J. de Lagrange, Antoine-Jacques Labbet de Morembert et Antonio Jean Sticotti
Amadis
Parodie nouvelle de l’Opéra, mêlée d’ariettes
Représentée pour la première fois sur le théâtre des comédiens italiens
le 31 décembre 1759
Paris, Cailleau, 1760
definitacteur, l’ombre lombre
Acteurs
Amadis, fils de Perion, roi des Gaules, amant d’Oriane : Monsieur Rochard
Oriane, fille de Lisuart, roi de la Grande Bretagne : Madame Favart
Florestan, fils naturel de Perion, amant de Corisande : Madame Bognoli
Corisande, amie d’Oriane : Mademoiselle Desglands
Arcabonne, magicienne, sœur d’Arcalaus et d’Ardan Canile : Monsieur Chanville
Aracalaus, magicien : Monsieur Desbrosses
L’ombre d’Ardan Canile : Monsieur Leclerc
Urgande, célèbre magicienne : Mademoiselle Suzette
Amadis
Acte i
Le théâtre représente un palais.
Scène i
Amadis, Florestan
florestan
Air : De tous les capucins du monde
C’est pour Corisande que j’aime,
Mais c’est encor plus pour vous-même,
Que je reviens dans ce pays.
Pour vous l’amitié me débauche,
Je vous dois cela car je suis
Votre frère du côté gauche.
Air : Robin a des manchettes
Mais quel chagrin vous presse ?
D’où vient cette tristesse ?
Ne pourrait-on savoir...
amadis
Je suis au désespoir.
florestan
Air : Qu’un mari soit poulmonique
Un héros insurmontable,
Estimable, admirable, indomptable,
Devrait-il avoir cet air là, là,
Tire lire liron fa.
amadis
Je suis un misérable
Qu’un funeste amour accable
Depuis deux mois à l’Opéra, là, là.
florestan
Air : Je ne suis pas si diable
Consolez-vous, mon frère,
Par vos exploits guerriers,
Dans tout notre hémisphère,
On vante vos lauriers,
Vous vivrez dans l’histoire...
amadis
Peste soit du balourd,
Qu’a de commun la gloire
Avec l’amour ?
Air : Chez sa voisine
Alcide, ce héros parfait,
Fut toujours ma marotte,
Je voulais être son portrait ;
Mais mon ardeur falote
Me fait ressembler trait pour trait
À Don Quichotte.
Air : La paisible indifférence,
La gloire aisément s’oublie
Quand l’amour nous a vaincu,
À quoi sert que je copie
Cet Alcide si connu ?
J’en ai toute la folie
Sans en avoir la vertu.
Air : Allez en France
J’aime Oriane sans espoir,
Elle me quitte,
florestan
Il faut savoir
Si la chose est douteuse.
amadis
J’ai quatre fois été la voir,
L’ingrate m’a fait recevoir
Par la doubleuse.
florestan
Air : Ah ! que le Faubourg Saint Jacques
C’est faute de vous entendre
Que vous vous plaignez, je croi,
amadis
Est-il un amant plus tendre
Et plus mal mené que moi ?
Je ne vois qu’au dernier acte
Celle qui fait mes malheurs,
Il faut que ce soit un pacte
De ces malins enchanteurs.
florestan
Air : Changement pique l’appétit
Eh bien, laissez cette infidèle,
Soyez aussi volage qu’elle,
Trop de persévérance nuit,
Changement pique l’appétit.
amadis
ariette, n.1
Quand pour une belle
Notre cœur est blessé,
Devient-elle infidèle,
L’amour propre est offensé.
Le Dieu qui nous engage
De son bandeau couvre nos yeux,
Et c’est souvent la plus volage
Que l’on aime le mieux.
Apercevant Corisande.
Air : La, ut, si, la, fa, mi, ré, ut, si, ut, la
Heureux amant, le bonheur vous rassemble.
florestan
Mon frère, adieu, partez comme un éclair,
Vous ferez bien d’aller prendre un peu l’air,
Pour nous laissez le plaisir d’être ensemble.
Scène ii
Florestan, Corisande
corisande
Air : Et bon bon
Mon beau Florestan !
florestan
Mon aimable Corisande !
ensemble, ensemble
Trop heureux moment !
florestan
M’aimez-vous ?
corisande
Belle demande !
florestan
Épousons-nous sans compliment,
corisande
C’est ce que j’allais vous dire,
florestan
Bon, bon, bon, quel aveu charmant !
Nous allons tous deux bien rire !
ensemble, ensemble
Bon, bon, bon, un arrangement
Chez nous se fait promptement.
corisande
ariette, n.2
D’un amant fidèle
L’absence est cruelle,
Mais il semble que son amour
Se renouvelle
Par son retour.
