Charles-Simon Favart
Harmonide
Parodie
Représentée sur le théâtre de l’Opéra-Comique de la foire Saint-Laurent
1739
BnF ms. fr. 9325
definitacteur, l’art lart
Acteurs
Harmonide
Octave
Ritournelle
L’Art
Le Naturel
Chœur
Harmonide
Scène i
octave, ritournelle
octave
Quel bizarre pays que celui-ci, ma chère Ritournelle !
ritournelle
Mon cher Octave, c’est le pays merveilleux de la danse et de la musique, il ne faut pas s’étonner si tout y choque le bon sens. Harmonide, la plus puissante des fées, le gouverne et d’un seul coup de sifflet cause dans cet empire des révolutions extraordinaires.
octave
Air : Sans dessus dessous
Rien ne résiste à son pouvoir,
Harmonide fait tout mouvoir :
Elle met la nature entière
Sans dessus dessous,
Sans devant derrière,
Les dieux et les diables itou
Sont tous sans devant derrière etc.
ritournelle
airvide
De ce pays chaque habitant
Parle en chantant,
Marche en dansant,
N’agit qu’au son de l’instrument,
Pleure, soupire,
Et même expire
En fredonnant.
Air : Badinez, mais restez[-en là]
Ici l’on voit une fontaine
Chanter pour exprimer sa peine
On y voit un ruisseau poupin
Voltiger, cabrioler en tambourin
octave
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Vénus y tient son domicile
Mars et Plutus suivent ses pas.
ritournelle
L’amour échauffe cet asile
Et Mercure n’en bouge pas.
octave
Air : Bouchez, Naïades, [vos fontaines]
On y voit toujours la victoire
En accolade avec la gloire.
ritournelle
Toujours les jeux avec les ris
Mais la vertu n’est plus de mode
Et ce n’est que dans les récits
Que l’on souffre cette incommode.
octave
Il faut bien que nous nous accommodions à tout cela depuis que l’art nous a rendu esclaves, mais je l’aperçois... Oui, c’est l’Art.
Scène ii
l’art, ritournelle, octave
lart
airvide
Il faut enfin qu’Harmonide
Pour mon mérite décide
C’est l’Art qui l’emportera
C’est moi qui soutiens l’Opéra
Bonjour mes enfants, c’est aujourd’hui que l’on célèbre la naissance d’Harmonide. À propos de ballet
Air : Non, je ne ferai pas [ce qu’on veut que je fasse]
J’ai su ranger Octave au rang de mes esclaves
C’est de moi qu’il apprend à porter des entraves
Tu te souviens encor de cet heureux moment
ritournelle
Vous lui faites, seigneur, un fort sot compliment,
noindent, sans verbiage, qu’exigez-vous de nous par ce prélude ?
lart
Tu es au service d’Harmonide, apprends-lui que je l’aime. Parle pour moi.
ritournelle
Air : Voyelles anciennes
À quoi sert de parler pour vous
Quand votre mérite s’explique
L’Amour vous fera des jaloux
Comme vous en fait la musique
lart
Entre la Nature elle et moi
Dans ces cantons on se parta-a-age
Mon rival veut faire la loi
Et je brigue même avanta-a-age.
Nous verrons qui l’emportera. En attendant, agis toujours en ma faveur auprès de ta maitresse.
Air : Fais comme nous
Fais lui ce soir
Voir
Dans son jour
Mon amour,
Peins l’ardeur
De mon cœur,
Mais
Paix
À d’autres cache mon but
Chut.
Air : Nous avons pour vous
Dur rival qui me fait injure
Pénétrez tous deux le projet
Je veux lui faire une ouverture
Et l’immoler d’un coup d’archet.
Scène iii
octave, ritournelle
octave
Dois-je lui obéir ? Je suis son esclave.
ritournelle
Je te plains.
Air : Trembleurs
Hélas que mon sort me fâche !
On m’impose triple tache,
Pas un moment de relâche
Avec ce patron altier.
