Denis Carolet et Jean-Antoine Romagnesi
Médée et Jason
Parodie
Comédie-Italienne
1736
Isabelle Degauque, Médée un monstre sur scène : réecritures parodiques du mythe 1727-1749, Editions Espaces 34, 2008
Acteurs
Médée
Jason
Créon
Créuse, fille de Créon
Nérine, confidente de Médée
Arcas, confident de Jason
Cléone, confidente de Créuse
Jeunes filles
Démons
Matelots et matelotes
Magiciens
Peuples
Un Archer
La scène est à Corinthe.
Médée et Jason
Le théâtre représente une place publique.
Scène i
Jason, Arcas
arcas
Air : Je ne vous ai vu qu’un seul petit moment
Vous changez, Seigneur, de moment en moment.
jason
Hélas ! Je suis tout je ne sais comment,
Je ne sais comment je m’engage, Arcas,
Je ne sais comment je m’engage.
Oh ! Franchement, je serais un coquin si j’épousais Créuse.
arcas
Bon.
jason
Air : Non, je ne ferai pas [ce qu’on veut que je fasse]
J’ai lu dans un auteur à jamais respectable
Que la polygamie était un cas pendable.
arcas
Bon, bon, moquez-vous-en, Prince, épousez toujours,
On peut être parfois coquin dans ses amours.
jason
Air : De tous les capucins du monde
Approuve ma délicatesse
Et connais où le bât me blesse.
J’ai deux garçons, si mon destin
S’unit à celui de Créuse,
Que feront-ils ?
arcas
Il est certain
Qu’ils feront... Mais tout vous excuse.
jason
Air : Comment faire
Je suis dans un grand embarras,
L’amour me débauche tout bas,
Le devoir prend un ton sévère.
L’amour sera-t’il le plus fort
Et le devoir aura-t’il tort ?
Comment faire ?
Air : Quand le péril est agréable
Je voudrais changer mais je n’ose.
arcas
Tant pis...
jason
C’en est fait, cher Arcas,
Créuse paraît, que d’appas !
L’amour gagne sa cause.
arcas
Et moi je me retire en confident bien appris.
Scène ii
Jason, Créuse
jason
Air : Belle brune
Belle brune !
Belle brune !
Le roi nous unit tout deux.
Pour Jason, quelle fortune !
Belle brune !
Belle brune !
Créuse
Air : [Tout comme il vous plaira]
Tout comme il lui plaira,
Larira,
Tout comme il lui plaira.
jason
Comme vous me répondez !
Créuse
Air : Commère, j’ai un bon mari
Vous avez, mon cher Jason,
Le cœur trop noble et trop bon
Pour m’épouser malgré moi.
jason
Que dites-vous, ma chère ?
Créuse
Vous me devinez, je crois,
La chose est bien claire.
jason
Ah, je n’en veux pas savoir davantage, et puisque je joue ici le rôle d’un héros, je vais me tuer en votre présence... Remarquez bien le coup, il sera mortel, je vous en réponds.
Créuse
Vivez, mon poulet ; vivez, j’aime mieux vous apprendre les motifs de la répugnance que j’ai à vous épouser.
Air : Quand le péril est agréable
Cher brunet, je vous idolâtre,
Mais...
jason
Je veux mourir.
Créuse
Eh, pourquoi ?
Vous n’en ferez rien.
jason
Laissez-moi
Faire un coup de théâtre.
Créuse
Écoutez-moi donc, petit obstiné.
Air : Une jeune nonnette
Médée est votre femme.
jason
Je le sais bien.
Créuse
Mais comment faire ?
jason
Oh dame !
Je n’en sais rien.
Créuse
Je crains cette sorcière-là,
Et je prévois tout ce qu’elle fera ;
Vous brûlez d’une flamme
Qu’elle éteindra.
Air : L’autre jour, j’aperçus en songe
Non, je crains trop pour votre vie,
Et rien ne peut me rassurer.
jason
Mignonne, je vous vois pleurer,
Ma foi, j’en ai l’âme ravie ;
Restons-nous en si beau chemin ?
Non, nous sommes trop bien en train.
Air : Je ferai mon devoir
Ne craignons rien, ma chère enfant,
Et prenons le devant. bis
Il en sera ce qu’il pourra
Quand ma femme viendra. bis
Le roi vient, ne vous en allez pas, vous savez qu’il ne trouve pas mauvais que nous soyons ensemble, il nous regarde comme mariés.
