Pierre Laujon
Armide
Parodie de l’opéra d’Armide en quatre actes
Représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi
le lundi 11 janvier 1762
Œuvres choisies de P. Laujon, t. 2, Paris, Patris, 1811, p.267-321
Acteurs
Armide
Renaud
Hidraot
Ubalde
Artémidore
Le Chevalier Danois
Phénice
Sidonie
Aronte
Un Médecin
Médecins, consultants
Nourrices
Danseuses d’opéra
Troupe de peuple
Nourrices et Nourriciers
Démons, en Zéphyrs
Apothicaires
Manœuvres
Deux colporteurs
Armide
\acte[Le théâtre représente une place publique ; on voit les préparatifs d’une fête. Un feu d’artifice occupe le fond, et l’on voit à différentes fenêtres des maisons :
Places à louer pour le feu\fg .]
Scène i
Armide, Phénice, Sidonie
phénice
Air : Vos beaux yeux sont languissants
Vos beaux yeux sont languissants,
Qui peut, belle Reine,
Causer votre peine ?
Vos beaux yeux sont languissants,
Qui peut, belle Reine,
Troubler vos sens ?
sidonie
Pour vous ici l’on apprête
Plaisirs, cadeaux, fête sur fête.
Pourquoi garder en ces lieux,
Où tout est joyeux,
Cet air ennuyeux ?
phénice
Allons, Princesse, ne boudez plus ! Songez donc que vous avez du coté des Enfers toute la satisfaction possible.
sidonie
On prépare des feux de joie, des illuminations, le tout pour un triomphe complet, et qui ne vous a coûté que les frais de voyage pour arriver au camp de Godefroy, et quelques petites agaceries faites à propos.
Air : Eh ! tant, tant, tant
Vous avez soumis par vos charmes
Tous ces intrépides guerriers,
Sans avoir besoin d’autres armes
Pour affaiblir ces officiers.
phénice
Ah ! que vous êtes séduisante !
De vos amants, la troupe est suffisante.
Il en vient tant,
Eh ! tant, tant, tant !
Armide n’est pas contente
De l’hommage de tout un camp !
armide
Air : Maman, je ne puis sans vous
Ah ! je ne m’embarrasse guère,
Ni de vos propos,
Ni de ces héros.
Ils ont l’honneur de me déplaire
J’n’en veux qu’un qui n’me veut pas,
Malgré mes appas.
Air : N’y a pas grand mal à ça
Il est jeune, il est brave,
Il s’appelle Renaud.
phénice
Oh ! oh !
armide
Je l’agace, il me brave,
Me fuit comme un nigaud.
sidonie
Oh ! oh !
armide
Il n’a que ce défaut.
Venez me dire après cela que toute une armée me fait les yeux doux.
sidonie
Air : Que je regrette mon amant
Il n’y manque en tout qu’un guerrier,
Nous n’étions pas bien loin de compte.
Faut-il donc tant vous récrier ?
C’était un assez bon acompte.
Vous voulez plaire à tout un camp,
Ce projet part d’un cœur bien grand !
armide
Mais vous êtes charmante ! n’allez-vous pas prendre son parti ? Un homme qui, non content de ne pas répondre à mes agaceries, a l’insolence de m’apparaître en songe !
phénice
C’est bien hardi, Princesse.
armide
Air : Vous, amants que j’intéresse
Qui veut m’expliquer mon songe ?
Ah ! quel songe, quand j’y songe !
Dans quel état il me plonge !
J’en frissonne encor de peur !
À Sidonie.
Ma petite,
À Phénice.
Ma petite,
J’en suis quitte,
Mais mon cœur
En palpite
De frayeur.
Ce Renaud, malgré mes larmes,
Du Dieu Mars prenait les armes.
L’Amour lui prêtait ses charmes
Sans lui donner sa douceur.
Oui, malgré mes larmes,
Le cruel perçait mon cœur.
Qui veut m’expliquer mon songe ?
Ah ! quel songe, quand j’y songe !
phénice
Mais tout songe est un mensonge.
Croyez-nous.
armide
J’en crois ma peur.
À Phénice.
Ma petite,
À Sidonie.
Ma petite,
J’en suis quitte,
Mais mon cœur
En palpite
De frayeur.
Air : Ma p’tite bonne
Ma voix était tremblante,
La peur me réveilla,
Pour dire à ma suivante :
\og Ma bonne, êtes-vous là ?
Eh ! ma p’tite bonne,
Je vous sonne.
À l’aide, ma bonne,
Sans vous, il me tuera\fg.
phénice et sidonie, ensemble
Air : Rats
Ah ! ce sont vos rats,
Pardonnez-nous, je vous supplie,
Mais ce sont vos rats
Qui dans votre esprits font ce tracas.
phénice
Mademoiselle, voici monsieur votre oncle. Nous vous laissons.
Scène ii
Hidraot, Armide
hidraot
Air : Javotte, enfin vous grandissez
Ma nièce, enfin vous grandissez.
Plus d’un bon parti se présente.
armide
Mon oncle, vous m’embarrassez.
hidraot
Il est temps que l’hymen vous tente,
Car c’est comm’ci, car c’est comm’ça,
Lorsque l’on est gentille,
Qu’on fait, lan, la, farlarira,
Honneur à sa famille.
armide
Mais, mon oncle...
hidraot
Je ne vous demande que cette petite complaisance-là, et vous me la refusez !
Air : Pour héritage
L’âge me presse,
Et je suis sans enfants.
Soyez, ma nièce,
L’appui de mes vieux ans.
Pour suppléer à ma progéniture,
J’ai compté sur vous,
Je vous jure,
J’ai compté sur vous.
armide, sur le même air
Moi, prendre un époux !
hidraot, d’un air mécontent
airvide
Faut-il te récrier ?
