[Pierre-François Biancolelli, Jean-Antoine Romagnesi]
Hésione
Parodie
Représentée pour la première fois pas les Comédiens Italiens ordinaires du Roi
le 28 octobre 1729
Les Parodies du nouveau Théâtre-Italien, Briasson, 1738
Acteurs
Le roi Laomédon
Hésione
Anchise
Télamon
Cléon, confident de Télamon
Vénus
Suite de Vénus
Les Amours et les Grâces
Mercure
Chœur
Deux Prêtresses
Hésione
Scène i
Télamon, Cléon
Le théâtre représente un temple.
télamon
Air : Or, écoutez petits et grands
Hâtons-nous, partons de ces lieux,
Ce temple que l’on offre aux dieux
Verra l’hymen de la Princesse,
Et cela cause ma tristesse.
Fais au plus tôt notre paquet.
cléon
Hélas ! il sera bientôt fait.
Il faut avouer que le Roi en agit bien mal avec vous, après les services que vous lui avez rendus.
Air : Les Trembleurs
Pouvez-vous souffrir l’outrage
Qu’il fait à votre courage ?
Vous allez troubler je gage
Un hymen qui vous déplaît.
télamon
Je ne veux gêner personne
C’est sa fille qui se donne.
cléon
Vous avez l’âme trop bonne !
À part.
La peste soit du benêt !
Fin de l’air : Réjouissez-vous bons Français
Enfin, c’est de l’heureux Anchise
Que cette friponne est éprise.
Air : Menuet de Grandval
Ciel ! quel prix de votre constance !
télamon
Tu parles comme un animal ;
Est-ce par persévérance,
Qu’on l’emporte sur un Rival ?
cléon
Il est vrai que vous n’avez qu’une haute-contre et lui une basse-taille.
télamon
Air : Sais-tu la différence
J’avais pour l’inhumaine,
Quitté les étendards
Du dieu Mars...
cléon
Ce n’était pas la peine ;
Toujours mal-à-propos
Ces héros
Aiment comme des sots.
Croyez-moi, reprenez le chemin de la gloire.
Air : Tu croyais en aimant Colette
Ainsi tous vos pareils en usent :
Quand ils ont perdu tout espoir,
Et que les Dames les refusent,
Ils retournent à leur devoir.
Tous deux, ensemble
Air : Nanon dormait
Allons, allons,
Allons chercher la gloire.
La symphonie joue l’air, Je suis Madelon Friquet.
télamon
Air : Un amant avec ce qu’il aime
À quoi bon cette ritournelle ?
cléon
Il ne faut point la mépriser,
Elle annonce quelque immortelle
Qui vient ici s’humaniser.
Scène ii
Vénus, Télamon, Cléon
vénus
Air : Flon, flon larira dondaine
Un noble soin amène
La mère des Amours.
Pour vaincre une inhumaine
Je t’offre mon secours,
Gai, gai,
Larira dondaine,
Flon, flon,
Larira dondon.
télamon
Air : Tarare pompon
Hélas ! que pouvez-vous contre un destin barbare ?
Mon trop heureux rival épouse ce tendron.
vénus
Et si je les sépare,
Que me diras-tu ?
télamon
Bon !
vénus
Je l’entreprends.
télamon
Tarare
Pompon.
vénus
Tu vas voir.
Air : Quand le péril [est agréable]
Les dieux me seront nécessaires,
Zéphyrs, allez les appeler.
télamon
Les dieux voudront-ils se mêler,
De semblables affaires ?
vénus
Attends tout de ma puissance. Aime constamment, tu verras finir ta peine ; et surtout, ne désespère point.
Air : Tout cela m’est indifférent
Le désespoir d’un tendre amant,
Offense l’amour vivement ;
Et comme je suis bonne mère,
Quand de moi quelqu’un est épris,
Jamais je ne le désespère
De peur de chagriner mon fils.
Elle s’en va.
télamon
Air : Quand on a prononcé [ce malheureux oui]
Je voudrais bien savoir pourquoi cette déesse
Ranime mon espoir, et pour moi s’intéresse.
C’est prendre assurément grand soin de mes plaisirs,
Que d’employer pour eux les dieux et les Zéphyrs.
Air : Le fameux Diogène
L’aventure est étrange !
cléon
Ne prenez point le change :
Déesse ou grand Seigneur,
Avec leur beau langage,
Ne font nul avantage,
Qu’ils n’y trouvent le leur.
