Bagare

Auteurs : Mague de St-Aubin (Jacques)
Parodie de : Tarare de Beaumarchais et Salieri
Date: 31 juillet 1787
Représentations : 31 juillet 1787 Théâtre de l'Ambigu-Comique
5 septembre 1787
Source : Paris, Guillot, 1787
Jacques Mague de Saint-Aubin

Bagarre


Parodie de Tarare, comédie en deux actes, en prose, mêlée de vaudevilles
Représentée à Paris
le 31 juillet 1787 et pour la dix-neuvième fois le 5 septembre suivant
Astracan, chez l’auteur, 1787 / Paris, Guillot, 1787
definitacteur, esprit-bleu espritbleu
definitacteur, sans-façon sansfacon
definitacteur, tire-lire tirelire
Ce qui ne vaut pas la peine d’être dit, on le chante.
\emph Barb. de Sev., scène II

Acteurs


Ture-Lure, mère de Batar
Esprit-Bleu, père de Batar. [Le père et la mère sont] tous deux forts âgés, réputés dans l’enfance, et en costume d’enfants.
Batar, leur fils, seigneur du village, grand chasseur, ivrogne et mauvais sujet
Bagare, frère de Batar, caporal d’infanterie
Fantaisie, paysanne, amante de Bagare
Haquenée, diseuse de bonne aventure
Matamor, fils d’Haquenée, garde-chasse de Batar
Finette, femme de charge, femme de Macaroni
Macaroni, ci-devant charlatan, devenu valet de chambre de Batar
Sans-Façon, garde-chasse
Tire-Lire, petit filou, enrôlé par les bohémiens de la bande d’Haquenée
Le Greffier du village et le Procureur fiscal
Bohémiens
Gardes-chasse
Valets
Un aveugle jouant du violon
Paysans
La scène se passe dans une avenue, devant le château de Batar.

Bagarre


Acte i


Scène i

Turelure, Esprit-bleu en costume de l’enfance

Tandis que l’ouverture se joue, la toile se lève. Ils sont en scène, jouent à des jeux d’enfants, sont entourés de poupées, et font des châteaux de cartes.
turelure

Air : Robin turelure lure

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Informations sur cet air

Mon ami, quittons ce jeu,
Car, outre qu’il nous ennuie,
Tu vois, mon cher Esprit-bleu,
Que le vent nous contrarie.
espritbleu
non, je ne veux pas, morbleu !
turelure
Turelure,
Se plait dans la bigarrure.
espritbleu
Robin turelure lure !

Savez-vous bien, ma chère femme, qu’on nous prendra tout-à-fait pour des enfants ?


turelure

Eh bien ! voyez le gros malheur ! Ne sommes-nous pas convenus de profiter de notre grand âge pour nous débarrasser des occupations sérieuses, en affectant l’imbécilité ? Notre fils, ce coquin de Batar, ne demande pas mieux. Il fait à son aise toutes les sottises qui lui passent par la tête. Quand nous le gênions par de sages remontrances, il nous le rendait bien par ses brutalités. À présent qu’il nous voit tombés dans l’enfance, et que par dérision il nous en fait porter le costume, nous sommes tranquilles, rien ne nous inquiète, et nous pouvons nous égayer à mille bagatelles qu’on ne nous pardonnerait pas si l’on nous supposait encore de la raison.


espritbleu

Mais, croyez-vous qu’il soit bien décent de voir un père et une mère, dont l’âge seul devrait inspirer le respect, se livrer à des puérilités, servir de risée à la populace, et abandonner leur fils à tous ses penchants dérêglés ?


turelure

Eh ! laissez donc, Esprit-bleu. Si la nature et les génies producteurs se permettent de faire des scélérats, par manière de passe-temps, et pour s’amuser aux dépens de la Eh ! laissez donc, Esprit-bleu. Si la nature et les génies producteurs se permettent de faire des scélérats, par manière de passe-temps, et pour s’amuser aux dépens de la \emph risible espèce humaine, devons-nous être plus parfaits ?, devons-nous être plus parfaits ?


espritbleu

Qui peut supposer pareille extravagance ?


turelure

Oh ! qui, qui ? quelqu’un qui en sait plus long que vous et moi.


Air : Tarare pompon

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Informations sur cet air

C’est un génie actif,
Un esprit neuf et rare,
Expressif, inventif,
Sur aucun point fautif,
Qui jamais ne s’égare,
Qui ferait la leçon
À Molière...
espritbleu
Tarare
Pompon.
Elle lui fait des niches enfantines, et lui présente des poupées.
turelure

Allons, allons, point d’honneur, viens jouer à l’accouchée, et puis nos enfants que voilà grandiront. Dans une demi-heure, ils auront quarante ans, ils seront des hommes faits, et nous les marierons. Oh ! va, nous nous amuserons bien.


espritbleu

C’en est trop, laissez-moi, je suis las de déraisonner.


turelure

Tant pis pour toi. Si tu t’avises de parler raison, on dira que tu radotes. Moi, on me trouve charmante depuis que je n’ai pas le sens commun, et je veux que tu partages mes sottises et mon triomphe.


espritbleu

Et moi, je ne veux pas, Mademoiselle.


turelure

Et moi, je le veux, Monsieur. Là, ou bien je bouderai... Tiens, je vais te battre, je vais bouleverser tous tes joujoux.


Elle les disperse sur le théâtre.
espritbleu

Eh bien ! eh bien ! vois l’embarras que tu fais. À quoi ressemble ce désordre ?


turelure

Au chaos. C’est beau. On n’y connait rien. Vois-donc, que c’est drôle !


Scène ii

Les précédents, Batar, Macaroni

batar

Air : Ciel ! l’univers [va-t-il donc se dissoudre]


Que vois-je là ?
Quel est donc ce tapage ?
Morbleu, j’enrage...
Ami, range cela.
macaroni
Modérez votre colère,
Pouvez-vous ainsi parler
À votre père ?
espritbleu, à Batar
Je vais m’en aller.
batar
Sortez, et qu’en ce jour,
Dans ce séjour
Votre présence,
À ma vengeance
Laisse un libre court.
Turelure et Esprit-bleu sortent et emportent tout leur attirail.

Scène iii

Batar, Macaroni

macaroni

Savez-vous, Monsieur, que vous les menez lestement, quoiqu’ils soient vos père et mère ?


batar

Bon ! ce sont des machines.


macaroni

Mais enfin, vous leur avez des obligations.


batar

Et de quoi ? de m’avoir mis au monde ? C’était pour leur plaisir.


macaroni, à part

Et encore, ce n’est pas ce qu’ils ont fait de mieux.


batar

Que dis-tu ?


macaroni

Je dis... que l’on pourrait les traiter mieux.


batar

Et de quoi te mêles-tu ? Ne suis-je pas le maître ? Chacun à son tour. Leur temps est passé, c’est à moi de profiter du mien... Tiens, ne m’échauffes pas. Tu sais que je ne suis pas tendre. Songeons à ce que je t’ai dit. Je veux absolument jouer à mon frère un tour qui le fasse crever de chagrin.


macaroni

Mais que vous a fait ce pauvre diable ? N’est-il pas assez malheureux que vos parents l’aient déshérité pour vous donner tout, même de leur vivant ? Forcé de s’engager pour avoir du pain, il s’est bien comporté à son régiment. On l’a fait caporal, il obtient un semestre, vient ici dans l’espoir de se raccommoder avec vous, et d’en obtenir quelque douceur, et vous voulez encore lui faire du mal ! Ma foi, Monsieur, cela n’est pas beau.


batar

Je crois que tu veux te mêler de moraliser, malheureux charlatan ? Songe que je t’ai fait mon valet de chambre pour être mon complaisant, et non pour faire le pédagogue.


macaroni

Air : Vaudeville,

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Informations sur cet air

Mais enfin, ce pauvre Bagare
Se fait un plaisir d’obliger.
Sans lui, de trente coups de barre,
Hier on allait me charger.
À vous même, dans la mêlée,
Il sauva plus...
batar
Je le sais bien, mais,
D’un seigneur la tête fêlée,
N’y regarde pas de si près.bis

Ne vois-tu pas que son air hypocrite gagne les cœurs de tous les paysans, tandis qu’on ne peut pas me souffrir ? Et pour comble d’offense, une jeune paysanne a pu seule échapper à mes voluptueuses recherches. Monsieur s’en emmourache, et veut l’épouser. Non, morbleu ! je ne souffrirai pas qu’il me déshonore...


macaroni

Réduit au sort le plus humble, il ne peut porter ses vues plus haut. Il faut bien qu’il cherche une compagne dans la classe où la fortune l’a relégué.


batar

Eh bien ! qu’il l’épouse, mais ce ne sera qu’après que...


macaroni

Il en mourra !


batar

Tant mieux.


macaroni

Cela n’est pas tendre pour un frère, et votre cœur...


batar

Est tel qu’on me l’a fait. Ce n’est pas ma faute... encore un coup.


