Alain-René Le Sage
Arlequin Thétis
Pièce d’un acte
Représentée à la Foire de Saint-Laurent
1713
Le Sage et d’Orneval, Le Théâtre de la Foire, ou l’Opéra Comique, Paris, E. Ganeau, 1721, t. 1, p.45.
Acteurs
Thétis, Arlequin
Doris, Colombine
Jupiter, Mezzetin
Neptune, le Docteur
Mercure, Pierrot
Pélée, Léandre
Trois Sirènes, Scaramouche et deux Gilles
Troupe de Peuples, dansants et chantants
Un Berger
Une Bergère
La scène est dans le palais de Thétis.
Arlequin Thétis
Le théâtre représente le palais de Thétis, et la mer dans l’enfoncement.
Scène i
Thétis, Doris
doris
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Le dieu des mers, belle immortelle,
Pour vous soupire nuit et jour :
Quoi donc, Thétis ne sera-t-elle
Jamais sensible à son amour ?
Thétis
Air : Ne m’entendez-vous pas
Neptune m’aime, hélas !
Que mon âme est troublée !
Son grand valet Pélée
A pour moi plus d’appas.
Ne m’entendez-vous pas ?
doris
Air : Cap de Bonne-Espérance
Voilà le sort ordinaire
De maint seigneur amoureux ;
De l’objet qui sait lui plaire
Il croit avoir tous les vœux :
Tandis qu’avec confiance,
Il fait toute la dépense,
L’ambassadeur de ses feux
Devient son rival heureux.
Thétis
Air : Du haut en bas, rondeau
Des vastes mers
Je vois les Sirènes paraître ;
Des vastes mers
Se font entendre leurs concerts.
Nous allons dans ce lieu champêtre
Voir bientôt arriver le maître
Des vastes mers.
Scène ii
Thétis, Doris, trois Sirènes
Scaramouche et deux Gilles habillés en sirènes, viennent en chantant.
ensemble, ensemble
Air : Que faites-vous, Marguerite
Nous forçons tout à se rendre
Par nos chants harmonieux :
Quand nos voix se font entendre,
Nous charmons jeunes et vieux.
scaramouche
Air : Ma mère, mariez-moi
Nous attirons par nos voix
Le courtisan, le bourgeois ;
Par nos voix facilement
Nous savons nous faire un destin charmant,
Par nos voix facilement
Nous nous meublons proprement.
un gille
Air : Allons gai
Prenez les douces chaînes
Comme nous des Amours ;
Car, ma foi, les Sirènes
Ne chantent pas toujours :
Allons, gai,
D’un air gai, etc.
Thétis
Même air
Avec impatience
J’attends Neptune ici.
doris
Le voilà qui s’avance,
Et son valet aussi :
Allons, gai,
D’un air gai, etc.
On voit paraître Neptune dans le fond du théâtre et les Sirènes se retirent.
Thétis
Air : Comme un coucou que l’amour presse
Doris, admire l’encolure
De l’aimable dieu des merlans.
doris, souriant
Ah ! l’appétissante figure !
Voilà la fleur des vieux galants.
Scène iii
Thétis, Doris, Neptune, Pélée
neptune, il s’approche de Thétis. Il la salue, et chante
Air : Voulez-vous savoir qui des deux
Belle Thétis, je vous promets
Mes maquereaux, mes harengs frais.
Il est vrai que Jupin mon frère
A pris le gros lot, sans façon ;
Mais, je fais bien meilleure chère
Que lui, ma Déesse, en poisson.
Thétis
Air : Quand le péril est agréable
Neptune, avec reconnaissance
Je reçois vos soins empressés.
neptune
Oh, parbleu ! ce n’est point assez
Pour payer ma constance.
Même air
Aimez-moi pour me satisfaire ;
L’amour seul peut payer l’amour.
Thétis
Je vous aimerai dès ce jour,
Si vous pouvez me plaire.
doris, sur le ton du dernier vers
Elle est franche et sincère.
neptune
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Je vous quitte aimable Déesse,
Charmant objet de mes amours.
