Charles-Simon Favart
Tircis et Doristée
Pastorale, parodie d’Acis et Galatée
Représentée pour la première fois pas les Comédiens Italiens Ordinaires du Roi
le 4 septembre 1752
Théâtre de M. Favart, t.2, Paris, Duchesne, 1763
Acteurs
Tircis, berger : Madame Favart
Doristée : Mademoiselle Astraudi
Colinet, berger : Monsieur Chanville
Babet : Mademoiselle Astraudi, C
Horiphesme, maître de Forges : Monsieur Rochard
M. Guillaume, opérateur : Monsieur Carlin
Bergers et bergères
Forgerons
Pêcheurs et pêcheuses
Tircis et Doristée
\scene[Le théâtre représente un paysage agréable ; on voit d’un côté des forges au pied d’une montagne, de l’autre côté est une prairie coupée par une rivière.] Tircis
seul
tircis
airvide
Paresseuse Aurore,
Tu ne parais point encore !
Plein d’un feu qui me dévore,
Je devance ton réveil.
Tout dans cet asile
Est encor tranquille,
Et mes yeux seuls sont privés du sommeil.
Viens, viens, et ramène
Dans la plaine
L’inhumaine,
Qui fait par ses rigueurs,
Couler mes pleurs.
Paresseuse Aurore,
Qui t’arrête encore ?
Du jeune objet que j’adore,
Tu crains les naissants appâts.
Verse des larmes,
Voile tes charmes.
Dors, dors, ne te montre pas.
La beauté que j’aime,
Bientôt elle-même,
Va faire en ce séjour
Briller le jour.
Dors... Ces feuillages,
Ces boccages,
Ces rivages,
À ses yeux vont s’embellir ;
Tout va fleurir.
Scène i
Tircis, Colinet sans être vu
colinet
Air : Pinlorelobinet
Que le son de mon flageolet,
Pinbiberlo, pinlorelobinet,
Attire la jeune Babet,
Pinberli, pinberlo, pinlorelobinet.
Il joue le refrain sur son flageolet.
tircis
Air : L’amour me fait, lon, lan, la
Déjà Colinet chante,
Avant l’aube du jour !
Sans que rien le tourmente,
Il se livre à l’amour ;
Moi, je ne fais que languir,
Et je me sens mourir.
colinet, sans être vu
Air : Pinlorelobinet
Réveille-toi, charmant objet,
Pinbiberlo, pinlorelobinet,
Viens danser avec Colinet,
Pinberli, pinberlo, pinlorelobinet.
Il joue le refrain sur son flageolet.
tircis
Air : J’ai passé deux jours sans vous voir
D’un faible jour les premiers traits
Ont pénétré les ombres ;
La nuit va fuir dans nos forêts,
Nos plaines sont moins sombres ;
Mais en ces lieux, si je ne voi
Mon ingrate paraître,
Ah ! ce n’est point encor pour moi
Que le jour va renaître.
colinet, paraît en jouant le refrain de pinlorelobinet
Air : Castagno, castagna
Pour donner à Babet
Une fauvette,
J’ai tendu mon filet
Sous la coudrette.
Bientôt par cette adresse
Quelque oiseau s’attrapera ;
Au piège qu’Amour dresse ;
Babet ainsi se prendra.
La, la, la, la, la, la, etc.
Air : Eh ! dru, dru, dru
Quoi ! si matin le beau Tircis
A la puce à l’oreille !
tircis
Quand on a d’amoureux soucis,
Rarement on sommeille.
colinet
Je plains ton sort ;
Moi, le chagrin m’endort,
Et le plaisir m’éveille.
tircis
Air : C’est la chose impossible
Rien ne peut vaincre la rigueur
De l’inhumaine Doristée.
colinet
Si tu peignais bien ton ardeur,
La sienne serait excitée.
tircis
Jamais l’amour ne l’enflamma.
colinet
À seize ans, fillette insensible !
C’est la, la, la, la, la, la, la, la,
C’est la chose impossible.
Air : Que faites-vous, Marguerite
Si sa froideur te désole,
Ailleurs engage ta foi :
Moi, de tout je me console,
Et rien ne me fait la loi.
Air : Si dans le mal qui me possède
Lorsque je veux planter un arbre,
S’il se trouve en terre un rocher,
Un peu plus loin je vais bêcher :
En amour, quand un cœur de marbre
Pour s’attendrir veut trop de foin,
Morgué, je vais aimer plus loin.
tircis
Air : madame Favart
J’ai tenté mille fois, hélas !
De rompre mes chaînes cruelles ;
Comme un oiseau qui bat des ailes,
Quand il se sent pris dans des lacs.