Le printemps avec ses grâces
Paraîtrait-il causer tant de plaisirs
Si l’hiver par ses glaces
N’interrompait le règne des zéphires ?
florestan
Air : Ma mère était bien obligeante
Pour toi mon ardeur est constante.
corisande
Pour toi mon amour est constant.
florestan
Corisande est toujours charmante.
corisande
Florestan est toujours charmant.
florestan
Que Corisande est obligeante !
corisande
Que Florestan est obligeant !
florestan et corisande, ensemble
Duo
Air : Dupont, mon ami
Comme au bon vieux temps
Chacun nous contemple,
Des parfaits amants
Nous sommes l’exemple,
Aimons-nous parfaitement
Jusqu’à la fin du roman.
Scène iii
Oriane, Corisande, Florestan
corisande
Air : Quand le péril est agréable
Je revois mon amant fidèle,
Venez m’en faire compliment.
oriane
Rien n’est plus rare assurément
Qu’une ardeur éternelle.
florestan
Air : Ô, l’heureux temps
Votre rigueur
Qui nous désespère
Va de mon pauvre frère
Causer le malheur.
oriane
Il bannit de son cœur
Une première ardeur.
Elle est finie,
Ce n’est qu’un trompeur :
Briolanie
Avec son nom badin
Plait à ce petit libertin.
ariette, n.3
Un inconstant
Qui se dégage,
Nous laisse l’avantage
D’en faire autant.
N’est-on plus sûre de plaire,
Que ne doit-on pas faire
Pour goûter la première
Tout l’agrément
Du changement ?
florestan
Air : Non, tu ne m’aimes pas
Il n’est point infidèle,
Je puis vous l’assurer.
oriane
Une beauté nouvelle
Vient de s’en emparer.
florestan
Son cœur soumis est tendre.
oriane
C’est pour d’autres appas.
florestan
Voulez-vous bien m’entendre ?
oriane
Non, il ne m’aime pas.
corisande
Air : Pour passer doucement la vie
Des ingrats il purge la terre.
oriane
Bon, ce héros ambitieux
Par vanité leur fait la guerre
Et pour son plaisir, fait comme eux.
florestan, corisande ensemble., ensemble
Air : Ah ! ah ! ah ! venez y toutes
Ah ! ah ! ah ! quel bien suprême
D’être aimé de ce que l’on aime !
Quel plaisir charmant !
oriane
Plaignez tous ma faiblesse
Pour un perfide amant,
J’aurais trop d’allégresse
S’il m’aimait constamment.
florestan et corisande, ensemble
Ah ! ah ! ah ! quel bien suprême etc.
oriane
Que ne puis-je sans peine
Aimer le changement ?
Je chéris trop ma chaîne
Pour la rompre aisément.
florestan et corisande, ensemble
Ah ! ah ! ah ! quel bien suprême etc.
oriane
Si de mon infidèle
Mon cœur était content,
Comme vous et comme elle
Je chanterais gaiement.
Tous trois
Ah ! ah ! ah ! quel bien suprême etc.
On entend un bruit de guerre.
oriane
Air : Mi, la, si, ut, mi, ut, ré, mi
J’entends, je crois, des instruments ?
corisande
Vous ne vous êtes pas trompée,
Ce sont des divertissements
Pour votre âme préoccupée.
oriane
De quelle part ?
corisande
Ils viennent par hasard
C’est une danse d’épée.
Une troupe de suisses vient faire la danse du jeudi gras.
Acte ii
Le théâtre représente un bois dont les arbres sont chargés de trophées. On y voit un pont et un pavillon au bout.
Scène i
Arcabonne seule
arcabonne
Air : Mahomet défendit
Eh pourquoi, dieu d’amour, accabler Arcabonne ?
Ton pouvoir m’étonne
Que voudrais-tu de moi ?
Sans doute sous ta loi
Lorsque l’on a le cœur
Plein de douceur ?
Mais par malheur
Dans mon ardeur
Je n’ai qu’un cœur
Un cœur de diable.
Air : L’amour est à craindre
L’amour que je brave
M’a fait son esclave,
Dans l’entrave
Me voilà.
Comment sortir de là ?
Pour rompre la chaîne
Qui cause ma peine,
À la haine
J’ai recours,
C’est un mauvais secours.
Scène ii
Arcalaus, Arcabonne
arcalaus
Air : Entrée des quatre nations,
Quelle sombre humeur,
Ma sœur ?
