François Riccoboni et Jean-Antoine Romagnesi
Pyrame et Thisbé
Parodie en un acte en vaudevilles sur le même fonds de l’ancienne prose et couplets, avec des changements
Représentée par les Comédiens Italiens le lundi 5 mars 1759. Non imprimée.
Pyrame et Thisbé, un opéra au miroir de ses paraodies, dir.F.Rubellin
Acteurs
Pyrame : Marignan
Thisbé : Favart
Zoraïde : Desglands
Ninus : Chanville
Zoroastre : Rochard
Riccoboni
Un forçat : Desbrosses
Pyrame et Thisbé
Scène 1
zoraïde, thisbé
Zoraïde
Air : On n’aime plus dans nos forêts
Le perfide ne m’aime plus,
Rien ne saurait calmer ma crainte,
Dans ses soins les plus assidus
Je m’aperçois de sa contrainte,
Il soupire, il a l’air confus ;
J’ai perdu le cœur de Ninus.
Thisbé
Air : Les garçons du port de Saint-Paul
Pour un très vaillant corsaire
Ninus partout est vanté,
Il est rentré pour vous plaire
Et l’amour l’a démonté.
Mais d’une tendre aventure
N’étant pas trop bien au fait,
Il ne sait, je vous assure,
Ce qu’il dit, ni ce qu’il fait.
Zoraïde
Air : Je reviendrai, demain au soir
J’aurais déjà reçu sa foi,
S’il soupirait pour moi.bis
Thisbé
À qui fait-il donc les yeux doux ?
Zoraïde
Je crois que c’est à vous.bis
Air : Joconde
Il éteint sa première ardeur
Et Thisbé me succède.
Thisbé
Il ne pourra gagner mon cœur
Qu’un autre objet possède.
Zoraïde
Un amant riche a des attraits
Dont on croit se défendre,
Mais tôt ou tard il rompt les traits
De l’amour le plus tendre.
Thisbé
Air : Quand j’ai ma cornette à deux rangs
Vous m’offensez, en vérité,
Il ne sera point écouté.
Et qui peut ébranler mon âme ?
L’amour y fait régner Pyrame.
Zoraïde
Air : Allons la voir à Saint-Cloud
Je connais peu vos parents,
Approuvent-ils l’hyménée ?
Thisbé
Oui, dès mes plus jeunes ans
Ma main lui fut destinée.
Mes parents passaient autrefois
Pour être de petits bourgeois,
Mais aujourd’hui l’on pense
Qu’ils sont de haute naissance.
Air : Ce n’est point par effort qu’on aime
Ninus vient.
Zoraïde
Ah, je me retire
Pour lui cacher mon désespoir.
Thisbé
Voici Pyrame, ah quel martyre
De partir aussi sans le voir !
Mais ils ont quelque chose à dire
Que nous ne devons pas savoir.
Scène ii
ninus, pyrame
ninus
Air : Trois enfants gueux
Viens recevoir les honneurs éclatants
Qu’on te prépare en cet heureux asile,
Nos flibustiers de toi sont fort contents,
Mais pour moi seul ta gloire est inutile.
pyrame
Air : Amis, ne parlons plus de guerre
Le compliment est-il honnête ?
ninus
Je n’en sais rien,
J’ai trop de choses dans la tête
Pour parler bien.
C’est la tournure au siècle nôtre
Qui réussit,
Celui qui parle comme un autre
N’a point d’esprit.
Air : La jeune Isabelle
D’une ardeur nouvelle
Je suis occupé,
Je quitte la belle
Dont j’étais frappé.
Ma foi, Zoraïde
Aime un peu trop fort,
Je suis un perfide
Mais elle a grand tort.
pyrame
Air : Vous n’avez pas besoin
Et vos serments ?
ninus
C’est ce qui me tourmente,
De son lien mon cœur s’est échappé,
J’ai cru d’abord Zoraïde charmante
Mais je vois bien que je m’étais trompé.
pyrame
Air : Bouchez, Naïades, vos fontaines
Et que dira monsieur son père ?
ninus
Ah ! ton sang-froid me désespère
Tu ne dis qu’un mot à la fois.
pyrame
Seigneur, dans ce riant empire
Je réussirais mieux, je crois,
Si l’on ne m’entendait rien dire.
ninus
Air : Sur le bord d’un ruisseau
Thisbé m’a su charmer,
Son petit air m’enchante.