L’hymen peut t’effrayer,
Mais me payer
De tels détours,
C’est répéter les discours
Des fillettes de nos jours
À qui connaît tous leurs tours.
Mon art fait tout trembler,
Mais je n’ai pu peupler
Quoique sorcier.
Tu l’es aussi :
Je voudrais voir naître ici
De tes feux un rejeton,
Quelque sorcier du bon ton.
J’y vais tout rondement,
Je te dis mon sentiment,
Bonnement.
Ne fais pas tant la prude !
D’honneur,
Ta répugnance est rude,
Pour mon cœur.
Modère ta rigueur !
Prends pitié de la langueur
De maint amant dont les vœux
Sont à toi, si tu veux !
À ton oncle, il est bien dur
C’est sûr,
Étant sans enfant,
De ne t’en
Pouvoir
Voir.
armide, à part
Mon bon homme d’oncle m’ennuie à périr. Haut. Eh bien, mon oncle, je vais vous expliquer mes petites idées sur le mariage.
Air : Mon petit cœur gauche
S’il est un homme
Plus brave que Renaud,
Et qui l’assomme,
Je l’épouse aussitôt.
Mon cœur se débauche,
Et dans l’instant lui dit :
\og Mon petit cœur gauche,
Pour vous je perds l’esprit\fg.
Air : Geminiani
Oui, oui, j’en ferai la folie,
Mais, sans ce prix,
Ne me parlez point de maris !
Mon cœur,
Sans la valeur,
Ne peut, d’honneur,
Jouir d’aucun bonheur.
Pour un vainqueur,
Oui, j’en ferai la folie ;
Et dès demain,
Il aurait mon bien et ma main,
C’est mon envie.
hidraot
Mais s’il t’ennuie,
S’il est quinteux,
Goutteux,
Hargneux,
Fâcheux,
Faut-il qu’à ton vœu ton goût se plie ?
armide
Oui, oui, j’en ferai la folie,
C’est là mon lot,
Je n’en rabattrai pas d’un mot.
On joue l’air : Melchior et Balthazar sont venus d’Afrique. Pendant ce temps-là, la populace se rassemble.
Scène iii
Hidraot, Armide, Phénice, Sidonie, peuples, deux colporteurs, des charbonniers, savetiers, etc.
Deux colporteurs
Ordonnance qui ordonne des feux de joie, illuminations, à l’occasion du triomphe remporté par Mademoiselle Armide, toute seule, contre toute l’armée de Godefroy : ça n’se vend que deux liards, à deux liards.
On allume les illuminations et le peuple danse, au son des instruments qui sont placés près des illuminations.
hidraot
Air : Melchior et Balthazar
Prends un air moins sérieux !
La fête commence.bis
Tout les plaisirs de ces lieux
Sont la récompense
Due à tes beaux yeux.
Chacun vient d’illuminer,
Suivant l’ordonnance ;bis
Chacun vient d’illuminer,
Ah ! lorsque j’y pense,
Qu’on va s’en donner !
De tous cotés on entend :
\og Places à louer pour la réjouissance \fg.
De tous cotés on entend :
\og Places à louer pour le feu qu’on attend \fg.
Tu vois avec quelle ardeur
Tout ce peuple danse.bis
Tu vois avec quelle ardeur
Tout ce peuple danse,
Pour te faire honneur.
On reprend le même air pour la danse.
Un colporteur
Air : Je viens pour vous rendre, menuet – du Bal bourgeois
C’est Mam’selle Armide,
Dam’ c’est ça qu’a d’ben doux attraits !
Où qu’l’Amour perfide
Y avec ses traits.
Gare à qui la r’garde !
Car le v’la tout d’suite amoureux.
Mais le cœur qu’ell’ garde
Y est rigoureux.
La colporteuse
Pour causer d’s’alarmes,
Ou pour fair’ des plaisirs parfaits,
Ell’ joint à ses charmes
D’ben doux secrets.
Gn’en n’a qu’un qu’j’envie ;
C’est c’ti-là de se faire aimer,
Pour passer ma vie
Rien qu’à t’charmer.
On danse.
hidraot
Air : Voici les dragons qui viennent
Voici des archers qui viennent !
Quel diable est ceci ?
C’est mon exempt qu’ils m’amènent.
Oui, je les vois qui le tiennent.
armide, phénice, sidonie, ensemble
Ah ! le voici.
hidraot
Quel diable ! cet homme-là prend bien son temps pour être blessé ! Il ne pouvait pas nous laisser finir notre fête.
Scène iv
Les précédents, Aronte soutenu par des archers
aronte
Ah ! Princesse, je conduisais vos prisonniers, quand un seul homme les a tous délivrés.
Air : Dam’Javotte
Ah ! quel homme !
Ah ! quel homme !
Nous étions bien cent contre un,
Et tout seul il nous assomme !
Ah ! quel homme !
Air : R’lan, tan, plan, tire, lire
Chacun de nous s’en sent
En plein, plan, r’lan, tan, plan,
Tire, lire, en plan.
armide, hidraot, ensemble
C’est Renaud.
aronte
Justement !
Mais c’est un maître sire,
Mais c’est un maître sire,
R’lan, tan, plan, tire, lire.
Il frappait lourdement,
En plein, plan, r’lan, tan, plan,
Tire, lire, en plan,
Surtout sur votre exempt.
Mon dos peut vous le dire.
armide
Mais où sont mes prisonniers ?
aronte
Vous avez une plaisante façon de consoler votre monde ! chacun s’est sauvé comme il a pu de son coté.
armide
Lâches ! ...
aronte
Comment ! lâches !
Air : Accompagné de plusieurs autres
Au premier coup j’ai résisté ;
Tout de plus belle il a frappé.