Quelle douleur
Vous trouble et vous met en fureur ?
arcabonne
Air : De tous les capucins du monde
Je vais vous compter mon histoire,
Et vous aurez peine à la croire.
Air : Et frou frou
Un monstre affreux l’autre jour,bis
M’allait faire un vilain tour :bis
Il était prêt à m’étrangler.
arcalaus
Pauvre petite !
Il fallait l’ensorceler
Et vous en étiez quitte.
arcabonne
Air : Taritati
Un héros débonnaire
De je ne sais où sorti,
arcalaus
Taritati,
arcabonne
D’un coup de cimeterre
Tout du long le pourfendit.
arcalaus
Taritati.
arcabonne
Hélas ! j’eus bien peur, mon frère,
Sans lui tout était dit,
Taritati.
arcalaus
Taritati.
arcalaus
Taritati.
arcalaus
Tati.
arcabonne
Air : Le masque tombe
En rendant grâce au vaillant personnage,
Je m’informai de son nom vainement,
Mais remarquez ce bel événement,
Son casque tombe et je vois son visage.
Air : Chapeau bordé, habit de pinchinat
À cet aspect là
Là là là là là là là là
Mon sang se troubla.
arcalaus
Oui-dà, oui-dà.
arcabonne
Depuis ce temps-là
Là là là là.
arcalaus
Oui-dà, oui-dà.
arcabonne
Ah le cœur me bat !
Ma vertu combat.
arcalaus
Air : Il n’a pas pu
Ici, jadis
Par Amadis
Fut occis notre frère
Pour le consoler d’être mort,
Que son vainqueur ait même sort.
arcabonne
Animons-nous.
arcalaus
Noble courroux,
Cherchons le téméraire.
Air : Noël suisse
Suivons notre rage
Pour le mettre en cage
Charmons ces forêts,
Préparons nos filets.
Nous allons avoir
Le plaisir de le voir
Pris au traquenard,
Ainsi qu’un vieux renard.
Par la diablerie
Avec barbarie
Otons-lui la vie,
Qu’il aille à l’instant
Tenir compagnie
A défunt Ardan.
arcalaus
Air : Quand la bergère vient des champs
Démons qui servez mon courroux,
Préparez-vous.
Au moindre mot accourez tous,
Mais par prudence
Avant la chance
Montons chez nous.
Il monte sur le pont et se retire dans le pavillon qui est au bout.
Scène iii
Amadis seul
amadis
Air : Dans un bois solitaire
Bois épais, redouble ton ombre,
Car je ne veux plus voir le jour,
Et sois aussi triste, aussi sombre
Que l’est mon ennuyeux amour.
ariette, n.4
Amours, sois toujours mon vainqueur.
Mars vainement m’ordonne
D’éteindre mon ardeur,
Ce dieu que la valeur couronne,
À Vénus dans Paphos n’a-t-il pas fait sa cour
Non, non, tous deux me charment tour à tour,
On peut aux lauriers de Bellone
Unir les myrtes de l’Amour.
Scène iv
Amadis, Corisande
corisande
Air : Sous un ormeau
Par quel hasard
Et si tard
Suis-je à l’écart ?
amadis
Ah !
corisande
Quelqu’un je croi ?
Comme moi
Est ici ?
amadis
Oui.
corisande
Du sort je sens les coups,
Comme vous
Je soupire ;
J’ai perdu dans l’instant
Florestan,
Quel martyre !
ensemble, ensemble
Joignons nos pleurs,
Nos douleurs,
Et nos clameurs.
Nous voyons tous deux
À nos feux
Les amours
Sourds.
corisande
Air : Matelots
Florestan votre frère
Gémit dans un cachot,
Hélas ! Le pauvre Haire !
Il est pris comme un sot.
amadis
Quoi ! Ce grand cœur ?
corisande
Il a de la valeur,
Mais par malheur
C’est qu’il a toujours peur.
amadis
Air : Quand Moïse fit défense
Mais comment dans ces retraites
A-t-il pu s’embarrasser ?
corisande
Ce bois est plein de fillettes
Qui viennent vous agacer.
Vous entendez des chanteuses,
Vous y voyez des danseuses,
Et tout cela vous conduit
Dans un périlleux réduit.
amadis
Air : Pour ma pistole
Courons le défendre,
Quel chemin dois-je prendre ?
corisande
Il faut vous attendre
À de périls affreux.
amadis
Crois-tu ma chère
Qu’en une affaire
Comme mon frère
Je suis peureux ?
Allons.
Scène v
Arcalaus, Amadis, Corisande
arcalaus, achevant l’air
Arrête, malheureux.
amadis
Air : Je suis un croustilleux chasseur
En vain, tu voudrais m’effrayer.
arcalaus
Ce passage est en ma puissance,
Je dépouille ici tout guerrier.
amadis
Voyez, quelle insolence !