Scène iii
Créon, Créuse, Jason, Guerriers
Créon
Air : Sens dessus dessous
Prince, vos guerriers en chorus
Vont chanter ici vos vertus,
Guidés par votre ardeur guerrière,
Sens dessus dessous, sens devant derrière,
Ils ont culbuté nos jaloux,
Sens devant derrière, sens dessus dessous.
À Jason.
Air : Vous avez bien de la bonté
Soyez mon gendre...
À Créuse.
Tu lui plais.
Je sais bien qu’on va dire
Que Jason est marié, mais
Je n’en ferai que rire,
Une pareille nullité
N’a rien dont je me scandalise.
jason, à part
Quelle bêtise !
Haut.
Seigneur, en vérité,
Vous avez bien de la bonté.
Créon
Je vous amène ma Cour pour célébrer ici une petite fête en votre honneur.
Aux peuples.
Air : Tapedru
Trémoussez-vous, vous êtes tous ingambes,
Remuez les jambes,
Réjouissez-vous,
Tortillez les genoux.
À ce héros faites la révérence,
Il aime la danse.
Réjouissez-vous,
Tortillez les genoux...
chœur
À ce héros faisons [la révérence,
Il aime la danse.
Réjouissons-nous,
Tortillons les genoux...]
On danse.
Scène iv
Créuse, Cléone
Cléone
Air : Bouchez, Naïades, vos fontaines
Vous avez beau dire, Princesse,
Votre crainte est une faiblesse,
Je ne vous reconnais point là.
Créuse
Cléone, hélas, j’ai fait un songe !
Cléone
Un songe, bon, nous y voilà,
Madame, tout songe est mensonge.
Mais voyons quel est ce songe si désolant, car je vois que vous mourez d’envie de me le conter.
Créuse
Air : J’ai rêvé toute la nuit
J’ai rêvé toute la nuit
Qu’il tonnait avec grand bruit,
Et que Médée en ces lieux,
Pleine de courroux, s’offrait à mes yeux.
Cléone, daigne écouter
Ce que je vais te conter.
Cléone
J’écoute.
Créuse
Air : Jupin, de grand matin
Dans un char tout brûlant,
J’ai vu, mon enfant,
Ce monstre menaçant.
Tout l’Enfer
Le suivait en l’air,
Ses deux gros dragons
Vomissaient des charbons.
Il a plu sur nos toits
Des feux grégeois.
Ce palais enflammé
S’est consumé.
Jason au beau milieu
Criait au feu !
Il me présentait la main,
Mais en vain !
Riant de nos malheurs
Et de nos pleurs,
Cette horrible guenon
Frappa Jason
D’un couteau bien pointu !
Mais où, c’est ce que je n’ai point vu.
Eh bien ! que penses-tu de cela, Cléone ?
Cléone
Air : Que j’estime, mon cher voisin
Rêver de feu, rien n’est si bon ;
Le feu, c’est allégresse.
Créuse
Mais de femme, c’est trahison,
Et Médée est traîtresse.
Cléone
Allez, Madame, votre mariage se fera ce soir et il n’y aura nulle opposition ; Médée est bien loin, ma foi, et je ne crois pas même qu’elle ose jamais se montrer ici.
Créuse
Air : C’est l’ouvrage d’un moment
Va, je connais la pèlerine,
Et quel que soit l’éloignement,
Veut-elle de chez l’Allemand
Passer aux confins de la Chine,
C’est l’ouvrage d’un moment.
Le théâtre s’obscurcit.
Air : Margot sur la brune
Quel épais nuage !
Nous aurons de l’orage !
Quel épais nuage !
Ciel, quel[s] troubles secrets !
Quelle musique
Géométrique !
Ciel ! Quelle clique
D’esprits follets !
Cléone
Tant mieux, nous aurons des ballets.
Ici, on joue l’air de La Bohémienne, contredanse ; il descend un globe lumineux en forme de planète, Médée paraît suivie de démons et de magiciens.
Scène v
Médée, Créuse, Cléone, [démons]
Créuse
Air : Voici les dragons qui viennent
Ô Dieux ! J’aperçois Médée.
Médée
J’ai tout entendu.
Cléone
Fuyons cette possédée.
Médée, à Créuse
En ces lieux sois enchantée !
Cléone, se sauvant
Tout est perdu ! bis
Créuse, veut se sauver
Air : Je ne saurais, [je suis encor trop jeunette]
Peste soit de la sorcière,
Quel pouvoir retient mes pas ?