Il savait bien, le bon apôtre,
Qu’un coup de bâton nous déplait,
Mais qu’on le souffre quand il est
Accompagné de plusieurs autres.
trio, ensemble
Air : Sur le chœur
armide
Il a bravé ma puissance.
aronte
Il a frappé sur mon dos.
tous trois, ensemble
[Tous trois]
Point de repos
Sans la vengeance.
armide et hidraot, ensemble
Il a bravé
Notre puissance.
aronte
Il m’a frappé,
Quelle insolence !
hidraot et armide, ensemble
Il a bravé ma puissance.
aronte
Il a frappé sur mon dos.
armide et hidraot, ensemble
De cet affront j’ai le cœur gros.
aronte
De cet affront j’ai mal au dos.
[hidraot et armide], ensemble
J’ai le cœur gros.
aronte
J’ai mal au dos.
armide, hidraot, phénice, sidonie au peuple, ensemble
Canon
Air : Fier Martinot
Servez ma vengeance !
Je retiens d’avance
Tous vos bras,bis
Vengeance ! vengeance !
À qui nous offense
Donnons le trépas !bis
Tout le peuple, qui entre aussi dans le canon, s’anime pendant qu’on le chante, et tous sortent, les uns armés de broches, d’autres de bâtons, d’autres de pelles, etc.
finacte
Acte i
Le théâtre représente des jardins ornés.
Scène i
Renaud, Artémidore
renaud
Air : Titata
Je suis un bon soldat,
Ti ta ta,
Qui fuit de sa patrie.
artémidore
Mais tout en désertant,
Patapan,
Vous me sauvez la vie.
renaud
Même air
J’ai trouvé cent poltrons,
Patapons,
Ils en menaient cent autres.
Je vous les ai battus,
Tu, tu, tus,
Va-t-en le dire aux nôtres.
Air : C’est ce qui vous enrhume
Je prétends rester seul en ces climats.
Suivez mon conseil, brillez sur mes pas.
Pour moi, je suis modeste.
Volez à la gloire, si je n’y cours pas,
C’est que j’en ai de reste.
artémidore
Air : L’allure
Étant chez l’ennemi,
Mon ami,
Vous êtes bien tranquille.
Quand vous seriez gascon...
renaud
Mais, poltron ?
Tu m’échauffes la bile,
Tais-toi donc !
Imbécile ! tiens,
Apprends qu’on ne craint rien,
Quand tout seul on en vaut mille !
artémidore
Air : Je reviendrai demain au soir
Mais du moins dites-moi tout bas,
Où vous portez vos pas !bis
renaud
En effet, j’y devais rêver
Avant que d’arriver.bis
Air : De mon pot, je vous en réponds
En tout cas, j’irai, sur ma foi,
Où l’on voudra de moi.
Car j’ai deux bons bras au service
De l’innocence et de la justice.
Mais ici je viens sans objet,
Et j’en pars sans sujet.
artémidore
Et moi, je vous quitte de même.
Ils sortent.
Scène ii
Armide, Hidraot
hidraot
Air : Mon petit doigt me l’a dit
Que Renaud tarde à paraître !
armide
Mais il est ici, peut-être.
hidraot
Qui veux-tu qui l’ait conduit ?
S’il était ici, ma mie,
Ta baguette et ma magie
M’en auraient sans doute instruit.
Air : Entre l’amour et la raison
Il viendra dans ce lieu fatal.
Corbleu ! que le peuple infernal
Sert mal la haine qui m’accable.
Le monde devient si vénal
Qu’il faut même, pour faire mal,
Chercher du crédit chez le Diable.
Air : Il est pris
Notre ennemi s’avance.
armide
D’honneur ?
Le cœur
Me bat, quand j’y pense.
Que de son imprudence
Il reçoive le prix !
tous deux, ensemble
Il est pris, il est pris.
Il est pris, il est pris.
armide
Suite de l’air : Il est pris
N’en soyons pas surpris,
Ce guerrier qui s’amuse,
Qu’on voit,
Qui croit
L’ennemi sans ruse,
Donne comme une buse
Dans un piège secret.
tous deux, ensemble
C’est bien fait,
C’est bien fait.
duo, ensemble
Air : Lucas, pour se gausser de nous
Ah ! têtebleu ! sambleu ! morbleu !
hidraot
Croit-il qu’impunément on me berne,
On t’outrage ?
armide
Croit-il qu’impunément on vous berne,
On m’outrage ?
tous deux, ensemble
Non, palsambleu !
Nous allons voir beau jeu.
Corbleu !
Qu’il éprouve toute ma rage,
Un rien enchante le badaud.
Le bon nigaud
Tout seul bâille aux corneilles,
Pour hâter l’instant de sa mort
Crions encor
Plus fort, plus fort, plus fort,
Si fort
Que l’Enfer ouvre ses oreilles.
Bon ! à merveilles !
Crions encor,
Encor plus fort,
Car, ma foi, Pluton dort.
hidraot
Oh ! çà, écoute donc : j’ai fait mettre un de mes régiments dans le voisinage de ces jardins ; si nous le faisions avancer, il tâcherait de me tuer cet homme-là tout de suite.
armide
Ah ! mon oncle, je vous en prie, laissez-moi ce petit plaisir-là.
hidraot
À la bonne heure ! cela étant, tu n’as pas besoin de moi. Je te souhaite le bon soir, et je vais me coucher.
Il sort.
Scène iii
Armide seule
armide
Eh ! mon Dieu ! j’allais oublier... je ne sais à quoi je pense !... Démons, démons ?...
cinq ou six démons, dans la coulisse
Plaît-il, Mademoiselle ?
armide
Ne paraissez pas, ne vous montrez pas, mais écoutez-moi ! Renaud est ici, comme vous savez : allez vous habiller en nourrices et en nourriciers, ces gens-là sont au fait d’endormir mieux que personne.