J’ai toujours passé sans payer
Sur tous les ponts de France.
arcalaus
Air : Que faites-vous, Marguerite
Vois ces preuves de victoire.
amadis
Convient-il d’être si vain,
Lorsque l’on n’a que la gloire
D’un voleur de grand chemin ?
Air : De ma bergerie
Ça, rends-moi mon frère !
corisande
Rends-moi mon amant !
amadis
J’en fais mon affaire.
arcalaus
Fais moins le méchant.
Vous l’allez voir, ma chère,
Ne craignez pas tant.
Air : Jean relève ta culotte
Je veux qu’à ta barbe, à ton nez,
On prenne Corisande.
Les suivants d’Arcalaus emmènent Corisande.
corisande
Comment, comment, vous m’emmenez,
Et sans qu’il me défende ?
amadis
Allez, allez, assurez-vous, ne craignez rien,
Mon petit cœur, ma mie,
Allez, allez, car je vous défendrai très bien
Quand vous serez partie.
arcalaus
Air : Carillon de Dunkerque
Livrons-lui donc bataille.
Les démons paraissent.
amadis, aux démons
Retirez-vous canaille.
Monsieur le Général,
Je vais vous donner le bal.
arcalaus
Démons, pour le combattre,
Faites le diable à quatre.
Les démons fuient.
amadis
Tes monstres ont, ma foi,
Autant de peur que toi.
arcalaus
Vous, nymphes, qu’on me serve,
Désarmez ce guerrier.
Les nymphes viennent.
Que votre art me préserve.
amadis
Ce beau corps de réserve
Au plus fameux guerrier
Ferait demander quartier.
Arcalaus sort et l’on danse autour d’Amadis.
amadis
Air : C’est chez vous
Que d’attraits !
Tous ces objets
Me paraissent parfaits.
Que d’attraits !
Tout en ressent les effets.
Ô, pouvoir de leurs beaux yeux !
En les voyant en ces lieux,
Le diable même fuit
Et certain charme me séduit.
Que d’attraits !
Tous ces objets
Me paraissent parfaits.
Que d’attraits !
Mon cœur en sent les effets.
Une niaise danse autour de lui.
amadis
Air : Il faut que l’Amour nous presse
Cette danse est langoureuse
Et ne se fait plus goûter.
Il la faudrait, pour nous flatter,
Plus merveilleuse.
Faites venir pour m’enchanter
Une sauteuse.
Une nymphe danse gaiement et l’enchante. Il la prend pour Oriane.
amadis
Air : La sagesse est de bien aimer
Est-ce un songe ? Est-ce un art trompeur
Qui m’offre en ces lieux ma maîtresse ?
Sans chercher si c’est une erreur
Mon cœur s’abandonne à l’ivresse.
Vous, Oriane ! Ah ! Quel bonheur !
Quoi ? Vous partagez ma tendresse ?bis
Est-ce un songe etc.
On danse.
amadis, donnant son épée
Air : Le Grand Seigneur a raison
Recevez, objet charmant,
Un bijou si tendre,
L’épée est un instrument
Qu’un guerrier ne doit pas rendre.
On pourra me critiquer,
Mais si l’on vient m’attaquer,
Vous saurez me défendre.
Les nymphes emmènent Amadis.
Acte iii
Le théâtre représente un bois, une prison et un tombeau.
Scène i
Arcabonne, Florestan, Corisande, troupe de captifs
Arcabonne descend sur un hippogriffe qui tient dans sa gueule un falot, sur lequel on lit n.2.
arcabonne
Air : Monsieur Jason, courage
Traînez ici vos chaînes,
Il faut vous dégourdir
Mais de vos plaintes vaines
N’allez pas m’étourdir.
Flon, flon, flon
Larira dondaine,
Gai, gai, gai,
Larira dondé.
corisande
Air : Je suis Madelon Friquet
Cesserons-nous de languir ?
arcabonne
Votre plainte enfin m’importune,
Il est temps de la finir,
De vos maux vous allez guérir.
florestan
Nous allons voir avec plaisir
Mettre fin à notre infortune.
corisande
Vous pourriez vous attendrir !
florestan
Qu’il me tarde de sortir
Avec mon adorable brune !
arcabonne
Vous cesserez de souffrir,
Mes enfants, vous allez mourir.
florestan et corisande, ensemble
Air : Ah ! Madame Anroux
Ah ! que j’ai d’effroi !
Ce n’est pas pour moi,
Mais pour toi je tremble.
