[Louis Fuzelier]

Scène de Télégone Arlequin

BHVP ms. 4335

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Scène de Télégone Arlequin

t

Voici un héros qui a la physionomie bien lugubre. Qui êtes-vous, seigneur dolent ?

télégone

Je suis Télégone, fils d’Ulysse et de Circé.

Comme petit-fils du Soleil,
C’est avec un soin non pareil
Qu’on m’a sous les yeux de ma mère
Fait un cavalier achevé.
Et c’était pour tuer mon père
Qu’elle m’a si bien élevé.
t

Le beau projet d’éducation ! Mais enfin que venez-vous faire ici ?

télégone

Écoutez. Un anonyme obligeant s’est avisé de me conduire à l’Opéra et le public s’est avisé de ne m’y pas trouver bien conduit : je viens à l’oracle du temple de la Nuit savoir qui a tort, du public ou de moi.

t

Mais encore que dit-il, ce public difficultueux ?

télégone

Oh ma foi, il en dit tant, que j’en ai oublié plus des trois quarts.

t

Tâchez de vous rappeler quelques-uns des reproches qu’on a faits.

télégone

Bon, ils sont tous sans fondement. Par exemple ils disent que mon frère Télémaque recommençait le même rôle pleureur qu’il a joué autrefois chez Calypso où il voulait avec force mourir pour son père. Cela ne me regarde pas, moi.

t

Non assurément. Toutes fautes sont personnelles, et vous ne devez pas être garant des sottises de Télémaque.

télégone

Ils disent encore qu’Ulysse ne soutient pas le caractère d’homme fin en politique qu’Homère lui a donné, est-ce ma faute à moi si Ulysse se dément ?

t

Oh, pour cela non ! L’imbécillité d’un père ne passe pas toujours au fils avec sa succession.

télégone

Air : Je ferai mon devoir

[vers manquant]
Leur apprend à parler.bis
t
Que Télégone est vif ! eh bien
Personne n’en croit rien.bis
télégone

Vraiment non, personne n’en croit rien. Ils ont débité partout que chez moi chaque scène était une glacière.

t

Eh ! Mais vous avez la physionomie assez réfrigérative.

télégone

Cependant, j’ai des monologues charmants. Vous auriez été enlevé si vous aviez entendu maman Circé dans ses transports de colère.

Air : Réveillez-vous, belle endormie

La fureur dans plus d’un passage
S’exprimait par de doux bémols
Et le désespoir et la rage
Chantaient comme des rossignols.
t

C’était de la fureur à mystère.

télégone

Un seul morceau, oui, un seul morceau de chant devait attirer pendant six mois tout Paris.

t

Et quel est ce morceau attractif ?

télégone

Écoutez.

Air : À l’ombre d’un ormeau Lisette

On nous demande un parricide,
Quel crime est plus digne de nous !

(bis)

t
Quelle est donc la troupe insipide
Qui chante sur un ton si doux ?
Sont-ce des Cupidons ?
télégone
C’est un chœur de démons
t
Quoi, chez vous les démons fredonn[ent – des brunettes !
On peut leur pardonner de fades chansonnettes
Lorsqu’aux yeux des héros de leur troupe charmés
Ils dansent la chaconne en plaisirs transformés
télégone

Enfin, si mon poème a ennuyé, on devait du moins admirer la sagesse de la catastrophe, car je ne tue mon père Ulysse que par mégarde. Le javelot qui le perce était lancé contre ce benêt de Télémaque. Cependant,

Air : Réveillez-vous, belle endormie

Cette fin a paru bouffonne
Quelqu’un s’est écrié presto
Le dénouement de Télégone
N’est par ma foi qu’un quiproquo
t

Ce n’est pas là le seul que vous ayez fait en paraissant à l’opéra

télégone

En vérité, je ne connais plus rien au goût du siècle. On admire dans l’un ce qu’on critique dans l’autre. C’est le dernier acte qui décide du sort d’une pièce. J’avais pris mes mesures pour laisser le public sur la bonne bouche.

Air : On n’aime point dans nos forêts

C’est un fait qu’on ne peut nier
S’il trouve mon style insipide,
Ce n’est pas dans l’acte dernier  ;
Car je finis tout comme Armide
En faisant détruire un palais
t
Oui, mais avec bien [moins – de frais

Le palais de Circé n’a pas tant coûté à édifier que celui de la belle Armide Vous avez épargné sur le nombre des diables trouvé en enfer, ou

télégone

C’est que l’Académie royale de musique est très bonne ménagère, tout le monde sait cela.

On sait à qui on doit s’en prendre de cette économie-là.

t

Allons, seigneur Télégone, il est temps de mettre votre main dans le vase prophétique. Si le public vous condamne alors vous retir[erez] votre main aussi noire qu’on vous accuse d’être.

télégone

Voyons, voyons. Je suis sûr de l’injustice des jugements du parterre.

Il met la main dans le vase et la retire noire.
t

Consolez-vous mon pauvre Télégone, vous n’êtes pas le seul opéra qui se soit barbouillé dans le monde.

Quoiqu’un auteur sur le théâtre ennuie,
Que d’en sortir plus d’un sifflet le prie
Il veut toujours se faire voir
En vain le parterre lui crie
Gare le pot au noir !
arlequin

Air : Et et et

Pour qu’un opéra nous plaise
Il faut qu’il soit guilleret et et et et et
Fin