Air : Il faut que je file
Attendant que je le perce,
Ce que je ferai tantôt,
Nourrices, que l’on s’exerce
Sur l’indifférent Renaud.
Qu’on le berce, berce, berce,
Qu’on le berce comme il faut.
Entendez-vous, Démons ?
Les démons
Oui, Mademoiselle.
Elle sort.
Scène iv
Renaud seul
renaud
Air : Gavottes nouvelles, acte du sommeil – de l’opéra d’ Armide
Tout flatte, en ces lieux,
Mes yeux.
Quel trône de verdure !
Tout est charmant...
Tout est moment
D’enchantement !
La Nature
Simple et pure
Ici prodigue ses trésors,
Et l’Art ajoute ses efforts
À sa parure.
Dans ce séjour de volupté,
Aisément je suis arrêté,
Et mon œil séduit, enchanté,
En admirant tant de beauté,
Doute encor de la vérité.
Je ne sais quoi me dit tout bas :
\og Cet asile a tant d’appas !
Ah ! Renaud, ne le quittez pas !\fg
Tout flatte, en ces lieux,
Mes yeux.
L’astre brillant des cieux,
Beaux lieux,
Fait luire ici pour vous
Des rayons plus purs et plus doux.
C’est qu’il vous aime,
Et que dans son char glorieux,
Il est de l’éclat de ses feux
Flatté lui-même.
Agréables fleurs !
Riche ornement de ces lieux séducteurs,
Vos douces odeurs,
Vos vives couleurs
Enchantent les yeux et les cœurs.
Amoureux oiseaux,
Qui voltigez sous ces riants berceaux,
Et qui joignez au doux bruit de ces eaux,
Vos chants toujours nouveaux.
Ah ! sur un héros,
Ami du repos,
Vous faites l’effet des pavots.
Heureux asile du Zéphyr !
Rien ne vaut l’excès du plaisir
Où tu me plonges.
Tout annonce enfin à mes yeux,
Que l’on doit faire dans ces lieux
D’aimables songes.
Air : Bonsoir, la compagnie
Dormons, puisqu’on a su prévoir
Que j’en aurais l’envie.
Avant de remplir ce devoir,
Bonsoir, la compagnie,
Bonsoir,
Bonsoir, la compagnie.
Il se couche sur un lit de fleurs et de gazons.
Scène v
Nourrices, nourriciers, Renaud endormi
L’orchestre joue le commencement de l’air de la Sabotière, et le commencement de l’air \emph Dodo, l’enfant, etc.
une nourrice, à Renaud endormi
Air : Dodo, l’enfant do
Jeune héros, tout en dormant,
À nos leçons prêtez l’oreille !
Nous profitons du seul moment
Où chez vous la raison sommeille.
La gloire fixe vos désirs ;
Ouvrez les yeux sur les plaisirs !
Dodo,
L’enfant do,
L’enfant dormira tantôt.
Le chœur répète, dodo, etc.
Seconde nourrice, à Renaud endormi
Il est un petit Dieu charmant,
Qui fait moins de mal que Bellone ;
Vous le fuyez aveuglément,
Malgré tous les biens qu’il nous donne ?
C’est un enfant beau comme vous.
De tous les Dieux, c’est le plus doux.
Dodo,
L’enfant, etc.
Première nourrice, à Renaud endormi
Il est un âge de regrets
Où, lorsque le cœur se réveille,
Il implore en vain les bienfaits
De ce Dieu qui ferme l’oreille.
Songes-y bien, s’il dort pour vous,
Craignez d’éveiller son courroux.
Dodo,
L’enfant, etc.
Seconde nourrice, à Renaud endormi
Préférez à d’heureux instants
Des lauriers que le sang arrose,
C’est, dans les trésors du printemps,
Préférer l’épine à la rose.
Si vos yeux sont fermés au jour,
Que votre cœur s’ouvre à l’amour !
Dodo,
L’enfant do, etc.
chœur
Dodo,
L’enfant do, etc.
On danse la Sabotière.
Première nourrice
Air : Charivari de Ragonde
Pour endormir ce militaire,
Près de lui faisons, à l’envie,
Charivari.bis
Seconde nourrice
Malgré le train qu’on nous voit faire,
Il n’en est que plus endormi,
Charivari.bis
ensemble, ensemble
C’est qu’il vient de la guerre,
Où l’on dort moins qu’ici,
Charivari. \indicreprmus trois fois
On danse sur le même air.
Scène vi
Les précédents, Armide tenant en main un couteau
armide
C’est bon, c’est bon, je suis contente ; puisque tout votre train n’a servi qu’à le mieux endormir, laissez-nous !
Les nourrices et nourriciers se retirent.
Air : Ahi, ahi, Jeannette
Il dort bien tranquillement ;
Ce héros est sans défense ;
Levant le bras pour l’immoler.
Je vais glorieusement
Le tuer sans qu’il y pense.
Ahi, ahi, ahi...
Air : Non, je ne veux pas rire
Malgré moi je soupire,
Pourtant je ne veux pas rire ;
Non, non, je ne veux pas rire,
Non,
Non, non, je ne veux pas rire.
Air : Un mouvement de curiosité
Queuqu’chos’ pourtant m’engage à satisfaire
Un mouvement de curiosité.
Allons un peu plus près de ce téméraire
Voir, quand il dort, s’il conserve sa fierté !
On se permet, quand on n’a point d’cher’mère,
Un mouvement de curiosité.
Air : Ah ! Madame Anroux
Mais ? ... queuqu’c’est donc qu’ça ?
Portant la main à son cœur.
