[Pierre-Yvon Barré, Jean-Baptiste-Denis Després, Pierre-Antoine-Augustin Piis, Louis-Pierre-Pantaléon Resnier]
La Bonne femme
Le Phénix
Parodie d’Alceste, en deux actes, en vers, mêlés de vaudevilles et de danses
Représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens Ordinaires du Roi
le dimanche 7 Juillet 1776
Paris, Chardon, 1776
Acteurs
René : Monsieur Trial
Mathurine : Madame Trial
Barbarigo : Monsieur Nainville
Un Devin : Monsieur Thomassin
Nicette : Mademoiselle Beaupré
Guillot : Monsieur Narbone
Arlequin : Monsieur Coraly
Soldats
Paysans et Paysannes
Le théâtre représente un hameau. Sur la droite est une caserne désignée par un drapeau fiché dans la muraille.
La Bonne femme
Acte i
Scène i
Mathurine, Nicette
mathurine
Tu me connais, Nicette, et tu sais si je l’aime,
Juge par-là de mon ennui.
René depuis trois jours n’est pas rentré chez lui.
nicette
Depuis trois jours ! mon oncle !...
mathurine
Oui, ton oncle lui-même.
Un débat entre nous est par lui survenu ;
Le traître a pris la fuite, et n’est point revenu.
Air : Jeune et novice encore
La lampe à peine éteinte,
Il sort à petits pas :
Je sommeillais sans craintes ;
Je ne m’éveillai pas.
Mais seule en ma retraite,
Le matin, quel effroi !
Je sentis bien, Nicette,
Qu’il était loin de moi.
nicette
Quel sujet donc ?
mathurine
Un rien, ma chère :
Depuis qu’on a tout près logé ce Régiment,
René boit plus qu’à l’ordinaire :
J’ai d’abord très modestement
Combattu son intempérance ;
Il a lassé ma patience,
Je m’en suis plainte amèrement.
nicette
Si bien...
mathurine
Air : Tout roule aujourd’hui
Si bien qu’il s’est mis en colère ;
Mais le remède était aisé ;
J’aurais dû là me satisfaire,
Quelques coups l’auraient apaisé.
Car c’est, quand un mari fait rage,
Ainsi qu’on l’apprend à céder,
Pareil à ces meubles d’usage,
Qu’il faut battre pour les garder.
nicette
Air : [Monsieur de] Catinat
Mais de le battre alors c’était bien là le cas.
mathurine
Je ne sais trop pourquoi je ne m’emportai pas ;
Je crus, en lui cédant, remettre tout d’accord.
nicette
Être femme, et céder !
mathurine
Oui, oui ; c’est un grand tord.
Air : Du haut en bas
Plus d’un mari,
Après un si cruel esclandre,
Plus d’un mari
À son retour s’est vu trahi :
Mais pour le mien j’ai le cœur tendre,
Et je ne suis pas femme à prendre
Plus d’un mari.
Quoi qu’il en soit, depuis ce temps, Nicette,
Je gémis ; son sort m’inquiète...
nicette
Bon ! gémir ! un mari qui pourrait me quitter...
mathurine
Hélas ! on a beau faire ; il faut les regretter.
Air : Dans ma cabane obscure
Toutes tant que nous sommes,
Trop faibles sur ce point,
Nous pardonnons aux hommes
Qui ne pardonnent point.
Quel empire funeste
Ont-ils donc sur nos sens ?
Présents, on les déteste ;
On les désire absents.
Guillot, notre parent, qui prend part à l’affaire,
Est allé consulter le berger du canton :
C’est un sorcier fort habile, dit-on ;
Mais sa lenteur me désespère.
Regarde du côté du bois.
nicette
Où donc ?
mathurine
À gauche.
nicette
Attendez, j’aperçois...
mathurine
Bon ! quoi !
nicette
Rien, rien.
mathurine
Grand Dieu ! qu’il tarde !
nicette
Air : Va-t-en voir s’ils viennent, [Jean]
Mais Guillot a-t-il promis
mathurine
Son délai m’assomme !
nicette
De parcourir le pays
Pour déterrer l’homme ?
mathurine
Va-t-en voir s’ils viennent donc,
Va-t-en voir s’ils viennent.
nicette
Puis ce berger tant prôné,
Avec sa magie,
Nous dira-t-il si René
Est encore en vie ?
mathurine
Va-t-en voir s’ils viennent donc,
Va-t-en voir s’ils viennent.
nicette
Non, personne ne vient.
mathurine
Regarde encore, regarde.
nicette
Air : Souvenez-vous
Ma tante, voilà Guillot.
Scène ii
Les précédents, Guillot
guillot
Oui-dà, c’est moi, c’est Guillot ;
Le berger ne m’a dit mot ;
Nous l’aurons bientôt.
mathurine
Il ne t’a dit mot ?
guillot
Non, mais nous l’aurons bientôt.
nicette
Sa science est en défaut.
guillot
Quant à René, ma fois, faut s’armer de courage
Selon toute apparence, il est hors du village.
J’ai tant couru que j’en suis las,
Et le pire est encor que j’ai perdu mes pas.
Air : Qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il tonne
Je cours partout, et chacun crie :
Chercher René c’est folie ;
Plus de querelle
S’il s’est enfui ;
Tant mieux pour elle,
Tant mieux pour lui.
Air : Rlan tan plan
J’ai pris un autre parti.
mathurine
Qu’est-ce ?
guillot
Seul à la grille du Château,
Je suis allé battre la caisse,
Pour assembler tout le hameau.
Le bruit roulait comme un tonnerre,
On s’est attroupé dans l’instant.
Rli, rlan,
Et là, chacun m’admirait faire
Rlan tan plan
Tambour battant.
Air : Quoi ! ma voisine, es-tu fâchée
Puis j’ai crié : \og Paix là, silence !\fg
Chacun s’est tu.