Je gagerais que la bonne dame Vénus est amoureuse d’Anchise.
télamon
Cet animal-là a bien du bonheur !
cléon
Et qu’elle vous réserve pour lui jouer quelque tour.
télamon
Il n’y a donc pas tant de générosité dans son fait que je ne l’imaginais ; n’importe, je lui en ai toujours la même obligation.
Air : C’est pas pour vous que le four chauffe
Revenez espérance,
Revenez dans mon cœur,
Et par votre assistance,
Que je fasse d’avance,
D’un vrai bonheur
L’expérience,
D’un vrai bonheur
L’essai flatteur.
Je suis fort pour les plaisirs de l’imagination.
cléon
Ma foi, Seigneur, j’aimerais mieux les plaisirs topiques.
Air : Franchement
Hésione suit le Roi
Et votre rival, ma foi,
Sans vous dire pourquoi,
Mène sur le poing la belle.
télamon
Je suis en désarroi,
Évitons-les... cache-moi.
cléon
Air : Quand je suis dans mon corps de garde
Quoi ! de peur de troubler la fête
Céder la place au favori !
On ne peut rien de plus honnête,
Vous faites déjà le mari.
Scène iii
Laomédon, Hésione, Anchise, Prêtresses
laomédon
Air : Ton humeur est Catherine
Nous pouvons sauter et rire,
Et chanter comme des fous ;
Le dieu de l’humide Empire
N’est plus fâché contre nous.
J’avais manqué de parole
À cet habile ouvrier,
Mais avec quelque pistole
On lui fait tout oublier.
Air : Zon, zon
Il ne nous reste plus qu’à faire un sacrifice,
Ma fille, à ton hymen rendons le Ciel propice.
Tous trois, ensemble
Unissons nos voix et nos vœux.
anchise
Air : On n’aime plus dans nos forêts
Quoi ! Princesse, un hymen heureux
Flatte aujourd’hui mon espérance ?
Ah ! que mon cœur est amoureux,
Et que je sens d’impatience.
hésione
Le peuple s’avance en ces lieux.
anchise
C’est répondre, on ne peut pas mieux.
Tous trois, ensemble
Unissons nos voix et nos vœux.
Marche du Sacrifice
laomédon, au peuple
Air : Talaleri, talaleri, talalerire
Que chacun de vous me seconde,
Les Rois sont les sujets des dieux,
S’ils doivent commander au monde,
C’est en obéissant aux Cieux.
anchise, à part
Cette maxime est sans pareille,
Et le vieux Barbon
Fait le Tartuffe à merveille !
laomédon
Air : L’amant qui devient heureux
Rendons hommage aux immortels,
Puisqu’ils règlent notre fortune ;
Dressons-leur quantité d’autels
Pour apaiser toute rancune.
Que tous les dieux de l’univers,
De la Terre, du Ciel, des Mers
Désormais ne se puissent plaindre.
anchise
Vous oubliez ceux des Enfers,
Vous devez pourtant bien les craindre.
On danse.
Deux Prêtresses, ensemble
airvide
Chantons tous l’automne,
Et non le printemps,
Le raisin foisonne
Partout dans nos champs :
La vendange est bonne,
Profitons du temps ;
Bacchus nous invite
Aux plus doux plaisirs,
L’amour nous excite
À mille désirs.
Célébrons leur gloire,
Laissons-nous charmer
Du plaisir de boire,
Du bonheur d’aimer.
À leur doux mélange
Que chacun se range,
Suivons en ce jour
Leurs lois tour à tour,
Et faisons vendange
De vin et d’amour.
On danse.
laomédon
airvide
Offrons aux dieux ce temple, il est temps qu’on commence.
Suivez-moi, finissez la danse.
La symphonie joue avec précipitation, et on entend plusieurs coups de tonnerre.
chœur
Air : Si j’avais un amant
Ah ! quel bruit, quel fracas !
Quel fracas ! ah, ah, ah !
Quels tremblements affreux !
Quel déluge de feux !
laomédon
airvide
Les dieux apparemment n’aiment pas la musique.
Mais je n’entends plus rien ; le Ciel veut sans doute s’expliquer... chut, chut, paix-là, écoutons.
definitacteur, L’Oracle oracle
oracle
Air : Vous avez
Le Seigneur Anchise
Ira, s’il lui plaît,
Seul au Mont Ida sans remise
Du Ciel entendre l’arrêt.
anchise
Air : Quand je tiens de ce jus d’octobre
À quoi bon faire ce voyage ?