Je crains tout de sa colère.
Fuyons, mais quel embarras !
Je le voudrais,
Mes pieds sont rivés sous terre,
Je ne saurais.
Médée
Air : La jeune abbesse de ce lieu
Tu vois ta rivale en ces lieux,
Crains les effets de son grimoire.
Aux démons.
Et vous, démons officieux,
Pour rassurer l’Observatoire,
Replacez ce globe où je l’ai pris ;
On le croit perdu dans Paris.
J’étais bien aise seulement de me faire escorter ici par ce satellite... Allons, démons, faites votre devoir et commencez par un Chœur syllabique, pour effrayer ma rivale.
definitacteur, Chœur des démons chœurdemons
chœurdemons
Air : Ne m’entendez-vous pas
Tremble, frémis d’effroi,
Tremble, Créuse, tremble,
Crains tous les maux ensemble,
Ils vont pleuvoir sur toi ;
Tremble, frémis d’effroi.
Danse furieuse.
Médée
Air : Trembleurs
Tu vois, petite Princesse,
Qu’à te punir tout s’empresse,
Reviens-tu de ta faiblesse ?
Ton cœur entend-il raison ?
Créuse
Non, je ris de ta menace,
Et dussé-je à cette place
Vivre avec toi face à face,
J’aimerai toujours Jason.
Médée
Air : Comme v’là qu’est fait
L’Enfer est dans mon apanage,
Il saura répondre à ma voix ;
Je vais confondre dans ma rage
Jason et toi tout à la fois.
J’ai tous les diables dans ma manche,
Mon courroux sera satisfait.
Chez Pluton je rogne et je tranche,
À mon premier coup de sifflet
Un charme est fait. bis
Air : Est-ce que ça se demande
Je ne borne pas mes transports
À t’arracher la vie.
Ton Jason sur les sombres bords
Te tiendra compagnie.
Créuse
Hélas !
Médée
Ce soupir-là m’apprend
Ce qu’il faut que j’entende.
Vous l’aimez donc ?
Créuse
Assurément.
Est-ce que ça se demande.
Médée, la désenchantant
Air : Eh ! Avance
Va, je ne retiens plus tes pas,
Va voir Jason. Ne manque pas
De faire un assaut de constance.
Eh ! Avance, eh ! Avance, eh ! Avance,
Va lui conter ta triste chance.
Créuse sort.
Scène vi
Médée, Nérine
Nérine
Air : Suis-je dans l’âge de raison
Vous voulez la mort de Jason,
Madame, je gage que non.
Médée
Nérine, il outrage ma flamme,
Je prétends soutenir mes droits
Car tu sais que, selon les lois,
On ne doit aimer que sa femme.
Nérine
Air : vaudeville,
Au temps de votre grand-père,
Les maris étaient constants.
On s’épousait pour se plaire,
Et l’on se plaisait longtemps,
C’était la bonne méthode ;
Mais suivant la nouvelle mode
Ces amours-là n’ont qu’un temps.
Médée
Air : Prévôt des marchands
Après ce que j’ai fait pour lui,
S’il ne se repent aujourd’hui,
Moi-même ici je l’assassine.
Hélas ! J’ai trop aimé Jason,
S’il n’avait eu mon cœur, Nérine,
Crois-tu qu’il eut pris la Toison ?
Nérine
Air : vaudeville,
Jason est homme d’honneur,
Mais Créuse à son ardeur
Offre une flatteuse amorce.
Avec Jason filez doux,
Un rien rend souple un époux,
Tout d’amitié, rien de force.
Nérine sort.
Médée
Air : Contre mon gré, je chéris l’eau
Démons accoutumés au feu,
Qui vous morfondez en ce lieu,
Courez, passez par l’Italie,
Pour vous les chemins seront courts,
Amenez-moi la Jalousie,
J’aurai besoin de son secours.
Je vais vous attendre dans mon palais.
Scène vii
Jason
jason
Air : Pendus
Je crains pour Créuse et pour moi,
Et pour Créon, notre bon roi ;
Car ma femme est une diablesse,
Que lui fait ma chère princesse ?
Quoi, parce qu’elle a des attraits,
La pauvrette en peut-elle mais ?
Air : Turlurette
Mais quel jardin gracieux
S’offre à l’instant à mes yeux ?
Oh ! C’est un coup de baguette.
Turlurette,
[Oh ! c’est un coup de baguette.]