\og Messieurs, la chose est d’importance ;
Mari perdu.
Que si quelqu’un se le destine ;
Comme il est dû,
Dans son entier qu’à Mathurine
Il soit rendu\fg .
mathurine
De tant de soins je te rends grâce,
Mon cher Guillot, mais à ta place,
Tout en parlant, j’aurais bien observé.
guillot
Vraiment un bruit confus s’est d’abord élevé ;
Les femmes se parlaient : il fallait les entendre.
L’une disait d’une voix tendre :
\og Je voudrais bien l’avoir trouvé\fg .
L’autre disait : \og Oui, mais il faut le rendre\fg .
mathurine
Hélas, de tels discours me font assez comprendre
Que je dois pour René craindre quelque accident.
Ce berger se fait bien attendre !
guillot
Il me suivait de près pourtant.
Il ne peut tarder, et j’augure...
Je l’aperçois.
nicette
Quelle figure !
Scène iii
Les précédents, un Devin
mathurine
Air : Ah ! maman, que je l’ai échappé belle
Satisfais à notre impatience ;
Il faut tout l’effort,
Tout le ressort
De ta science.
nicette
Satisfais à notre impatience ;
Rien ne t’est caché.
Tu sais où René s’est niché.
le devin
Quel intérêt y prenez-vous ?
mathurine
Mais voirement, Monsieur, la demande est fort bonne :
Quel intérêt j’y prends ! c’est qu’il est mon époux.
le devin
C’est pour cela qu’on s’en étonne.
mathurine
Air : Joconde
René suffit à mon ardeur.
le devin
Allons, soyez sincère.
mathurine
René seul fait tout mon bonheur.
le devin
Ne mentez pas, ma chère.
mathurine
Quoiqu’époux, mon cœur le chérit.
le devin
Si la chose est croyable,
Le vrai parfois peut, comme on dit,
N’être pas vraisemblable.
mathurine
Vous saurez donc qu’il s’est perdu ;
Je cours pour le chercher, et cours à perdre haleine :
Guillot s’est joint à moi ; notre poursuite est vaine,
Et je voudrais savoir ce qu’il est devenu.
Je l’ai fait afficher dans tout notre village ;
Mon amour me forçait à ne rien négliger ;
Mais s’aimer est si peu d’usage,
Qu’en me ramenant le volage,
On croirait me désobliger.
le devin
En ce cas, d’ordinaire on promet, ou l’on donne
Un certain prix à qui rendra.
nicette, au Devin, malignement
Aussi le maladroit qui le retrouvera,
Pour récompense, on lui pardonne.
mathurine
Ainsi, Monsieur, parlez-nous clairement.
nicette
Ne déguisez rien.
le devin
Un moment.
Air : Que je regrette mon amant
Sur le passé, sur le futur,
Je remplirai ce qu’on m’impose :
Mais le présent est le plus sûr,
Il faut en dire quelque chose,
J’aurai fait en deux mots.
nicette
Hé quoi ?
le devin
Paix, taisons-nous ; écoutez-moi.
Air : De tous les capucins du monde
Quand pour triompher d’un obstacle,
Jadis on consultait l’oracle,
L’or était le meilleur moyen :
L’or pressait l’effet des demandes ;
Et le dieu ne refusait rien
Lorsqu’on chargeait l’autel d’offrandes.
mathurine
Fort bien. J’entends à demi-mot.
le devin
Décidez-vous, et je prononce.
guillot
Moi, je n’y comprends rien.
nicette
Le sot.
mathurine
Je comprends à merveille, et voici ma réponse.
Air : Le Port-Mahon est pris
Tenez,
Prenez
Ma croix,
Elle est fine, je crois.
le devin
Oui, mais un peu légère.
Le poids, le poids fait mieux mon affaire.
mathurine
C’est bien assez, j’espère,
D’y joindre un anneau d’or.
le devin
Pas encore,
Pas encore,
Pas encore.
Mais Nicette, à son tour...
nicette
Pour hâter son retour,
Sent une ardeur pareille.
le devin
J’aperçois là des boucles d’oreille.
nicette
Je les donne.
le devin
À merveille.
mathurine
Non, ma nièce, arrêtez.
le devin
Apportez,
Apportez,
Apportez.
Or, procédons. Rangez-vous sur deux lignes ;
Et sans les interrompre, observez bien mes signes.
Air : Menuet d’Exaudet
Lucifer,
De l’enfer
Prince austère,
Armé d’un sceptre de fer,
Et plus prompt que l’éclair,
Apparais sur la terre...
Tremblez. Il obéit. Je le sens. Je le vois.
Écoutez bien. C’est lui qui parle par ma voix.
Air : Folies d’Espagne
Que Mathurine à la douleur se livre :
Car en vertu du grand pouvoir que j’ai,
De l’avenir je consulte le livre ;
J’y vois qu’hier René s’est engagé.
nicette
Engagé !
mathurine
Juste Ciel !
guillot
Engagé !
nicette
Mais comment !
le devin
Comment ? Parbleu, comme on s’engage.
mathurine
Est-il possible ?
guillot
Et dans quel Régiment,
S’il vous plaît ?
le devin
Dans celui qui loge au village.
mathurine
Monsieur, parlez, de grâce...
le devin
Adieu.
Je ne saurais rester. Le Seigneur de ce lieu
M’a mandé ce matin pour importante affaire,
Dans laquelle il prétend que mon savoir l’éclaire.
Sa femme, qui jamais ne l’avait caressé,
Amante hier au soir, l’a trois fois embrassé.
Il veut absolument, d’un sang froid que j’admire,
Que je lui dise, moi, ce que cela veut dire.
Scène iv
Mathurine, Guillot, Nicette
mathurine
Air : Si des galants de la ville
À ce coup j’ai dû m’attendre ;
Il faut faire un grand effort :
Mes amis, j’ai le cœur tendre,
Mais par bonheur l’esprit fort.