Il met en vain tout en usage,
Pour recouvrer sa liberté :
Par ses efforts, il serre davantage
Le nœud qui le tient arrêté.
colinet
Air : Une jeune Bergère
Gémis donc sous sa chaîne ;
Comme un timide amant,
Sois toujours à la gêne.
tircis
Dieux ! quel est mon tourment !
colinet
C’est toi seul qui le cause ;
Tu n’as rien si tu n’oses ;
L’amour doit tout risquer.
Qui craint de se piquer
Ne cueille point de roses.
tircis
Air : Tout roule aujourd’hui dans le monde
Doristée est riche héritière,
Je ne suis qu’un simple pasteur.
colinet
Je sais qu’elle a lieu d’être fière,
Son père est un maître-pêcheur ;
Mais contentement vaut richesse,
L’amour sait-il le prix de l’or ?
Un cœur offert par la jeunesse,
Pour une belle est un trésor.
tircis
Air : Oh ! oh ! ah ! ah ! eh ! pourquoi donc
Un jour mon feu sincère
À ses yeux éclata :
Je fus trop téméraire,
Elle s’en irrita.
colinet
Oh ! oh ! ah ! ah !
Eh ! dis-moi donc comment cela ?
tircis
Air : La nuit dans les bras du repos
Sur le gazon cette beauté
Dormait sous un feuillage sombre,
Où le jour de la volupté
Semblait badiner avec l’ombre ;
J’avais connu des amants,
Sans me croire encor du nombre :
Mais mon cœur en ces moments,
S’ouvrit aux traits les plus charmants.
Air : Dans un détour
Mes sens émus
Goûtaient des plaisirs inconnus :
À pas suspendus,
Je m’avançais...
colinet
Bon début.
Chut.
tircis
Quel attrait m’engageait !
Un mouchoir importun voltigeait.
Trop d’ardeur m’emportait,
Trop de crainte aussitôt m’arrêtait.
colinet
Air : Est-il de plus douces odeurs
Palsangué, ton récit, cousin,
Échauffe ma pensée.
Poursuis mon cher.
tircis
J’avais la main,
Contre mon sein pressée.
Je croyais arrêter mon cœur,
Qui s’agitait sans cesse,
Et s’élançait avec ardeur
Vers ma chère maîtresse.
Air : Le langage des soupirs
Je craignais que le Zéphyr
N’éveillât mon inhumaine.
Je n’osais faire un soupir,
Mon âme était incertaine.
Je sentais de veine en veine
Couler le feu du désir ;
Je respirais avec peine,
J’avais peur que mon haleine
N’effarouchât le plaisir.
colinet
Air : La confession
Tu devins alors téméraire ?
Réponds-moi, compère !
tircis
Tout charmait mes sens ;
De son teint la fleur printanière ;
Ses attraits naissants...
colinet
Tircis, admiras-tu longtemps ?
tircis
Air : Justine
Je ne savais quel désir
En moi l’amour faisait naître ;
Mais mon cœur ne fut plus maître
De retenir un soupir.
Ô bonheur trop peu durable !
Ce soupir l’éveille, ô dieux !
D’un regard elle m’accable,
Et disparaît à mes yeux.
colinet
Air : Ah ! quel dommage, Martin
Ah ! quel dommage !
tircis
Mon amour,
Depuis ce jour,
La rend plus sauvage.
colinet
Air : Trémoussons-nous donc
À ce tendron donne une fête ;
Pour toi, je cours arranger ça.
J’en ai toujours quelqu’une prête ;
Morgué, c’est pis qu’un opéra.
C’est le plaisir qui prend les belles,
En dépit de la raison :
Il n’est point pour lui de cruelles ;
Tré, tré, trémoussons-nous donc.bis
Il sort en répétant le refrain.
Scène ii
Tircis
tircis
La mort de mon cher père Dans ma cabane obscure
Ma chère Doristée,
Je t’attends en ces lieux,
Et mon âme attristée,
Languit loin de tes yeux :
Si ma voix qui t’implore
Ne saurait t’attirer,
Des fleurs qui vont éclore,
Viens ici te parer.
Même air
Messagers de l’Aurore,
Rossignols amoureux,
La beauté que j’adore
Va redoubler vos feux :
Sur ces charmants rivages,
La voilà de retour.
Animez vos ramages
Pour annoncer le jour.
Même air
À l’objet qui m’engage,
Peignez vos doux plaisirs,
Que votre badinage
Excite ses soupirs ;
Parlez-lui de ma flamme
Tourtereaux gémissants,
Pour attendrir son âme,
Prêtez-moi vos accents.
Scène iii
Doristée, Tircis
doristée, cachant le plaisir qu’elle a de voir Tircis, feint de chercher sa compagne
airvide
Ma compagne la plus chérie
Devrait être en ce séjour.
Tircis, est-elle à la prairie ?
tircis
Ces lieux sont faits pour l’amour.