Scène 8
Jason, Jeunes Filles
Une jeune Fille
Air : Suivons l’amour et le refrain nouveau
Dans ce séjour, heureux qui soupire,
L’amour ici n’a rien que de doux,
Nous accordons tout ce qu’on désire.
Jason, venez avec nous,
Jason, venez avec nous,
Jason, venez avec nous.
On danse.
Une autre Fille
Air : Prévôt des marchands
Lorsque l’absence accable un cœur,
Il peut pour un nouveau vainqueur
Soupirer, s’il lui prend envie
De se faire un amusement,
Et c’est, en attendant partie,
Peloter agréablement.
jason, sur le ton des deux derniers vers
Votre morale est fort jolie.
La jeune Fille
C’est l’opéra précisément.
Scène ix
Jason, Créuse
Créuse
Air : Oricandaine
Oh Ciel ! que vois-je ? C’est Jason !
Quelle partie ! et comment donc ?
jason
Fuyez de ces lieux, mon trognon.
Créuse
Ne le crois pas,
Ingrat, je veux suivre tes pas,
Tu fais faux bond à mes appas.
jason
Non, ma Reine.
Créuse
Voyons donc si tu m’aimes bien.
Suis-moi...
Elle sort.
jason
Tope.
Scène x
Jason, Médée survenant
Médée
Il n’en fera rien,
Car
Je t’en empêcherai,
Oricandaine.
Je t’en empêcherai,
Oricandé.
Air : Comme un coucou [que l’amour presse]
Arrête.
jason
En vérité, Madame,
Vous parlez sur un joli ton.
Médée
Si tu suis l’objet de ta flamme,
C’est fait d’elle.
jason
Eh bien, restons donc.
J’enrage.
Médée
Air : Capucins
Ingrat, je vois ce qui t’appelle.
jason
Bon, ce n’est qu’une bagatelle.
Médée
Maraud, tu comptes donc pour rien
De répudier une femme.
jason
Jadis je vous aimais.
Médée
Eh bien.
jason
Je ne vous aime plus, Madame.
Médée
Infidèle, oses-tu me dire une pareille sottise en face ?
jason
Eh, pardi, je dis ce que je pense.
Médée
Air : Que Dieu bénisse la besogne
Oh, parbleu, Jason m’aimera,
Ou le diable l’emportera.
jason
Radoucissez-vous, ma brunette.
Médée
Donne à d’autres cette épithète.
Songe seulement à faire meilleur ménage que par le passé, sinon...
jason
Vous en avez diablement fait, ma mie, et franchement une femme comme vous ne me ferait point d’honneur dans le monde.
Médée
Air : Tarare ponpon
Je te connais, tais-toi, va, tu n’es qu’un barbare.
Les crimes que j’ai faits sont tous de ta façon.
jason
Quel argument bizarre !
Médée
Il est juste et très bon,
Je le prouve...
jason
Tarare ponpon.
Air : Confiteor
Quoi, le poison, et cætera...
Médée
Je mets tout sur ta conscience,
Mais ce n’est rien que tout cela.
Il m’en coûte mon innocence.
jason
Votre innocence ! En vérité,
Il vous en a bien peu coûté.
Médée
Air : Je suis un précepteur d’amour
Je punirai ton lâche cœur,
Je sais que Créuse te touche,
Crains tout, perfide, ma fureur
La garde pour la bonne bouche.
Air : Elle est morte, la vache à Panier
Qui perd tout n’a rien à ménager,
Tu me connais, crains de m’outrager.
jason
Je ne suis pas bon.
Médée
Je suis un démon.
ensemble, ensemble
Médée
Crains le carillon,
Crois-moi, Jason,
Entends raison.
jason
Respecte Jason,
Et son tendron,
Vieille guenon.
Médée
Qui perd tout n’a rien à ménager.
Tu me connais, crains de m’outrager.
Jason sort.
Scène xi
Médée seule
Médée
Air : Enfin, je l’ai découverte
Démons, volez, ravagez,
Courez, que mes feux outragés
Soient vengés.
Comme de vrais enragés,
Pillez, renversez, saccagez.
Si j’ai du dessous,
Secondez mon courroux.
Servez ma fureur,
Surtout point de lenteur !
Ce n’est plus un jeu.
Qu’avant qu’il soit peu,
Jason crie au feu !
Au feu !
Que son cher objet,
Pris au trébuchet,
Comme lui
Rôtisse aujourd’hui.