Que je suis infortunée !
À la fois combien de maux !
Infidèle à l’hyménée,
Il peut l’être à ses drapeaux.
À ce coup j’ai dû, etc.
Oui, tu peux briser la chaîne
Qui réunissait nos cœurs ;
Cruel ! il n’est point de peinebis
Pour les maris déserteurs.bis
À ce coup etc.
guillot
Air :
Je n’y tiens pas, mon cœur se fend ;
Et pour René, dès ce moment,
Je me fais militaire,
Si le Roi, sensible à ma peur,
Me promet, parole d’honneur,
Qu’on n’aura pas la guerre.
mathurine
Je suis loin de compter sur toi ;
Mais cependant que faire ? Enfin, conseillez-moi.
nicette
Air : La Baronne
Comme mon frère,
Si j’étais courageuse, hélas !bis
Je pourrais vous tirer d’affaire ;
Mais, par malheur, je ne suis pas
Comme mon frère.
guillot
Air : Où allez-vous, Monsieur l’Abbé
C’est grand dommage, sur ma foi ;
Car un soldat fait comme toi,
Plus adroit que les nôtres...
nicette
Hé bien !
guillot
En peut enrôler d’autres,
Vous m’entendez bien.
mathurine
Songez plutôt, songez à l’embarras extrême
Où René me réduit par un pareil écart ;
Que résoudre enfin ? car je l’aime,
Et ne puis, sans frémir, penser à son départ.
Dis donc, Guillot.
guillot
Que faut-il que je dise ?
Moi, je n’ai qu’un conseil à donner là-dessus :
C’est de le dégager en payant cent écus.
Mais pour parler avec franchise :
Air : Nous sommes précepteurs d’amour
Si j’étais femme et non Guillot,
Je garderais, ma foi, la somme ;
Ou bien, payant deux fois ma dot,
Il me faudrait deux fois un homme.
On peut financer quelquefois,
Lorsqu’on veut s’en donner un autre ;
Mais vous blessez toutes les lois,
En payant pour garder le vôtre.
mathurine
J’ai cet argent tout prêt ; mais il est destiné :
C’est un quartier échu depuis huitaine ;
On l’attend au Château, j’en suis plus que certaine ;
Et ne peux m’en servir sans exposer René.
Quoi qu’il en soit, risquons, Nicette :
J’ai ferré cet argent dans un tiroir à part ;
Voilà ma clef : prends tout, et sans retard ;
Qu’à l’officier Simonin le remette.
nicette
J’y cours.
Scène v
Guillot, Mathurine
guillot
Ce n’est pas tout. Le rendra-t-il ce soir,
Si personne aujourd’hui ne s’engage à sa place ?
Tenez, morgué ! tout ça...
mathurine
Je suis au désespoir.
Mon cher Guillot, que faut-il que je fasse ?
Car on me presse enfin. Demain je dois payer ;
Et si je ne fournis un homme à l’officier,
Il relâche René, mais l’argent reste en gage.
Quoi ! nul de ses amis ne peut, en ce moment,
De son affection donner un témoignage ?
Partir pour lui ? quelqu’un obligeamment...
guillot
Bon ! tout au plus, peut-être, un mari mécontent,
Fatigué de sa femme, ennuyé du ménage,
Encor n’en est-il point qui, par quelque côté,
N’imagine être heureux dans son adversité.
Cherchons plutôt.
Air : Vaudeville,
Le gros Simon voit sa Nicole
Tout le jour avec son voisin.
Mais entre nous, c’est un chagrin
Dont la voisine le console.
De celui-là n’attendons rien ;
On rit du mal quand on est bien.
mathurine
Le jeune Pierre a du courage ;
On peut l’engager à partir.
guillot
Bon ! y feriez-vous consentir
Toutes les filles du village ?
mathurine
De celui-là n’attendons rien ;
On fuit du mal quand on est bien.
Nicodème a la mort dans l’âme ;
Il a perdu ses trois procès.
guillot
Oui ; mais ce qui vaut un succès,
Hier il a perdu sa femme.
De celui-là n’attendons rien ;
Il était mal ; le voilà bien.
Ainsi, la chose est claire ;
D’en nommer davantage il n’est pas nécessaire :
Compter sur eux serait un tort.
mathurine
N’importe, allons toujours faire un dernier effort.
J’ai mon dessein, et si nul ne s’enrôle,
Quoi qu’il puisse arriver, je tiendrai ma parole.
Scène vi
Guillot seul
guillot
Quel serait son dessein ? Oui... non... parbleu si fait,
Elle ira pour René s’engager elle-même...
Tout de bon ? Mathurine irait...
Oui, oui ; je sais comme elle l’aime...
Le trait est neuf, et franchement
S’il fallait, pour en faire autant,
Être aussi tendre qu’elle, ou du moins le paraître,
On attendrai un siècle, et plus encore peut-être,
Sans compléter le Régiment.
Scène vii
René, Guillot
guillot
Eh ! le voilà ! vive la joie !
C’est lui, ma foi, c’est lui que le Ciel nous renvoie !
Embrassons-nous. Morguenne encore.
rené
Bonjour, Guillot,
Bonjour.
guillot
Allons, accourez tôt.
Pierre, Agathe, Lucas, Blaise, Hubert, Jacqueline,
Tous ici, tous : amenez Mathurine ;
C’est René. C’est René.
Scène viii
Guillot, René, Paysans, Paysannes
rené
C’est moi, certainement,
Moi qui suis libre, et qui ne sais comment ;
Mais toujours à bon droit très satisfait de l’être.
un paysan
Comme chacun s’est alarmé !
Pourquoi donc trois jours sans paraître ?
Je t’ons cru mort.
rené
Je n’étais qu’enfermé.
le paysan
Te laisser engeolai ! toi qu’avais la malice,
Tous les ans, quand t’étais garçon,
De fuir le premier du canton,
Pour ne pas tirai la milice.