Vous faites en vain la tigresse ;
Franchement, j’espère toujours.
doris
Air : Dans ces lieux, tout rit sans cesse
Ne perdez point l’espérance,
Soyez toujours amoureux,
Amants, votre impatience
Vous a souvent empêché d’être heureux.
Neptune se retire. Thétis et Pélée se font des mines, sans que Neptune s’en aperçoive.
Scène iv
Thétis, Doris
Thétis
Air : On n’aime point dans nos forêts
Ah ! Doris, le charmant garçon !
As-tu bien observé Pélée ?
doris
Peste ! qu’il a bonne façon !
Que sa taille est bien découplée !
Thétis
Voilà ce qu’il faut à Thétis.
doris
Et ce qu’il faudrait à Doris.
Pierrot, déguisé en Mercure, paraît.
Scène v
Thétis, Doris, Mercure
doris
Air : Pour passer doucement la vie
Eh ! voici le seigneur Mercure,
Fidèle messager des dieux.
Pour quelle galante aventure
Venez-vous de quitter les cieux ?
Même air
Vous cherchez de bonnes fortunes,
C’est ce qui vous amène ici ?
mercure
Oh ! Je n’y viens pas pour des prunes ;
Vous le devez juger ainsi.
À Thétis.
Air : Vous perdez vos pas, Nicolas
Le maître du tonnerre
Grille pour vos yeux doux.
Il vient dans son grand verre
De boire à Thétis vingt coups.
Thétis, à Mercure
Vous y perdez vos pas,
Nicolas,
Sont tous pas perdus pour vous.
Air : Voulez-vous savoir qui des deux
Neptune et Jupin amoureux !
doris
Je les écouterais tous deux ;
J’aurais des manières moins aigres...
Thétis
Je partagerais mes appas !
doris
Chez l’un je ferais les jours maigres,
J’irais chez l’autre les jours gras.
mercure
Air : Un grand drôle est amoureux
Oui, Jupin est amoureux ;
Vous lui brouillez la cervelle.
Ne faites point la cruelle :
Il veut, dans ses nouveaux feux,
Grossir la troupe immortelle
Du moins de deux petits dieux.
Thétis
Air : Lampons, lampons
Vous êtes fort engageant ;bis
Mais sachez, monsieur l’agent,bis
Que Jupin dans cette affaire
Ne fera que de l’eau claire.
Lampons, lampons,
Camarades, lampons.
mercure, à Doris
Air : Quand je tiens de ce jus d’octobre
Je vous offre, à vous, ma pratique.
Voulez-vous recevoir mes soins ?
Vous serez ma maîtresse unique
Pendant huit ou dix jours au moins.
doris
Air : Tu croyais, en aimant Colette
Pour un dieu, c’est beaucoup promettre ;
Ce sont de constantes amours.
mercure
Oui, mais dans le bail je veux mettre
Une clause de quatre jours.
Il sort.
Scène vi
Thétis, Doris
Thétis
Air : La jeune abbesse de ce lieu
Tous les dieux sont de francs coquets ;
Ils volent de belles en belles ;
Leurs flammes sont des feux follets :
Les hommes sont moins infidèles
Sur ma foi, j’aimerais beaucoup mieux
Un bon grivois que tous les dieux.
doris
Même air
Il est vrai qu’il leur faut à tous
Chaque jour des beautés nouvelles ;
Et Jupiter n’est, entre nous,
Que le reste de cent mortelles.
Si jamais je fais un choix ici,
Je veux avoir un homme aussi.
L’on entend gronder le tonnerre et l’on voit briller les éclairs.
doris
Air : Prenez bien garde à votre cotillon
Voici Jupiter, il descend.
Vous savez qu’il est fort pressant.
Songez que c’est un papillon.
Je m’en vais. Prenez bien garde à votre cotillon.
Elle sort.
Scène vii
Thétis seule
On joue la ritournelle tendre de l’opéra, pendant que Thétis le mouchoir à la main fait le tour du théâtre, à l’imitation, de l’actrice de l’opéra. Ensuite, elle dit le couplet suivant
Thétis
Air : Pierr’ Bagnolet
Tristes honneurs, gloire cruelle,
Je ne vous reçois qu’à regret.