Scène xii
Créuse seule
Créuse
Air : Tout me dit qu’il est inconstant
Ma rivale n’est que trop belle,
Ah ! Mon cœur aura du dessous.
Jason lui plaît, ils sont époux,
Et Jason est seul avec elle.
Des moments si chers et si doux,
M’offrent une image cruelle,
Tout me dit qu’il est inconstant,
Le beau Jason que j’aime tant.
Scène xiii
Créuse, Jason
jason
Air : Mon mari est à la taverne
Médée en ces lieux fait le diable,
Et met tout sens dessus dessous.
Créuse
Si l’on punissait le coupable,
On devrait commencer par vous.
jason
Sans doute que vous voulez rire,
Talarita larita la larire.
Créuse
Oh je ne suis que trop sûre... je vois à votre air...
jason
Vous vous trompez, vous dis-je.
Créuse
Vous aimez mieux votre femme que moi, fi, cela n’est pas bien.
jason
Air : Tout ci, tout ça
Je m’attendais bien à cela,
Tout ci, tout ça.
Vous m’allez taxer d’inconstance
Et me dire laissez-moi là,
Tout ci, tout ça.
Mais il fallait de la prudence,
On nous observait, et voilà,
Tout ci, tout ça,
Ce qui m’excusera.
Air : L’autre nuit, j’aperçus en songe
Au fait, vous m’aimez, je vous aime,
N’allongeons point notre roman,
Le temps est cher, allons-nous-en.
Mais votre papa triste et blême
Pleure et paraît se désoler.
Créuse, sortant
Prenez soin de le consoler.
Scène xiv
Créon, Jason
Créon
Air : Cela m’est bien dur
Autour de moi mon peuple crie,
Et je ne puis le secourir ;
Ma Cour est une boucherie,
Je vois tous mes sujets mourir.
Que t’ai-je fait, maudit lutin femelle,
Sorcière cruelle ?
Oh, ma foi, mon gendre futur,
Cela m’est bien dur.
jason
Air : Je ne veux point troubler votre ignorance
Après moi seul, Médée est acharnée.
Je vais partir...
Créon
Vous la craignez donc bien ?
jason
Si je la crains !
Créon
Sa mort est ordonnée,
On doit la prendre.
jason
Oh, vous ne tenez rien !
Vous ne savez donc pas que le diable et elle sont les deux doigts de la main !
Scène xv
Créon, Jason, un archer
definitacteur, L’Archer larcher
larcher
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Seigneur, Médée a les menottes.
Créon, gaiement
Mon cher Jason, l’eusses-tu crû ?
Mes troupes ne sont pas manchotes.
jason
Je croirai lorsque j’aurai vu.
Ah, ah !
Air : Sois complaisant, [affable, débonnaire]
On vous l’amène.
Créon
Elle perdra la vie.
jason
Comme mari, j’en aurais grande envie,
Mais
Pardonnez-lui, je vous prie.
Créon
Qu’elle parte.
jason
Je m’en vais.
Je ne suis point assez bien fondé en raisons pour soutenir sa présence. Mais le roi qui vient lui en dira de bonnes.
Scène xvi
Médée enchaînée, Créon, archers
Créon
Air : [Monsieur – de Grimaudin
Je me ris de ta diablerie,
Comme tu vois.
Je puis punir ta barbarie,
Et je le dois ;
Mais je t’exile seulement.
Médée
La grâce est belle assurément.
Créon
Air : Joconde
Tu devrais rougir des forfaits
Que tu viens de commettre.
Médée
Et toi, du rôle que tu fais,
Un père s’entremettre
Pour favoriser les désirs
D’une jeune étourdie
Qui veut chasser sur les plaisirs
D’une femme trahie !
Créon
C’en est trop, sors de devant mes yeux, et ne te le fais pas dire deux fois !
Médée
Air : Nous autres, bons villageois
Seigneur, je veux bien partir,
Mais il faut que Jason me suive.
Créon
Oses-tu me répartir ?
Médée
Excusez, je suis un peu vive.
Mais enfin Jason est à moi,
Il me coûte assez cher, je crois,
Avec Jason, j’irai d’ici,
S’il le faut, au Mississipi.bis
Créon
Fin de l’air : Çà, du vin, [mettons-nous en train]
Par la mort,
Dans mon fier transport,
Fusses-tu le diable,
Je suis intraitable,
Sors d’ici,
Sors, Créon l’ordonne ainsi.
Écoute ce serment.