Brunette, n’est-il pas plus charmant
D’y rencontrer un amant
Qu’une amie ?
doristée, agitée
airvide
Ici je m’attendais à la voir.
tircis
Votre cœur paraît s’émouvoir.
doristée
C’est l’effet de la tendre amitié
Dont mon cœur au sien est lié.
tircis
À des soins, des transports si doux,
Si l’amitié peut prétendre,
Dites-moi, que réservez-vous
À l’amour le plus tendre ?
doristée
Air : Petits moutons
Laissez-moi chercher ma compagne.
À part.
Ah ! Tircis prend trop de pouvoir !
tircis
Que du moins je vous accompagne.
doristée
Mais, berger, quel est votre espoir ?
tircis
airvide
Un papillon que la lumière attire,
Vole alentour, au hasard d’y périr ;
Ainsi mon cœur par un secret empire,
À son penchant est forcé d’obéir,
À son tourment est contraint de courir.
doristée
Air : À peine ai-je quitté l’enfance
Cessez votre plainte importune,
Tircis, ne suivez point mes pas.
tircis
Non, non, malgré mon infortune,
Je vous suivrai jusqu’au trépas.
doristée
Berger, votre audace m’étonne.
tircis
Hélas !
doristée
Vous osez m’arrêter ?
tircis
Cruelle !
doristée
C’est trop m’irriter.
À part.
Ah ! tout bas mon cœur lui pardonne.
tircis
Si trop d’amour devient un crime,
Votre courroux est légitime.
Rien n’égale mon ardeur.
Ce langage vous effarouche !
Est-on maître de sa bouche,
Quand on ne l’est pas de son cœur ?
doristée
Air : L’autre nuit, j’aperçus en songe
Contraignez vos feux pour vous-même.
Hélas ! un rival odieux
Avec soin m’observe en tous lieux.
tircis
Un rival ?
doristée
Oui, c’est Horiphesme.
tircis
Ô Ciel !
doristée
Il a déjà sur vous
Jeté plus d’un regard jaloux.
Air : Bouchez, Naïades, vos fontaines
Ces forges sont sous sa puissance,
Et tout fier de son opulence,
Il croit commander à l’amour ;
Mais autant de haine il m’inspire,
Que je sens... ah ! si j’aime un jour...
tircis
Achevez.
doristée
C’est trop vous en dire.
La symphonie joue l’air : Par un matin Lisette se leva
Air : Ah ! vraiment, je m’y connais bien
Quels sons ici se font entendre ?
tircis
Unis par l’amour le plus tendre,
Des amants vont chanter leurs nœuds ;
Daignez prendre part à leurs jeux.
Scène iv
Colinet et Babet à la tête d’une troupe de paysans et de bergers, Tircis, Doristée
colinet, à sa suite
Air : Par un matin Lisette se leva
Bergers heureux,
Venez chanter vos feux,
À vos plaisirs l’amour présidera,
Ta, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la.
On danse.
vaudeville
1
colinet, jouant du flageolet
Quand Silvandre parle à Thémire,
Il soupire,
Il est tout défait.
Mais pour moi, quand l’amour m’inspire,
J’aime à rire,
Je suis guilleret.
Je trouve ainsi le secret
De faire danser Babet,
Au doux son de mon flageolet.
Il joue du flageolet.
De mon flageolet.
2
Tous les soirs le berger Timandre
Va se rendre
Dans un vert bosquet ;
Mais il n’y va que pour entendre
La voix tendre
Du rossignolet ;
Moi je suis plus satisfait,
Car j’y fais danser Babet,
Au doux son de mon flageolet,
Il joue.
De mon flageolet.
3
babet
Tout est simple dans cet asile,
À la ville
On a l’air coquet ;
Un petit-maître, d’un air fade,
Fait parade,
D’un joli caquet ;
Sans rien dire, Colinet,
Sait faire danser Babet,
Au doux son de son flageolet,
Colinet joue
De son flageolet.
4
colinet
Je n’ai point un riche héritage,
Mon partage
N’est qu’un jardinet ;
Les messieurs font d’grands étalages
D’équipages ;
Qu’est-c’ que tout ça fait ?
Je suis bien plus satisfait
Quand je fais danser Babet,
Au doux son de mon flageolet.
Il joue.
De mon flageolet.
5
babet
Un monsieur veut m’faire grand’Dame ;
Mais tredame,
J’li réponds tout net :
Vos atouts n’ont rien qui me tente,
J’me contente
De mon bavolet,
Et j’ons le cœur satisfait,
Quand j’danse avec Colinet,
Au doux son de son flageolet,
Colinet joue
De son flageolet.