Peut-on ne pas l’aimer ?
Elle est jeune et touchante.
Sa rivale aussi belle
Frappa d’abord mes yeux,
Mais c’est la plus nouvelle
Que l’on aime le mieux.
Il sort.
Scène iii
pyrame seul
pyrame
Air : Le curé de Môle
Que cette confidence
A mauvaise apparence !
Ma maîtresse a gagné son cœur,
Il est brutal et moi j’ai peur.
Prenons en cette occurrence
Le parti de la douceur.
Scène iv
pyrame, thisbé
Thisbé
Air : Malgré sa timidité
Je me livre sans rougir
À mon innocente flamme,
Parmi nous on laisse agir
Les doux transports de son âme.
On pleure son amant
Quand il part pour l’armée,
Mais s’il revient constant
Quelle heureuse journée !
Air : C’était un jour de fête
Le mien par son absence
M’avait fait longtemps gémir,
Je perdais l’espérance
Et d’amour j’allais mourir.
Qu’il fait bien de revenir
Car lui seul peut me guérir.
Air : Pour passer doucement la vie
Je vous revois, mon cher Pyrame,
Tout vous rit en cet heureux jour.
pyrame
Ne vous pressez pas tant madame.
Thisbé
Quel froid accueil pour mon amour !
pyrame
Air : Quand Moïse fit défense
Celui qui pour quelque affaire
Quitte son natal séjour
Risque toujours trop à faire
Le voyage le plus court :
Si le pauvre diable laisse
Ou sa femme, ou sa maîtresse,
Qu’il s’attende, en revenant,
À trouver du changement.
Thisbé
Air : Ô reguingué
Je sens toujours les mêmes feux.
pyrame
Je n’en suis que plus malheureux.
Thisbé
Vous gémissez, ah, justes dieux !
Éclaircissez-moi cet emblème.
pyrame
Ninus...
Thisbé
Parlez.
pyrame
Ninus vous aime.
Air : Prenez bien garde à votre cotillon
Flatté de l’espoir le plus doux,
Il va venir à vos genoux
Vous offrir argent et bijoux.
Thisbé
Ah ! Vous m’offensez, Pyrame.
pyrame
Prenez garde à vous.
Thisbé
Air : Janneton, l’amour lui-même
Quelque chose qu’il me donne,
Je refuserai ses vœux.
Quand sans amour on raisonne,
Aux désirs ambitieux
On s’abandonne.
Quand on aime, un cœur vaut mieux
Qu’une couronne.
pyrame
Air : Birène
Par charité, ne pensez plus à moi,
Quand cet amant aura rempli ma place,
Je gémirai de vous voir sous sa loi,
Mais il faudra qu’à la fin je m’y fasse.
Air : L’avez-vous vu passer
Car on se fait à tout.bis
Thisbé
Auriez-vous pour ma flamme,
Cher Pyrame,
Auriez-vous pour ma flamme
Du dégoût ?
pyrame
Air : Je suis gueux comme un rat d’église
Hélas, pour vous mon cœur soupire,
Mais je ne suis point querelleur.
Ninus paraît, je me retire
Car il m’arriverait malheur.
Scène v
ninus, pyrame, thisbé
ninus
Air : Du haut en bas
Demeurez là.
pyrame
Non, non, mon âme est trop discrète.
ninus
Demeurez là.
pyrame
Monseigneur, comme il vous plaira.
ninus
Un guerrier près d’une grisette
Ne fait point l’amour en cachette,
Demeurez là.
Air : Marche
Je viens en ces lieux
Pour lire dans vos yeux
Quel sort auront mes tendres feux.
Vainqueur heureux,
Partout glorieux,
Sous vos lois l’amour m’engage,
Et vos traits victorieux
M’ont mis dans l’esclavage.