Air : Or, écoutez, [petits et grands]
Or écoutez, bruyant Jupin,
Le serment que je fais : demain,
Si le grand œil de la nature
Voit ici cette créature,
Puissé-je plus noir qu’un tison
Être rôti dans ma maison.
Il sort.
Scène xvii
Médée seule
Médée
Air : Ô lire, ô lire
Tu verras tout cela.bis
Ton serment me fait rire,
Ô lire, ô lire,
Ton serment me fait rire,
Ô lire, ô la.
Scène xviii
Médée, Nérine
Nérine
Madame, vos ballots sont prêts.
Médée
Air : Faites boire à triple mesure
Mon voyage se peut remettre,
J’ai plus d’une affaire en ces lieux,
À Jason porte cette lettre,
Je veux lui faire mes adieux.
Tu me regardes bien fixement, Nérine.
Nérine
C’est que vous dites cela d’un ton qui me fait trembler, je parie que vous voulez faire encore ici quelque coup de votre tête.
Médée
Non, ce n’est qu’une petite bagatelle, je vais t’en faire juge.
Air : Je suis la simple violette
Quand j’aurai brûlé ma rivale
Et son cher père aux cheveux blancs,
Et que sans bruit et sans scandale
J’aurai poignardé mes enfants,
Alors nous prendrons notre temps
Pour parler de voyage.
Je ne veux qu’un ou deux instants
Pour finir cet ouvrage.
Cela fait, je partirai aussi tranquille que si je venais de prendre mon café.
Nérine
Miséricorde ! Eh quoi, vous appelez cela une bagatelle ?
Médée
Air : Proverbes
Le roi croyait m’avoir en sa puissance,
À ses archers j’ai cédé sans effort,
Cette douceur assure ma vengeance.
Nérine
Il n’est pire eau que l’eau qui dort.
Symphonie marine.
Air : Non, je ne ferai pas [ce qu’on veut que je fasse]
Voici vos matelots.
Médée
Qu’en avons-nous à faire ?
Leur secours en ces lieux m’est fort peu nécessaire.
Tu sais que pour moi l’air est un chemin connu ;
On peut s’en retourner par où l’on est venu.
Suis-moi, nous avons autre chose à faire qu’à voir danser des mariniers.
Elles sortent.
Fête marine.
matelots et matelotes, ensemble
Une Matelote
Air : Monsieur Mouret
Sans crainte quittez le rivage,
Bravez les vents, bravez les flots,
Un sort heureux vous attend à Paphos,
Mais il faut surmonter l’orage.
C’est en vain qu’une mère, un rival, un jaloux
Opposent à vos feux des écueils redoutables,
Si l’amour s’embarque avec vous,
Tous les temps seront favorables,
Et par mille routes aimables,
Il vous fera voler aux plaisirs les plus doux.
On danse.
vaudeville
1
Qu’un jeune amant nous sollicite
Pour faire un voyage à Paphos ;
Tout rit, tout plaît, tout nous invite,
Il fait bon sur les flots.
Mais qu’un mari nous le propose,
C’est une autre chose,
On s’embarque tristement
Quand l’hymen fait l’embarquement.
2
Avec l’amant sexagénaire,
Gardons-nous de nous embarquer ;
Tout barbon a le vent contraire,
Ce serait trop risquer.
Mais qu’un jeune nous le propose,
C’est une autre chose,
On s’embarque lestement
Quand l’amour fait l’embarquement.
3
Pousser auprès de nos sirènes
Des soupirs à la Céladon,
C’est perdre son temps et ses peines,
Ah, le piteux jargon !
Mais qu’une rente se propose,
C’est une autre chose,
On s’embarque promptement
Quand Plutus fait l’embarquement.
4
Lorsque la coquette Amarante
Me propose un galant trajet,
La peur me prend, tout m’épouvante,
J’élude son projet.
Mais pour suivre la jeune Rose,
C’est une autre chose.
On s’embarque lestement
Quand l’amour fait l’embarquement.
5
Philis veut me rendre les armes
Si de ma main je lui fais don,
Elle n’a pour bien que ses charmes,
Et moi je suis gascon.
Hortense d’un gros bien dispose,
C’est tout autre chose,
On voyage grassement
Quand Comus fait l’embarquement.
Tempête soudaine.
definitacteur, Chœur des Matelots chœurmatelots
chœurmatelots
Air : Sens dessus dessous
Tous les vents se battent entre eux,bis
La foudre éclate dans les cieux.bis
La mer grimpant jusqu’au tonnerre,
Sens dessus dessous, sens devant derrière,
Met tout dans son brutal courroux
Sens devant derrière, sens dessus dessous.