Moi, je n’y comprends rian.
rené
Je les fréquentais tous :
On s’amuse, on parle d’affaire,
On médit de sa femme, en remplissant son verre ;
On boit un coup, deux coups, trois coups.
Et l’on fait ce qu’ils m’ont fait faire.
Air : V’là ce que c’est que d’aller au bois
Comme j’étais en belle humeur,
V’là ce que c’est qu’être buveur !
Un d’eux m’accoste avec douceur,
Me dit : \og Quelle allure !
Quelle noble encolure !
Je gagerais qu’il a du cœur :
V’là ce que c’est qu’être buveur ! \fg
Air : Allons donc, Mademoiselle
Du vin pour le camarade,
Il semble d’un bon aloi :
Tope. Versons-lui une rasade,
Trinque à la santé du Roi ;
Eh ! buvez donc, mon camarade,
Trinque à la santé du Roi.
Je bois toujours à ce que j’aime,
Il n’a pas fallu m’en prier :
On redouble. J’en suis, et même
Je mets tout bonnement mon nom sur un papier.
Le lendemain je me réveille,
Je cherche ma maison, Mathurine et mon lit :
Je m’aperçois bientôt des écarts de la veille ;
Et quand je veux sortir, on m’endosse l’habit.
Air : Attendez-moi sous l’orme
J’enrage et me désole
De voir qu’on me retient ;
Mon courage s’envole
Quand ma raison revient.
Et, Messieurs, voilà comme
Souvent un fanfaron
S’endort en vaillant homme,
Et s’éveille en poltron.
Si bien que j’ai pris patience :
Au Major, en secret, on a glissé deux mots :
Je ne sais trop qui c’est ; le Ciel l’en récompense.
Lors celui-ci m’a dit : \og Décampe en diligence,
Tu renverras ce soir l’uniforme.\fg à propos.
Air :
Chers amis, calmez mon effroi ;
Je suis en transe ; apprenez-moi,
Pour rassurer mon âme,
Ce que doit demander toujours
Un homme absent depuis trois jours :
Messieurs, que fait ma femme ?
premier paysan
Air : Ne v’la-t-il pas que j’aime
Tout aussitôt qu’alle eut appris
Ta fuite et son veuvage,
On entendit partout ses cris.
rené
En effet, c’est l’usage.
autre paysan
De te chercher dans tous les coins
Las ! elle eut le courage,
Et sa douleur eut des témoins.
rené
Oui, c’est encor l’usage.
guillot
On la laissa se désoler ;
Et dans tout le village,
Nul n’a daigné la consoler.
rené
Mais, c’est pourtant l’usage.
N’est-ce pas elle, amis, que j’aperçois là-bas ?
un paysan
Oui, c’est elle, en effet, qui court tant qu’alla d’force.
rené
Femme pourtant, dit-on, en pareil cas,
Ne gagnera jamais d’entorse.
Scène ix
Les précédents, Mathurine
rené
Air : Ah ! le bel oiseau, maman
Eh ! morguenne, embrassons-nous !
mathurine
Oui, resserrons notre chaîne.
ensemble, ensemble
Embrassons-nous,
Aimons-nous,
Resserrons des nœuds si doux.
les paysans, en chœur
Embrassez-vous,
Aimez-vous,
Resserrez des nœuds si doux.
rené
Je n’ai point trahi ma foi,
Ou par froideur, ou par haine ;
Le vin m’éloignait de toi,
C’est mon cœur qui me ramène ;
Eh ! morguenne, embrassons-nous.
mathurine
Oui, resserrons notre chaîne.
ensemble, ensemble
Embrassons-nous,
Aimons-nous,
Resserrons des nœuds si doux.
les paysans, en chœur
Embrassez-vous,
Aimez-vous,
Resserrez des nœuds si doux.
mathurine
Air : Nanon [dormait]
Ah ! que pour moi
Ton retour a de charmes !
Oui, loin de toi
Je passais dans les larmes
Des jours tissus d’ennuis :
René ! René ! René ! que dirai-je des nuits ?
rené
Air : Monsieur le prévôt des marchands
Où sont mes enfants, et pourquoi
Ne s’offrent-ils donc pas à moi ?
mathurine
Les amener ! eh ! pourquoi faire ?
Car tu sais qu’ils ne parlent pas.
rené
Ils auraient agité, ma chère,
Ils auraient agité les bras.
mathurine
Vois comme chacun ici s’empresse
À te montrer son allégresse.
un paysan
C’est que de li tertous je n’saurions nous passer ;
Je l’aimons. Son départ nous causait une peine
Que son retour a fait cesser.
Et pour l’en assurer, morguenne,
Je danserions à nous lasser,
Je chanterions à perdre haleine.
definitacteur, chœur de paysans chœurpaysans
chœurpaysans
Air : Vaudeville et chœur du tableau parlant
Goûtez le bien suprême
D’une tendresse extrême ;
René boit comme il aime ;
Il aime comme il boit.
On le voit,
L’amour croît,
Grâce à l’absence même :
Il n’est plus de tourments,
Quand les époux sont amants.
rené
Je jure à tes attraits
Un éternel hommage ;
J’aimerai désormais
Plus que jamais ;
Nuit et jour je m’engage
À t’en donner le gage.
mathurine
C’est promettre beaucoup.
rené
Tiendrai tout.
chœur
Goûtez le bien suprême
D’une tendresse extrême,
René boit, etc.
Mathurine et René se retirent sur le coin de la scène. René s’occupe alternativement de la fête qu’on lui donne, et de la tristesse que sa femme témoigne par intervalles. On danse.
Des Paysans et des Paysannes se détachent du Chœur, et chantent aux époux réconciliés les couplets qui suivent.
une paysanne
Air : Je suis Madelon Friquet
Troublons quelquefois l’accord
Et les plaisirs qu’Hymen dispense ;
Troublons quelquefois l’accord,
Pour être mieux unis encore.