On danse sur le même air.
colinet
Air : Ah ! ah ! venez-y toutes
Le maître de la forge
Prends vers nous son chemin,
Tiquetin,
De joie il se rengorge,
Quand il cause du train,
Tiquetaque, tiquetin.
chœur, s’enfuyant
Ah ! ah ! ah ! sauvons-nous vite !
doristée, à Tircis
Voyez comme chacun l’évite,
Fuyez ce mutin.
Ils se retirent avec précipitation.
Scène v
Horiphesme
horiphesme
Air : Marche de Lowendal
Ces bergers trop heureux
Ont cessé leurs jeux ;
Je ne les vois plus,
Que sont-ils devenus ?
L’objet de mes désirs
Écoutait leurs soupirs,
Et partageait leurs plaisirs :
Si quelque audacieux
Plaisait à ses yeux...
Tous ces vils pasteurs
Vont sentir mes fureurs ;
Courons les chercher,
Pensent-ils se cacher ?
Rien n’échappe à mon courroux
Jaloux.
Sous mes coups
Qu’ils tombent tous.
Air : Résonnez ma musette
Mais je vois Doristée !
Quoi ! mon âme irritée
Cède à ses yeux puissants !
Ils ont charmé mes sens.
Scène vi
Doristée, Horiphesme
doristée, à part
Air : C’en est assez pour être heureux
Employons une adroite feinte
Tâchons de calmer sa fureur ;
Flattons, s’il le faut, son ardeur :
Tircis est l’objet de ma crainte.
horiphesme, à part
Quoi ! le trouble saisit mon cœur !
Approchons...
doristée
Dieux ! quelle contrainte !
horiphesme
Parlons-lui, déclarons mes feux,
C’en est assez pour être heureux.
Air : Quoi ! tout de bon ? Eh ! mais, Monsieur
Horiphesme t’aborde enfin ;
Tu sais que ta beauté le touche ;
Si ses yeux te l’ont dit en vain,
Apprends-le de sa bouche.
doristée
Quoi ! tout de bon ? Eh ! mais, Monsieur,
C’est pour moi beaucoup d’honneur.
horiphesme
Même air
Ne me fuis plus avec rigueur
Crains, si mon feu ne t’intéresse,
De voir succéder la fureur
À ma vive tendresse.
doristée
Quoi ! tout de bon ? Eh ! mais, Monsieur,
C’est pour moi beaucoup d’honneur.
horiphesme
airvide
Mon cœur aussi dur qu’une enclume,
S’amollit au feu de l’amour ;
Ta beauté sans cesse l’allume,
Je n’ai trêve ni nuit, ni jour.
L’amour frappe à coups redoublés,
Tous mes sens sont troublés,
Mes esprits accablés.
D’une flamme que rien n’apaise
J’éprouve les cruels effets ;
Ma poitrine est une fournaise,
Où l’amour forge ses traits.
doristée
Air : Babet, que t’es gentille
Soyez moins agité,
Votre tourment m’afflige.
horiphesme
Faut-il que ta beauté
À te chérir m’oblige ?
J’en suis furieux ;
Toujours dans tes yeux,
Un nouveau charme brille :
Quelquefois je crois te haïr ;
Mais je sens mon cœur se trahir,
Et je dis avec un soupir :
Hélas ! qu’elle est gentille !bis
doristée
Air : Sur la fièvre et sur la migraine
La chute d’un torrent qui gronde
En roulant le sable avec l’onde,
Peint de vos vœux l’emportement ;
Que j’aime un ruisseau, dont l’eau pure
Fait sur les fleurs un doux murmure,
C’est l’image du sentiment.
horiphesme
Air : Il ne faut qu’un coup de baguette
Est-ce par de frivoles soins,
Que l’on te marque sa tendresse ?
Des bergers la délicatesse
Dit beaucoup plus, et prouve moins,
Que la vive ardeur qui me presse.
Air : Monsieur de Catinat
Comme un amant transi, t’offrirais-je des fleurs ?
Les roses de ton teint surpassent leurs couleurs :
Dois-je des plus beaux fruits te faire des présents ?
Ils n’ont point la rondeur de tes attraits naissants.
Air : Ne v’là-t-il pas que j’aime
Il est un don plus précieux
Qui prouve combien j’aime :
Que pourrait-on t’offrir de mieux ?
Je me donne moi-même.
Air : Le démon malicieux et fin
L’autre jour, dans le sein d’un ruisseau,
Je me vis et je me trouvai beau :
À travers la poussière et le hâle,
Mes traits avaient je ne sais quoi de doux :
Ce teint brun, ses sourcils, cet air mâle,
Tout annonçait un cœur digne de vous.
doristée
Air : Vaudeville d’Épicure
Je ne suis pas intéressée.
horiphesme
Que veut dire ce fier souris ?
D’un berger l’audace insensée,
Sans doute cause ces mépris ?