Air : Trembleurs

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Informations sur cet air

Ta morale m’importune,
Toi, dont j’ai fait la fortune.
Loin de servir ma rancune,
Comme un digne Figaro,
Tu soutiens mon adversaire
Et ta langue téméraire
Voudrait m’empêcher de faire
Briller un genre nouveau ?
macaroni

Les méchants tours ne sont pas de nouvelles inventions, et je ne vois pas qu’il soit fort nécessaire d’en multiplier les exemples.


batar

Fourreau ! tu me pousses à bout. Si j’avais mon fusil !


macaroni

Oh ! voilà votre grand mot. Vous ne parlez que de tuer. Je ne m’étonne pas si tout le monde dit que vous êtes un...


batar

Je te...


Scène iv

Les précédents, Matamor

batar

Ah ! te voilà, Matamor ! Quelle bonne nouvelle ?


matamor

Voulez-vous mon récit en vers ? un seul fera l’affaire.


batar

Il ne vaudrait tien. Tu sais que la poésie n’est pas ton fort... j’aime mieux ta prose.


matamor

Eh bien ! je la tiens.


batar

Fantaisie ?...


matamor

Oui.


batar

Je te fais mon premier garde-chasse... tu t’y es pris adroitement.


matamor

Ah ! je vous en réponds. Elle ne savait ce que cela voulait dire. Elle lavait du linge au ruisseau qui baigne les murs du parc. Je l’ai prise à travers du corps, et je l’ai tout d’une haleine portée dans le petit donjon, où on la fait rafraîchir.


batar

Macaroni ! fais pour demain les préparatifs d’une fête. Dis que l’on n’épargne rien à la cuisine. Je veux que ce soit comme une noce... et songe à m’obéir...


macaroni

Peste ! je n’ai garde. Et le fusil donc !


Scène v

Les précédents, Finette, des domestiques

Fantaisie est en désordre, elle court comme quelqu’un qui fuit. Les domestiquent l’arrêtent.
les domestiques

Air : Toujours seule, disait Nina


Oh ! c’est en vain que vous fuyez,
Rebelle Fantaisie.
Il faudra que vous consentiez
À la cérémonie.
La beauté languit au hameau,
Elle brille dans un château.
L’arrêt du sort,
Est le plus fort.
Elle fait des efforts pour s’échapper.
fantaisie
Ô trahison !
les domestiques
Laissez donc.
fantaisie
Non.
batar

Tenez-la bien, mais ne lui faites pas de mal.


fantaisie

Mais enfin, que me voulez-vous ? Pourquoi me retenir ici ?


finette

Pour les beaux yeux de Batar, qui a un caprice en votre faveur.


fantaisie

De Batar ! ce mauvais garnement ! ce tyran de ses vassaux !


batar

Tout doux, la belle, ne dites point de mal de votre amant.


fantaisie

Mon amant ! Ah ! que je le détesterais s’il vous ressemblait ! Que dirait-il s’il savait...


batar

Bon ! bon ! avec de l’argent, nous lui ferons entendre raison. C’est la mode.


fantaisie

Air : Ce fut par la faute du sort


N’est-ce donc que par des forfaits,
par la vengeance et l’infamie,
Que tu reconnais les bienfaits
D’un homme à qui tu dois la vie ?
Ô dieux ! dont l’immense pouvoir
Peut anéantir le parjure,
Faites qu’il rentre en son devoir,
Ou vengez-moi de cette injure.
Elle tombe évanouie, après avoir fait beaucoup d’efforts pour fuir.
macaroni

Quelle vertu farouche ! On ne voit pas de ces scènes-là à Paris.


un domestique, à Batar

Monsieur, votre flacon, elle se trouve mal.


batar, lui donnant un soufflet

De quoi te mêles-tu ? Aux femmes. Faites-la revenir promptement, sinon...


Il les bat tous.
macaroni

Gare le fusil ! il a le diable au corps !


fantaisie

Quel bruit ! quel horrible vacarme !


batar

Ce n’est rien, mon cœur, je les encourageais à vous soigner.


fantaisie

Dieux ! le vilain brutal !


Elle retombe.
batar

Qu’on la porte sur un lit, et que tout le monde soit aux ordres de Mimi, c’est le nom que je lui donne. Il me rappelle une fille charmante, presque aussi jolie qu’elle, mais plus docile.


On emporte Fantaisie.

Scène vi

Batar, Macaroni, Matamor, Finette

finette

Voulez-vous, Monsieur, que j’aille auprès d’elle ? Mes soins ne vous seront peut-être pas infructueux. Je sais réduire un jeune cœur entiché de scrupules, et je me flatte d’y réussir aussi bien que mon cher époux.


macaroni, à part, à Finette

Pourquoi te charger de tout cela ?


batar, à Finette

Va ! Finette, je saurai te récompenser.


Macaroni et Finette sortent en parlant vivement.

Scène vii

Batar, Matamor, Sans-Façon

sansfacon

Ah ! Monsieur, ce pauvre Bagare...


batar

Ne m’en parle pas... Eh bien ! Bagare ! après ?


sansfacon

Il se désole, tout le village le plaint, et crie justice.


batar

Je ne veux pas le voir... Fais-le venir... Sans-Façon sort. Je ne sais trop ce que je veux, mais c’est mon caractère...


Scène viii

Les précédents, Bagare

batar

Que me veux-tu, mon cher ami ?


bagare

Je viens vous demander justice. Une fille charmante et que je voulais épouser vient d’être enlevée, et l’on a volé mon linge qu’elle blanchissait au ruisseau.


batar, à part

Faisons encore un tour digne de moi.Haut. Je te plains, mon cher, et pour te dédommager, je te donne toute meublée la petite maison qui est au bout de mon parc, j’y joins mille écus de pension.


matamor, bas

Y pensez-vous ?


batar, bas

Laisse-donc, je lui garde autre chose.


bagare

Mon frère, vos dons me sont chers, mais Fantaisie...


batar

Quelle Fantaisie ?


matamor

C’est apparemment quelque petite malheureuse pour qui il en tient.


bagare

Une petite malheureuse ! ah !


Air : Non, non, Doris


De ma bergère la beauté
Va de pair avec la sagesse.
Est-il de pure volupté
Sans la tendre délicatesse ?
Le doux charme de la vertu
Élève et console notre âme.
Plus d’un héros à combattu
Pour plaire à l’objet de sa flamme.bis

Et moi, j’ai perdu tout espoir d’être heureux.


Il pleure.
batar

Quoi ! tu pleures pour une femme ? Un militaire ! Allons donc, te voilà riche, tu ne manqueras pas de consolations.


bagare

Mon frère !


batar

Un homme intrépide comme toi, pleurer ! Je n’en reviens pas.


bagare

Je ne vous demande que deux de vos gardes-chasse, pour m’aider à faire des poursuites qui...


Scène ix

Les précédents, Macaroni, domestiques

batar

Eh bien ! Mimi comment va-t-elle ?


macaroni

Ah ! Monsieur !


batar

Quoi donc ?


macaroni

Hélas !


batar

Achève !...


macaroni

Elle se porte bien.


batar

Mimi est revenue !


macaroni

Oui, Monsieur, Fan...Batar lui fait un signe. sans autre accident.


batar

Ah !... à la bonne heure.


bagare

Mon frère ! C’est sans doute quelque beauté dont vous êtes épris. Jugez de mon cœur par le votre, et soyez sensible à mon malheur.


batar

Tu as donc bien du chagrin ?


bagare

Je perds la tête.


macaroni, à part

C’est une maladie de famille.


batar

Eh bien ! Je te donne Mimi pour te consoler.


matamor

Quoi !


batar

Paix donc ! il n’en voudra pas.


bagare, qui a entendu les derniers mots

Vous lisez dans mon cœur, non, je ne forme de vœux que pour ma Fantaisie. Puisse celle que vous aimez vous rendre heureux ! Je vous laisse.


macaroni, à part

Le pauvre diable ne sait pas la conséquence de ce qu’il dit.


batar

Je suis content. Matamor ! prends un garde avec toi, et je vous ordonne de faire avec Bagare toutes les recherches nécessaires pour qu’il retrouve sa maîtresse. À part, à Matamor. Tâche de l’engager dans quelque mauvaise affaire dont il ne puisse pas se tirer.


bagare

Partons. SI le ravisseur tombe sous ma main, il sentira ce que pèse mon bras.


batar, bas à Matamor

Tu l’entends ? cela te touche de près.


matamor

Vous y êtes bien pour quelque chose, mais, laissez-moi faire.


macaroni, à part

Le voilà entre les mains de bien honnêtes gens !


batar

Heim !


macaroni

Je dis, que vous êtes, en vérité, la fleur des honnêtes gens. À part. Il me fait pitié, je cours l’avertir.