Changer ne fut jamais un tort ;
L’amour renaît par l’inconstance :
Toujours heureux, il s’endort.
Troublons quelquefois, etc.
une autre
L’Hymen est un dieu boudeur ;
Il a des torts, même au village ;
L’Hymen est un dieu boudeur,
Il faut lui passer son humeur.
C’est l’accord qui fait le bonheur ;
Quand la paix est dans le ménage,
Le plaisir est dans le cœur.
L’Hymen, etc.
un paysan
Fuyons, malheureux époux,
Lorsque notre femme est rebelle ;
Fuyons, malheureux époux,
L’absence échauffe un cœur jaloux ;
Mais craignons, dans notre courroux,
D’aller nous enrôler loin d’elle,
Nous pourrions l’être chez nous.
Fuyons, etc.
On danse.
rené
Dansons aussi, nous. Mais, Princesse,
D’où naît, en ce moment, cette sombre tristesse ?
Qu’as-tu ?
mathurine
Moi... je n’ai rien...
rené
Parle-moi franchement.
mathurine, à part
Que ne puis-je à René déguiser mon tourment !
rené
Air : Laisse-moi,
Tu frémis !
Tu gémis !
mathurine
Grands dieux !
rené
Des larmes coulent de tes yeux.
mathurine
Laisse-moi sortir de ces lieux.
rené
Non. Tu diras
Ton embarras.
mathurine
Hélas !
rené
Air : Dans les gardes françaises
Si mon retour te gêne,
Dis-le sincèrement ;
Demain, René sans peine,
Retourne au Régiment.
Pour quereller, ma chère,
Rentré-je donc chez moi ?
Morbleu, guerre pour guerre,
J’aime mieux être au Roi.
mathurine
Air : Quel désespoir
Cruel ! pourquoi
Former un soupçon téméraire ?
Cruel ! pourquoi
Douter sans cesse de ma foi ?
Je fais tout pour te plaire,
C’est là mon seul souci :
Ta tendresse m’est chère,
Mon cœur l’a trop senti.
Cruel ! pourquoi etc.
rené
Air : Comment faire
Tiens, tiens, ne dissimulons pas :
Dis-moi mon fait ; et de ce pas
Je décampe, et pour cause.
Malgré ma peine et ton caquet,
J’aime mieux porter le mousquet,
Qu’autre chose.
Éclaircis ce mystère, et dis la vérité,
J’exige cet aveu de ta sincérité.
mathurine
Je ne saurais.
rené
Qui t’embarrasse ?
mathurine, tragiquement
Sais-tu bien à quel prix j’obtiens ta liberté ?
Sais-tu bien qu’un autre à ta place ?...
rené, prenant le change
Un autre aurait osé... que dis-tu ?... mais son nom.
mathurine
Ne m’interroge plus.
rené
Parle, je le veux.
mathurine
Non.
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Encore un coup, je suis muette.
rené
Quel changement trois jours ont fait !
Je m’y perds ! Comment ! toi, discrète !
mathurine
Juge par-là de mon secret.
rené
C’en est trop : malgré moi je cède à la colère :
Vous ne m’avez jamais chéri.
Mais je vais savoir tout, et vous aurez beau faire.
Aux paysans.
Suivez-moi, mes amis : débrouillons ce mystère ;
Je crains trop les secrets qu’on cache à son mari.
Scène x
Mathurine seule
mathurine
Ainsi je n’ai trouvé personne
Qui pût me secourir dans ce malheur urgent ;
On attend un soldat, et si je ne le donne,
René reprend l’habit, ou je perds mon argent.
Suivons donc le projet que l’amour a fait naître,
La nuit se prête à mon dessein ;
Livrons-nous pour René. Je le fuis. Mais enfin
Je le dérobe aux maux qu’il souffrirait peut-être.
Air : Charmante Gabrielle
À verser la tristesse
Sur les jours de René,
Ô fortune traîtresse !
Ton bras est obstiné.
Mathurine jalouse,
S’offre à tes coups.
Au risque de l’épouse,
Sauvons l’époux.
Air : Gentille Pastourelle
Si ma mauvaise étoile
Voulait qu’un accident
Vînt à lever le voile
De mon déguisement,
Je ne saurais que faire
Pour sortir de ce pas ;
Mais cependant j’espère
Qu’on ne me tuerait pas.
Air : Eh ! mais oui-dà
Qu’un loup plein de furie
Sortant du fond d’un bois,
Dans une bergerie
S’enferme en tapinois,
Eh ! mais oui-dà,
On ne saurait trop le punir de ça :
Eh ! mais, etc.
Mais que du précipice,
Pour sauver son époux,
Une brebis se glisse
Dans un troupeau de loups,
Eh ! mais oui-dà,
On ne peut pas trouver du mal à ça :
Eh ! mais, etc.
Scène xi
Mathurine, Nicette
nicette
René partout court et s’informe ;
Il est allé, dit-on, consulter le sorcier :
Puis, de la part de l’officier,
Un soldat est venu pour chercher l’uniforme,
Il vous attend.
mathurine
J’y vais.
Scène xii
Nicette seule
nicette
Tout ce vacarme-ci
Pourrait fort bien... Qu’est ceci ?
Scène xiii
Nicette, Barbarigo, Paysans qui se précipitent en foule autour de lui
barbarigo
Air : De ces forêts
Ayons l’air fier et le cœur intrépide,
La valeur me guide ;
Mais je viens, ma foi,
Je ne sais trop pourquoi.
Dieu du hasard, de moi soudain dispose ;
Fais qu’à quelque chose
Mon bras vigoureux
Soit utile en ces lieux.