Mais ? ... queuqu’c’est donc qu’ça ?
Je d’viens comme un’ braise.
Oh ! oh ! ah ! ah ! mais, mais, mais,
Mais ? ... queuqu’c’est donc qu’ça ?
Je d’viens comme un’ braise !
C’est plus brûlant qu’ça.
Laissant tomber le couteau.
Air : Ah ! voilà la vie
Laissons-lui la vie, la vie, la vie ;
Laissons-lui la vie,
La mienne en dépend.
Dieux ! quelle folie,
Quel aveuglement
Me donnait l’envie
De tuer ce pauvre enfant ?
Laissons-lui la vie, etc.
Oh ! oui, oui, je vais commencer par m’en faire aimer, et après cela, je tâcherai de le haïr. Mais commençons toujours par le premier point, nous verrons l’autre après.
Air : En revenant de Saint-Germain
Venez, secondez mes désirs !
Démons, changez-vous en Zéphyrs !
Prenez l’objet de mes soupirs.
Vous m’entendez bien ?
Vous le voyez bien ?
definitacteur, Chœur de démons chœurdemons
chœurdemons, habillés en Zéphyrs
Où l’mèn’rons-nous, ma commère ?
Où l’mèn’rons-nous, pour qu’il soit bien ?
armide
Si je le mène en mon jardin ?
Il y sera vu du voisin,
Peut-être y fera-t-il du train !
Car c’est un vaurien.
Vous m’entendez bien ?
chœur
Où l’mèn’rons-nous, ma commère ?
Où l’mèn’rons-nous, pour qu’il soit bien ?
armide
Air : Allons à la guinguette
Que sans retard
On nous mène en cachette
Sur le rempart,
Où j’ai ma maisonnette !
C’est où nous souperons.
Allons !
Démons !
Allons à ma guinguette !
Allons !
chœur
Allons !
Allons !
Allons à sa guinguette !
Allons !
Les démons enlèvent Armide et Renaud.
finacte
Acte ii
Le théâtre représente le laboratoire d’Armide.
Scène i
Armide seule
armide
Air : Mon papa me l’avait bien dit
Mon bon oncle l’avait bien dit,
Le cœur a son dit et dédit.
L’Amour est un petit sorcier
Qui, bien mieux que moi, sait son métier.
Est-ce à toi, funeste ennemi,
Qui n’es qu’à demi
Mon ami,
De me rendre
Le cœur si tendre
Pour t’avoir endormi ?
Mon bon oncle, etc.
Ce courroux que je méditais,
La vengeance que j’excitais,
Un instant vient de les finir,
Et j’y prends plaisir.
Mon bon oncle, etc.
Air : Viens me guérir mon mal, ma chèr’ mère
Affreuse Haine, approche, accours !
J’ai grand besoin de ton secours.
Fais succéder ici l’horreur
À mon bonheur !
À mon ardeur !
Viens me guérir mon mal, ma chèr’ mère !
Viens me guérir mon mal de cœur !
Scène ii
Armide, La Haine en médecin, deux médecins consultants de sa suite
armide
Air : Proverbes
Pour me guérir, elle est prompte à paraître.
Est-ce la Haine ? Ah ! c’est un médecin.
La Haine
Sous ces habits peut-on me méconnaître
Pour l’ennemi du genre humain.
Six apothicaires arrivent, chacun à la main un mortier, sur lequel sont leurs armes, qui sont deux vipères. Les apothicaires accompagnent de leurs mortiers les refrains des trains, trains, etc.
La Haine
Air : Catin est au lit malade
La Haine vit dans les larmes,
De même qu’un médecin,
Nous portons les mêmes armes,
Nous causons même chagrin,
Tin, tin, tin, tin , terlin tin, tin.
armide
Même air
Armide a le cœur malade,
Vous implore-t-elle en vain ?
Petit amour de passade
Dans son cœur fait bien du train,
Train, etc.
La Haine
Même air
Eh ! depuis quand vous accable
Cet amour ?
armide
De ce matin.
La Haine
De ce matin ! comment diable !
Il a fait bien du chemin !
Tin etc.
Premier suivant de la Haine
Même air
Moi je trouve à la malade
L’esprit un peu libertin.
Elle aime et haït par boutade.
La Haine
C’est sa tête que je plains,
Tin, etc.
Second suivant
Même air
Brisez bien, broyez encore
L’arc, les traits d’un dieu mutin !
Puis, force grains d’ellébore
Vont nous la guérir en plein,
Train, etc.
armide
De l’ellébore ! oh, je suis votre servante.
La Haine
Eh bien, nous allons lui donner un lénitif plus agréable.
Air : Relon, ton, ton, ton, reli, ti, ti
Vous, de la Faculté dignes suppôts,
Sujets aux quiproquos,
Écoutez en deux mots
L’ordonnance à ses maux !
Le vin est bon...
Les suivants
Relon, ton, ton.
La Haine
Pour bannir le souci...
Les suivants
Reli, ti, ti.
La Haine
L’usage en est divin...
Les suivants
Relin, tintin.
La Haine
Son cœur a du tintoin.
Les suivants
Relin, tintoin.
La Haine
Dans le vin, en ce jour,
Il faut guérir l’amour.
Air : Boire à son tour
Amour, sors pour jamais,
Sors d’un cœur qui te chasse !
Dans ce bon cœur permets
Que le vin te remplace !
Cruel vainqueur,
Vois sa langueur !
Sors de son... cœur ! \indicreprmus trois fois
On danse.
Trio
la haine et les deux suivants, ensemble
Air : Buvons à tasse pleine
Buvez à tasse pleine,
Champagne ou muscat,
Buvez, buvez, ma Reine,
De nos secours faites état !
armide
Je n’ai pas soif.
tous trois, ensemble
Oh ! oh !