Ah ! que j’ai d’effroi !
Oui, pour toi je tremble,
Ce n’est pas pour moi.
arcabonne
Terminez vos malheursbis
Lorsque l’on meurt ensemble
La mort a des douceurs.
corisande et florestan, ensemble
Ah ! que j’ai d’effroi ! etc.
arcabonne, va au tombeau d’Ardan
Air : Diablezot
Toi, qui fut jadis la terreur
De toute la chevalerie,
Et qu’un chevalier par malheur
A pourtant privé de la vie,
Sois le témoin de ma fureur.
On va remettre en ma puissance
Le guerrier qui te fit capot
Pour l’immoler à ta vengeance.
lombre, dans le tombeau
Diablézot !
Scène ii
L’ombre et les précédents
arcabonne
Air : Je ne sais pas écrire
Ah ! ce bruit me fait frissonner,
L’ombre, je crois, veut raisonner :
L’aventure est tragique.
Mais rassurons-nous cependant,
Peut-être que l’âme d’Ardan
N’aime pas la musique.
lombre
Air : La révérence anglaise
Des sombres lieux
Je viens te voir à la sourdine,
Mais la clarté des cieux
Me fait grand mal aux yeux.
Ton désir curieux
Altère ma poitrine,
Je sens, quoique bien mort,
Que je chante trop fort.
En dansant dans son tombeau.
Ta faible raison
De l’amour a gouté le poison,
Tu vas sottement
Trahir ton serment :
Tout cela m’agite
Dans mon triste gîte
Je redescends :
C’est au diable que je t’attends.
Air : Sol, sol, sol, mi
Je redescends,bis
C’est au diable que je t’attends.
Scène iii
Arcabonne, Amadis et les précédents
arcabonne
Air : Confiteor
Vous radotez, préparons-nous,
Je vois arriver ma victime.
Meurs !... Amadis, est-ce bien vous ?
Vous tuer ! Ce serait un crime,
À votre bras je dois mes jours.
amadis
N’importe, tuez-moi toujours.
arcabonne
Air : Mais hélas ! je m’aperçois bien
Quoi ! de mon libérateur
Je pourrais être ennemie ?
J’ai juré sur mon honneur
De te priver de la vie,
Mais en te voyant, je sens bien
Que j’ai fait une folie ;
Mais en te voyant, je sens bien
Qu’il ne faut jurer de rien.
Air : Ces filles sont si sottes
Pour m’acquitter honnêtement,
Demandez-moi tout hardiment,
Amadis, je vous fais serment
Que mon pouvoir en ce moment
Est à votre service.
amadis
Délivrez ces innocents-là,
Et soyez-nous propice.
arcabonne
Oui-dà,
Tout à votre service.
amadis
Air : Gai, gai, gai, mon officier
Je vous en remercie
Et poursuis mon chemin.
arcabonne
Remettez, je vous prie,
Le départ à demain.
Vous prendrez bien, je pense,
Le vin de l’étrier ?
Et gai, gai, gai, mon chevalier,
Un peu de complaisance,
Et gai, gai, gai, mon chevalier.
amadis
Pour vous remercier.
Arcabonne emmène Amadis.
corisande
Air : Un bel oiseau
Sortons d’un affreux esclavage.
le chœur des captifs, ensemble
Sortons d’un affreux esclavage.
corisande
Et profitons de l’avantage
Qu’Amadis par son courage
Sur l’enfer a remporté,
Chantons que notre liberté
Est son heureux ouvrage.
chœur
Chantons que notre liberté
Est son heureux ouvrage.
florestan
Même air
Puisque lui-même était en cage.
chœur
Puisque lui-même était en cage.
florestan
Ce n’est donc point par son courage
Qu’il nous tire d’esclavage,
C’est par d’autres qualités
Et vous êtes des hébétés
De tenir ce langage.
chœur
Et nous sommes des hébétés
De tenir ce langage.
Acte iv
Le théâtre représente la mer et une île.
Scène i
Arcalaus, Arcabonne
arcalaus
Air : De mon pot, je vous en réponds
Je viens entre chien et loup
De faire un joli coup,
Oriane est en ma puissance,
Que la magie a d’agrément !
On vous tient quitte du bon sens
Dans ses événements.
Air : T’a-t-il levé ta gorgerette
Notre ennemi brûlait pour elle
Il combattait pour l’obtenir.
arcabonne
Vous ne sauriez trop la punir,
Je viens de la voir, qu’elle est belle !
Ce crime ne peut se souffrir,
Vous ne sauriez trop la punir.
arcalaus
Air : Mon père, je viens devant vous
Nous n’aurons plus de démêlé,
Dans le courroux qui vous anime.