Si jamais...
doristée
N’allez pas le croire.
horiphesme
Daigne donc m’accorder ton cœur :
C’est trop disputer la victoire.
doristée
On ne l’obtient que par douceur.
horiphesme
Air : Charivari de Ragonde
Je vais te donner une fête,
Mes forgerons vont faire ici
Charivari, charivari.
doristée
Monsieur, vous êtes fort honnête.
horiphesme
Je m’attends bien au grand merci,
Charivari, charivari.
À la cantonade.
Amis, que l’on s’apprête ;
Chantons tous à l’envi,
Charivari, charivari, charivari.
Scène vii
Doristée, Horiphesme, forgerons
Les forges s’ouvrent, on voit l’action de la flamme. Des forgerons descendent deux à deux, leurs marteaux sur l’épaule.
horiphesme
Air : Les forgerons de Cythère
Aux échos d’alentour
Annoncez mon hommage ;
Des troubles de l’amour
Que vos jeux soient l’image :
Frappez, frappez, frappez fort,
Pour l’objet qui m’engage ;
Frappez, frappez, frappez fort,
Et frappez d’accord.
chœur
Frappons, frappons, frappons fort,
Et frappons d’accord.
horiphesme
Même air
Tracez-nous un tableau
De mon âme agitée,
Et qu’au bruit du marteau
Ma nymphe soit chantée.
Frappez, frappez, frappez fort,
Célébrez Doristée ;
Frappez, frappez, frappez fort,
Et frappez d’accord.
chœur
Frappons, etc.
Une partie des forgerons dansent tandis que les autres accompagnent la symphonie en frappant de leurs marteaux sur des enclumes.
Un Forgeron
Air : La sombre dondaine
Chantons à perdre haleine.
Avec le Chœur, qui bat en même temps.
Lassi, lasson,
La sombre dondaine.
Seul.
Vive la souveraine
De notre fier daron.
Avec le chœur.
Patati, pataton, patati, pataton.
Seul.
Que ce couple charmant,
Patapan,
Va s’aimer chaudement !
Amants, vivez sans gêne.
Avec le chœur.
Lassi, lasson,
La sombre dondaine.
Seul.
Et de plaisirs sans peine,
Forgez-vous un chaînon.
Avec le Chœur.
Patati, pataton, patati, pataton.
On danse.
vaudeville
6
premier forgeron
Veut-on forger d’étroites chaînes,
Et qui puissent durer longtemps,
N’épargnez point les soins, les peines,
Que vos feux soient toujours ardents.
Quand on travaille avec constance,
Un cœur d’acier ne fait plus résistance.
Mais saisissez l’instant qu’il faut :
Battez le fer tôt, tôt, tôt, tôt,
Battez le fer quand il est chaud.
7
second forgeron
Pour cacher une vive flamme,
Une prude fait de son mieux ;
Mais quand l’amour échauffe une âme,
Son feu pétille dans les yeux :
Dans les regards de votre belle,
Si du plaisir vous voyez l’étincelle,
Amants, voilà l’instant qu’il faut,
Battez le fer [tôt, tôt, tôt, tôt,]
[Battez le fer quand il est chaud.]
chœur
Battons le fer [tôt, tôt, tôt, tôt,]
[Battons le fer quand il est chaud.]
8
premier forgeron
Venez, amants, à notre école,
Pour apprendre à forger des traits ;
Nous n’avons point une ardeur folle,
Qui se dissipe sans succès.
Quand votre feu trop tôt s’allume,
Mal-à-propos souvent il se consume,
Vous vous trouvez pris en défaut.
Battez le fer, [tôt, tôt, tôt, tôt,]
[Battez le fer quand il est chaud.]
chœur
Battons le fer [tôt, tôt, tôt, tôt,]
[Battons le fer quand il est chaud.]
9
second forgeron
Que de l’amour la flamme active
S’entretienne par les soupirs.
Une faveur la rend plus vive,
Mais l’excès éteint les désirs.
Le feu s’attise avec les larmes,
Et dans les pleurs l’amour trempe ses armes,
Selon le degré qu’il lui faut :
Battez le fer, [tôt, tôt, tôt, tôt,]
[Battez le fer quand il est chaud.]
chœur
Battons le fer [tôt, tôt, tôt, tôt,]
[Battons le fer quand il est chaud.]
On danse.
horiphesme, aux forgerons
Air : Tarare pompon
Le secours de vos jeux
Ne m’est plus nécessaire ;
De l’objet de mes vœux,
J’attends un sort heureux.
Mes soins ont du lui plaire :
Ses sens sont agités.
C’est l’instant du mystère,
Sortez.
Scène viii
Doristée, Horiphesme
horiphesme
Air : Point de façon, mon aimable brunette
Point de façons, ma chère Doristée ;
De ma froideur vous seule triomphez.