S’il veut que je sois éclairci
L’Oracle, après tout son tapage,
Peut fort bien s’expliquer ici.
laomédon
Non, il faut lui obéir.
anchise, en pleurant.
Que votre fille vienne donc avec moi.
laomédon
Oh ! cela ne serait pas honnête.
anchise
Cela se fait bien à l’Opéra... maudit Oracle !
Air : Le Marquis de la Lande
Irai-je sans escorte
Écouter ses chansons ?
laomédon
Pour agir de la sorte,
L’Oracle a ses raisons.
anchise
Quelle est donc son intention ?
laomédon
De changer en cette occasion
De décoration.
anchise
Oh ! je n’ai plus rien à dire ; allons, il faut se prêter.
Ils s’en vont tous. Le théâtre change et représente un désert affreux.
Scène iv
Anchise
La symphonie joue une ritournelle.
Air : Les Feuillantines
L’Oracle est donc satisfait ?
C’en est fait,
Par un seul coup de sifflet
Je suis venu sans monture :
Des auteurs,
C’est aujourd’hui la voiture.
Hé bien, me voilà ; que me veut-on ? mais que vois-je ? le vilain coup d’œil.
Air : Passant sur le Pont-Neuf
Torrents impétueux,
Rochers et précipices,
Pour un amant peureux,
Trop funestes auspices.
Loin de ma belle,
Ma crainte ici se renouvelle.
Ne me préparez pas la mort la plus cruelle... Mais que vois-je ! comment diable, je ne suis pas si malheureux que je le pensais.
Le théâtre change et représente un jardin agréable.
Scène v
Vénus et sa suite, Anchise
vénus
Air : Je suis la simple violette
D’une passacaille ennuyante
Je veux bien d’épargner les sons,
Car je suis trop impatiente
Pour t’amuser par des chansons ;
Vénus n’aspire dans ce jour
Qu’au bonheur de te plaire,
Je suis la mère de l’Amour,
Je dois savoir le faire.
anchise
Air : Tuton tutaine
Mon sort serait trop glorieux
Madame, il n’est permis qu’aux ieux
De soupirer pour vos beaux yeux,
Et le respect m’engage...
vénus
Un tel discours m’est suspect :
Voyez qu’il est circonspect.
Est-ce à mon aspect
Qu’il faut du respect ?
Ah ! ah ! le plaisant visage !
anchise
Air : Je ne suis né ni roi, ni prince
Vous faites de vaines instances ;
Et de nouvelles connaissances,
Déesses, ne me plaisent pas.
On doit craindre les conséquences,
Quand une belle, en pareil cas,
À son amant fait les avances.
vénus
Air : Jean-Gille
Mon soin est donc inutile
Jean Gille, Gille, joli Jean ;
Vous êtes bien difficile
Jean-Gille, Gille, joli Gille,
Gille joli Jean.
anchise
Et vous trop facile,
Corrigez-vous en.
vénus
Air : Fi, Margoton, songez-y donc
Hé quoi ! ton âme à mes appâts
Peut-elle être insensible ?
Ah ! mon mignon, tu m’aimeras.
anchise
Non, il m’est impossible.
vénus
Allons, cher cœur,
Point de rigueur,
Il faut bien qu’on se rende.
anchise
Fi donc, Vénus,
N’y pensez plus ;
Est-c’que ça se demande ?
Vous voulez bien que je prenne congé de vous ?
vénus
Quoi ! tu me laisses ! mon ardeur fidèle ne peut t’arrêter ?
anchise
Vous êtes si belle qu’il faut vous quitter.
Il s’en va.
Scène vi
Vénus seule
vénus
Air : Hanneton, vole, vole, vole
Cupidon, vole, vole, vole.
Air : Gardons nos moutons
Vole, cours après lui, mon fils,
Puisque tu m’as soumise,
Et de l’espoir qui m’est permis
Que le destin t’instruise :
Le plaisant recours !
Ferais-je toujours
Sottise sur sottise ?
C’est bien le destin ! c’est son cœur qu’il faut consulter, et le cruel ne m’en a que trop dit : il me méprise, il me fuit, et mes charmes ne peuvent l’arrêter.
Air : J’entends déjà le bruit des armes
J’ai su soumettre à ma puissance
Le ciel, la terre, et cætera,
Les dieux ont été sans défense,
Et ce mortel m’échappera ?
Mais il me traite, quand j’y pense,
En déesse de l’Opéra.