Scène xiv
Les précédents, Guillot
barbarigo
Bonjour, enfants.
guillot
Toujours gai comme à ton ordinaire.
un paysan
C’est notre ancien ami.
autre paysan
C’est notre ancien voisin.
nicette
Je me trompe, ou c’est lui qui revient de la guerre ;
C’est Barbarigo mon cousin.
barbarigo
Barbarigo lui-même, et qu’on n’attendait guère :
C’est Nicette, je crois, la fille à Simonin.
nicette
Justement.
barbarigo
On s’embrasse au retour d’un voyage.
nicette
Embrassons donc.
barbarigo
Mais charmante ! Et quel âge ?
nicette
Quinze ans vienne le Mai.
barbarigo
Comme elle a profité !
Rien n’est changé dans ce village ?
nicette
Tout comme il était...
barbarigo
Lorsque je l’ai quitté.
Et René, Mathurine...
nicette
Ils font bien dans les larmes.
barbarigo
Comment !
guillot
René s’est engagé.
barbarigo
René, dis-tu ?
guillot
Nous tenons son congé ;
Mais le village entier n’en est pas moins en alarme.
barbarigo
René soldat ! à son âge ! et pourquoi ?
nicette
Air : Joconde
Pourquoi ? c’est qu’ils ont eu tous deux
Dispute assez légère.
René, par dépit, courageux,
S’était fait militaire.
barbarigo
De mari se faire soldat,
Le sot n’y prend pas garde :
Ce n’est pas là changer d’état ;
C’est changer de cocarde.
guillot
Nous gémissons ; mais plus que lui
Nous plaignons Mathurine :
On a tout à craindre aujourd’hui
De son humeur chagrine.
Hélas ! quand on la pousse à bout,
La femme est toujours prête
À faire en secret quelque coup,
Quelque coup de la tête.
barbarigo
Que ferait-elle, en bonne foi ?
guillot
Je ne sais trop ce que peut faire
Un esprit féminin à tel point consterné ;
Mais elle a dit cent fois, dans la douleur amère,
Qu’elle était prête à mourir pour René.
barbarigo
Serment chimérique et frivole,
Que de tout temps le sexe s’est permis !
Dans les premiers transports il a souvent promis,
Mais rarement tenu sa parole.
Air : Monsieur le prévôt des marchands
Les femmes de nos bons aïeux,
Se livraient au trépas pour eux ;
N’attendons point cela des nôtres.
Elles ont raison, sur ma foi :
On ne doit pas mourir pour d’autres,
Dans un siècle où l’on vit pour soi.
nicette
De leur part néanmoins nous craignons un esclandre,
Et vous êtes le seul qui puissiez les défendre.
barbarigo
S’il faut prêter ici le secours de mon bras,
Je suis prêt à tout entreprendre.
Air : Mais, Rosette ne paraît pas
Comptez sur le cœur d’un ami,
Comptez sur mon courage.
Oui, je prétends remettre ici
L’accord dans le ménage.
À Mathurine, sans façon,
Je puis faire entendre raison.
D’autres que moi
Pourraient, ma foi,
Douter d’un pareil succès :
Mais
Je ne crains rien ; et dès ce jour,
Rendus tous deux à notre amour,
Tendres amants,
Époux charmants,
Chacun les embrassera,
Là.
La nuit s’avance, amis, ne tardons pas :
Jusque à leur maison, accompagnez mes pas ;
Réunissons un couple aussi fidèle :
Et voilà bien, Messieurs, ce qui s’appelle
Arriver à propos pour tirer d’embarras.
En s’en allant.
Air : Vive le vin
Oui, Bacchus, la Gloire et l’Amour,
Sont des dieux qu’on sert tour à tour,
Sous les étendards de Bellone :
Qu’à chacun d’eux on s’abandonne ;
Chacun d’eux comble nos désirs ;
Ils ont tous trois leur charme et leurs plaisirs ;
Ils ont tous les trois leur couronne.
Les paysans reprennent le couplet, et le chantent en s’éloignant.
finacte
Acte ii
\scene[Il fait un peu nuit.] Soldats
dans la caserne, Mathurine en soldat
mathurine
Ciel ! je tremble... avançons... je frémis malgré moi...
Le silence affreux... la nuit sombre...
Cet étendard flottant dans l’ombre...
Tout conspire en ces lieux à me glacer d’effroi.
Air : Non, je ne ferai pas [ce qu’on veut que je fasse]
Que sous ce vêtement Mathurine est perplexe
Je sens bien que mon cœur ne peut changer de sexe ;
Que je serais chez moi plus utile à l’état,
Et qu’en un mot l’habit ne fait pas le soldat.
Courage ! entrons... j’entends du bruit. Ciel ! il redouble.
soldats, derrière le théâtre
Air : Menuet de la Garde
Non, le dieu des combats n’est pas si meurtrier ;
Après la guerre,
Quittant l’air guerrier,
Il sait avec Bacchus, d’un ton plus familier,
Contre le lierre,
Troquer son laurier.
Quand le Tokai pétille et rit dans la fougère,
J’oublierais tout, je crois,
Hormis ma bouteille et mon Roi.
Non, le dieu des combats, etc.
mathurine
La gaieté de leurs chants ne calme point mon trouble.
Scène i
Mathurine, René une lanterne à la main
rené
Air : Jardinier, ne vois-tu pas
Je vais cherchant à grands pas,
Voyez ma bonté d’âme,
C’est qu’un autre en pareil cas
Ne chercherait certes pas,
Ma femme, ma femme, ma femme.
mathurine, à part
Ciel ! c’est René.
rené
Air : Petite, vos talons
Petite, petite,
Où diable êtes-vous ?
Venez, venez vite
Calmer votre époux ;
Sa peine est extrême ;
Et s’il vous rejoint,
Vous verrez qu’il aime
Comme on n’aime point.bis
mathurine, à part
S’il m’allait reconnaître.
Évitons-le. Tâchons de disparaître.
rené
Air : Comme v’là qu’est fait
J’entends remuer quelque chose ;
Au moindre bruit,
L’espoir me luit ;
Je vois un fantôme, et je n’ose...