Peut-on dire mieux ?
Thisbé
Air : Monsieur de Catinat
Avec un autre objet vous devez vous lier.
ninus
Votre beauté suffit pour me justifier.
Madame, acceptez donc sans vous faire prier
La moitié de mon bien et mon cœur tout entier.
Thisbé
Air : Jean de Nivelle
Si je les acceptais,
Seigneur, je montrerais
Un cœur perfide.
Vos désirs les plus doux
Depuis longtemps sont tous
Pour Zoraïde.
ninus
Air : Dansons tous le nouveau cotillon
Je ferai sur mon lieutenant
Passer aisément un fardeau si pesant.
Mon cher Pyrame,
Prends pour femme
Ce jeune tendron.
pyrame
Le beau présent, ah, voyez donc !
Il agit avec ses amis
Comme les traitants avec leurs commis.
ninus
Air : Je ne suis pas si diable
Si tu prends cette chaîne,
Je veux dans le moment
Te faire capitaine
D’un fort gros bâtiment.
pyrame
La dot est raisonnable
Mais j’en ai peu besoin.
Si j’étais plus traitable
J’irais fort loin.
Air : Et non, non, non
Faites votre mariage
Sans disposer de mon cœur,
J’estime peu l’avantage
Et l’éclat de la grandeur.
Mon respect pour vous m’engage
À n’être que votre second.
Et non, non, non
Je n’en veux pas davantage.
ninus
Air : De tous les capucins du monde
Que dans le moment une fête
Pour ma Thisbé se trouve prête.
Thisbé
Mais je ne dois pas l’accepter.
ninus
Bon, bon, qu’importe qu’on nous fronde,
Vous allez entendre chanter
Les plus heureux forçats du monde.
Scène vi
thisbé, ninus, pyrame, forçats algériens
Un Forçat
Air : Laissons-nous charmer du plaisir d’aimer
Que de nos transports
Naissent des accords
Qui surpassent Lulli
En vif, en joli.
Si parfois nos vers
Vont un peu de travers,
Un bon air à danser
Les fait passer.
La musique
Quoique antique
Par notre art se recrépit ;
La rubrique
Italique
Quand on l’applaudit
Nous fait grand dépit.
Que de nos transports, etc.
Un spectacle parfait
Ne va point sans ballet.
Que sur tout ici l’entrechat brille ;
Que la fille
Y sautille,
Et nous fasse voir
Quel est son savoir.
Que de nos transports, etc.
vaudeville
ninus
Voyageur que l’amour guide,
Voguez toujours hardiment,
Ne soyez jamais timide,
Pour vaincre, risquez souvent.
La beauté qui paraît fière,
Et n’aime qu’à pirater,
Vous attaque la première
Pour se laisser emporter.
Thisbé
Quand pour un tendre voyage
Vous voulez vous embarquer,
Belles, craignez l’esclavage
On saura vous attaquer.
Si vous voulez être sage,
Ne combattez qu’en fuyant ;
Dès qu’on vient à l’abordage
Votre galère se rend.
pyrame
Une victoire parfaite
Doit toujours un peu coûter,
Gardez-vous de la coquette
Qui se rend sans résister :
Pour se montrer plus fidèle,
Sans détour elle vous fuit
Et dès qu’elle voit sa belle,
Vous coule à fond et s’enfuit.
Scène vii
\emph les acteurs précédents, zoraïde
Zoraïde
Air : Allez-vous-en, gens de la noce
À qui dans ces lieux veut-on plaire ?
Ne puis-je l’apprendre de vous ?
Pourquoi me faire un mystère
D’un spectacle si beau, si doux ?
Expliquez-vous.bis
pyrame et thisbé ensemble, ensemble
Le beau sabbat qu’elle va faire !
Tout doucement retirons-nous.
Tous se retirent.
Scène viii
ninus, zoraïde
ninus
Air : Viens [ici], que je te régale
Mon embarras doit vous suffire.
Zoraïde
Expliquez-vous sans nul détour.
ninus
Le plus court est de lui tout dire.