Air : Ô reguingué
Mon courroux va se signaler,
Hâtons-nous de nous l’immoler.
Allons... que fais-je ? où veux-je aller ?
Où ma fureur m’entraîne-t’elle ?
Vénus ne fut jamais cruelle.
Que ce soit sur ma seule rivale que tombe toute ma fureur !
Air : Ici sont venus en personne
Pour rendre son supplice extrême,
Usons de quelque stratagème,
Et troublons son faible cerveau.
Que d’une affreuse jalousie,
Son âme puisse être saisie :
Donnons-nous ce petit cadeau.
Qu’elle tombe dans le panneau,
Et faisons-lui croire qu’Anchise
Pour moi soupire et la méprise.
Ma foi, le tour sera fort beau ;
Il est vrai qu’il n’est pas nouveau.
Elle s’en va.
Scène vii
Hésione seule
hésione
Air : L’amour me blesse
Quoi ! le volage !
L’ingrat me trahit,
Suit Vénus et me fuit !
Un tel outrage
De mes bontés est le fruit...
Le malheureux, hélas !
Attend pour quitter mes appâts
Que de mon cœur
Il soit vainqueur.
Ah ! quel coup inhumain !
Le perfide enflamme mon sein
D’un trait malin,
Et me quitte soudain.
Air : Je ne me soucie guère
Brûle d’une ardeur nouvelle,
Et rompt un si doux lien.
Ah ! si Vénus est plus belle,
Son cœur n’aime pas si bien.
N’espère pas, infidèle,
En trouver comme le mien.
Air : L’autre jour sous un ormeau
Jusqu’ici mon cœur retenu
Par la sagesse,
Pour toi seul a reconnu
Le pouvoir absolu
Du dieu de la tendresse ;
Le sien au premier venu
S’est mille fois rendu.
Air : Belle brune
Mais pardonnebis
Déesse, à mon désespoir,
Le beau nom que je te donne.
Scène viii
Télamon, Hésione
télamon
Air : C’est Mademoiselle Manon
Vous détournez les yeux, suis-je donc trop à craindre ?
Ne fuyez que l’ingrat qui méprise vos feux.
hésione
Je vous plains.
télamon
Et voilà justement ce que je crains,
Car on est malheureux
Lorsque l’on est à plaindre,
Et par conséquent...
hésione
Que votre esprit est pénétrant...
télamon
Oh ! je ne suis pas sot,
J’entends à demi-mot.
Croyez-moi, abandonnez ce petit perfide-là.
hésione
Il ne m’est pas possible.
télamon
Air : La jeune Isabelle
Quittez l’infidèle,
Vénus l’a charmé,
Il aime la belle,
Il en est aimé,
Car c’est elle-même
Qui s’en vante.
hésione
Hélas !
télamon
Et moi qui vous aime
Vous ne m’aimez pas.
hésione, à part
Quel nigaud... Est-ce que son inconstance vous rend plus aimable ?
Air : Il est certains petits moments
Que je vais payer chèrement
Les douceurs et les tendres hommages.
Que je vais payer chèrement
Les transports d’un infidèle amant.
Dans ces bocages,
Sous ces ombrages,
Sous ces feuillages,
Sur ce gazon,
Le petit fripon
Me jurait une passion
Dont ils rendront de beaux témoignages.
Que je vais payer chèrement
Les transports d’un infidèle amant.
télamon
Mais il ne faut pas que je sache tout cela, moi qui dois vous épouser... n’importe.
Air : Le joli jeu d’amour
Malgré tous vos mépris,
Venez dans mon pays,
Daignez-y recevoir un asile,
Je connais vos feux
Pour un rival trop heureux ;
Mais je ne suis pas difficile.
Malgré tous vos mépris,
Venez dans mon pays,
Daignez-y recevoir un asile.
Air : Pour passer doucement la vie
Venez dans le sein de la Grèce,
Couronner ma commode ardeur ;
Venez-y régner, ma Princesse,
Comme vous régnez dans mon cœur.
Ma foi, vivent les jeux de mots, je veux en ramener la mode.
hésione
Air : Dans le fleuve d’oubli
Il me fuit l’infidèle,
Il adore Vénus, u, u, u.
télamon
Ah ! ne parlez plus d’elle
Vos cris sont superflus, u, u, u.