Comme un misérable esclave
Mille fois par heure Octave
Va du grenier à la cave
Et de la cave au grenier.
ritournelle
Mon sort pourra changer suivant le choix d’Harmonide.
octave
Jusqu’à ce temps
Air : Tout cela m’est indifférent
Déguisons toujours nos ardeurs :
Passe pour l’une de mes sœurs,
En secret aimons-nous sans crainte.
ritournelle
Cher Octave, je le veux bien,
Mais à quel propos cette feinte ?
octave
Hélas, c’est à propos de rien.
ritournelle
Tu dis vrai,
Air : Les routes du monde
Mais finissons cet entretien.
octave
Un duo pourtant viendrait bien,
La scène en serait plus exacte.
ritournelle
Bon, nos inutiles amours
Ne sont que pour allonger l’acte,
De l’intrigue ils rompent le cours.
octave
Cette symphonie nous annonce Harmonide.
Scène iv
octave, ritournelle, harmonide et suite
harmonide
Air :
Sujets à ma suite empressés,
On vous a vu, c’en est assez.
Allez, qu’on se retire,
Pour vous, demeurez en ces lieux,
Et venez lire dans mes yeux.
octave
Nous ne savons pas lire.
harmonide
Air : Beau marinier
Certain trouble agite mon cœur.
octave
Qui peut troubler votre bonheur.
harmonide
J’aime.
ritournelle
Voyez le grand malheur !
harmonide
Je crains l’amour. Il me fait peur.
octave
La pauvre enfant ! Appréhendez-vous de ne pas obtenir du retour ?
Air : Peut-on voir
Peut-on voir vos yeux
Sans être amoureux princesse,
Peut-on voir vos yeux
Sans être amoureux ?
Air : Tâtez-en
Assurez-vous par l’hyménée
L’objet qui vous tient enchainée.
L’hymen tranquillise l’esprit
Tâtez-en si le cœur vous en dit.
harmonide
Je vous nommerais bien mon vainqueur, mais je ne veux pas. Respectez mes secrets, le moment de me déclarer n’est pas venu,
octave
refrain
Il est pourtant temps, pourtant temps madame
Il est pourtant temps de vous marier.
ritournelle
Air : Eh, pourquoi donc, sûr
Eh pourquoi donc belle princesse,
Eh pourquoi donc tant reculer ?
harmonide
Il faut, à ne vous rien celer,
Trois actes à la pièce,
Le remplissage doit filer.
ritournelle
Je conçois votre adresse.
harmonide
Éloignez-vous... mais non, je vois mon peuple qui s’avance, je n’aurais pas le temps de faire un monologue.
Scène v
les précédents, chœur
refrain
Mariez, mariez, mariez-vous,
Princesse, tout vous en presse,
Mariez, mariez, mariez-vous,
Et nommez nous votre époux.
octave
Air : Il n’en faut pas d’avantage
À l’amour tout est possible
Et comme dit l’Opéra,
Il a, pour rendre sensible,
Mille secrets.
ritournelle
Halte-là !
Mille c’est trop d’étalage !
Il suffit d’un quand il est bon,
Et non non non
Il n’en faut pas d’avantage.
chœur
Même air
Mariez, mariez, mariez-vous etc.
harmonide
Air : Je ne veux ni désert
Je veux bien me charger d’un mari,
Vous saurez tantôt qui j’ai choisi.
Cher sujets, ce n’est que pour vous plaire
Que je consens à me déterminer.
Dès ce soir nous conclurons l’affaire,
En attendant allez vous promener.
Air : Allez à la chasse au loup
Allez à la chasse,
À la chasse au lapin
Allongez, de grâce,
Un peu le parchemin,
On prépare ainsi, messieurs,
Un ballet de chasseurs.
Scène vi
ritournelle seule
ritournelle
Demeurons un instant pour m’entretenir avec l’écho, qu’il répète les plaintes inutiles que je vais faire sans savoir pourquoi. On vient m’interrompre.
C’est la Nature, évitons-le.
Scène vii
le naturel, ritournelle
le naturel
airopera
Quoi, vous me fuyez, Ritournelle ?
Un moment, demeurez, la belle.
J’ai toujours eu pour vous du zèle,
De mon cœur,
Soulagez la langueur.