Zoraïde
Ah ! Trahiriez-vous mon amour ?
ninus
Air : Sans savoir comment
Sans savoir comment,
J’étais pour vous de flamme.
J’ai changé de sentiment,
Sans savoir comment.
Thisbé règne en mon âme,
Sans savoir comment,
J’ai fait cet arrangement.
Zoraïde
Air : La fille de village
De me faire une offense
Ton esprit est ravi.
ninus
Acceptez par vengeance
Pyrame pour mari.
Zoraïde
Penses-tu qu’on ordonne
De moi comme on voudra ?
Qu’à ton gré je me donne ?
Mon père le saura.
Air : Sur la terre et sur l’onde
Sur la terre et sur l’onde
Par lui le vent gronde
Il tonne, il pleut
Sitôt qu’il le veut
L’enfer à sa voix s’émeut.
Il lit dans la main
Si l’homme est enclin
Au destin
De Vulcain.
Ne sait-il pas
Tourner le sas ?
Féroce,
Il rosse,
Change en loup-garou,
Tord le cou.
ninus
Air : Un cordelier
Bon, croyez-vous qu’un sorcier m’épouvante ?
Zoraïde
L’ingrat me plaisante !
De tout ce fracas
Il ne fait point de cas !
Pour me venger d’un si cruel outrage,
En personne sage,
Ah ! Dans ce moment
Que n’ai-je un autre amant !
ninus
Air : Que me faites-vous
C’est assez gémir,
Il faut finir,
On n’y saurait plus tenir.
Zoraïde
Peux-tu de rigueur
Payer l’ardeur
De mon cœur ?
Ah ! Mon cher, de grâce !
Ne m’accable point de mépris
Ou je redouble de cris.
Mais il est tout de glace,
Rien n’affaiblit son audace,
Ninus...
Eh, quoi ! L’ingrat ne m’entend-il plus ?
ninus
Air : Très volontiers compère
Le cousin de Japhet
Est assourdi sans doute.
Zoraïde
Apprends qu’un feu secret
Met le tien en déroute.
Pyrame est ton rival,
Son feu loyal
Mérite récompense.
Crois qu’il fera
Ce qu’il faudra
Pour remplir ma vengeance.
Elle sort.
Scène ix
ninus seul
ninus
Air : De tous les capucins [du monde]
Ah ! Je vous apprendrai, Pyrame,
À vous faire aimer d’une dame
Dont je veux faire ma moitié !
Mais hélas, ce n’est pas sa faute ;
Je dois plutôt avoir pitié
Du pauvre diable à qui je l’ôte.
Air : Voilà des critiques de reste
C’est toi seul qui me rends parjure,
Ton sang va laver cette injure.
Demain je te garantis mort.
Mais, les remords troublent mon âme.
Fierté, raison, funeste flamme,
Ne serez-vous jamais d’accord ?
Scène 10
pyrame, thisbé
pyrame
Air : L’autre jour, dessous un ormeau
Zoraïde a tout dit, hélas !
Qu’allons-nous faire ?
Thisbé
Pour moi, je ne le sais pas.
pyrame
Voyez quel embarras !
Thisbé
Ninus est en colère.
pyrame
Pour avoir su vous aimer,
Il va me réformer.
Thisbé
Air : Laissez-les, qu’ils viennent
Toujours Pyrame tremble,
Ne sait-il donc qu’aimer ?
En guerrier ce me semble,
Il devrait s’animer.
Mais pour la paix
Toujours son cœur décide ;
Non, je ne vis jamais
Un héros si timide.
pyrame
Air : Quand on a prononcé [ce malheureux oui]
Eh bien ! Vous le voulez, on peut vous satisfaire,
Je vais contre un tyran exercer ma colère,
Je vais percer le sein d’un rival odieux
Mais je puis m’en punir en mourant à ses yeux.
Air : T’as le pied dans le margouillis
Oui, sitôt qu’il sera mort
Il verra terminer ma vie,
Oui, sitôt qu’il sera mort
Il verra terminer mon sort.
Thisbé
Air : Pour héritage
Point de tapage,
Mon cœur est satisfait.