Ils se sauvent.
\scene[Le théâtre représente le palais de Créon.] Médée
seule
Médée
Air : Tique tique tac et lonlanla
Je me sens, en ce moment,
Toute je ne sais comment ;
Mon cœur fait dans ma poitrine :
Tique tique tac et lon lanla,
Mes enfants que j’assassine
Me reviennent toujours là.
Air : Menuet d’Hésione
Venez ici, noires Furies,
Venez enhardir ma fureur,
De pareilles cérémonies
Font de grands effets sur un cœur.
Non, non, restez chez vous, Mesdames les Furies, adressons-nous plutôt au Soleil... Mais j’aperçois mon petit mari, contraignons-nous pour le mieux tromper ; ceci sera le plus beau de mon rôle.
Scène xix
Médée, Jason
jason, en entrant
Faisons bien le dolent pour lui en donner à garder.
Air : Que j’estime, mon cher voisin
Sans regretter ton cher Jason,
Se peut-il que tu partes ?
Médée
Le sort lui seul, mon cher bouchon,
Ici brouille les cartes.
jason
Air : Mirliton
Que ne puis-je, ma pouponne,
Rassurer l’esprit du roi.
Mais quoiqu’absente, mignonne,
Je ne veux aimer que toi.
Donne ta menon.
Médée
Mon bichon.
jason
Ma bichonne.
ensemble, ensemble
Donne ta menon.
Baise ma menon,
Bon, bon.
Médée
Air : Des fraises
Vois-tu comme j’en agis
Pour te paraître aimable ;
Les démons sont mes amis,
Je les renvoie, mon fils,
Au diable, au diable, diable.
Air : Carillon de maître Gervais
Embrassons-nous, mon cher Jason,
Finissons notre carillon.
jason
Je t’aime quand tu prends ce ton.
Bon bon, bon bon, bon bon, bon bon.
médée et jason, ensemble
Faisons la paix.
Médée
Je te promets
Que je ne reviendrai jamais.
jason
Tu me promets
Que tu ne reviendras jamais,
Jamais, jamais, jamais, jamais.
Médée
Air : Menuet de Grandval
Hélas !
jason
Ce soupir me poignarde.
Médée
Permettrez-vous que nos enfants
Soient du voyage ?
jason
Je n’ai garde,
Il leur perce encore des dents.
Médée
Air : Sont tous pas perdus, Nicolas
Contentez mon envie ;
Donnez-moi ces enfants.
jason
J’aime plus que ma vie
Ces deux petits innocents.
Vous perdez vos pas.
Médée, tendrement
Cher époux !
jason
Sont tous pas perdus pour vous.
Médée
Air : La mirtanplan
Vous aimez donc ces marmots,
J’en suis bien contente.
Adieu Jason... à propos,
Je voudrais bien vous dire encor deux mots.
jason
Oh, dites-en trente... bis
Médée
Air : Simone, ma Simone
Puisqu’il ne m’est pas permis
D’avoir ces chers fils,
Que je les embrasse donc.
jason
Je le veux bien, mignonne !
Médée
Il faut m’y mener.
jason
Oh, non,
Car j’ai l’âme trop bonne.
Je pleurerais comme un veau si je voyais ces adieux-là... Allez-y toute seule, mamour.
Médée sort.
Scène xx
Jason seul
jason
Air : [Hélas ! la pauvre fille, elle a le mal de tout]
Hélas ! La pauvre femme,
Elle a le mal de tous.
Scène xi
Créuse, Jason
Créuse
Air : Marotte est bien malade
Mon père est bien malade.
En danger d’en mourir,
Il fait mainte escapade,
Il va périr.
jason
Pour calmer sa foucade,
Il faut courir.
Créuse
Air : La troupe italienne
Médée est une vaurienne.
Et c’est elle en partant qui fait ce beau coup-là.
jason
Elle a fait la chienne !
Faridondaine,
Lon lan la,
Elle a fait la chienne !
Vite, ma Reine,
Attrapons-la.
Mais voici votre père, quelle mouche l’a piqué ? Il est joli garçon, ma foi.
Scène xii
Créuse, Créon, Jason
Créon, furieux
Air : La mort pour les malheureux
Lutins, ne me suivez pas,
Je suis trop las ;
J’ai couru le galop,
Oh, c’en est trop !