Eh bien ! à l’Amour crions en trio,
Qu’au fond de ce caveau
L’on va l’enterrer comme un buveur d’eau !
La Haine, à Armide
Air : La Pierre Fitoise
Crains les traits
De ce dieu que tu hais,
Qui pourtant
Te rend le cœur content !
Fais encor,
Pour le fuir, un effort !
Puis il aura, s’il est le plus fort,
Tord.
armide
Messieurs les Démons,
Partez !
La Haine
Restons !
Oh ! nous chanterons,
Nous danserons,
Nous sauterons.
armide
Messieurs les Démons,
Partez !
La Haine
Restons !
L’Amour sortira.
armide
Il est bien là,
Il s’y tiendra.
Air : Allez-vous-en, gens de la noce
Allez-vous-en, Messieurs les Diables,
Allez-vous-en chacun chez vous !
Vous êtes très raisonnables,
Mais nous différons de goûts.
Allez-vous-en, Messieurs les Diables,
Allez-vous-en chacun chez vous !
La Haine
Air : Il l’attrap’ra
Très volontiers, mais je te jure
Que ton cœur s’en repentira.
À sa suite.
Disons-lui sa bonne aventure.
À Armide.
Donne-nous ta main.
armide
La voilà.
La Haine
Ton Renaud te sera parjure.
armide
Ô Ciel ! que me dites-vous-là ?
la haine et sa suite, ensemble
Il t’attrap’ra.bis
La Haine
airvide
Sourde aux avis du médecin,
À l’Amour ouvre ton sein,
Sois sa victime.
Pour égarer deux faibles cœurs,
Sous des fleurs,
Il leur cache un abîme.
Que de malheurs,
De pleurs !
Pour toi j’en frissonne.
Tu perdras gaîté,
Repos, fierté,
Raison, santé.
C’est l’arrêt de la Faculté,
Qui t’abandonne.
Les trois médecins s’enfoncent par les trappes.
armide, seule
Air : Trois enfants gueux
Ils sont bien fous d’imaginer ici
Que j’userai d’un secours qui me gène.
Ils sont partis, moi, je m’en vais aussi.
Je veux chez moi faire changer la scène.
Elle sort.
finacte
Acte iii
Le théâtre représente les jardins d’une petite maison que l’on voit dans le fond.
Scène i
Renaud, Armide
renaud
Air : Lon lan la, ma bouteille
Et lon lan la,
Ma mignonne ;bis
Et lon lan la,
Ma mignonne
S’en va.
Air : Il faut, quand l’amour nous presse
Vous partez, belle Princesse !
armide
Il le faut. Je vais, mon fils,
Aux Enfers, sur ma tendresse,
Demander quelques avis.
renaud
Votre sincérité, ma foi,
Est impayable.
Mais vous seriez mieux avec moi
Qu’avec le Diable.
armide
Tenez, je ne devrais pas vous dire... ce que je vais vous dire pourtant ; mais vous entrez pour beaucoup dans le sujet de mes petites conférences avec les Enfers.
Air : C’est ma devise
Vous donnez, fier de vos succès,
Tout à la gloire,
Et l’amour, le moment d’après,
À la victoire.
renaud
Pour l’honneur, gène-t-on son goût ?
Quelle sottise !
Rien par excès, un peu de tout,
C’est ma devise.
Air : Le temps de prendre haleine
Sur le plus tendre des amants,
Eh ! quels soins sont les vôtres !
Vous enchantez tous mes moments,
Puis-je en donner à d’autres ?
Mon cœur tout neuf ne sent-il pas
Tout ce que valent vos appas ?
Vous y joignez, ma Reine,
Tant de plaisirs, que je n’ai pas
Le temps de prendre haleine.
armide
Air : Ça n’dur’ra pas toujours
Ça n’dur’ra pas toujours.
renaud
Oh ! que si, mes amours.
armide
Ça n’dur’ra pas toujours.
renaud
Oh ! que si, mes amours.
Air : J’aime mieux ma mie
Ma gloire, par vos beaux yeux,
Est toute affaiblie.
Si ses biens sont précieux,
Armide est jolie.
De l’honneur j’étais flatté,
À présent, en vérité,
J’aime mieux ma mie,
Ô gué,
J’aime mieux ma mie.
duo, ensemble
Air : Colette et moi, comme je nous aimons
Armide et moi, comme nous nous aimons !
Renaud et moi, comme nous nous aimons !
Aussi nous faisons bon ménage.
Sans cesse nous nous animons,
C’est une ardeur, c’est un courage,
C’est une ardeur, un feu, c’est une rage.
Mille fois nous nous le disons.
Jeune coquette a toujours du manège,
Et l’amour entre nous abrège
Du moins la moitié des façons.
armide
Oh, pour cette fois-ci, je vous dis adieu tout de bon. Mais je vais vous envoyer de jeunes danseuses pour vous amuser pendant mon absence, et j’ai donné ordre qu’on vous servit un petit souper fin dont elles vous feront les honneurs.
renaud
C’est bien être bonne, au moins !
armide
Air : Le Savetier matineux
Va, je connais ton amour.
renaud
Mais des danseuses jolies...
armide
Ah ! pour me jouer un tour,
Elles sont trop mes amies.
Adieu, encore une fois, mon cher Renaud.
Elle sort.
Scène ii
Renaud, Danseuses et Chanteuses
Une chanteuse
Air : Gai, gai, mon officier
Eh ! gai, gai, mon officier,
Armide, qui s’absente,
Ici vient de nous envoyer
Pour vous désennuyer.
renaud
Armide est obligeante.
La chanteuse
Le chant peut égayer,
La danse est amusante,
Nous avons un moment,
Profitez-en !