Ils sortent.

Scène x

Batar seul

batar

Air :


En dépit de la nature,
Dont je brave tous les droits,
Je vais par cette imposture
Couronner mes beaux exploits.
Et si j’outre la mesure
D’un naturel vicieux,
Qu’on en accuse les dieux.bis

Scène xi

Sans-Façon, Batar, Haquenée

sansfacon

Monsieur, la bohémienne Haquenée demande à vous parler.


batar

Qu’elle vienne, c’est le bon moment... Je ne suis en belle humeur que quand j’ai fait un mauvais coup.


haquenée

Je viens vous avertir qu’il y a dans le village une émeute terrible. Vous savez que c’est dimanche que les paysans s’assemblent pour tirer l’oiseau, et la nomination de celui qui doit jouer le rôle d’officier cause une grande fermentation.


batar

Que m’importe à moi ? qu’ils s’arrangent.


haquenée

Oui, mais les esprits s’échauffent, il pourrait en résulter des rixes, des coups, du sang répandu, et vous devriez y mettre ordre, et punir les mutins.


batar

Et, dis-moi, vieille sorcière, quel mal y a-t-il à cela ? Laissons-les battre.


haquenée

Non, il faut commencer par en faire mettre une douzaine en prison, pour l’exemple.


batar

Quelle rage te prend de vouloir punir les gens avant qu’ils soient coupables ?


haquenée

Mais, à mon tour, quel caprice vous tient de vouloir jouer la bonté et la justice ? Nous nous connaissons, et nous savons bien, entre vous et moi, que nous ne valons pas grand chose. À quoi bon débiter de la morale ? Nous n’y entendons rien. Il y a longtemps que nous nous servons mutuellement, ne détruisons pas nos intérêts.


batar

Qu’ont-ils de commun ?


haquenée

Air : Un mouvement de curiosité


Jusqu’à présent, j’ai par de faux miracles
De vos projets servi l’atrocité.
Et j’ai toujours suivi dans mes oracles
Le sentiment que vous m’avez dicté.
À mes projets ne mettez point d’obstacles,
Et modérez votre vivacité.

Vous savez l’empire que j’ai sur l’esprit des villageois. Dans combien d’occasion ne les ai-je pas empêchés de se soulever contre vous, et de vous faire un mauvais parti ! S’ils ont à leur tête un homme qui vous en veuille, je ne réponds plus de rien, et toutes mes prédictions et mes simagrées ne vous sauveront pas. Concertons-nous donc ensemble, et ne laissons pas éventer notre secret.


batar

Ne dirait-on pas que les droits d’un seigneur tiennent au caprice d’une diseuse de bonne aventure ? Tu raisonnes comme un coquin de Brame.


haquenée

Et vous, comme un Roi d’Ormus... Allons, ne nous fâchons pas. Qui nommez-vous ?


batar

Matamor.


haquenée

Mon fils ?


batar

Il me rend des services dont je veux le récompenser.


haquenée

Je vous en remercie, mais le village voulait Bagare.


batar

Tarare ! Bagare est mal dans ses affaires, va, mon enfant.


haquenée

Comment donc ?


batar

Peut-être est-il déjà assommé.


haquenée

Diantre ! mais, prenez garde, il est aimé, et si l’on vient à savoir que vous trempiez là-dedans, vous n’aurez pas grand monde pour vous, et, tout seigneur que vous êtes, la justice pourrait bien...


batar

Laisse donc. Je m’y suis pris de manière à ne pas même donner de soupçons.


Air : Sous le nom de l’amitié


Comme un solide soutien
Regardant ma promesse,
Il cherche sa maîtresse,
Et son vengeur est le mien.
Trompé par mon adresse,
Il a reçu mon bien,
Comme un sot,bis
Comme un solide soutien.

Tâche que le choix de l’officier se fasse par la voix du sort, et arrange cela de manière que nous ayons toujours raison.


Il sort.

Scène xii

Haquenée seule

haquenée

Tu en sais long, mais pas tant que moi. Mettons toujours le village dans mes intérêts. Batar m’a confié trop de choses pour ne pas me craindre. Je vais faire en sorte de ménager les autres, sans me brouiller avec lui. Que fait-on ? mon fils pourrait bien... enfin ! quand... suffit.


Elle sort.

Scène xiii

Bagare seul

bagare

Que veut dire Macaroni ? Il me marque par ce billet qu’il a quelque chose à me communiquer au sujet de Fantaisie... qu’il ne peut me voir qu’en cachette... que... que veut dire Macaroni ?


Scène xiv

Macaroni, Bagare

macaroni, en femme

Bagare, je vous cherche, un mot.


bagare

Quelle mascarade !


macaroni

Ne plaisantons pas. Fripon par caractère, j’ai d’heureux instants. Je vous ai pris en amitié, d’ailleurs, je vous ai des obligations. Je vous préviens (mais n’allez pas me compromettre) que votre Fantaisie est dans ce château, et que le ravisseur est Matamor, qui l’a enlevée par l’ordre de votre frère.


bagare

Les lâches ! les coquins ! les scélérats ! les monstres !


macaroni

Paix donc ! Si vous vous sentez assez de force pour traverser à la nage les fossés du château, elle est dans l’appartement à droite, et je vous aiderai à... on vient, je me sauve.


Ils sortent.

Scène xv

Haquenée, des bohémiens, Tire-Lire, petit mendiant

haquenée

Camarades, il y a un bon coup à faire. Vous savez que notre race proscrite n’a part à aucune dignité civile. Le village est en combustion pour nommer un chef de milice rustique, il faut qu’un billet tiré comme au hasard fasse tomber le choix sur Matamor, et que, pour éviter l’air de connivence, un enfant soit l’organe du sort.


un bohémien

Nous avons enrôlé un petit espiègle qui fera notre affaire. Viens, Tire-Lire.


haquenée

Avance, mon enfant. Heureux fripon ! tu vas débuter par un coup, dont le plus adroit coquin se ferait honneur. Écoute-moi bien.


tirelire

Oh ! je ne suis pas sot. Ce n’est pas d’aujourd’hui que je travaille à la presse.


haquenée, durement

Fi donc ! veux-tu compromettre des gens d’honneur comme nous ?


tirelire, veut se sauver

Oh ! si vous me grondez, je m’en vais. Votre mine me fait peur.


haquenée

Non, non, reste, mon ami. Souviens-toi seulement de tirer le billet noir pour Matamor. Je te soufflerai.


tirelire

Cela vaut fait.


haquenée

À la bonne heure ! Je pourrais dire qu’un enfant docile est comme une abeille... Mais nous clochons assez dans notre conduite, sans clocher encore par les comparaisons. Voici les gens du village, songeons à nous.


Scène xvi

Les précédents, Batar, Matamor, Bagare, Sans-Façon, paysans, etc.

Batar se place sur un banc de gazon.
haquenée, d’un ton imposant

Vous êtes inquiets, mes enfants, sur le choix de l’homme qui doit vous commander pour votre arquebuse, n’est-ce pas ?


les paysans

Air : Allons, vite, prenez le patron


C’est pour cela que nous accourons.
Prononcez et nous obéirons.
C’est pour cela que nous accourons.
Et sur vos conseils nous feront
Fonds.
haquenée

Vous jurez donc tous de m’obéir ?


chœur
C’est notre désir,
Notre plaisir,
Daignez choisir.
haquenée

Non, Messieurs, je ne choisirai pas.


chœur
Finissez, hélas !
Cet embarras,
Et ce fracas.
haquenée
Modérez ce turbulent transport.
D’un mot, je vais vous mettre d’accord.
Modérez ce turbulent transport.
On n’a point en suivant le sort,
Tort.