Pour en perdre la mémoire,
D’un excellent vin grec,
Vif et sec,
Venez boire.bis
hésione
Air : Quand Moïse [fit défense]
Oui, j’aurais pour ce barbare
Quitté le maître des cieux.
télamon
Comment ! encor ?
hésione
Je m’égare,
Éloignons-nous de ces lieux :
Cachons du moins ma faiblesse.
télamon
Il n’est plus temps, ma Princesse.
hésione
Laissons-là cet insensé.
Elle s’en va.
télamon
Me voilà bien avancé !
Air : Je reviendrai demain au soir
Vénus, c’est donc là le bonheur
Dont vous flattiez mon cœur ?bis
Malgré vos Zéphyrs et vos dieux,
Hélas ! en suis-je mieux ?bis
Scène ix
Vénus, Télamon
Air : L’autre jour j’aperçus [en songe]
Vénus t’est toujours favorable.
Si les dieux trompent mon espoir,
Je puis au ténébreux manoir
Évoquer le secours du Diable,
Et par un prompt enchantement,
Nous allons te rendre charmant.
télamon
Et qu’est-ce que cela produira ?
vénus
Cela te fera aimer de ta maîtresse.
Air : Ici chacun s’engage
Proserpine peut faire
Ce changement heureux ;
Elle est dépositaire
De cet art merveilleux.
De son pouvoir suprême
Attends un bien si doux.
télamon
De ce secret vous-même
Que ne vous servez-vous ?
Anchise ne vous aime point.
vénus
Voilà bien des questions.
télamon
Est-ce là le dernier expédient dont vous vous servirez ?
vénus
Je pourrais bien encore avoir une conversation avec Neptune.
télamon
Et si cela ne réussit pas ?
vénus
Encore... Nous te ferons enlever ta maîtresse.
télamon
Que n’en venez-vous là tout d’un coup ?
vénus
Paix : je vais commencer l’enchantement.
télamon
Air : Morguienne de vous
Et moi je m’enfuis,
Je n’ai point envie
De voir des esprits,
Je crains la magie.
vénus
Demeure ici, butor, je ne me sers que de magie blanche.
Air : Des gris vêtus
Tendres amours, troupe charmante,
Venez tous répondre à mon attente,
Présidez à cet enchantement.
Scène x
[Vénus, Télamon, les Amours, les Grâces]
Les Amours, les Grâces entrent au son de la symphonie.
vénus
Proserpine, c’est toi que j’implore, ne me refuse pas ton secours.
Une toilette sort de dessous le théâtre.
vénus
Air : Boire à son tour
Enluminons son teint,
Versons à pleines tasses
Du blanc et du carmin
Pour lui donner des grâces ;
Qu’il puisse enfin
Dans son amour,
Plaire à son tirelire lire,
Plaire à son toureloure loure,
Plaire à son tour.
chœur, en dansant et chantant
Enluminons son teint, etc.
Après qu’il ait été accommodé, et qu’on lui ait mis de la poudre, du rouge, et des mouches.
chœur
Air : Qu’il est joli, hi hi
Ah ! qu’il est beau,
Le jouvenceau, oh, oh, oh,
Qu’il est joli, hi, hi,
Gentil, poli, hi, hi.
vénus
Parlons un peu pour moi présentement.
Air : Aimable vainqueur
Aimable enchanteur,
Ennemi flatteur,
Amour dont les flammes,
Brûlent nos âmes,
D’un feu séducteur,
À mes malices,
Joins tes artifices,
Hâte mon bonheur.
Tu peux par tes coups
Rendre un cœur volage,
Faire un fol d’un sage,
Un sot d’un époux.
Le maltôtier,
Le clerc, le greffier,
Ou dans l’opulence,
Ou dans l’indigence,
Gens de tout métier,
De toute humeur.
Tout suit ta puissance,
Jusqu’au procureur.
Air : J’avais cent francs
Le charme est fait.
Tu vas sans trop de peine
Près de ton inhumaine,
En éprouver l’effet ;
Fuis promptement,
Évite la rencontre,
De son autre amant ;
Car franchement,
Si ton rival se montre,
Adieu l’enchantement.
télamon
Hé bien, pendant que vous y êtes, faites-en un autre pour qu’il ne la rencontre pas.
vénus
Tais-toi, épilogueur éternel.
télamon
Mais je pense à une chose... je veux me faire aimer sans que la magie s’en mêle.
vénus
En voici bien d’un autre ! le beau scrupule ! à quoi servira donc tout ce que nous venons de faire ?
télamon
Air : Quand je tiens de ce jus d’octobre
Je veux lui plaire par moi-même,
Tout autre secours m’est fatal.
vénus
Goûte au moins la douceur extrême
De faire enrager ton rival.
télamon
Belle consolation !