Heureuse est une mortelle
Qui peut, sans craindre le couplet,
Prendre un valet,
Prendre un valet.
Tristes honneurs, gloire cruelle,
Je ne vous reçois qu’à regret.
Jupiter descend.
Scène viii
Thétis, Jupiter
jupiter
Air : Bannissons d’ici l’humeur noire
Savez-vous charmante Immortelle,
Ce qui m’amène en ce séjour ?
Vous voyez Jupiter, ma belle.
Rempli de champagne et d’amour.
Air : Père André disait à Grégoire
Je ne viens point ici, Déesse,
Sous une forme d’animal ;
Jupin en propre original
Veut vous déclarer sa tendresse.
Belle, belle, belle Thétis, voulez-vous
Que nous fassions parler de nous ?
Thétis
Air : La Tampone
Vos tendresses,bis
Sont traîtresses,
Ce sont des feux d’Opéra,
Ce sont des feux d’Opéra, a a a etc.
Ce sont des feux d’Opéra,
Des feux d’Opéra.
Dès que Nicole
A fait la folle,
D’abord vous la plantez là, a a a etc.
Vous la plantez là.
Dès que Nicole
A fait la folle,
D’abord vous la plantez là,bis
Vous la plantez là.
Vous la plantez là, a a a etc.
Vous la plantez là.
Vos tendresses,bis
Sont traîtresses,
Ce sont des feux d’Opéra,
Ce sont des feux d’Opéra, a a a etc.
Ce sont des feux d’Opéra,
Des feux d’Opéra.
jupiter
Air : Voulez-vous savoir qui des deux
Non, non, Thétis n’en doutez pas,
J’aimerai toujours vos appas.
J’en vais donner une assurance ;
Je veux que les peuples divers,
(Ce qui prouve bien ma constance)
Viennent ici chanter des airs.
Scène ix
Thétis, Jupiter, Peuples divers
En même temps, on voit venir les Peuples divers qui forment une danse entremêlée des couplets suivants.
un berger
Air : La jeune Isabelle
Avec ma musette,
Et mon flageolet,
Je donne à Lisette
Un plaisir complet.
Sort digne d’envie !
Tout le long du jour,
Sur l’herbe fleurie
Nous faisons l’amour.
une bergère
Même air
Quand mon berger pleure,
Et me dit : mon cœur,
Faut-il que je meure
D’un excès d’ardeur ?
D’un air favorable
Je réponds tout bas :
Non, berger aimable,
Non, ne mourez pas.
Les Peuples divers recommencent à danser, et le Chœur chante ces couplets.
chœur de peuples
Air : Nos pèlerins ont bonne mine
Que Junon fasse la diablesse ;
Thétis de Jupin est maîtresse,
Thétis a ce poste éclatant :
Mainte fille en voudrait autant.
Qu’il est doux d’être la déesse
D’un grand seigneur, ou d’un traitant !
Même air
Filles, qui sous votre puissance,
Tenez des amants d’importance,
Laissez babiller le voisin,
Travaillez pour le magasin ;
Vous lasserez la médisance,
En allant toujours votre train.
On entend une tempête qui interrompt le divertissement, et l’on voit sortir Neptune de la mer. Thétis se retire.
Scène x
Jupiter, Neptune
neptune, en colère
Air : Les Trembleurs
Me crois-tu donc sans puissance,
Ou sous ton obéissance ?
Ah ! quelle mortelle offense !
Tu veux m’enlever Thétis !
Mais crains ma jalouse rage ;
Je vais faire du ravage ;
Tu verras un beau tapage ;
C’est moi qui t’en avertis.
jupiter
Air : Ah ! vous avez bon air
Oh ! trêve de colère,
Infant, mon petit frère,
Oh ! trêve de colère,
Quoi, vous me bravez !
Ah ! Vous avez bon aire
Ah ! Vous avez bon aire !
Ah ! Vous avez bon aire !
Bon air vous avez !
Jupiter s’approche de Neptune et le touche de son foudre. Neptune rentre dans la mer et la pièce finit.
Fin