Il faut donc que ce soit lui qui décide. Voilà plusieurs billets blancs, et un noir. Cet enfant, pur comme un acte d’opéra, va les mêler, les brouiller, les tirer, et celui dont le nom viendra avec le billet noir, sera votre chef. À Tire-Lire. Allons, jeune innocent, faites votre devoir, et ne vous trompez pas.


On met les noms dans une corbeille, les billets dans une autre, et l’enfant prenant un billet de chaque main, crie : \og Bagare !\fg . Tout les paysans se mettent à danser en rond, et chantent.

Air : Marlb’roug

Voir la partition
Informations sur cet air

Vive, vive Bagare !
matamor
Paix donc là ! quel chien de tintamarre !
chœur
Vive, vive Bagare,
Au diable Matamor.
haquenée, à Tire-Lire
Tu te trompes, butor !
tirelire, montrant les deux billets
Eh non ! voyez encor.
chœur
Vive, vive Bagare !
matamor
De mon cœur quelle fureur s’empare ?
chœur
Vive, vive Bagare,
Au diable Matamor.
batar, en colère

Bagare tant qu’il vous plaira. Il n’a pas le temps. Je sais qu’une affaire personnelle l’occupe trop pour qu’il s’amuse à votre fête.


chœur

Tarare !


Reprenant le refrain.
Bagare, allons, Bagare !
Au diable Matamor.
bagare, à Batar

Soyez tranquille, je trouverai du temps pour tout.


Air : Vaudeville,

Voir la partition
Informations sur cet air

Je n’avais qu’une Fantaisie,
Dont je suivais la douce loi,
Un scélérat me l’a ravie.
chœur
Ce n’est pas moi, ce n’est pas moi.
bagare
Amis, vous êtes trop honnêtes
Pour vous charger d’un tel emploi.
Mais de porter la mort et l’effroi
Chez ce malheureux trouble-fête,
Qui l’osera prendre sur soi ?
chœur
C’est moi, c’est moi, c’est moi, c’est moi.bis
batar

Corbleu ! C’en est trop, ce drôle-là soulèvera tous mes habitants !


matamor

Cela me regarde autant que vous. Laissez-moi faire, et ne vous en mêlez pas. À Bagare. Savez-vous que les émeutes sont défendues ?


bagare

Il te sied bien, escamoteur ignorant, de me parler sur ce ton ! Oublies-tu que ta mère n’est qu’une vile bohémienne, et que je suis le frère de ton maître ? Beau sujet vraiment pour commander une milice ! Que sais-tu faire ? tuer des lièvres, ou leur faire peur ? Moi, je connais les manœuvres militaires, et tandis que tu ronflais dans un fossé, j’apprenais à manier le fusil et la baïonnette.


matamor, lui mettant le poing sous le nez

Je ne sais qui me retient !...


bagare, le renversant d’un coup de poing

Vas-donc, manant. Je te conseille de faire le rodomont avec moi ! Je te ferai mourir sous le bâton.


matamor, se relevant

Oh ! je dis... nous verrons.


Il va pour lui sauter aux cheveux.
haquenée, le retenant

Mon fils, il va te rosser.


matamor

Laissez-moi ! je veux lui arracher les yeux.


bagare

Prends garde à toi ! Qui menace a peur. Je ne crie pas, moi, mais si je te prends...


Haquenée va pour se jeter sur Bagare, qui, écartant les bras, la fait tomber d’un côté, et Matamor de l’autre, tous deux assis.
batar

Allons, finissons. Je crois qu’il est temps que je parle.


bagare, à Matamor

Je te retrouverai toujours... À Macaroni. À ce soir, n’est-ce pas ? \did À Batar. Vous voyez comme je suis obéissant ?


batar, lui donnant une cocarde

C’est bon ! c’est bon !


chœur, marchant sur l’air du pas double d’infanterie
En dépit de son cœur jaloux,
De son humeur bizarre,
Il faut que Batar file doux.
Il redoute Bagare,
Qui pour couronner ses exploits
Et sa noble prouesse,
S’en va sur un oiseau de bois
Exercer son adresse.
finacte

Acte ii


Scène i

Macaroni, Batar, Sans-Façon, domestiques

Il est nuit.
macaroni, aux domestiques, voyant une table et les préparatifs d’un grand souper

Qui vous a dit de mettre ici la table ?


batar

C’est moi.


macaroni

C’est différent, mais pourquoi tous ces apprêts ?


batar

Ne t’ai-je pas dit que je voulais un repas de noces ?


macaroni

Oui, pour demain.


batar

Si je le veux tout de suite, moi ? Ne suis-je pas le maître ?


macaroni

J’avais envoyé demander des violons à la ville.


batar

Bah ! bah ! un tambourin, des chansons. Je n’aime que le bruit.


macaroni

Mais votre fête sera détestable si la musique n’en fait pas oublier le ridicule fracas.


batar

Fais-moi servir, et pas de réplique.


macaroni, s’en allant

Le sot homme avec ses idées folles !


Scène ii

Batar, Sans-Façon

batar

Tu dis donc que Bagare a éreinté Matamor ? Conte-moi cela en attendant le souper.


sansfacon

Bagare se promenait sur la place, moi, je buvais bouteille au cabaret avec un ce mes camarades. Matamor arrive, escorté de trois ou quatre bohémiens. Il s’approche de Bagare, et sans rien dire va pour lui donner un coup de bâton sur la tête. Votre frère esquive le coup, lui saisit le poignet d’une main, et de l’autre lui donne sur la face un horion si bien appliqué, que Matamor crache avec le sang la moitié de sa mâchoire. Il se dégage, relève sa canne. Son ennemi la lui arrache, la jette, et tirant son sabre, le lui met sur la gorge.


batar

Il l’a tué ?


sansfacon

Attendez donc. Matamor chancelle, tombe à la renverse. Bagare se jette sur lui, appuie un genou sur sa poitrine, et toujours la pointe au corps. Ah ! quel luron !


batar

Il l’enfonce ?


sansfacon

Au contraire, il le lâche en lui disant noblement : Vas, coquin, je suis ton maître, tu le vois, tu le sens, je pourrais t’achever. Mais un brave homme ne tue pas les gens à terre. Ramasse tes dents, et va te faire panser\fg .


batar

Matamor n’est donc pas tué ?


sansfacon

Pas autrement. Mais il est mort étouffé. Il ne respirait plus quand Bagare s’est retiré.


batar

Je le crois bien. C’est un diable que ce Bagare. Dans le fond, je ne m’embarrasse guère de Matamor : un homme comme moi ne s’occupe pas de ces misères-là. Je ne suis fâché que de n’avoir pas vu cela. Je me serais amusé un moment. C’est cette vielle sorcière d’Haquenée qui m’a privé de ce plaisir en les séparant. Voici le souper, ne parlons plus de cela, je vais songer à boire.


Sans-Façon sort.

Scène iii

Batar, Fantaisie mise en dame et fort triste, Finette, Macaroni, domestiques des deux sexes

batar, faisant asseoir Fantaisie

À coté de moi, petite méchante. À Macaroni. Eh bien ! Aurons-nous un bal ?


macaroni

Ma foi, Monsieur, il n’y a qu’un prince ou un enchanteur qui puissent être servis dès qu’ils ont désiré. Vous ne me donnez pas le temps. Personne n’est prévenu. Écoutez donc, ce n’est pas ici comme à l’Opéra où l’on voit en un quart d’heure ordonner, imaginer, apprendre et exécuter des fêtes, dont le plan seul suppose des journées de réflexions. Je n’ai qu’un aveugle qui racle du violon, et donc les chansons gaillardes pourront vous égayer.


batar

C’est excellent. Fais-le venir.


Macaroni fait un signe, et l’aveugle entre.
macaroni

Voilà un terrible contretemps pour Bagare ! À force d’incidents, on ne sait plus où l’on en est.


Scène iv

Les précédents, l’aveugle

definitacteur, l’aveugle laveugle
laveugle

Air : Maris, qui voulez fuir l’affront


Ce qui séduit un jeune cœur,
Ce n’est point la violence.
Cette asiatique fureur
Révolte et déplait en France.
Et le tendron surpris,
Pris
Avec rudesse,
À son brutal amant
Ment,
S’il le caresse.
finette

Votre chanson est fort déplacée. Venez-vous ici pour contrarier Monsieur ? Tenez, écoutez celle-ci.