Ninus est sage,
Il sait notre secret.
Il voit pour vous
Jusqu’où va ma constance,
Aurait-il encor l’imprudence
D’être mon époux ?
pyrame
Air : Triolets
Ninus n’est pas si sot que moi,
Il veut être content lui-même.
Son amour veut faire la loi,
Ninus n’est pas si sot que moi.
Par force il aura votre foi,
Et si c’est pour soi que l’on aime,
Ninus n’est pas si sot que moi,
Il veut être content lui-même.
Duo
pyrame, thisbé, ensemble
Pour être malheureux, quoique amour nous rassemble,
Craignons en ce moment de nous trop attendrir.
Le sot plaisirbis
De s’affliger, languir, gémir
Et soupirer ensemble !
Scène xi
zoraide, thisbé, pyrame
Thisbé
Air : Babet, que t’es gentille
Nous allez-vous donner
Quelque bonne nouvelle ?
Zoraïde
Oui, l’on peut soupçonner
Que Ninus m’est fidèle.
Thisbé
De nouveaux transports...
Zoraïde
C’est par des remords
Que sa tendresse brille ;
D’aussi loin qu’il me voit venir,
Au plus vite il se met à fuir.
Je crois qu’il commence à sentir
Qu’on est encor gentille.bis
pyrame
Air : Quand je suis dans mon corps de garde
Sur de si justes conjectures,
Je vais tâcher de l’attendrir :
Quand on prend si bien ses mesures
Peut-on manquer de réussir ?
Il sort.
Duo
zoraide, thisbé, ensemble
C’est vainement
Que l’on attend
La récompense
De sa constance.
L’amant léger
Croit s’engager,
Mais il n’aspire
Qu’à voltiger
Et ne soupire
Que pour changer.
L’amante sage
Dans le bel âge
D’être volage
Suit le projet.
Le cœur est tendre,
Il faut se rendre,
Mais sans dépendre
D’un seul objet.
Scène xii
zoraïde, zoroastre dans une lanterne magique
zoroastre
Air : Je viens exprès du Congo
Je viens exprès du sabbat, a a a,
J’ai pitié de ton état,
Rassure-toi, ma fille,
Le diable est mon ami, i i i,
Comptes-y,
Le diable est mon ami, i, i, i.
Air : J’irai vous voir
Non, rien ne peut désarmer ma colère,
Puisque Ninus ose se dégager
Il va périr.
Zoraïde
Sa personne m’est chère,
C’est me punir en voulant me venger.
zoroastre
Air : Oui, des maris
Quoi, tu frémis !
Pour toi j’en rougis.
Quand je veux punir ses mépris
Tu me dédis.
C’est un ingrat,
Et le scélérat
Ne fait de ton cœur délicat
Nul état.
Zoraïde
L’amour est si flatteur
Qu’on ne peut bannir de son cœur
Sa première ardeur.
Un inconstant
N’est pas moins charmant ;
On conserve l’espoir,
On veut voir
Si l’on peut l’avoir.
zoroastre
Quoi, tu frémis etc.
D’une beauté
Soyez enchanté.
Son cœur est peu flatté,
Peu tenté
De fidélité.
Au changement
Montrez du penchant
Elle veut aimer constamment
Par entêtement.
Un monstre affreux
D’un air furieux
Va bientôt ravager ces lieux
Tout de son mieux.
Ensorcelé,
Déconfit, troublé,
Je veux voir Ninus désolé,
Avalé.
Zoraïde
Air : Sûr de ta foi
Calmez ce courroux,
Prenez des soins plus doux :
Pourquoi me venger ?
Il faut me soulager.
Rendez-moi son âme
Par enchantement,
Que je sois sa femme
N’importe comment.
zoroastre
Air : La Chasse
L’honneur doit éteindre la tendresse,
Je suis fatigué du ton plaintif,
En vain l’amour pour lui t’intéresse,
Je dois me montrer rébarbatif.