Scène xi
Anchise
Le théâtre change et représente un port de mer.
Air : Sans dessus dessous
Quel spectacle en ces tristes lieux
Vénus vient offrir à mes yeux !
J’ai vu ma maîtresse infidèle,
Au sieur Télamon qui la donnait belle ;
J’ai vu le traître à ses genoux
Sans dire : arrêtez-vous !
Air : Au fond d’un sombre bocage
Au fond d’un sombre bocage
Elle lui tendait la main ;
Et Télamon, dont j’enrage,
Tendait la sienne soudain ;
Leurs deux mains se joignirent,
Il la lui prit,
Elle la prit,
Tous les deux se la prirent.
Où sont-ils ? que je les assomme... Hésione ! Hésione !
Air : Un carme en buvant l’autre jour
L’ingrate n’entend point ma voix,
Vainement je l’appelle
Et lorsque je suis aux abois,
La chienne, la cruelle,
Elle est avec lui dans ce bois :
Ah ! qu’y fait-elle ?
Air : Marche des dragons
Elle vient ! que ses yeux sont charmants !
Ma foi, Télamon est bien bête,
Il aurait dû faire plus longtemps
Durer le tête à tête.
Je devrais la fuir après le tour qu’elle vient de me jouer.
Air : Pan, pan, pan, la poudre prend
En vain d’une ingrate beauté
On connaît l’infidélité,
Un seul regard de la parjure,
Même en nous trompant nous rassure,
Pan, pan, pan, la poudre prend
L’amour renaît au même instant.
Scène xii
Hésione, Anchise
anchise
Peut-on vous demander, Madame, ce que vous cherchez ici ? ce n’est pas moi sans doute ?
hésione
Air : Et lon lan la, ce n’est pas là
J’y venais chercher un cœur fidèle,
Mais, hélas ! où le trouver ?
anchise
Ce ne sera pas chez vous, la belle,
Vous venez de le prouver.
Mais entre nous, la perte n’est pas grande,
Et lon lan la,
De vos appâts
Dois-je faire cas,
Lorsque Vénus me marchande ?
hésione
Ah, ah ! petit perfide ! vous faites l’homme à bonne fortune ! Hé bien, porte-lui tes vœux, j’y consens. Son inconstance me vengera bientôt de ta perfidie.
Air : Ton joli, belle meunière
Ne crois pas longtemps lui plaire,
Son cœur libertin,
De chaque amant a su faire
Un nouveau Vulcain,
Le joli, belle meunière,
Le joli moulin.
anchise
Après tant de serments...
hésione
Après tant de promesses...
anchise
Vous me quittez ?
hésione
Tu m’abandonnes ?
anchise
Air : Menuet
Ah ! je le voudrais,
Mais je ne saurais
Seulement le feindre ;
Mes yeux et mon cœur
Prouvent malgré moi mon ardeur.
Donne-moi ta main,
Car je ne saurais plus me contraindre.
hésione
Quel est ton dessein ?
anchise
Ouf... de la baiser jusqu’à demain.
Mais quoi ! vous soupirez ?
hésione
Cruel ! ne cherche plus à me tromper.
anchise
Moi, vous tromper... tenez, remarquez bien ceci, voilà comme je vous trompe.
Il tire son épée pour se percer.
hésione
Quelle folie !... arrêtez-vous donc, vous n’y pensez pas !
Air : La bergère Célimène
Et quoi Vénus, elle-même,
N’aurait donc pu t’enflammer ?
Mais mon erreur est extrême
Elle aura su te charmer...
Elle est coquette, elle t’aime,
C’en est trop pour m’alarmer.
anchise
Ah ! que dites-vous ?
Air : Joconde
L’amour fit-il briller ses traits
D’une grâce nouvelle,
Mes yeux, plus elle aurait d’attraits,
Plus vous trouveraient belle.
Mais, par ma foi, je suis bien bon,
Quand je me justifie,
Après que j’ai vu Télamon
Si près de vous, ma mie.
Je vous ai vu lui tendre la même main que je viens de vous baiser.
hésione
Air : Comment petite effrontée
Hélas ! si j’ai fait la chose,
Je ne sais comment,
Mais Vénus en est la cause
Par enchantement.