Air : Mon enfant, et...,


Galants, qui courtisez les belles,
Sachez brusquer un doux moment.
laveugle
Amants, qui soupirez pour elles,
Espérez tout du sentiment.
finette
Du berger, du berger,
L’heure non saisie,
Fuit et s’envole sans retour.
laveugle
Sans retour pour la Fantaisie,
Mais elle renaît pour l’amour.
batar, à Macaroni

Que parle-t-il de Fantaisie ? Est-ce qu’il sait ?...


macaroni

C’est pour la rime. Ah dame ! en fait de vers, on s’en tire comme on peut.


batar

Effectivement, non saisie\fg , n’est pas trop lyrique.


macaroni

Bon ! cela se perd dans la foule.


finette

Eh ! Sans doute !


Air : On compterait les diamants


Dans le monde tout est au mieux.
Le bien, le mal, tout se balance,
Et si nos jeunes gens sont vieux,
Tous nos vieillards sont dans l’enfance.
laveugle

Eh bien ! Où allez-vous donc ? Vous vous écartez de votre sujet pour placer une épigramme que tout le monde sait par cœur ? Pour nous...


suitairprec
Tous occupés de nos besoins,
Enfants de la simple nature,
Nos tendre soins sont pour nos foins,
Et notre amour pour la pâture.bis
finette

Ah dieux ! quelles expressions grossières !


macaroni

Ce ne sont que des mots, on n’y prend pas garde, et puis... la musique...


finette

Air : Du serin qui te fait envie


Contre un galant l’amour échange
L’époux qui devient indolent.
De son côté l’époux se venge.
laveugle
Ce propos est trop insolent.
Chez nous l’active ménagère
Ne connait point de favori.
De ses fils chacun est le père,
Et de sa femme le mari.bis
finette

Ah ! en vérité, voilà une pensée bien neuve !


laveugle

Oh ! dame, voulez-vous que j’aie plus d’esprit que vous qui avec couru le monde ? Vous me donnez du vieux, je vous en donne à mon tour : nous somme quittes. Ce qu’on te fait, fais-lui. Vieux proverbe encore : c’est ma morale.


fantaisie

À propos, il est temps, je crois, de m’apercevoir que je suis ici... Ah ! mon amant ! où êtes-vous ?


Batar, qui jusqu’alors ne s’était point occupé d’elle, la regarde, fait un grand mouvement, et se retourne de même pour écouter la suite des chansons.
definitacteur, le chœur des valets chœurdesvalets
chœurdesvalets

Air : Travaillez, travaillez, bon tonnelier


Aux horreurs mêlons la gaité,
Sachons réunir les contraires.
En faveur de la nouveauté,
Les fautes semblent plus légères.
Malgré la raison en courroux,
Nous ferons encor des jaloux.
Chantons, dansons, sautons, faisons les fous,
Puisque Batar le trouve doux.
L’aveugle joue le même air, les valets se mettent à danser. Batar, qui a beaucoup bu pendant toute cette scène, se lève un peu ivre, et tourne autour des danseurs, qui le heurtent et le font chanceler.
\fantaisie[sur le ton de \fantaisie[sur le ton de \emph L’Amant jaloux]]

Hélas ! hélas !


batar, se ressouvenant qu’elle est là

Eh ! je n’y pensais plus. À ses gens. Saluez Mimi, c’est votre maîtresse, j’en ai fait ma femme.


Les domestiques la saluent, et reprennent les deux derniers vers.
Sautons, dansons, etc.
fantaisie

Hélas ! hélas ! Elle baille. Ah ! ah ! ah !


batar, à Finette

Qu’a-t-elle ?


finette

C’est qu’elle s’amuse.


Les valets veulent recommencer la danse. Batar se remet à sa place, et leur dit

C’est assez. Servez le fruit, et laissez-nous.


On sert le fruit, et tous les valets se retirent, excepté Finette, qui reste derrière Fantaisie, et Macaroni, que Batar appelle. L’aveugle, à qui Macaroni a donné une bouteille, se retire en tâtonnant, vers un arbre où il s’amuse à boire, sans s’occuper de ce qui se passe.
batar

Je suis content de toi, Macaroni ! Ton aveugle est un drôle de corps. Mais tu ne nous as rien dit, toi qui fais tant d’histoires... Raconte-nous tes aventures.


Et pour amuser mon amante,
Anime ton récit d’une gaité piquante.
macaroni, haut

Volontiers. À part. Si je pouvais l’endormir !


Air :


Je suis natif du pays andalous.
Mes chers parents qui n’étaient point époux
De m’élever se montraient peu jaloux.
Partout c’est assez la méthode.
J’avais encor à peine atteint six ans,
Je me fourrai parmi des charlatans,
Dont j’adoptai les subtils documents :
Chacun a son ton et sa mode.


Comme l’amour est de tous les états,
Je fus épris des factices appas
D’une Vénus aux brillants entrechats.
Partout c’est assez la méthode.
J’obtins dans peu le titre de mari,
Mais la Princesse avait un favori,
Qui plus que moi voulait être chéri :
Je me lassais d’être à la mode.


Je la plantais là sans dire bonsoir,
Et gagnais pays, portant en sautoir
Tout mon butin plié dans un mouchoir.
D’un bon frater\definition Frater Mot transporté du latin dans notre langue sans aucun changement, et dont on se sert pour dire garçon chirurgien \acad 1762 c’est la méthode.
Et dans Séville à de riches galants,
Faisant ma cour par mes souples talents,
Je m’attirais la foule des chalands\definition Chaland Il se dit de ceux qui achètent ordinairement chez un même marchand \acad 1762,
Et je devins l’homme à la mode.


Pour terminer, le comte Almaviva
En ma faveur d’un beau droit se priva,
Et l’accident que mon front esquiva
Me fit prendre une autre méthode.
Aussitôt que je me vis marié,
Quittant mon nom tant soit peu décrié,
Je vins chez vous comme un expatrié,
Aujourd’hui c’est assez la mode.
Apercevant Bagare, à part.

Jarnibleu ! le voilà l’étourdi !


D’un air embarrassé et avec adulation.
Tous deux au fait de vos graves secrets,
Ma femme prend soin de vos intérêts.
Vous nous payez en confidents discrets,
C’est une excellente méthode.
Mais je me ressens encore des coups
Que sur mon dos, aussi bien que sur vous,
A fait pleuvoir plus d’un mari jaloux
Qui ne veut pas être à la mode.

Et, ma foi, sans Bagare, c’était une terrible Bagare.


fantaisie, laissant tomber un verre qu’elle tient

Bagare !


batar, se relève furieux

De quoi diable t’avises-tu de prononcer ce nom-là ?


finette, à Macaroni

Imbécile !


batar

Je crois que ce coquin-là le fait exprès pour me faire enrager.


Il prend un flambeau pour le jeter à la tête de Macaroni, et renverse une carafe d’eau sur Fantaisie.
fantaisie

Ah ! ma belle robe ! ma belle robe !


Elle pleure.
batar

Ce n’est rien, allez changer.


Fantaisie rentre avec Finette dans le château, et Batar la suit. Comme il est pris de vin, il oublie sa tabatière, qui a roulé à terre pendant le débat. Des domestiques enlèvent promptement la table et les lumières.

Scène v

Macaroni, Bagare, l’aveugle endormi au pied d’un arbre

macaroni

Eh bien ! ne voilà-t-il pas encore une nouvelle Bagare ?


bagare

Qui m’appelle ?


macaroni

C’est moi, Macaroni.


bagare

À la bonne heure ! Je n’entends que mon nom partout. Je croyais être trahi, et j’allais te tuer en douceur pour commencer, car il est temps que je fasse quelque chose.


macaroni, le tâtant

Mais vous êtes bien sec pour avoir traversé les fossés à la nage !


bagare

Pas si sot ! J’ai aperçu de l’autre côté de la lumière par ici. J’ai fait le tour, les chiens ont un peu aboyé, mais cela n’a pas paru. Que je t’ai d’obligations ! J’ai entrevu ma chère Fantaisie.


macaroni

Oui, mais vous ne la tenez pas. Il aurait été plus adroit de votre part de vous glisser dans le château, et de vous y cacher dans quelque coin, à la faveur du tumulte et de l’obscurité. À présent, les portes sont fermées, et si votre frère s’avisait de sortir encore, et qu’il vous trouvât ici, hein ?... Attendez, chut ! Il va prendre la robe et la perruque de l’aveugle, qui dort profondément, et en revêt Bagare. Cela se trouve-là comme de cire\definition Comme de cire On dit d’un habit qui est fort juste à celui qui le porte qu’il lui vient comme de cire \acad 1762. Vous voilà aveugle, tenez-vous immobile, et attendez le moment.


bagare

Comment ! attendre ? Je n’ai que trop attendu, morbleu ! il est avec elle, et qui sait...


macaroni

Paix donc !


bagare, très haut

Quel diable ! tu me fais jouer là un très sot personnage, il faut que j’agisse à la fin.