Car nos dimanches, nos mardis,
Surtout nos vendredis,
Tous ces jours-là sont pris.
Hors les lundi,
Les mercredis,
Quelques jeudis,
Les samedis,
Oui, tous nos jours sont pris !
On danse.
La chanteuse
Air : Que de gentillesse
Pendant ce couplet, on danse en minaudant autour de Renaud.
Une jeune actrice
D’un cœur novice
Ménage la timidité.
Elle l’encourage
À rendre hommage
Sans peine à la beauté.
La gaieté,
La vivacité
Que la danse inspire,
Font qu’un cœur soupire ;
Et tout bas lui font dire :
\og Que ces jolis pas
Ont d’appas ! \fg
Une jeune actrice, etc.
Joli souper,
Que l’œil du plaisir éclaire,
Où tout son soin est de tromper
La raison sévère,
Cette chimère
Qui veut nous occuper...
renaud, les lorgnant
Eh ! mais...
Les chanteuses
Une jeune actrice, etc.
Scène iii
Les précédents, Ubalde, le Chevalier Danois
ubalde
Air : Manon Giroux
Comment faire, en ces retraites,
Pour garder son cœur
Contre un troupeau de fillettes
Dont l’œil est trompeur ?
Corbleu ! dénichez, poulettes !
Voyez, à notre air,
Que nous n’aimons les fleurettes
Qu’en quartier d’hiver.
La danseuse
Oh ! Messieurs, je vous assure que vous n’avez pas besoin de nous le dire deux fois, car vous êtes odieux.
La chanteuse
Je crois que c’est ici le rendez-vous de tous les gens maussades de l’univers.
le chevalier danois
Il est seul, profitons-en.
ubalde
Tirons-le de sa rêverie, bats la générale, morbleu ! il la reconnaîtra.
On bat la générale.
renaud, s’éveillant
Air : La générale
Dieux ! la générale bat !
On vole au combat,
Peut-être on se bat !
Et dans cet état
Je vois un soldat !
Je sens, à ce bruit flatteur,
Réveiller l’ardeur
Qui mène à l’honneur.
L’Amour en a peur.
Fuyons ce trompeur !
ubalde
Même air
Quoi ! l’Amour ! quoi ! ce sorcier
Bat un officier,
Dont le cœur altier
Aime le métier
Mieux qu’un grenadier !
Qu’il parte, au son du tambour,
Ce fripon d’Amour !
Fais-le sans retour !
Suis-moi sans détour !
La guerre a son tour.
Air : La marche anglaise
Marche à moi ! que je regarde
Les présents d’une égrillarde,
Qui fait à ton grand cœur
Beaucoup d’honneur !
Ah ! du moins ! pour te voir,
Prends un miroir !
J’ai le mien qui tient au bout de ma râpe.
Il tire un miroir au bout d’une râpe.
Mire-toi !
renaud, se regardant
Quoi ! je suis en cet état ! ...
Que l’aspect de tant de honte me frappe !
ubalde
As-tu vu la parure d’un soldat ?
De rubans, quel étalage !
De pompons, vil assemblage !
renaud
Ah ! c’est trop m’affaiblir,
Trop m’avilir.
ubalde
Oui, te voilà musqué
Comme un abbé !
renaud, en les arrachant
Eh bien ! mon ami, je les rends au Diable, qui en a fait présent à Armide. Mais comment as-tu fait pour tromper les gardes et les monstres dont Armide a défendu l’entrée de sa petite maison ?
ubalde
Air : Mon petit doigt me l’a dit
Deux gros chiens gardaient sa porte,
Je les ai sabrés, de sorte
Qu’ils sont morts du même coup.
Va, pour m’ouvrir un passage,
Un bon sabre et du courage,
Voilà mon passe-partout.
Voilà les charmes dont j’use, moi.
Air : Allons à la guinguette, allons
Allons, allons !
En lui rendant ses armes et son casque.
Reprend ton cimeterre !
Et décampons,
Avant que ta sorcière
Ne soit sur tes talons !
renaud, pleurant
Allons, allons !
Allons donc à la guerre,
Allons !
Air : Je ne regrette point la ville
Je ne regrette point la ville
Ni les démons qui sont dedans,
La lurette,
Ni les démons qui sont dedans.
Je ne regrette ici qu’Armide.
C’est qu’elle était si bonne enfant,
La lurette,
C’est qu’elle était si bonne enfant !
ubalde
Songe que tu es dans le cas des déserteurs ! ne perds pas le temps de l’amnistie ! marche !
On bat la générale, et on l’emmène.
Scène iv
Armide seule
armide
Où est-il donc ? ... Ô Ciel ! Renaud ! Renaud ! ... Ah ! voilà la guerre qui me débauche !
Air : Passant sur le Pont-Neuf
Renaud ! Ciel ! il me fuit ! Quoi ! ma puissance est vaine !
Reviens, reviens me voir ; n’en vaux-je pas la peine ?
Air : Viens dans ma cellule
Viens, viens sans scrupule !
Quoi ! Renaud recule !
Veux-tu donc, ingrat,
Me condamner au célibat ?
Fin de l’air : Je suis perdue
Tu m’accables de mépris.
Quoi ! tu n’as pas l’âme émue ? ...
Malgré mes pleurs et mes cris,
Je suis perdue.
Air : Je reviens cent fois plus amoureux
Il revient. Est-il plus amoureux,
Qu’en quittant ces aimables lieux ?
Scène v
Armide, Renaud, Ubalde, le Chevalier Danois
armide
Air : Pierrot se plaint que sa femme
Est-ce pour fuir qui t’adore,
Ou pour calmer son chagrin,
Qu’ici tu reviens encore ?
renaud
C’est pour prendre de ta main
Une cocarde.
armide
Parbleu ! le trait est divin !