Tu me connais vindicatif :
Je veux que ce marin chétif,
Pâle et craintif,
Plus mort que vif,
De son peuple fugitif
Ne puisse emplir un esquif.
airvide
Un monstre nouveau
Du combat du taureau
Viendra d’un saut
Prendre d’assaut
Ninus dans son vaisseau.
Zoraïde
Choisissez, mon père,
L’ours ou la panthère.
zoroastre
Non, non, pour ce couple-là ;
Le peccata
Suffira.
Ils sortent.
\scene[Le théâtre représente la prison de Pyrame.] thisbé
seule
Thisbé
Air : Ah ! que monseigneur est charmant
Eh quoi, l’objet de mon amour
Gémit dans cet affreux séjour !
Nous verrions au moins en ce jour
Notre peine adoucie,
Si je pouvais dans cette tour
Lui tenir compagnie.
airvide
Quel sort étrange
D’avoir plus d’un amant !
Cela dérange
Terriblement.
C’est un amusement
Lorsque par goût on change,
Mais quand on n’en veut qu’un,
L’autre est bien importun.
Scène xiii
zoroastre, zoraïde, thisbé
zoroastre
Air : Quand pour la pomme
Séchez vos larmes,
Vous avez mon secours ;
De vos alarmes
Je viens finir le cours.
De cette demeure
Pyrame sortira
En moins d’un quart d’heure.
Admirez ce tour-là !
Air : Passant sur le Pont-Neuf
Esprits qui dans les airs allumez le tonnerre
Et vous qui demeurez au centre de la terre,
Tirez de peine
Un héros qu’on tient à la chaîne
Mais prenez pour danser une figure humaine.
Scène xiv
zoroastre, zoraïde, thisbé, pyrame à la fenêtre
Les Esprits sortent de terre très lentement.
pyrame
Air : Sur le haut de la montagne
Ah ! Que de cérémonie !
Comme ils viennent pesamment !
À votre sorcellerie
On obéit lentement.
Montez gaiement
Car je m’ennuie,
Montez gaiement
Sans compliment.
Les Gnomes font une danse en se tenant les mains.
Air : Les filles de Nanterre
Quelle nouvelle escrime !
Pourquoi vous tirailler ?
Ah ! Cette pantomime
Va me faire bâiller.
zoroastre, alternativement avec le Chœur
Air : Exaltons et chantons
Détruisons,
Renversons
Cette vieille architecture ;
Détruisons,
Renversons
Et ces tours et ces prisons !
pyrame
Air : Menuet de Grandval
Vous m’allez réduire en poussière
Si vous jetez la tour en bas,
Et puis il faut une heure entière
Pour ramasser tous les gravats.
chœur
Enlevons,
Emportons
Cette vieille architecture ;
Enlevons,
Emportons
Et ces tours et ces prisons.
Les Esprits emportent la tour et Pyrame se trouve en liberté.
Scène xv
\emph les acteurs précédents
pyrame
Air : Ne m’entendez-vous pas
Quoi, bergère, c’est vous ?
Thisbé
Quoi, c’est vous ?
ensemble, ensemble
C’est moi-même.
pyrame
Je revois ce que j’aime.
Thisbé
Ah ! Que mon sort est doux.
ensemble, ensemble
Quoi ! Bergère, c’est vous ?
Quoi ! Pyrame, c’est vous ?
pyrame
Air : Vous chiffonnez mon falbala
Ne perdons pas un seul moment,
Je suis mort si l’on me reprend.
Mais pour en agir prudemment
Sans bruit et sans lumière,
Il faut nous trouver nuitamment
Au bout du cimetière.
Thisbé
Air : Un abbé dans un coin
Je n’y saurais aller
Sans trembler,
Je n’y saurais aller.
S’il faut prendre la fuite,
Daignez nous protéger,
On peut à votre suite
Marcher sans nul danger.
zoroastre
Air : C’est lui qui fait
Un trait paraît trop ordinaire
Quand il vient naturellement.
Il faut être un peu moins sévère
En faveur d’un beau dénouement.
Si l’on voulait toujours bien faire,
On ne ferait rien de charmant.
Scène xvi
zoroastre, zoraïde
zoroastre
Air : J’étais, j’étais malade d’amour
Console-toi, c’est le plus court,
Ne sois plus affligée.