Scène vi

Les précédent, Batar toujours un peu ivre

batar

Qui va là ?


macaroni, à part

Nous sommes perdus...Haut. C’est moi.


batar

À qui en as-tu de crier si haut ?


macaroni

C’est cet imbécile d’aveugle qui a bu un peu plus que de raison. Il ronflait comme une pédale d’orgue. Le bruit de tout à l’heure l’a réveillé, et il est comme fou.


batar

Cherche ma tabatière.


bagare, à Macaroni

Elle est de ce côté-là...


batar

Que dit-il ?


macaroni

Il dit qu’il l’a vue rouler par là.


batar

Cet aveugle a vu ?


macaroni

C’est-à-dire, entendu.


batar

Qu’il la cherche.


Bagare cherche la boite, en contrefaisant l’aveugle.

Sais-tu que je ne suis pas plus avancé que tantôt ? Je vais pour la suivre dans sa chambre, elle me ferme la porte au nez, et m’accable d’injures. Je n’en ai jamais vue de si farouche... J’ai vingt fois été tenté de la faire jeter par les fenêtres. Bagare remet la boite à Macaroni. Je suis d’une fureur... ma tabatière ?


macaroni

La voilà.


batar

Dis à l’aveugle de prendre son violon, et de me chanter quelque chose pour m’égayer... non... je vais me promener, je ne saurais dormir, je suis trop agité... Jarni ! dans la colère où je suis, si je tenais ce maudit Bagare, je lui ferais passer un mauvais quart d’heure. Car, enfin, c’est pour lui que cette petite fille me rebute. Macaroni ! il me vient une idée... que l’aveugle aille crier bien fort sous ses fenêtres que Bagare s’est battu, et qu’on l’a assommé. C’est fort adroit, n’est-ce pas ?


macaroni

Au contraire, vous l’irriterez plus que jamais, vous l’affligerez, vous la...


batar

Tu as raison... Macaroni ! en voilà une meilleure. Mène-le au château, que ta femme l’introduise, sans faire semblant de rien, dans la chambre de Fantaisie, et quand ils ne seront plus qu’eux deux, nous appellerons tous mes gens, et nous lui ferons une avanie épouvantable.


macaroni

Quoi ! vous voulez !...


batar

Ah ! pas tant de raisons. Fais sur le champ ce que je te commande, et fais en sorte que les apparences soient bien contre elle. Mets ce drôle au fait de ce qu’on exige de lui, et qu’il ne se gêne pas.


macaroni

Oh ! tout aveugle qu’il est, je m’en rapporte bien à lui.


batar

Je vais faire un tour d’avenue en attendant.


Il s’éloigne.
bagare

J’ai cru qu’il ne finirait pas. Cette chienne de perruque me fatigue ! Il la jette. Ah ! respirons !


batar, revenant

Dis-donc, Macaroni, elle sera bien sotte, hein, Macaroni ?


Il s’éloigne.
macaroni, embarrassé

Oh ! oui, oui, je vous en réponds.


batar, même jeu

Elle ne fera plus tant la fière, hein, Macaroni ?


macaroni

Bah ! elle n’osera plus.


batar, même jeu

Je veux qu’on chante le refrain de tantôt, hein, Macaroni ?


Chantons, dansons, sautons, faisons les fous.

Mène ton homme au cabaret pour l’instruire de ce qu’il doit faire.


macaroni

Oui, oui, oui.


Puisque Batar le trouve doux.
Ils sortent d’un côté, et Batar de l’autre.

Scène vii

Macaroni, Bagare dans le côté du théâtre, Fantaisie, Finette

fantaisie, toute échevelée

Non, non, je veux m’en aller. Je ne reste pas davantage, c’est inutile.


finette

Attendez du moins qu’il soit jour : où irez-vous à l’heure qu’il est ?


fantaisie

Que voulez-vous que j’attende dans cet horrible château ? exposée aux brutalités d’un ivrogne, d’un grossier ?...


Air : Ô, ma tendre musette


Se peut-il que Bagare
Ne pense plus à moi ?
Dans l’horreur qui m’égare,
À Finette.
Je n’ai recours qu’à toi.
Ah ! laisse-moi, ma chère,
Profiter de la nuit
Pour aller de mon père
Gagner l’humble réduit.
finette

Vous n’y pensez pas, mon enfant. Un homme riche veut vous épouser, et vous n’en voulez pas ? Que de filles lui céderaient la victoire à meilleur marché !


fantaisie

Ah ! si vous connaissiez Bagare !...


finette

En effet, je ne le connais que de nom. Mais à votre place, je filerais doux avec son frère, et je ferais en secret avertir mon amant de ce qui se passe.


fantaisie

Ceci change la thèse. Allons, je consens à me prêter encore à quelques incidents, puisque tu te ranges de mon parti. Mais promets-moi d’avertir mon prétendu !


finette

Je vous le promets... J’entends quelqu’un, rentrez, ne faites semblant de rien. Je vais vous rejoindre.


Fantaisie s’en va.

Scène viii

Macaroni, Finette

finette

Ah ! c’est toi ? eh bien ! qu’y a-t-il de nouveau ?


macaroni

Un tour de chien dont je ne peux pas te dire le fin mot parce que tu bavarderais, et tout serait perdu.


finette

Le pis-aller serait de finir tout ce tripotage. Sais-tu, mon cher époux, que tu fais un fort vilain métier ?


macaroni

C’est le chemin de la fortune, ainsi point de propos. D’ailleurs, je crois que nous n’avons jamais eu rien à nous reprocher là-dessus.


finette

En deux mots, de quoi s’agit-il ?


macaroni

D’introduire sans lumière l’aveugle de tantôt dans la chambre de Mimi, et de les enfermer ensemble, sans qu’elle s’en aperçoive.


finette

L’aveugle ! et pourquoi ?


macaroni

C’est l’ordre du maître.


finette

Le maître est un sot, et vous aussi. Cet aveugle a l’air d’un luron. Mimi est femme, et la nuit, ma foi, les plus clairs-voyants ne voient goutte.


macaroni

Fais ce qu’on te dit, ou crains la fureur de Batar.


finette

Oh bien ! tu peux lui dire que c’est une lubie qui n’a pas le sens commun.


macaroni

Le compliment le flattera.


finette

Cela m’est égal, je te répète...


macaroni

Eh non ! cela n’en vaut pas la peine... Obéis toujours, je vais chercher l’homme.


Il sort.

Scène ix

Fantaisie, Finette

fantaisie

Ma bonne amie, venez donc. J’ai peur, tous les gens de cette maison ont l’air de vrais bandits.


finette, à part

La pauvre enfant me fait pitié ! Haut. J’ai bien encore du neuf à vous apprendre, mais ne vous alarmez pas, je suis pour vous. Parlons bas de crainte qu’on ne nous écoute.


Elle lui parle à l’oreille.
fantaisie

Ah ! l’horreur !


finette

Paix donc ! je vous épargnerai cette épreuve désagréable. Allez vous enfermer dans votre appartement. J’attends ici l’amoureux en doublure, et soyez tranquille, je vous en rendrai bon compte.


fantaisie

Veux-tu mes habits ?


finette

Pourquoi faire ?


fantaisie

Afin qu’il te prenne pour moi.


finette

Est-ce qu’un aveugle y regarde de si près ? Toutes ces toilettes-là ne sont pas fort décentes : sauvez-vous, et me laissez jouer mon rôle.


Fantaisie sort.

Scène x

Finette seule

finette

Air : Sans le savoir


Venger mon aimable maîtresse,
Seconder sa juste détresse,
Jusque-là je fais mon devoir...
Tirons parti de l’aventure,
Usons de tout notre pouvoir,
Puisqu’un mari me la procure
Sans le savoir.

Ces scélérats d’hommes nous traitent avec tant de mépris ! Je veux venger mon sexe en général, et punir en particulier mon cher époux. Après tout, un aveugle vaut encore mieux que rien.


Scène xi

Finette, Macaroni, Bagare en aveugle

macaroni, à sa femme

Le voilà, tu sais ce que tu as à faire. Adieu.


Il sort.