De la peur,
Mon cœur,
Sois vainqueur.
Le vent fait trembler ma lanterne...
Est-ce un racoleur ?
Un voleur ?
Palsangué, voilà la caserne,
Et c’est un soldat en effet.
mathurine, à part
Pas tout-à-fait,
Pas tout-à-fait.
rené
Air : Ton humeur est, Catherine
Avez-vous vu Mathurine ?
mathurine
Non, je ne la connais pas :
Est-ce une beauté divine ?
rené
Hé ! que vous dont ses appas ?
Ma femme est laide et jalouse.
mathurine, avec humeur
Il faut donc vous résigner :
Perdre une pareille épouse,
Monsieur, c’est beaucoup gagner.
rené
Air : Vaudeville,
Ma foi, c’est elle : à sa colère,
Je ne saurais plus en douter.
Ciel ! c’est vous !...
mathurine
Paix. Laissez-moi faire,
Par amour, je dois vous quitter ;
Je courrai pour vous à la gloire...
rené, approchant sa lanterne au visage de Mathurine
Elle a bien l’air d’un homme : mais,
Il faut cependant pour le croire,
N’y pas regarder trop près.bis
mathurine
Parlez moins haut.
rené
Comment !
mathurine
Silence,
Le moindre bruit peut nous trahir.
rené
Sous cet habit prétends-tu fuir ?
Et crois-tu que ma résistance...
mathurine
Air : Si le Roi m’avait donné
Oui, ma tendresse en ce jour
Loin de toi m’entraîne.
rené
Fort bien ! tu joints, par retour,
La fuite à la haine.
Si c’était là de l’amour,
Chaque mari, tour-à-tour,
Aimerait la sienne, au gué,
Aimerait la sienne.
Air : Turlurette
Reste ici.
mathurine
M’est-il permis ?
À l’Officier j’ai promis.
rené
Ta promesse est indiscrète,
Turlurette,
Turlurette, ma tanturlurette.
On dirait dans le hameau,
\og Mathurine a le chapeau ;
René porte la cornette, \fg
Turlurette,
Turlurette, ma tanturlurette.
Air : Tu croyais, en aimant Colette
D’user du pouvoir de ses charmes,
La femme doit se contenter ;
Le sexe à qui l’on rend les armes,
N’est point habile à les porter.
Renonce, dis-je, à ce projet étrange,
Je te l’ordonne, et suis-moi promptement.
Scène ii
Les précédents, Soldats ivres
les soldats
Quand le Tokai pétille et rit dans la fougère,
J’oublierais tout, je crois,
Hormis ma bouteille et mon Roi.
rené
Quel tumulte ! quel bruit ! qu’entends-je ?
Les voilà, décampons.
premier soldat
Eh ! l’ami ! doucement,
C’est-là, je crois, l’habit du Régiment ;
Il emmène un Soldat.
rené
Non, Monsieur.
second soldat
Il l’emmène.
rené
C’est que je suis pressé.
premier soldat
Sapejeu, reste-là.
Si je m’y mets !... Toi, camarade, holà !
N’es-tu pas enrôlé sous notre Capitaine ?
Air : Allons donc, jouez, violons.
Qui peut donc retarder ton zèle ?
N’entends-tu pas Mars qui t’appelle
Dans la carrière des exploits ?
Qui peut donc retarder ton zèle ?
N’entends-tu pas Mars qui t’appelle
Et qui t’appelle par ma voix ?
Une fois, deux fois et trois fois.
mathurine
Air : Je suis Lindor
Sous vos drapeaux, oui Messieurs, je m’engage ;
Et s’il me manque encore en cet état
Quelque vertu pour faire un bon soldat,
Non, croyez-moi, ce n’est pas le courage.
second soldat
Quand... je... lui... disais, moi... c’est que j’étais bien sûr
Qu’il s’efforçait d’en faire un lâche.
rené, à Mathurine
Esquivons-nous. Suis-moi. Passons le long du mur.
premier soldat
Il s’enfuit !
rené
Non, Monsieur.
second soldat
Si ton bras... ne... le lâche.
mathurine
Air : La Pierrefitoise
Laisse-moi, je suis prête à partir.
rené
Non, morgué, je n’y puis consentir.
soldats
Eh ! maraud, pourquoi le retenir ;
Cesse, ou bien nous allons t’en punir.
mathurine
Messieurs les soldats,
Ne frappez pas.
soldats
Non, tu partiras ;
Non, sur nos pas
Tu marcheras.
mathurine
Messieurs les soldats,
Ne frappez pas.
soldats
Non, tu partiras ;
Non, sur nos pas
Tu marcheras.
mathurine
J’ai promis, je suis prête à partir.
soldats
Eh ! maraud, pourquoi le retenir ?
rené
Non, non, non ; je ne lâcherai pas.
soldats
Par la mort ! il faut lui mettre un bras
Bas.
mathurine et rené poussant un grand cri., ensemble
Ah !
Scène iii
Les précédents, Barbarigo, Paysans et Paysannes
barbarigo, arrive le sabre au poing et croise les armes des soldats
Air : Monsieur Charlot
Attendez-moi !
mathurine
Grand Dieu ! le Ciel nous aime.
Barbarigo lui-même.
rené
Barbarigo ! c’est toi !
barbarigo
Décampez tous.
soldats
Il est à nous
barbarigo
Fuyez au moment même,
Ou mort...
soldats
Craignons ses coups.
rené
Air : Monsieur Sodi
Comment ! c’est toi ! qui t’amène
Presque au moment du combat ?
barbarigo
Moi ! j’étais là pour la scène,
J’attendais un coup d’éclat ;
Mais las ! leur troupe incivile
D’avance a craint mon courroux ;
Et si mon rôle est utile,
Amis, ce n’est pas à vous.
rené
Air : Allez donc, Mademoiselle
Enfin la rencontre est bonne,
Camarade, embrasse-moi.
barbarigo
Que Mathurine m’étonne !