Je suis tout de braise, et ma flamme excitée...
doristée
Ah ! ah ! vous m’échauffez !
horiphesme
Air : Ah ! Madame Anroux
Ah ! mon cher bijou,
J’en deviendrais fou,
Ne sois plus tigresse.
doristée
Air : Ce n’est qu’à la délicatesse
Vous blessez ma délicatesse
Par des transports trop pétulants ;
Pour faire naître ma tendresse,
Il faut des soins, il faut du temps.
horiphesme
La longue attente est inutile.
doristée
On sait se faire d’heureux jours,
Lorsque l’on file,
Lorsque l’on file ses amours.
horiphesme
Air : C’est ma devise
Je ne sais languir,
Ni gémir,
Quelle sottise !
C’est le désir
De nous unir
Qui m’autorise.
Faut-il qu’en galant du Palais,
Je te courtise ?
Moins de paroles, plus d’effets,
C’est ma devise.
Air : De l’art séduisant de charmer
De l’art séduisant de charmer,
Qu’ai-je besoin, dieu de Cythère ?
J’ai le talent de bien aimer :
C’en est assez pour savoir plaire.
Air : On fait ce qu’on peut, et non pas ce qu’on veut
Dis-moi si j’ai touché ton âme.
doristée
Jugez-en par mon embarras.
horiphesme
Dès ce jour tu seras ma femme.
doristée
Moi ?
horiphesme
Touche là, ne tarde pas.
doristée
Il faut parler à ma famille ;
Car je ne dépends pas de moi :
Mon père est maître de ma foi.
Vous savez que, quand on est fille,
On fait ce qu’on peut,
Et non pas ce qu’on veut.
horiphesme
Air : Branle de Metz
C’est répondre en fille sage,
Je vais agir à l’instant.
Votre père est trop prudent
Pour manquer ce mariage.
S’il méprisait mon ardeur...
Je n’en dis pas davantage.
S’il méprisait mon ardeur...
Je suis votre serviteur.
Scène ix
Doristée, Tircis
tircis
Quel tourment rigoureux !
Mon destin affreux
Se déclare ;
D’un rival trop heureux
Vous voyez les jeux,
Vous écoutez les vœux.
Quoi ! ce barbare
De votre cœur
Serait le vainqueur ?
D’un doux retour
Vous allez payer son amour.
doristée
Air : De quoi vous plaignez-vous
Possédiez-vous mon cœur
Pour avoir droit de vous plaindre ?
Possédiez-vous mon cœur ?
tircis
Vous comblez mon malheur.
Je ne veux point vous contraindre
Ni traverser vos amours.
Mon ardeur va s’éteindre
Avec mes tristes jours.
doristée
Air : À quoi s’occupe Madelon
Ô Ciel ! où voulez-vous courir ?
tircis
Je vais trouver Horiphesme ;
Mais ce n’est point pour le punir,
Sous ses coups je veux périr.
Mineur du précédent
Du moins gardez le souvenir,
D’un amour qui fut extrême ;
Et pardonnez-moi ce désir
Jusqu’à mon dernier soupir.
doristée
Air : Mais je sens mon cœur qui soupire
En désarmant la jalousie
D’un rival qui m’est odieux,
Pour toi seul j’ai craint sa furie ;
Tes jours me sont trop précieux.
tircis
Ô Ciel !
doristée
Je n’osais te le dire.
Ah ! crois-en ce cœur qui soupire.
tircis
Air : Je veux chanter sur ma musette
N’est-ce point une erreur extrême ?
doristée, à part
Il voit le trouble de mon cœur,
Il demande encor si je l’aime !
tircis, à part
De sa fierté je suis vainqueur !
À Doristée.
Et vous vouliez avec rigueur
Me cacher mon bonheur suprême !
doristée
Avant de répondre à tes vœux,
J’ai dû m’assurer de tes feux.
Air : Nous autres bons villageois
On file, avant d’être époux,
Le tissu de son esclavage ;
L’amant est rampant et doux,
Le ver à soie est son image :
Dans ses propres nœuds renfermé,
Il devient froid, inanimé ;
Mais bientôt forçant sa prison,
Il s’envole en papillon.
tircis
Les bergers de mon village C’est la façon de le faire qui fait tout
Dans ce cœur que tu fis éclore,
Toi seule alluma les désirs ;
Et dans un âge où l’on s’ignore,
Pour toi je poussais des soupirs :
Mais ce temps n’était que l’aurore
De l’amour,
Et ma flamme s’augmente encore
Chaque jour.
ensemble, ensemble
Air : Toujours, toujours, je chérirai mon Ismène
Pour s’aimer, dès notre enfance
Nos tendres cœurs étaient faits ;
Une secrète puissance,
Formait ces nœuds pleins d’attraits.
tircis
Jamais, jamais
Je n’ai connu l’inconstance ;
doristée
Jamais, jamais
Tu ne suivras l’inconstance ;
ensemble, ensemble
Je ne changerai jamais.
doristée
Air : Ici l’on fait ce que l’on veut
Que l’hymen bientôt nous couronne :
Mon père approuvera nos nœuds ;
Car il est si bonne personne,
Que j’en fais tout ce que je veux.
tircis
Air : Et j’y pris bien du plaisir
Mon âme suffit à peine
Pour sentir tout mon bonheur ;
Sur cette main que je prenne
Un gage de ton ardeur.