Scène xii

Bagare, Finette

finette, à part

Voilà un charmant tête-à-tête !... Il ne dit mot. Le manant ne sait que faire de sa sotte personne.


bagare

Vous parlez seule ! Vous ne daignez pas vous occuper de moi. Eh quoi ! le cœur ne vous dit pas quel est celui que vous rebutez ?


finette, à part

Le cœur ne me dit rien du tout, et mes yeux ne l’ont que trop vu tantôt..


bagare

Mon aimable épouse ! reconnaissez celui qui vous adore.


finette

Je suis fort sensible à votre adoration, mais comment pouvez-vous me tant aimer sans m’avoir vue ?


bagare, à part

Cette voix-là n’est point à ma Fantaisie. Macaroni m’aurait-il joué un tour de son métier ?...


finette

Je vous permets de m’aimer, c’est une faute que les femmes pardonnent quel que soit l’homme qui la commet... Mais fussiez-vous riche comme un banquier, eussiez-vous les plus beaux yeux du monde, je ne puis être sensible qu’aux vœux de Bagare.


bagare

Bagare ! Croyez que j’ai d’aussi bons yeux que lui, et que malgré l’obscurité, j’en vois assez pour... À part. Maladroit que je suis !


finette

Comment ! tu n’es pas aveugle ?


bagare

Non, le diable m’emporte.


finette

Pourquoi donc user d’une pareille supercherie ?


bagare

Pour avoir des pratiques, et m’amuser de mille petites scènes qu’on se permet en ma présence, parce qu’on ne se méfie pas de moi.


finette

Cette ruse n’est pas d’un sot. J’aime les gens d’esprit, et je me sens disposée à te faire succéder dans mon cœur à Bagare, qui aussi bien est perdu pour moi.


bagare

Vous l’aimiez ?


finette

C’est fini, je n’y pense plus.


bagare

Et vous l’oubliez ? et vous me préférez à lui ? et vous...


finette

Et je... et je... et je te prends pour mon amant.


bagare

Ma foi ! je suis dérouté, moi, je n’y entends plus rien.


finette

Viens avec moi, je t’expliquerai tout. On entend beaucoup de bruit. Donne-moi la main, on vient, ne restons pas ici.


bagare

J’y reste, moi : allez au diable.


Sans-Façon arrive avec ses gardes-chasse, et des flambeaux. Finette se sauve.

Scène xiii

Bagare, Sans-Façon, des gardes, Macaroni qui arrive du côté opposé

sansfacon

Air : Je suis Madelon Friquet

Voir la partition
Informations sur cet air

Avançons, doublons le pas,
Je crois entrevoir quelque chose.
Avançons, doublons le pas,
Que le drôle n’échappe pas.
Il va pour saisir Bagare.
macaroni
Que veut dire tout ce fracas ?
À votre dessein je m’oppose,
Ou morbleu ! tu me le paieras.
sansfacon

Allons, qu’il n’échappe pas...


macaroni

Cet homme est sous ma protection.


sansfacon

Et moi, j’ai ordre de me saisir de lui.


macaroni

Oh çà ! Entendons-nous, car il y a quelque quiproquo.


sansfacon

Batar, toujours juste et conséquent comme à son ordinaire, veut qu’on mette cet homme en prison, pour le punir d’une faute qu’il lui a fait commettre.


macaroni

Cela ne m’étonne pas, mais je réponds de ce malheureux, et je me charge de l’y conduire.


sansfacon

Vous savez que notre maître n’entend pas raison : il faut que je l’emmène.


macaroni

Ce n’est pas celui que vous croyez.


sansfacon

N’importe. Ce qui est bon à prendre...


macaroni

Oh ! dis donc, l’ami, fais-moi le plaisir de me laisser mes proverbes.


sansfacon, allant pour se saisir de Bagare

Que de cérémonie ! Allons, marche, coquin !


macaroni

C’est Bagare.


sansfacon

Tarare !... Marche ! À moi, camarades !


un garde, reconnaissant Bagare

Ma foi ! non, il nous battrait tous.


macaroni, à Sans-Façon

Tu sens bien que ceci devient délicat. Batar se fâcherait, si l’on traitait son frère comme un vagabond.


sansfacon

Il se fâchera bien plus, si je n’obéis pas. À Bagare. Monsieur le héros, laissez-vous faire, je vous en prie !


bagare

Oh ! je le veux bien, moi, je suis un tapageur très pacifique.


sansfacon

Et toi, je te conseille de te méfier de Batar. J’ai entendu quelques mots...


Il emmène Bagare.

Scène xiv

Macaroni seul

macaroni

Oui-da ! oh ! qu’il prenne plutôt garde à lui. Il ne connait pas les ressources de mon imagination..


Air : De ces forêts


Un vieux dicton
Nous apprend que le diable
Trouve délectable,
S’il voit qu’un larron
Trompe un autre fripon.
À qui mal veut
Souvent le mal arrive.
Ma cervelle active
Est sur le qui-vive,
Et... sauve qui peut.
Il sort.

Scène xv

Batar, deux valets qui apportent une couverture et la posent à terre

Le jour vient.
batar

Ah ! ah ! Monsieur mon frère, je vous tiens une fois, pour le coup vous danserez. Quel plaisir de le voir ballotter par le mouvement élastique d’une couverture !... où est Macaroni ?


un valet

On le cherche.


batar

Deux louis d’or à gagner pour qui le trouvera.


Ils courent pour aller le chercher.

Scène xvi

Batar, Haquenée, bohémiens

haquenée, couverte d’un large crêpe

Eh bien ! quelle mouche vous pique encore ? que me voulez-vous ? Ne pouvez-vous pas me laisser pleurer mon pauvre fils ?


batar

Je veux rendre témoin de la vengeance que je vais tirer de Bagare, qui l’a si bien arrangé. Je le tiens, et comme décemment je ne puis pas maltraiter mon frère, je veux que, pour me donner un air de justice, tu exiges de moi cette punition. Parle, et tu le verras sauter.


haquenée

Il valait bien mieux le faire sauter auparavant. Prenez garde ! il a des amis, c’est un sournois qui n’a pas l’air d’y toucher, mais vous savez qu’il n’est pire eau qui dort.


Scène xvii

Batar, Haquenée, Bagare tenu au collet par deux gardes, valets

batar

Ah ! te voilà donc, libertin ? Tu vas voir de quel bois je me chauffe.


bagare

Faites ce que vous voudrez, je ne me soucie de rien. J’ai manqué mon coup, tout le monde se moque de moi, je n’ai de courage qu’en parole. Tous mes exploits se réduisent à avoir assommé ce criquet de Matamor, qui ne valait pas un coup de poing. Au reste, je n’en suis pas fâché, et vous devriez vous-même m’en avoir obligation, puisqu’il nous trompait tous deux, car votre Mimi n’est point ma Fantaisie.


batar

Comment ! Mille diables ! ce n’est pas elle ? Allez me la chercher, et si cela est vrai, je la fais mettre sur le cheval de bois.


bagare

Cela m’est bien égal, et peut-être à elle aussi.


batar

Oui, mais tu n’en seras pas quitte pour cela.


bagare

C’est ce que nous verrons. D’ailleurs, on n’en meurt pas pour quelques cabrioles, et puis... nous ne sommes pas encore au bout.


batar

Comment !


bagare

Eh oui ! tu fais le rodomont parce que tu as un tas de coquins à tes ordres, et que je ne suis pas le plus fort. Mais laisse faire... cela va venir... Au reste, non. J’obéirai. Il y a des héros de roman qui t’auraient déjà étrillé, toi et ta misérable clique. Mais je suis bon prince et je me laisse mener comme un agneau. Tiens, preuve de cela.


Il va s’assoir sur la couverture.

Scène xviii

Les précédents, Fantaisie, Finette

batar

Tu me trompais donc, effrontée ? Morbleu ! je te ferai mettre à...


finette

Ce n’est pas sa faute. Une enfilade de quiproquo a donné lieu à tout ce bacchanal.


bagare

C’est mon égrillarde de tantôt !


batar

Ah ! oui-da, aux repenties... Qu’en dis-tu, Haquenée ?


haquenée

Vous savez bien que vous êtes le maître, je ne suis ici que pour faire tableau.


batar

Dis toujours quelque chose pour la forme.


haquenée

Allons.