Si ma main a fait l’offense,
Ce fut sans nul désir,
Car mon cœur en récompense,
N’y prit point plaisir.
anchise
Cela est fort consolant ! mais, comment Vénus a-t’elle pu vous enchanter ? toute sa magie n’a rien fait sur moi.
hésione
C’est à Vénus à vous en rendre compte.
anchise
Cela me tient pourtant bien au cœur.
hésione
Oubliez tout, cher Prince, c’est vous seul que j’adore.
Ensemble, ensemble
Air : Les dieux comptent nos jours
Aimons-nous, aimons-nous,
Bravons la jalousie
De Vénus en courroux :
Aimons-nous, aimons-nous.
Les dieux jalouxbis
Voudraient me séparer de vous,
Mais je les en défie.
Scène xiii
Vénus, Hésione, Anchise
vénus
Continuez, mes enfants, cela va à merveille.
Air : C’est le bout du bras
Quoique la douceur
Fut toujours mon partage,
J’enrage, [j’enrage.]
L’amour change mon cœur,
Faisons tapage ;
Éprouve ma fureur
Anchise et Hésione, ensemble
Fuyons, car elle me fait peur.
Ils s’en vont.
vénus
Allons, allons, appelons vite Neptune ; c’est moi qui suis cause qu’il s’est apaisé en faveur des Troyens : qu’il reprenne sa fureur ; il n’aura pas de peine, car il est toujours prêt à mal faire.
Air : Ô Pierre, ô pierre
C’est dans mon infortune,
Mon unique recours,
Toujours plein de rancune,
Il fait de mauvais tours.
Neptune, Neptune
Venez à mon secours.
On entend un bruit de tempête.
vénus
Voyez-vous, il ne se le fait pas dire deux fois.
Scène xiv
Neptune, Vénus
neptune
Air : Un bel oiseau
Je viens à ta voix qui m’appelle,bis
C’était en ta faveur, ma belle,
Qu’à cette ville infidèle
J’avais accordé pardon.
Mais avec bonne intention
De lui chercher querelle.
Air : Par bonheur ou par malheur
Vents du Sud, vents d’Occident,
Vents du Nord, vents du Ponant,
Vents contraires, vents de bise,
Par vos affreux sifflements,
D’une ville mal apprise,
Renversez les fondements.
Et cela à cause qu’Anchise n’aime pas Vénus.
Entrée de Vents
neptune
Ce n’est pas le tout, il nous faut un monstre pour rendre notre vengeance complète.
Le monstre sort de la mer.
neptune
Air : Ce n’est point par effort
De ma haine, et de ta tendresse,
Ce montre va servir l’ardeur.
Télamon, sans beaucoup d’adresse,
Pourra seul vaincre sa fureur :
Et je prétends que la Princesse
Devienne le prix du vainqueur.
Il s’en va. Le monstre sort en gambadant au son d’une symphonie bruyante.
vénus, seule
Air : Non, non, volage
Quel tintamarre
L’on fait ici pour mes beaux yeux,
Sans qu’un barbare
M’en aime mieux !
Mes enchantements,
Mes emportements
Et tout ce grand tapage
N’auront rien produit
Et restent sans fruit.
Quel dommage !
Prenons courage,
Il faudra bien que le Destin,
À cet ouvrage,
Mette une fin.
Scène xv
Anchise, Vénus
anchise
Assurément, voilà un monstre bien coriace ! je lui ai cassé la meilleure lame du monde sur le corps, et ce qu’il y a de plus particulier, c’est que ce monstre ne me fait pas seulement l’honneur de me donner un coup de griffe, il badine avec moi comme un enfant. Ah cruelle ! vous deviez bien le prier de me tuer.
vénus
Air : La chasse de la Reine des Péris
Je l’empêche au contraire
De te pouvoir faire aucun mal.
Ton rival
Servira ma colère
Bien mieux que ce sot animal.
Il doit avoir la gloire
De vaincre ce monstre inhumain,
Et soudain,
Pour prix de sa victoire,
D’Hésione il reçoit la main.
anchise
Ah, morbleu ! le tour est traître !
vénus
Ce n’est pas tout, je pourrais bien par-dessus le marché te faire voir ma rivale expirante.
anchise
Je vous entends.
vénus
C’est que je m’explique intelligiblement.
anchise
Air : Et la belle le trouva bon
Quoi ! d’une innocente ardeur
Pouvez-vous troubler les charmes ?
vénus
Ah, perfide ! ma fureur
S’augmente encor par tes alarmes.
anchise
Mais que me demandez-vous ?