Vous avez sans doute immolé
Cet Amadis, votre victime ?
arcabonne
Vous imaginez qu’il est mort.
arcalaus
Oui.
arcabonne
Mon frère, vous avez tort.
Air : Je n’aimais pas le tabac beaucoup
Amadis est l’aimable inconnu
Dont le bras m’a si bien secouru,
Mon cœur reconnaissant aujourd’hui
Est ici son appui.
arcalaus
Vous prenez son parti ?
arcabonne
Oui.
arcalaus
Vous m’avez donc trahi ?
arcabonne
Oui.
arcalaus
Vous faites tout pour lui ?
arcabonne
Oui.
arcalaus
Il est donc votre ami ?
arcabonne
Oui.
arcalaus
Air : Nous sommes précepteurs d’amour
Ton amour me met en fureur,
Mais à ton tour, toi-même, tremble,
Oui, tu vas voir, perfide sœur,
Ces deux amants unis ensemble.
arcabonne
Air : Moi, qui fus toujours si sage
Ah ! La rage me transporte !
Ces amants seraient heureux ?
Que le diable les emporte,
Et qu’il nous délivre d’eux.bis
J’imagine un artifice
Pour servir notre courroux,
Toujours en fait de malice
Nous en savons plus que vous.bis
arcalaus
Air : Mi, sol, ré, mi, fa, mi, ré, ut, sol
C’est bien dit, mais nous y fierons-nous ?
arcabonne
Fiez-vous à l’amour jaloux.
Ils sortent.
Scène ii
Oriane seule
oriane
Air : Il est temps, Philis, que l’on s’engage
Je suis loin de la cour de mon père
Sans savoir ni pourquoi, ni comment.
Je me trouve en cette île étrangère,
À présent que va dire maman ?
Moi, qu’en fille d’honneur on élève,
Un sorcier me tient à sa merci !
On m’enlève,
Que j’endève
De me voir ici !
On m’enlève, e, e, eve,
De moi, que veut-on faire aujourd’hui ?
Me voilà dans un bois sans personne,
Maman ne m’entendra pas crier,
Et monsieur mon amant m’abandonne,
Est-ce le fait d’un preux chevalier ?
On m’emporte sur un hippogriffe,
Je me vois au pouvoir d’un sorcier.
L’escogriffe
Sous sa griffe
Me tient sans quartier,
Sous sa gri, i, i, i, iffe,
Sous sa griffe
Me tient sans quartier.
Il ne tardera pas à paraître,
Mais malgré sa magie et ses sorts,
Ma vertu va se faire connaître
Je saurai réprimer ses efforts
Quand on a la volonté maligne
Et qu’on fuit un peu trop les transports,
D’un air digne
J’égratigne
Je pince et je mords,
J’égratigne, i, i, i, igne,
J’égratigne,
Je pince et je mords.
Air : Fanfare de Choisy
Autrefois à ma défense
Amadis aurait volé,
Pour punir son inconstance,
Je l’ai moi-même exilé ;
Quoiqu’un amant puisse faire,
Il faut ménager ses soins,
On peut en avoir affaire
Quand on y pense le moins.
Scène iii
Arcalaus, Oriane
arcalaus
Air : Je vous prêterai mon manchon
Croyez-moi, brisez votre chaîne.
oriane
Oui, je hais un amant trompeur.
arcalaus
J’ai très bien servi votre haine,
Mon bras a vaincu ce vainqueur.
oriane
Amadis ! Non, non, il n’est pas possible
Qu’il ait cessé d’être invincible.
arcalaus
C’est tout de bon.
oriane
Quel fanfaron !
Vous si poltron.
arcalaus
Je dis que si.
oriane
Je dis que non.
À qui comptez-vous ça,
Eh ! mais oui dà ?
À qui comptez-vous ça ?
ariette, n.5
À ce héros, objet de mes alarmes,
Tout est soumis
Il ne craint point les armes
De ses plus fiers ennemis.
Chéri de la victoire,
Il enchaîne tout l’univers,
L’amour seul peut avoir la gloire
De lui donner des fers.
Scène iv
Arcalaus, Oriane, Amadis qui parait comme mort
arcalaus, montrant Amadis à Oriane
Air : Non, non, ce n’est pas pour rire
Voyez, dois-je le craindre encore ?
oriane
Est-ce tout de bon qu’il est mort,
Ce héros que j’admire ?
arcalaus
Non, non, ce n’est pas pour rire. \indicreprmus trois fois
oriane
Air : Me promenant près du logis
Quel objet vois-je en ce moment !