Sous les armes ! et pourquoi ?
À Mathurine.
Enfin la rencontre est bonne,
Camarade, embrasse-moi.
mathurine
Non, je sauvais René : votre valeur traîtresse
M’empêche en ce moment d’accomplir ma promesse.
nicette
Air : De tous les capucins du monde
En vérité votre scrupule,
Ma tante, est un peu ridicule :
Pour moi, je n’en aurais pas tant.
Une embrassade est toujours bonne,
Soit quand un mari nous la prend,
Soit quand un ami nous la donne.
barbarigo
Air : Si le Roi m’avait donné
Ah ! quel regard assassin !
Cet œil noir me darde !
Si j’ai rompu son dessein,
C’était par mégarde.
Contre un esprit si lutin,
Cher ami, soir et matin,
Sois toujours en garde, au gué,
Sois toujours en garde.
rené
Mais qu’as-tu donc encore, et qui peut t’effrayer ?
mathurine
L’aspect du fort qui nous menace ;
Cent écus que je livre, et qu’il faudra payer,
Ou la nécessité d’aller prendre ta place ;
Crois-tu ces maux...
barbarigo
N’y songez pas :
Mon amitié prend tout sur elle.
Je cours chez l’Officier, et j’y cours de ce pas :
Je saurai l’attendrir, et dans un autre cas
J’ai de l’argent s’il est rebelle.
Scène iv
Les précédents, Arlequin en habit d’officier, du haut de la tour
arlequin
Air : Paisibles bois
Rassurez-vous, son cœur est généreux ;
René, jouis en paix du congé qu’il te donne ;
Toi, désormais, sois moins fougueux,
Barbarigo, je te pardonne.
rené
Quel heureux à-propos l’amène en ce moment !
Quand il eût été là pour attendre l’instant.
arlequin
Air : Joconde
Je sais assez que nul ici
N’attendait ma personne ;
Vous n’êtes pas les seuls aussi
Que ma présence étonne.
On aurait pu finir ceci
Sans y mettre du nôtre ;
Mais prenez ce dénouement-ci
En attendant un autre.
Aux époux.
Air : Allez-vous-en, gens de la noce
Conservez un si beau modèle,
Qu’on ne suivra guère après vous :
Couple si tendre et si fidèle,
Vivez longtemps, heureux époux :
Mais, sur ma foi,
Oui, croyez-moi,
De peur d’éteindre un si beau zèle,
Ne rentrez pas si tôt chez vous.
Sur un air de récitatif d’Opéra.
C’est bien assez, chacun pour soi ;
Mon rôle est fait descendez-moi.
mathurine
Air : Vaudeville d’Épicure
Cher René, la leçon est bonne,
Il nous apprend l’art d’être heureux ;
Du conseil prudent qu’il nous donne,
Songeons à profiter tous deux.
rené
Et que l’amour qui nous enflamme
Soit de même utile à l’État
Je le sers en aimant ma femme ;
Un bon mari vaut un soldat.
barbarigo
Il tiendra parole, il l’assure,
Et les témoins sont ici tous ;
Mais un jour, s’il était parjure,
Quoi qu’il puisse arriver, restez toujours chez vous.
Air : Ne v’là-t-il pas que j’aime
Chaque sexe a son lot ici,
L’un pourtant plus que l’autre ;
Et s’il a le courage aussi,
Que reste-t-il au nôtre ?
rené
Bien dit.
barbarigo
Allons, amis, si ce jour fut fatal,
Oublions-le. Ne songeons qu’à la danse,
Et célébrons avec reconnaissance
Ce modèle de l’amour conjugal.
vaudeville
barbarigo
Air : Qu’en voulez-vous dire
Mon cher ami, ta liberté
N’est que l’effet de ma préférence :
Mon courage eût mieux éclaté
Si leur bras eût fait résistance ;
On pourra bien blâmer cela ;
Nous répondrons à ces gens-là :
C’est finir assez maigrement ;
Un peu d’indulgence,
Un peu d’indulgence ;
C’est finir assez maigrement ;
Mais il fallait un dénouement.
rené
Tiens, Mathurine, en vérité
Tu dois te faire conscience
De m’avoir tant inquiété
Sur mon goût pour l’intempérance ;
Quand le vin produit la gaieté,
L’hymen n’en est que mieux traité ;
Et si boire est ma volupté,
Un peu d’indulgence,
Un peu d’indulgence ;
Et si boire est ma volupté,
C’est que je bois à ta santé.
nicette
Pour maîtriser son cher époux,
L’art d’une femme est la prudence,
L’hymen a des moments plus doux
Quand il fait vœu de patience ;
Égards, petits soins et douceur
Chassent les chagrins et l’humeur.
Filles, qui prenez des maris,
Un peu d’indulgence,
Un peu d’indulgence ;
Filles, qui prenez des maris,
C’est pour longtemps quand ils sont pris.
guillot
Il ne faut pas légèrement
Taxer les femmes d’inconstance :
Quand on les aime tendrement,
Elles aiment plus qu’on ne pense.
Enfin malgré les sots discours
Tenus contre elles de nos jours,
Bien des maris n’ont pas été,
Excès d’indulgence !
Excès d’indulgence !
Bien des maris n’ont pas été
Ce que d’être ils ont mérité.
mathurine, au public
Le rire est l’âme de nos jeux ;
Égayer est notre science.
Momus qui prêche est ennuyeux ;
Le cœur s’endort quand l’esprit pense.
Notre but est uniquement
D’exciter ici l’enjouement.
Si cet espoir était trahi,
Un peu d’indulgence,
Un peu d’indulgence ;
Mais si chacun s’est réjoui,
Chacun sait bien comme on dit oui.
Fin