Vulcain n’est-il pas votre époux ?
vénus
C’est à cause de cela : une déesse comme moi est au-dessus des bienséances vulgaires.
anchise
Ah ! du moins, ne tuez que moi.
vénus
Je savais bien que tu m’allais répondre par ce lieu commun.
anchise
Air : Quand on a prononcé [ce malheureux oui]
Au nom du tendre amour qui vous doit la naissance,...
vénus
Ingrat ! en vain pour toi j’en ressens la puissance.
anchise
Il devait me blesser, j’aurais senti ses coups.
Vous êtes sa maman, que ne lui disiez-vous ?
vénus
Vraiment, je lui ai bien dit, mais le petit impertinent n’en a voulu rien faire.
anchise
Ne vous en prenez donc qu’à lui.
vénus
Oui, oui, c’est bien à moi qu’il faut parler raison. Mais j’entends des cris de joie, Télamon est sans doute vainqueur du monstre. Voici le Roi, demande-lui des nouvelles.
Scène xvi
Laomédon, Anchise, Vénus
anchise
Air : Je n’ai point de dettes ni procès
Vous voilà, je vous cherchais Seigneur.
laomédon
Je viens vous annoncer un malheur.
anchise
Quel est-il ?
laomédon
Nous perdons Hésione,
Et Télamon en est enfin l’époux.
anchise
Ciel ! qu’entends-je ?
laomédon
Neptune l’ordonne.
anchise
Morbleu, j’enrage !
laomédon
Hélas, tant pis pour vous.
vénus
Il fallait bien qu’à la fin quelque chose me réussît.
anchise
Ah ! chien de Télamon.
Air : Dar, dar
Dans son sang éteignons ma haine,
Allons chercher
Et dépêcher
Ce rival odieux.
laomédon
Ne vous en donnez pas la peine,
Déjà ses vaisseaux ont pris congé de ces lieux.
anchise
Air : Un cavalier d’une riche encolure
Elle est partie, ô Ciel ! est-il possible ?
Ô malheur terrible !
Quel éloignement !
Ah, maudit Bas-Normand !
Quoi ! tu permets qu’une fille si belle
Me soit infidèle ?
Et de ses beaux yeux
Éclaire d’autres lieux ?
laomédon
Ma foi, voilà de la rhétorique qui n’est guère à sa place.
anchise
Air : Songes funestes d’Atys
Que vois-je ? quel pouvoir dans les Enfers
M’entraîne, et quelle main vient me charger de fers ?
laomédon
Ah ! qu’il est bon !
anchise
Quel monstre !
laomédon
Où donc ?
anchise
Le jour s’enfuit,
Et dans la nuit,
Je vais entrevoir ce qui suit.
Tremble cruel, tremble pour tes remparts,
Je vois de toutes parts
Voltiger des étendards :
Que d’ennemis furieux !
Je vois avec eux des dieux
Qui ne valent guère mieux.
Quel vilain cheval de bois,
Va réduire ta ville aux abois !
Tous ses palais brûlent d’un feu grégeois,
Tous tes bourgeois
Sont égorgés,
Les dieux et moi nous sommes tous vengés.
Il s’évanouit.
laomédon
Ah ! je suis perdu ! on dit que les fous prophétisent.
vénus
Ne te mets pas en peine, je raccommoderai tout cela ; retire-toi bonhomme, et laisse-moi seule lui donner du secours.
laomédon
Adieu, je me retire en confident discret.
Scène xvii
Vénus, Mercure, Anchise
vénus
Air : Le fameux Diogène
Quel bruit se fait entendre ?
Que venez-vous m’apprendre,
Mercure expliquez-vous.
mercure
Vénus, bonne nouvelle.
vénus
La pièce finit-elle ?
mercure
Oui, les dieux sont pour vous.
L’amour a fléchi le Destin, Anchise va vous aimer.
vénus
Air : [Ah ! Thomas, réveille-toi]
Ah ! Thomas réveille, réveille,
Ah ! Thomas, réveille-toi !
anchise, se réveillant
Qu’est-ce que cela signifie ?
vénus
Air : Margot sur la brune
Enfin, bel Anchise,
Votre foi m’est promise,
Le sort autorise
Ce beau commerce-là.
anchise
Le sort, Madame,
Veut que mon âme,
Pour vous s’enflamme.
D’où vient cela ?
vénus
C’est un dénouement d’Opéra.
Fin