Je te la garde.
Air : Quoi ! vous partez
Quoi ! vous partez quand l’amour nous rassemble !
Fin de l’air : Pour chanter un duo
Du moins, mignon,
Attends-moi donc.
Pour rendre le chemin moins long,
Il faut partir ensemble.
Fin de l’air : Suivant le régiment
Oui, si tu veux, à l’instant,
Je prendrai la hallebarde.
ubalde
Ah ! quelle égrillarde !
armide
Ra, ta, pa, ta, pan,
Suivant le régiment.
Ou tout du moins, cruel, jusqu’à la première poste.
renaud
Air : Comment veux-tu que je puisse, moi
De tout mon cœur, moi, je le voudrais,
Mais...
armide
Mais, quoi ?
renaud
Je n’oserais.
La fatigue altère les traits.
armide
Je l’endurerais.
renaud
Moi, je le voudrais,
Si mes camarades
N’étaient pas gens si maussades.
Y consentez-vous ?
ubalde
Nous ? non.
renaud
Armide, adieu donc !
armide
Arrête, arrête... Renaud ! Ô Ciel ! un fauteuil, que je m’évanouisse !
Elle tombe évanouie dans un fauteuil.
renaud, revenant
Air : L’Amour est un chien de vaurien
Elle se meurt ; c’est en honneur.
À Armide.
Vous mourez-vous, mon petit cœur ?
ubalde
Sois donc plus raisonnable !
renaud
Un grand cœur, en ce cas,
Peut-être pitoyable.
ubalde
Va, va, l’on n’en meurt pas.
Air : Rata, pata, pan
Marche plus gaiement à la gloire !
L’amant éclipse le héros.
Pour ton honneur, laisse-nous croire
Que ton cœur dément tes propos !
J’ai bien assez, pour ta coquette,
Fumé ma pipe en t’attendant.
Rata, pata, pan.
Au Chevalier Danois.
Bats-nous vite la retraite !
Ils l’emmènent pendant qu’on bat la retraite.
Scène vi
Armide seule
armide
airopera
Le perfide Renaud s’en va !
Sans pitié, sans secours, l’ingrat me laisse là !
Air : Je n’aimais pas le tabac beaucoup
Attachez-vous à des officiers,
Préférez-les à des financiers,
Leur feu s’éteint au bruit du tambour,
Adieu tout leur amour.
Mon pauvre cœur séduit
Suit
Renaud qui, sans égard,
Part,
Et retourne à son camp,
Quand...
Je n’aimais pas le tabac beaucoup
Morbleu, si je le tenais,
Comme j’l’étrille... j’l’étrille...
Morbleu, si je le tenais,
Comme je l’étrillerais !
Fin de l’air : Ah ! chien, ah ! monseigneur
Ah ! chien,
Ah ! je le tiens,
Ton cœur.
Oui, ton cœur, vaurien.
Je le tiens.
Quel malheur !
Je ne tiens plus rien.
L’insolent n’a pas été la dupe de mes vapeurs ! mais parbleu, je vais lui faire une bonne niche ; je vais abattre ma maison. Oh ! je crois qu’il en sera furieux.
Air : Tôt, tôt, tôt
Ô vous qui servez mon courroux,
Venez, Démons, transformez-vous
Soudain en d’aimables manœuvres !
Les démons arrivent en manœuvres, avec des échelles, des cordes et des marteaux.
Venez abattre ma maison.
Pour un spectacle hors de saison,
De l’art détruisez les chefs d’œuvre,
Tôt, tôt, tôt,
Battez chaud,
Tôt, tôt, tôt, bon courage !
Il faut avoir cœur à l’ouvrage.
On détruit la maison sur le refrain que le chœur chante.
armide, après la destruction
Arrêtez, arrêtez ! je fais une réflexion.
Air : On ne s’avise jamais de tout
J’aurais bien dû, s’il fallait perdre encore
Ma maison,
En perdant ma raison,
Sous ces gravats
Écraser des ingrats,
Perdre enfin qui me fuit, qui j’adore.
Que le plaisir, après ce fracas,
Me console
D’être folle !
S’il en vient à bout,
J’évite au moins qu’on me dise :
On ne s’avise
Jamais de tout.
Allons, mes enfants, dansez, amusez-moi ! on ne guérit de la peine que par le plaisir.
On danse.
sidonie, à Armide
Air : Les oiseaux de ce bocage
Pour un cœur qui vous outrage,
Que de cœurs vont vous venger !
Les oiseaux que ce bocage
Voit sans cesse voltiger
Vous disent : \og Soyez volage ;
L’amour n’est qu’un esclavage,
Sans le plaisir de changer \fg.
On reprend la danse, qui est interrompue par le vaudeville suivant.
vaudeville
1
armide
Des filles de mon papa
Vous voyez la dernière ;
Notre aînée, à l’Opéra,
Brille dans sa carrière.
Est-il dit, parce qu’elle a
Tous les dons qu’on souhaite,
Qu’on n’osera
Vous offrir la,
Vous montrer sa cadette ?
2
Mon aînée eut, en naissant,
Le sublime en partage.
Plus on la voit, plus on sent
Qu’à l’aimer on s’engage.
En faveur de ce qu’elle a
Une gloire complète,
Admirez-la
Rassurez-la,
Montrant son cœur.
Épargnez sa cadette.
3
Mon aînée a ses douceurs ;
Gardons-nous d’y prétendre.
Elle fait verser des pleurs,
Doux plaisir d’un cœur tendre.
Mais qu’après ces larmes-là,
Je serais satisfaite
De vous voir là,
Égayez ça,
Montrant son cœur.
Rire avec sa cadette.
Ballet général
Fin