Après un si long martyre,
Tu te rends à mon désir !
Quel transport l’amour m’inspire !
Que j’éprouve de plaisir !
Scène x
Tircis, Doristée, Horiphesme
horiphesme, sur la montagne
airvide
Que vois-je en ces lieux ?
Ô dieux !
Mes vœux sont trahis,
Et Tircis a le prix.
Enfin je l’ai découvert,
Ce rival heureux qui me perd.
doristée
Ciel ! qu’ai-je entendu ?
Que mon cœur est ému !
Ah ! tout est perdu ;
Horiphesme t’a vu :
Fuyons le danger.
horiphesme
De ce vil berger,
À l’instant courons nous venger.
Vainement il fuit,
Son malheur le suit.
L’amour en fureur me conduit.
Air : Jeanneton, tout de bon
L’imprudent revient sur ses pas ;
Est-ce pour braver le trépas ?
Punissons-le, ne tardons pas.
Prenons ma carabine ;
Car la mort
Est le sort
Que je lui destine.
Scène xi
Tircis, Doristée
tircis
Air : Toujours seule, disait Nina
Le trépas doit me sembler doux,
Sans frayeur je m’y livre,
Puisque je suis aimé de vous.
doristée
C’est alors qu’il faut vivre :
Cher amant,
Agis sensément ;
D’un jaloux
Fuyons le courroux :
Ah ! je l’entend !
Elle fuit.
Scène xii
Tircis, Horiphesme
tircis
Suite de l’air : Toujours seule, disait Nina
La peur me prend.
horiphesme
Meurs à l’instant
Insolent !
Il tire.
tircis
Air : Ne v’là-t-il pas que j’aime
Hélas ! ne suis-je point blessé ?
Ma maîtresse me laisse :
De frayeur mon sang est glacé,
Et je tombe en faiblesse.
horiphesme
Air : J’entends un bruit de musique champêtre
Je vois tomber le rival qui m’outrage :
Je suis vengé ; c’en est fait, il est mort.
Que l’ingrate pleure son sort ;
C’est un spectacle pour ma rage :
Je n’ai plus qu’un mépris sauvage.
Pour mieux punir la perfide à son tour,
Pour jamais j’éteins mon amour.
Scène xiii
Doristée, Tircis évanoui
doristée
Mon cher Tircis, tu peux paraître ;
Notre jaloux quitte ces lieux.
Mon cher Tircis ! où peut-il être ?
Quel endroit le cache à mes yeux ?
Air : Plus inconstant que l’onde et le nuage
Mais, je le vois, ô disgrâce cruelle !
Ai-je perdu l’objet de mon amour ?
Ah ! cette pâleur mortelle !
M’annonce un triste retour.
Amant fidèle,
Tu perds le jour !
Malgré des nœuds si doux,
Le sort barbare
Nous sépare !
Tircis, tu meurs sans être mon époux.
Air : Sur le bord d’un ruisseau
Amour, viens rallumer
De ses beaux jours la flamme ;
Prends pour le ranimer
La moitié de mon âme ;
Ou plutôt, toute entière.
Reçois-la, cher Tircis,
Et revois la lumière ;
Que j’expire à ce prix.
Air : Simone, la Simone
Mais peut-être un prompt secours
Sauverait ses jours.
Un très habile docteur
Fort à propos s’avance.
Ah ! Monsieur l’Opérateur !
Venez en diligence.
Scène xiv
Doristée, Tircis évanoui, Guillaume opérateur
guillaume
Air : J’ai un coquin de frère
Quel bruit ! quel tintamarre !
Pourquoi crier si fort ?
doristée
Ah ! ah ! ah ! par un coup barbare
Mon amant voit finir son sort !
guillaume
Air : V’là l’Marchand de bouteill’ cassé’
Votre amant a la têt’ cassé’ !
Voyons s’il est trépassé.
Air : Il est des corsaires
Cessez votre plainte,
Rien n’a blessé Tircis ;
Sans doute, c’est la crainte
Qui suspend ses esprits.
Son cœur encor palpite.
doristée
Ah ! quel espoir flatteur !
guillaume
La pauv’ petite !
Elle en sera quitte
Pour la peur.
doristée
Air : Plus belle que l’aurore
Mon cher Monsieur Guillaume,
Daignez le secourir :
Donnez-lui quelque baume ;
Sans vous il va mourir.
guillaume
Oui, je vais agir.