Air : Réveillez-vous, [belle endormie]

Voir la partition
Informations sur cet air

Ballotez donc ce pauvre hère,
Canaille, exécutez l’arrêt,
Et laissez-le tomber à terre
Pour mieux exciter l’intérêt.
fantaisie, s’élançant au milieu d’eux

Non, il ne sautera pas.


batar

Il sautera.


fantaisie

Il ne sautera pas.


les valets

Il sautera.


bagare

C’est Fantaisie !


fantaisie

Ah ! Bagare !


Ils courent l’un vers l’autre, et Bagare la prend dans ses bras, comme on porte un enfant.
haquenée

La belle reconnaissance ! À Batar. Eh bien ! comment vous tirerez-vous de là ?


batar

Laissez-les... Qu’on les sépare... Non... Si fait... Oh ! pour le coup, je ne sais plus ce que je dis.


fantaisie, à Batar

Brutal ! tête sans cervelle ! je ne le quitte plus, et s’il saute, je veux sauter avec lui.


batar

Non pas, non pas, qu’on la lui arrache. Amenez-la-moi. Voilà un caprice qui me reprend pour elle. Et lui... à la couverture !


fantaisie, tirant une grande épingle de sa coiffure

Le premier qui avance, je lui crève les yeux.


batar

Laissez-la, elle le ferait, la gaillarde. Elle commence à se dégourdir.


bagare

Mon frère, écoutez. Je ne veux pas vous désobliger, je sui si bon ! mais auparavant, laissez-moi chanter un petit air.


Air : Vaudeville,

Voir la partition
Informations sur cet air

Je devrais vous chercher dispute,
Et vous traiter comme un maraud.
Mais que votre arrêt s’exécute,
Je consens à faire le saut.
À vos noirceurs toujours en butte,
J’ai tout souffert comme un nigaud,
Et je ferai, puisqu’il le faut,
Le dénouement par une chute.bis

Scène xix

Les précédents, la milice villageoise armée et commandée par Macaroni

Air : À boire, à boire, à boire

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Informations sur cet air

Bagare, Bagare, Bagare,
Quel affront pour lui se prépare !
Rendez-nous notre caporal,
Ou craignez un procès verbal.
macaroni

J’ai amené le greffier et le procureur fiscal. Voilà assez de témoins, il est temps de finir vos incartades.


bagare

Mes camarades, mes bons amis, vous vous mettez dans un mauvais cas : vous vous révoltez contre votre seigneur. Voyez comme je suis sage, moi !... mon frère, je vous demande excuse pour eux.


le greffier

Vous êtes un bon enfant, mais un peu bête, passez-moi le mot. Vous vous laissez mener par le bout du nez. Ceci devient mon affaire, je suis partie publique, et ne dois pas souffrir plus longtemps que l’on scandalise tout le pays. Il faut un exemple.


batar

Tu n’auras pas le plaisir de le faire. Attends...


Il se jette dans le trou du souffleur.
bagare

Où va-t-il ? où est-il ?


batar, sortant à mi-corps

Ce ne sont pas tes affaires.


Dans ce fossé profond, je prétends me noyer.
Tu voudrais à ton tour me pouvoir rudoyer,
Et que lâchant au peuple une dure apostrophe,
Un poignard émoussé finit la catastrophe.
Souviens-toi que mon genre est un genre nouveau,
Qui ne ressemble à rien, et doit tomber dans l’eau.
D’un rôle fatiguant ce gouffre me délivre,
Songe que tu n’as pas longtemps à me survivre.
Il disparaît tout à fait.

Scène xx

Les précédents excepté Batar

macaroni

Bon voyage ! À Bagare. Eh bien ! vous voilà notre maître, et le possesseur de tous ses biens.


bagare

Non, mon père et ma mère ne m’avaient-ils pas déshérité ?


macaroni

Ils radotaient.


le procureur fiscal

Ce testament, Ce testament, \emph ab irato, était sujet à cassation vu que vous n’aviez, par aucune mauvaise action, mérité l’exhérédation. Il fallait pour obtenir son extinction, procéder à une réclamation. Vous avez resté dans l’inaction, c’est une preuve de votre soumission. Mais votre frère, par sa disparition, faisant une publique renonciation, vous pouvez entrer en possession, sans craindre aucune revendication., était sujet à cassation vu que vous n’aviez, par aucune mauvaise action, mérité l’exhérédation. Il fallait pour obtenir son extinction, procéder à une réclamation. Vous avez resté dans l’inaction, c’est une preuve de votre soumission. Mais votre frère, par sa disparition, faisant une publique renonciation, vous pouvez entrer en possession, sans craindre aucune revendication.


bagare

Non, je n’ai point d’ambition. Tout mon bonheur est dans ma Fantaisie. Vivre en paix et inconnu dans un coin avec elle, c’est le sort qui seul peut me contenter, et si elle en est contente, nous serons tous contents.


macaroni

Tout, c’est beaucoup à dire. D’abord, vos maximes de roman ne plaisent qu’à des cerveaux creux. D’un autre côté, vous avez des vassaux à satisfaire, des fripons à punir, et moi à récompenser, car au bout du compte, bien fou qui s’oublie.


bagare

Allons donc ! puisqu’il le faut. Je veux bien devenir riche. Mais qu’on me donne cette couverture : j’en veux faire un habit de cérémonie.


Pour montrer à tout le village,
Que pour devenir un seigneur,
Il ne faut que peu de courage,
Mais de l’intrigue et du bonheur.
Tout le monde se met à danser en rond, en chantant.

Air : Un jour, Guillot à Guillemette


Ah ! pour le coup, vive Bagare !
Il fera bon vivre avec lui.
Si son caractère est bizarre,
Sa morale chasse l’ennui.
Que chacun à sa fantaisie,
Riant du critique importun,
Trouve le plaisir de la vie
À n’avoir pas le sens commun.

Scène xi

Tous les précédents, Ture-Lure, Esprit-Bleu

espritbleu

Eh bien ! ma femme, vous le voyez. En dépit de nos dispositions, et de notre autorité paternelle, Batar n’est plus et son frère est notre héritier.


macaroni

Que viennent faire ces vieux radoteurs ?


turelure, à Esprit-Bleu

Que voulez-vous, mon ami ? les dieux sont les maîtres... celui-ci ne nous sera pas pis que l’autre, et nous irons toujours notre petit train.


espritbleu

Il faut au moins que je fasse encore un acte de paternité. Mon fils, je ne trouve point à redire ce qui s’est passé. Votre frère était un enfant gâté. Le mal qu’il a fait est notre ouvrage, mais tout s’oublie. Écoutez un conseil que je vais vous donner.


tout le monde confusément., ensemble

Voyons donc ! cela sera bien beau !


espritbleu

Vous étiez pauvre, vous voilà riche. Soyez toujours doux et sage, n’imitez pas votre frère. Ce n’est pas le rang, ce n’est pas la richesse qui font le mérite, ce sont les qualités du cœur. Adieu, mon fils, ne nous laissez manquer de rien, nous allons jouer à la bataille.


macaroni

Par ma foi ! voilà de la morale qui n’est pas neuve, quoiqu’elle tombe des nues. À tous les acteurs. Allons nous reposer, car je crois que je ne suis pas le seul fatigué de tout ce galimatias.


vaudeville

Air : La Barcariolle,


bagare
En dépit de la vraisemblance,
Réduire les dieux à l’enfance,
Pour faire un long charivari,
Ahi ! le plaisant pot-pourri !bis
Pour déguiser un personnage,
Lui faire après son mariage
Subir un coup de bistouri :
Ahi ! cela n’est pas joli !bis
fantaisie
Du rang obscur de paysanne
Monter à celui de sultane,
Et se moquer du pigeonneau,
Oh, oh, cela n’est pas nouveau.bis
Mais qu’une soubrette galante,
À l’or d’un Crésus qui la tente
Préfère une ombre de mari :
Ahi ! le croira-t-on ici ?bis
finette
Que d’un amant timide et tendre
Fillette puisse se défendre,
Sans que l’honneur fasse un faux pli...
Ahi ! cela se peut ainsi.bis
Mais qu’après un long tête à tête
Un garnement que rien n’arrête,
La quitte sans... et cætera,
Ah ! ah ! le croira qui pourra.bis
macaroni, seul
Si traitant cette comédie
De misérable rapsodie,
En sortant vous faites ainsi :
Mouvement de la tête qui exprime le mépris, et le haussement d’épaules.
Ahi ! caro Macaroni !bis
Mais en faveur de notre zèle,
Et de sa tournure nouvelle,
Si vous riez du vertigo,
Oh ! oh ! Macaroni caro.bis
Fin

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