Ah ! quel affreux événement !bis
Mon pauvre amant
Qui m’adorait si sagement,
Que j’aimais tant,
N’est plus vivant.bis
Vaillant et leste,
Vif et preste,
Plus de mille fois,
Aux géants son bras funeste
Ota l’usage de la voix.
Mon pauvre amant !bis
Est-ce donc là ce cher amant
Que j’aimais tant ?bis
Au sort d’une bataille
D’estoc et de taille,
Sans cesse il frappait
Tout ce qu’il trouvait,
Il en triomphait ;
Mais en amour plus circonspect,
Il ne manquait point de respect :
Je crois qu’il est mort en effet.
Ah ! ah ! qu’il est défait !
Mon pauvre amant !bis
Est-ce donc là ce cher amant
Que j’aimais tant ?
Air : Beaux yeux, qui paraissez si doux
Montrons dans un moment si beau
La douleur la plus vive,
Puisqu’Amadis est au tombeau
Il faut que je le suive,
Ou bien si je ne puis mourir
Je vais tâcher de m’endormir.
Elle se jette sur un gazon.
Scène v
Arcalaus, Arcabonne, Amadis et Oriane sur un gazon
Duo
arcabonne et arcalaus, ensemble
Air : Quel plaisir de voir Claudine
Quel plaisir de voir la belle
De douleur prête à mourir,
Et son amant auprès d’elle
Qui ne peut la secourir !
arcabonne
Air : Pour un bon débauché
Écoutez le dessein
Que mon amour propose,
Écoutez le dessein
De mon esprit badin :
Tandis que l’un se repose,
Que l’autre le croye mort.
arcalaus
Ah, ma sœur, la belle chose !
Je l’avais pensé d’abord
Guin guin guin relin guin.
arcabonne
À nos projets on s’oppose.
ensemble, ensemble
Guin guin guin relin guin.
On entend un bruit de symphonie.
arcabonne
Qui peut troubler ce refrain ?
arcalaus
Air : Je ne suis pas beau, oh, oh
Un rocher flotte sur l’eau,
Oh, oh,
J’en vois sortir de la flamme.
arcabonne
Un rocher ! C’est un serpent !
Vraiment
De crainte il glace mon âme.
arcalaus
Un serpent ?
C’est bien un vaisseau de la Chine.
arcabonne
Bon, c’est bien une autre machine.
arcalaus
Qu’est-ce donc que tout cela ?
ensemble, ensemble
Ah ! ah ! ah ! ah !
arcabonne
Marchandise d’Opéra.
Urgande descend du vaisseau avec ses suivantes.
Scène vi
Arcalaus, Arcabonne, Urgande, Amadis et Oriane sur un gazon
urgande
Air : Voyez ah, ah, ah
Vous voyez la grande Urgande
Ah ! ah !
Je viens sans qu’on me demande
Ah ! ah !
Et de plus sans qu’on m’attende
Ah ! ah !
arcalaus, arcabonne, ensemble
Même air
Nos efforts sont inutiles,
Ah ! ah !
urgande
Laissez ces amants tranquilles
Ah ! ah !
Je vais vous rendre immobiles.
Elle touche de sa baguette Arcabonne.
arcabonne
Ah !
Elle en fait autant à Arcalaus.
arcalaus
Ah !
urgande
Air : Il faut suivre la mode
Cela fait deux plaisants tableaux,
Laissons-les dans cette posture,
Je veux de ces originaux
Conserver au moins la figure.
Qu’on me dessine leurs portraits
Selon la nouvelle méthode,
Mais qu’ils soient faits
À peu de frais
Il faut suivre la mode.
Deux suivants d’Urgande d’un coup de brosse dessinent leurs portraits en noir.
Air : Allez-vous-en, gens de la noce
Dans mon cabinet qu’on les mette
Pour être du goût d’à présent,
Elle les désenchante.
C’est assez, faites place nette,
Vous embarrassez maintenant,
Allez-vous-en,
Faites tous deux la pirouette,
N’allongez pas notre roman.
Air : Réveillez-vous, belle endormie
À Oriane.
Réveillez-vous, belle endormie
à Amadis
Réveillez-vous, amant constant,
De vous voir dormir je m’ennuie,
Et le public en fait autant.
Scène vii
Urgande, Amadis, Oriane
oriane
Air : Suivez les lois
Je vois le jour :
Quel charme me rend à la vie ?
Je vois le jour
Sans voir l’objet de mon amour.
amadis
Je vois le jour etc.
oriane
Quelle tyrannie !
amadis
Mon amante m’oublie,
Quelle tyrannie !
