suivre.
bellamie
Peux-tu voir
Que je me livre
Au désespoir,
Sans toi je ne puis vivre.
samsonet
Il faut faire son devoir.
madame testue
Il a raison, ma nièce, laissons-le partir, il reviendra officier et même mieux et il vous fera grosse dame à Paris.
bellamie
Air : Quand j’ai bu de ce bon vin
Je me rends à vos raisons.
samsonet
Ce ne sont pas des chansons :
Ou je périrai,
Ou je reviendrai,
Plus digne de vous plaire,
Mais en attendant ce temps-là,
Gardez bien ma commère, lon la
Gardez bien ma commère.
bellamie
Air : Que j’estime, mon cher voisin
Que dites-vous de ces adieux ?
madame testue
Ils sont guerriers, ma nièce,
Achille ne faisait pas mieux
En quittant sa maîtresse.
Fin