Air : Halte-là
Je brûle hélas pour Harmonide,
Parlez pour moi mon petit cœur
Afin qu’en ma faveur
Cette belle décide.
Si pour moi vous faites cela
Votre intérêt s’y trouvera,
Vous aurez récompense
Prenez ceci d’avance.
harmonide, en entrant
Halte-là !
Scène viii
harmonide, ritournelle
harmonide
Air : Comment donc [petite effrontée]
Comment donc, petite effrontée,
Je surprends avec vous ce beau galant ?
Il contait son tourment.
ritournelle
Pardon, je suis toute agitée.
harmonide
Il contait son tourment.
ritournelle
Modérez votre emportement.
harmonide
Comment donc, petite effrontée,
Je surprends avec vous ce beau galant ?
ritournelle
airvide
Oh, tout doux,
Calmez-vous,
Écoutez une maxime.
harmonide
Bon, j’en ai la tête rompue, on ne me parle plus que par sentence.
Air : Péril
Aux horreurs d’un état servile
Je vais te livrer pour toujours,
Fuis, va, cours les carrefours,
Avec le vaudeville.
Air : Filles qui passez par ici
Entre ses bras il la tenait,
Le traitre, le perfide.
ritournelle
Le doux baiser qu’il me donnait
Était pour Harmonide.
harmonide
Serait-il possible que mon amant ne me fut point infidèle ?
Air : Folies d’Espagne
Ne venez plus troubler ma fantaisie,
Soupçons jaloux, éloignez-vous.
ritournelle
Fort bien.
J’attendais plus de votre jalousie,
Heureusement, tout se réduit à rien.
L’art vous cherche, je vous laisse avec lui.
Scène ix
l’art, harmonide
lart
Que de monstres frappés vont tomber sous mes coups ! Madame, me voilà prêt pour la chasse que vous avez commandée, je vous la promets bonne. Parlons de nos affaires.
airvide
De vous fixer aurai-je l’avantage ?
J’ai composé pour vous plusieurs ballets
Et mon amour vous présente un hommage
Que mes rivaux n’effaceront jamais.
harmonide
airvide
Oh, n’allez pas parler tendresse
N’altéront point notre repos,
Car l’amour n’est qu’une faiblesse
Dont rougissent les vrais héros.
lart
Air : Non, je ne ferai pas [ce qu’on veut que je fasse]
Ils étaient des nigauds, je suis un homme rare,
Ils chantaient en bémol et je chante en bécarre
L’amour ne rend jamais mon courage abattu,
Chez eux il est faiblesse, il est chez moi vertu.
harmonide
Air : L’amphigoury
Sur cela je n’ai rien à dire,
Mais mon choix n’aura pour objets
Que l’intérêt de mes sujets
Et le lustre de cet empire.
lart
C’est un amphigoury etc.
Scène x
l’art seul
lart
Avec quelle froideur elle me quitte ! Ah ! je sens une plénitude de colère et de musique qui va me causer un débordement de notes, élevons une tempête dans l’orchestre, qu’un bruit affreux de basse seconde les transporte de ma rage. Lalala, mais je vois mon rival ! Suscitons un monstre contre lui.
Scène xi
le naturel, harmonide seuls
le naturel
Air : Ah, que la forêt
Courons à la chasse, à la chasse
Que les cors donnent sur ce ton
Tontonton taine tonton
Des monstres qu’on suit à la trace
Il faut en purger ce canton
Tonton ton etc.
harmonide
Oh Ciel ! que vois-je ! quel monstre affreux ! Il approche, sauvez-moi de sa fureur !
le naturel
Ne craignez rien, je vous garantirai.
Il combat le monstre et ensuite se retire.
Air : Tant de valeur
Je viens de sauver ce que j’aime
Ah ! Je dis ce mot malgré moi.
Je m’impose à la sotte loi
De languir comme un Nicodème.
Mais comme nous dit l’Opéra,
Air : C’est l’ouvrage [d’un moment]
À son gré l’amour nous inspire,
Alors le plus timide amant
Sans savoir pourquoi ni comment
En dit plus qu’il n’osait en dire,
C’est l’ouvrage d’un moment.
harmonide
Vous m’aimez et vous osez me le dire. Ne craignez-vous pas ma colère ?
le naturel
Oh, je sais bien à qui je m’adresse.