Et je respire en ce séjour.
ensemble, ensemble
Je vois le jour,
Quel charme me rend à la vie ?
Je vois le jour
Et l’objet de mon tendre amour.
oriane
Air : Quand la mer rouge
Malgré votre changement
Pour une autre belle,
Je vous aime constamment,
Petit infidèle.
amadis
Vous m’accusez faussement.
oriane
Non, vous vivez sûrement
Pour Bri, Bri,
Pour Brio, la, la
Pour Bri, Bri,
Pour Brio,
Pour Briolanie.
amadis
Quelle calomnie !
Air : Il faut, pour le coup, que ma muse s’amuse
Ce bel objet de scène en scène
Vous mène
Sur un léger soupçon.
À peine, hélas ! Sais-je son nom
Ce n’est qu’une chimère vaine.
Ce bel objet de scène en scène,
Vous mène
Sans la moindre raison.
oriane
Air : Monsieur Desbrosses
Je t’adorais quoique volage,
Ah ! Juge à présent, cher amant,
Combien je t’aime davantage
Quand je te retrouve constant.\indicreprmus fin
Mon cœur est le tien,
Ton cœur est le mien,
Ne désirons plus rien ;
Ah ! puissent toujours
Durer nos amours,
Toujours, toujours.
Je t’adorais etc. \indicreprmus jusqu’au mot fin
urgande
Air : Tout est charmant, à cette table
Votre bonheur est mon ouvrage,
Et je fais votre mariage.
Mes enfants, il n’est pas besoin
D’aller plus loin.
amadis
Il faut en parler à mon père.
oriane
Le mien pourrait être en colère.
urgande
Bon ! J’ai leur procuration.
amadis et oriane, ensemble
Rien n’est si bon.
ensemble, ensemble
Air : Allons danser, sous ces ormeaux
L’amour finit notre tourment,
Mais jurons-nous d’être fidèle,
Souvent le bonheur d’un amant
Passe comme un enchantement.
amadis
À mes regards toujours plus belle,
Je ne verrai que tes attraits.
oriane
Pour des rivaux, n’en crains jamais,
Mais
Point de maîtresse nouvelle.
Scène viii
Les acteurs de la scène précédente, Florestan et Corisande
Même air
ensemble, ensemble
L’amour finit notre tourment
Mais jurons-nous d’être fidèle,
Souvent le bonheur d’un amant
Passe comme un enchantement.
amadis et florestan, ensemble
Jamais le temps n’éteindra nos désirs.
oriane et corisande, ensemble
Que l’amour seul fasse tous nos plaisirs.
florestan
Je suis à toi.
corisande
Voilà ma foi.
amadis
Compte sur moi.
oriane
Je suis ta loi,
tous, ensemble
Des vrais amants devenons le modèle
Notre amour toujours durera,
Promettre une flamme éternelle
Est la fin de tout Opéra :
Finissons donc aussi par là.
Fin
nouveau
Content d’être aimable et charmant,
Le beau sexe était ignorant,
Jadis c’était l’usage ;
Mais l’esprit comme l’agrément
Est devenu son partage,
C’est l’usage\ibis\ d’à présent.
Pour attendrir un fier objet
On employait rose et muguet,
Jadis c’était l’usage ;
Débuter par un gros présent,
Pour fléchir un cœur sauvage,
C’est l’usage\ibis\ d’à présent.
Rester fidèle à son amant
En dépit de l’éloignement,
Jadis c’était l’usage ;
Ne pouvoir quand il est présent
S’empêcher d’être volage,
C’est l’usage\ibis\ d’à présent.
Les chevaliers preux et courtois
Sauvaient l’innocence aux abois,
Jadis c’était l’usage ;
Est-elle en un péril pressant ?
On l’aide à faire nauffrage,
C’est l’usage\ibis\ d’à présent.
On ne pouvait souffrir le chant
Que naturel, noble et touchant,
Jadis c’était l’usage ;
À l’Opéra, quel changement ?
On n’applaudit qu’au tapage,
C’est l’usage\ibis\ d’à présent.
Au parterre.
Fréquenter les italiens,
Applaudir à leurs petits riens,
Jadis c’était l’usage ;
Mais ne sourire qu’en passant
Au zéle qui les engage,
C’est l’usage\ibis\ d’à présent.
Ramenez-nous cet heureux temps,
Où vous étiez toujours contents,
Jadis c’était l’usage ;
Que le public, plus indulgent,
Dise en donnant son suffrage :
Allons, Messieurs, ils font tout ce qu’ils peuvent pour nous plaire, applaudissons-les.
C’est l’usage\ibis\ d’à présent.