Zoraïde
Oui, la fierté reprend son tour
Lorsque l’on est vengée.
J’étais, j’étais malade d’amour
Mais j’en suis soulagée.
Duo
zoroastre et zoraïde, ensemble
Démons, lutins, follets et farfadets,
Esprits vengeurs dont la malice est grande,
Ninus nous brave, on vous le recommande,
À l’agacer tenez-vous toujours prêts.
Que les plus puissants obstacles
Le traversent dans ses vœux,
Qu’il bâille à tous les spectacles,
Qu’il soit dupe à tous les jeux !
Qu’il ait toujours vent contraire
Lorsqu’il veut entrer au port,
Que le cauchemar le serre
Toute la nuit quand il dort !
\scene[Le théâtre représente un bois.] thisbé
seule
Thisbé
Air : Rossignolet du vert bocage
Amour, que ton flambeau me guide
En ce moment,
Conduis une fille timide
Vers son amant.
Air : Y avance, avance, avance
Pyrame, eh ! Quoi, tu ne viens pas ?
Qui peut te retenir, hélas !
Satisfais mon impatience,
Avance, avance, avance,
Car j’ai besoin de ta présence.
Air : Est-ce ainsi qu’on prend les belles
Les amants vraiment fidèles
Doivent devancer nos pas,
L’amour leur prête ses ailes,
Cependant tu ne viens pas.
Est-ce ainsi qu’on prend les belles
Lon, lan, la,
Ô gué, lan, la ?
Air : Rossignolet [du vert bocage]
Amour, que ton flambeau me guide
En ce moment,
Conduis une fille timide
Vers son amant.
chœur, derrière le théâtre
airvide
Fuyons, fuyons ce gros goulu,
Quelle faim diabolique !
Thisbé
Air : La nuit, dans les bras du sommeil
Quel bruit affreux ai-je entendu ?
D’où vient cette terreur panique ?
Où court tout ce peuple éperdu
En poussant des cris en musique ?
Le monstre est près de ces lieux,
Sauvez Pyrame, justes Dieux !
chœur, derrière le théâtre
Fuyons, fuyons ce gros goulu
Quelle faim diabolique !
Scène xvii
pyrame, le monstre
pyrame
Air : Il est pris
Ah ! Quel monstre en fureur !bis
Il m’attend au passage,
Courons, courons, évitons sa rage.
Il m’attend au passage,
Pour un homme de cœur
J’ai grand’peur.
Air : Ali, alau
Hélas ! Comment pourrais-je faire ?
Si je fuis, il va m’avaler.
Il vaut mieux se mettre en colère
Quand on ne peut plus reculer.
Mais combattons en habile homme,
Et surprenons-le adroitement
Ali, alau !bis
En quatre coups je vous l’assomme,
Relan tanplan, tambour battant.
Air : Le vent soufflait
Thisbé, Thisbé
Qu’êtes-vous devenue ?
Thisbé, Thisbé,
Offrez-vous à ma vue !
À force de crier
Thisbé, je m’en vais m’enrouer.
Air : Ramplon
Personne ne répond,
Ramplon
Personne ne répond,
Hélas ! Ninus peut-être,
Ramplan, pataplan, ramplan, pataplon,
Hélas ! Ninus peut-être,
Me croque ce tendron,
Ramplon.
Air : Dans les gardes françaises
Son cœur tendre et fidèle
Ne m’aura point quitté,
Pour retrouver ma belle
Cherchons de tout côté.
Quelle rencontre affreuse !
Dieux, quel terrible objet !
C’est sa respectueuse
Et son cabriolet.
Air : Margot sur la brune
Thisbé sur la brune,
Pour attendre fortune,
Thisbé sur la brune,
Jamais ne reviendra.
Mais son Pyrame
Par cette lame
Toute sa flamme
Lui prouvera
En mourant comme à l’opéra.
Il se tue.
Scène xviii
thisbé, pyrame
Thisbé
Air : Le beau Tircis
Tout me paraît assez tranquille,
Marchons sans peur,
Le monstre est loin de cet asile,
Par grand bonheur.