De Pluton, maudits clercs,
Rentrez dans les enfers,
Votre haleine infecte les airs.
Que vois-je, ô Ciel, sur ce bord ?
Ah, je suis mort !
Cerbère m’a mordu,
Je suis perdu.
Prenant Créuse pour Médée.
Attends, Médée, attends.
Oui, je prétends
Te mordre à belles dents.
Créuse
Me voilà,
Mon cher papa,
Reconnaissez votre fille.
Vous, Jason,
Aidez-moi donc.
jason
Moi, je crains qu’il ne m’étrille.
Votre père en tient.
Créuse
Il faut, mon cher,
Le porter à la mer.
jason
Fuyons, l’accès le reprend,
Fuyons, ma pauvre enfant.
Créon
Lutins, [ne me suivez pas]
Je suis trop las ;
J’ai couru le galop,
Oh, c’en est trop !
De Pluton, maudits clercs,
Rentrez dans les enfers,
Votre haleine infecte les airs.
Que vois-je, ô Ciel, sur ce bord ?
Ah, je suis mort !
Cerbère m’a mordu,
Je suis perdu.
Attends, Médée, attends ;
Oui, je prétends
Te mordre à belles dents.]
Créuse
Calmez-vous, Seigneur, laissez-vous approcher,
Nous allons vous coucher.
À la mort, hélas,
Prince, vous courez à grands pas,
Il mourra dans mes bras.
Calmez-vous, [Seigneur, laissez-vous approcher,
Nous allons vous coucher.]
Créon, prenant Jason pour un chien
Voilà mon doguin,
Vite un gros gourdin ;
Ses yeux sont ardents,
Il montre les dents.
Que ses crocs sont longs !
Vite, détalons,
L’Enfer est sur mes talons.
Créuse
Quel tour, hélas !
De Médée, il faut hâter le trépas,
Point de pardon.
C’en est fait, brûlons cette guenon.
Créon, à Jason
Voilà mon doguin.
Vite, [un gros gourdin ;
Ses yeux sont ardents,
Il montre les dents.
Que ses crocs sont longs !
Vite, détalons,
L’Enfer est sur mes talons.]
Créon se sauve dans son palais, Créuse l’y suit, Jason y veut entrer, un démon le repousse et le renverse.
jason
Air : Le démon malicieux et fin
Ciel ! Que vois-je, et quel diable inhumain
En ces lieux me barre le chemin ?
Je vous perds, mon adorable brune,
Et vous perdez votre aimable Jason.
Je connais Médée à sa rancune.
Quel feu m’étouffe ! il prend à la maison.
Le feu prend au palais de Créon.
Au feu, au feu, au guet, les seaux de la ville, les pompes, main-forte !
Médée paraît dans un char et arrête Jason.
Scène xiii
Médée, Jason
Médée
Air : La Palisse
Cesse de pleurer le sort
D’un objet que je méprise.
jason
Ce cher trognon est-il mort ?
Médée
Autant vaut, il agonise !
jason
Air : Tes beaux yeux, ma Nicole
Qu’avez-vous fait, barbare ?
Médée
J’ai grillé jusqu’aux os
Cette beauté si rare
Qui troublait ton repos.
Jason, toi seul est cause
De ces accidents-là ;
Mais j’ai fait autre chose
Qui surpasse cela.
jason
Eh, que diable peux-tu avoir fait de pis que de rôtir une maîtresse pour qui j’aurais noyé vingt femmes comme toi ?
Médée
Air : Voulant faire un voyage
J’ai sans miséricorde
Poignardé mes enfants.
jason
Tu mérites la corde,
Les pauvres innocents !
Ce coup-là m’assassine ;
Oui, c’est t’en prendre à moi.
Médée
Que rien ne te chagrine,
Ils n’étaient pas de toi.
jason
La carogne ! En voilà bien d’une autre.
Médée
Air : Adieu paniers, vendanges sont faites
Pleure ici ta chère brunette,
Et pour jamais rompons nos fers ;
Pour moi, je regagne les airs,
Adieu Jason, ma besogne est faite.
Allons, fouette, cocher.
Médée est enlevée par ses dragons.
jason, seul, au parterre
jason
Air : Du Cap de Bonne-Espérance
Est-il rien de comparable
Au sort du pauvre Jason ?
Ce héros que tout accable
N’a ni femme, ni maison.
Charitable compagnie,
Venez souvent, je vous prie,
Prendre au bureau des billets
Pour relever ce palais.
Fin