Scène xii
harmonide, le naturel, octave
octave
Air : Aux armes, [camarades]
Courons, courons aux armes
Prévenez le courroux d’un amant jaloux,
Il répand les alarmes,
La terreur,
La frayeur,
L’horreur.
Il veut étouffer son rival.
le naturel
M’étouffer, oh, oh, nous allons voir cela.
harmonide
Arrête, il m’échappe, Octave ne le quitte pas.
Scène xiii
harmonide seule
harmonide
Voilà une guerre civile arrivée entre mes premiers sujets
Air : Comment faire
Le naturel est amoureux
Mais souvent il est langoureux,
L’Art quoi que bizarre sait plaire.
Tous deux ont droit de m’engager,
Je dois tous deux les ménager,
Comment faire ?
Scène xiv
harmonide, ritournelle
ritournelle
Madame, ils sont aux mains. Les uns chantent, les autres se battent, c’est un plaisir de voir cette bataille musicale.
Scène xv
les précédents, octave, chœur
chœur
Lampons, lampons, camarades, lampons.
harmonide
Air : Lampons
Quels sont les cris que j’entends ?
octave
J’ai calmé les combattant,s
Cette liqueur sympathique
Vient d’accorder la musique.
chœur
Lampons, lampons, camarades lampons.
octave
J’ai fait boire tous les mutins, l’Art et le Naturel malgré leurs animosités trinquent ensemble, ils viennent se soumettre à votre choix.
Scène xvi
les précédents, l’art, le naturel
l’art et le naturel, ensemble
refrain
Allons voir, allons voir, allons voir
Qui des deux la doit avoir.
le naturel
Charmante fée, décidez. Entre l’Art et moi, choisissez un mari.
harmonide
Doucement messieurs, cette décision n’est pas l’ouvrage d’un jour.
lart
airvide
L’univers
Est enchanté de mes concerts,
Et mes airs
Expriment mille objet divers :
Les éclairs,
La foudre et les cris des enfers.
Comblez mon espoir,
Mon savoir
Fera voir
Que c’est à moi
À donner ici la loi.
le naturel
Air : Le tout par nature
Avec un tendre bémol
J’imite le rossignol
Et d’un ruisseau fugitif,
J’exprime le murmure,
Je peins un amour naïf,
Le tout par nature.
lart
refrain
Bon, vraiment, c’est toujours,
La même turelure.
airvide
On réussit mal en tendresse
En affectant le ton mineur,
Moi, je crois avoir plus d’adresse
En me servant du ton majeur.
harmonide
Messieurs, toutes réflexions faites, je vous estime tous deux et je ne puis choisir entre vous.
airvide
Le fait est trop embrouillé.
le naturel
Mais quelle idée est la vôtre ?
lart
Tirons donc au doigt mouillé !
harmonide
Non, je vous prends l’un et l’autre
En toutes choses, il est bon
D’user de précaution.
Air : Entre l’amour
Le Naturel a besoin d’art,
L’Art déplait souvent par son fard.
Afin qu’à nos vœux tous réponde
Joignez-vous sans être jaloux,
Avec des maitres tels que vous
Nous allons charmer tout le monde.
lart
Air : Jérôme, as-tu vu le feu
Ah, quel bonheur suprême !
le naturel
Ah, quel bien précieux !
harmonide
Ah, quelle gloire extrême !
ritournelle
Ah, quels chants gracieux !
ensemble, ensemble
Plaisirs délicieux,
Accourez dans ces lieux !
Amours descend des cieux,
Mets nous au rang des dieux !
Amour comble nos vœux,
Quel bonheur d’être heureux !
Chantons, chantons nos nœuds,
Nos flammes et nos feux.
harmonide
Peuples, pour l’amour de nous, égosillez-vous,
Air : Guerlinguin
Sur un chant de bon augure,
Célébrez notre aventure.
chœur
Turelure lure lure
harmonide
Chantez, chantez notre destin.
chœur
Guerlin guin guin guerlin.
Fin