Mais quel pouvoir nous en dégage ?
Le voilà mort.
C’est mon amant dont le courage
A pris l’essor.
Air : Confiteor
Ciel quel objet frappe mes yeux !
Pyrame ?
pyrame
Quelle voix m’appelle ?
Thisbé, c’est vous ? Sort rigoureux !
Thisbé
Ô Ciel ! Quelle main criminelle ?
pyrame
Je suis venu trop tard tantôt
Et je me suis tué trop tôt.
Thisbé
Air : Or écoutez, petits [et grands]
Eh ! Comment cela s’est-il fait ?
pyrame
Voyant votre cabriolet
J’ai jugé que vous étiez morte
Et me suis frappé de la sorte,
Mais j’ai différé d’expirer
Afin de vous tout déclarer.
Air : Le roi [est] là-haut sur ses ponts
À présent que tout est compté,
Je puis partir en liberté.
Vit-on jamais de tels malheurs ?
Consolez-vous, bonsoir, je meurs.
Thisbé
Air : Carillon de Vendôme
Il est mort,bis
Pyrame n’est plus qu’un corps
Sans âme.bis
Scène xix
ninus, thisbé, pyrame
ninus
Air : Sois complaisant, [affable et débonnaire]
De mon rival, je veux que l’on s’assure.
Thisbé
Il ne vit plus, vois sa triste aventure.
ninus
Bon,
J’en suis fâché, je vous jure,
C’était un joli garçon.
Thisbé
Air : Si vous voulez que je [vous baise]
Pitié qui ne peut me séduire,
Ne l’espère pas aujourd’hui.
Mon amant n’aura rien à dire,
S’il meurt pour moi, je meurs pour lui.
Elle se tue auprès de Pyrame.
Scène xx
zoroastre, zoraïde, ninus, pyrame, thisbé
zoroastre
Air : J’en trouverai
De ma victoire
Couvert de gloire
Pour te braver
Je reviens te trouver.
C’est la magie
Qui t’humilie,
Thisbé s’enfuit
Et Pyrame la suit.
Tout réussit
Selon mon envie,
Tout réussit
Quand je l’ai prédit.
ninus
Vos soins généreux
Pour ces malheureux
Ont fait tout au mieux :
Les voilà morts tous deux.
zoroastre
Cet événement
Est bien surprenant,
Il n’est nullement
De mon consentement.
ninus
Tout réussit
Selon son envie,
Tout réussit
Quand il l’a prédit.
zoroastre
Air : Qu’avez-vous, Prince
Oh ! Je ne suis pas à bout !
Nous avons remède à tout.
Par un trait si lamentable
C’est bien tristement finir,
Mais je suis encor capable
De les faire revenir.
Air : Mes enfants, après la pluie
Reprenez tous deux la vie,
Mon pouvoir vous rend au jour.
pyrame et thisbé, ensemble
Rendons grâce à la magie
Qui couronne notre amour.
Allons, marions-nous,
Notre douleur est finie,
Allons, marions-nous
À la barbe des jaloux.
ninus
Air : Soucis autrefois
Je veux que Thisbé soit à moi.
zoroastre
Le monstre est là, je le ranime.
pyrame et thisbé, ensemble
Non, non, vous nous glacez d’effroi.
pyrame
J’en serais encor la victime.
À vos amis il fait du mal,
Votre monstre est un animal
Qui s’est conduit comme une bête.
ninus
Je reprends donc mes premiers feux
Et vais vous donner une fête
Puisque je ne puis faire mieux.
definitacteur, Chœur de tous les acteurs chœuracteurs
chœuracteurs
Qu’un double hymen nous unisse !
L’amour comble nos désirs,
Que tout s’unisse
Pour nos plaisirs !
zoroastre
Pour que la fête soit belle
Faites un choix heureux.
Prenez des vers bien vieux,
De la musique nouvelle.
chœur
Que l’on chante toujours gaiement,
Que l’on danse légèrement,
Le spectacle sera charmant !
Fin