J’ai soutenu thèse à Saint-Côme...
Et j’ai fait courir...
doristée
Hélas ! au lieu de discourir,
Mon cher Monsieur Guillaume,
Daignez le secourir :
Donnez-lui quelque baume ;
Sans vous il va mourir.
guillaume
Air : Pour passer doucement sa vie
Parbleu, je vais encor trop vite,
Je pourrais vous désespérer,
Si je faisais chanter ma suite
Avant que de rien opérer.
Air : Robin a des manchettes
Prenez cette bouteille
C’est de l’eau sans pareille.
Dès qu’il va la sentir...
doristée
Tircis va revenir.
guillaume
Air : Margoton, ma mie
Je puis le promettre.
doristée, à Tircis
Mon mignon, mon cœur,
Respirez cette liqueur
Pour vous, pour vous, pour vous remettre...
guillaume
Respirez cette liqueur,
Pour vous remettre en vigueur.
doristée
Air : Dieu des âmes
Il respire,
Il soupire ;
Cher Tircis, reprends
Tes sens.
tircis
Qui m’appelle ?
Ah ! c’est elle !
Je m’anime à ses accents.
Oui, ta flamme,
Me rend l’âme,
Je te vois, et je renais.
doristée
Plus de crainte,
De contrainte.
ensemble, ensemble
Aimons-nous, et pour jamais.
guillaume
Air : Il était un moine blanc
Puissiez-vous, mes chers enfants,
Toujours être aussi contents !
Gravement je me retire,
N’ayant plus rien à vous dire.
Scène xv
Tircis, Doristée, Colinet
colinet, à Tircis
Air : Mon berger, je ne puis sans vous
Croyant t’avoir cassé la tête,
Ton rival s’enfuit ;
Goûte l’heureux fruit
Que l’amour en ce jour t’apprête.
Nos pêcheurs ici viennent tous,
Pour en chômer la fête :
Çà, morgué, réjouissons-nous,
Et faisons les fous.
Duo
tircis et doristée, ensemble
Nous n’avons plus qu’un même cœur ;
Respirons les charmes
D’un bien sans alarmes.
Nous n’avons plus qu’un même cœur
D’un sort plein de charmes
Goûtons la douceur. \indicreprmus fin.
doristée, seule
Si nous versons encor des larmes,
C’est de l’ivresse du bonheur.
ensemble, ensemble
Nous n’avons etc.
divertissement, de pêcheurs, pêcheuses, bergers, bergères
vaudeville
10
Jeunes pêcheuses, sur ces rives,
Lorsque vous êtes attentives,
Pour surprendre un poisson fugitif,
Vous ne songez pas à vous-mêmes,
Et l’amour par ses stratagèmes,
Rendra bientôt votre cœur captif :
Quoique l’on dise, quoique l’on fasse,
Il faut tomber dans les pièges d’Amour
Et, quand il tend sa nasse,
Chacun s’y prend à son tour.
11
Pour prendre de simples fillettes,
Les bons appâts sont des fleurettes,
Un ruban, un bouquet, un pompon ;
Quand ces poissons ont plus de force,
On n’en prend point à cette amorce ;
Mais il faut bien dorer l’hameçon.
Quoique l’on dise, [quoique l’on fasse,]
[Il faut tomber dans les pièges d’Amour]
[Et, quand il tend sa nasse,]
[Chacun s’y prend à son tour.]
12
Voulez-vous prendre une coquette ?
Ce poisson vient sans qu’on le guette ;
Mais il faut de l’éclat et du bruit.
La prude se pêche en eau trouble ;
Qu’en secret votre soin redouble :
Un rien l’effraie, et le jour vous nuit.
Quoique l’on dise, [quoique l’on fasse,]
[Il faut tomber dans les pièges d’Amour]
[Et, quand il tend sa nasse,]
[Chacun s’y prend à son tour.]
13
L’amour est un pêcheur habile :
Aux champs, à la cour, à la ville,
Tout vient se rendre dans ses filets ;
Et l’on y voit en abondance
Les gros brochets de la finance,
Et le fretin des petits collets.
Quoique l’on dise, [quoique l’on fasse,]
[Il faut tomber dans les pièges d’Amour]
[Et, quand il tend sa nasse,]
[Chacun s’y prend à son tour.]
14
Le magister de ce village,
Qui fait le grave personnage,
Surprit Jeanne seule avec Lucas.
Contre Lucas il fit tapage,
Il le gronda d’un air sauvage,
Et puis à Jeanne il parla tout bas.
Quoique l’on dise, quoique l’on fasse,
Il faut tomber dans les pièges d’Amour
Et, quand il tend sa nasse,
Chacun s’y prend à son tour.
Fin