Amadis gaulé

Auteurs : anonyme
Parodie de : Amadis de Gaule de Quinault et Lully
Date: 1741
Représentation : Inconnu
Source : s. l. 1741
Remarques :
Publié en 1741
Anonyme

Amadis gaulé


Parodie d’Amadis des Gaules, comédie allégorique en un acte


Sans lieu, 1741

Acteurs


Amadis
Oriane
Urgande, suivante d’Oriane
Arcalaus
Argan, valet de chambre d’Arcalaus
Goudouli
Une femme gasconne
Une fille de joie
Une troupe de chanteurs
La scène est à Paris, chez M. La D. de V.

Amadis gaulé


Scène i

Oriane, Urgande

oriane

Non, Urgande, je ne serai jamais satisfaite si l’audace d’Amadis n’est punie avec la dernière rigueur.


urgande

Reposez-vous en sur moi, Madame, s’il est assez hardi pour mettre


le pied dans votre maison, malgré la défense qui lui en est faite, il apprendra que la condition des personnes de votre rang est une barrière que l’on ne peut franchir sans s’exposer à des remords éternels.


oriane

Ce qui me peine le plus dans cette affaire, c’est que ce vil comédien, suivant le génie du théâtre, ne manquera point de regarder ma colère comme les premières étincelles d’un amour naissant. Son impertinence lui coûtera cher.


urgande

Je vous promets de pousser à bout sa fatuité et de la forcer dans ses derniers retranchements.


oriane

Mais, n’est-ce pas lui que je vois ? Son audace encore...


urgande

Il serait trop flatté de vous rencontrer, laissez nous.


Scène ii

Urgande, Amadis

amadis, entre en chantant ce chœur de l’opéra d’Amadis
Chantons tous en ce jour,
La gloire de l’amour.
Gardez-vous bien de briser vos chaînes
Vous qui souffrez de cruelles peines,
Ne cessez point d’être constants,
Et vous serez contents.
Il aperçoit Urgande.

Ah ! Ma chère Urgande, comment vont nos amours ? Oriane est-elle toujours cruelle ?


urgande

Cruelle ? Dites plutôt charmante, adorable, n’aimant que vous, ne brûlant que pour vous.


amadis

Ô bonheur d’autant plus agréable qu’il était moins attendu ! La manière dont on m’avait interdit l’entrée de cette maison devait-elle être suivie d’une nouvelle si charmante ?


urgande

Vous avez fort bien fait de mépriser ces défenses, ces menaces étaient les derniers efforts d’une pudeur à demi-vaincue.


amadis

Il est donc vrai, ma chère Urgande, que je suis aimé.


urgande

Si bien qu’il vous est permis de goûter dès aujourd’hui des plaisirs que l’on a cru jusqu’ici réservés aux demi-dieux.


amadis

Ah, ma chère Urgande, que faut-il faire pour y parvenir ?


urgande

Me cajoler, me prier bien fort ; que sais-je ? m’offrir quelques portraits de Louis XV.


amadis

Je t’entends, voilà cinquante louis que je te supplie de recevoir, trop heureux si je vois Oriane dans la chambre enchantée des loyaux amants.


urgande

Vous serez satisfait, je m’en vais disposer toutes choses et ne sortez point d’ici jusqu’à ce que je revienne.


Scène iii

Amadis

amadis, chante ce couplet de la sixième scène du quatrième acte de l’opéra d’Amadis
Cœurs accablés de rigueurs inhumaines,
Ne cessez point d’espèrer en aimant,
Il est fâcheux de porter des chaînes,
C’est un cruel tourment !
Mais quand l’amour en veut payer les peines,
C’est un plaisir charmant.

Scène iv


[Le texte imprimé passe de la scène III à la scène V]


Scène v

Amadis, Arcalaus

arcalaus

Amadis en ces lieux ? L’on vous en disait banni pour toujours !


amadis

C’est une erreur, je suis ici des mieux et d’ailleurs, qui serait assez osé pour vouloir m’en interdire l’entrée ?


arcalaus

Je ne sais, mais je connais ici bien des gens qui vous en veulent et je crois fort que vous gagneriez à ne plus y paraître.


amadis

Malgré cela j’y parais avec confiance, je voudrais fort que quelque original y trouvât à dire. Corbleu, tel que vous me voyez, je ne suis point aisé.


arcalaus

Au reste, ceux dont je vous parle, ce sont des gens de goût et la fatuité leur déplaît infiniment.


amadis
airopera, Amadis
Je suis inébranlable
Contre un ennemi redoutable,
Dont il faut vaincre la fureur.
Et contre la colère
Des sots à qui je n’ai su plaire
L’on ne voit point trembler mon cœur.
arcalaus

Parlez plus doucement, cet air fanfaron commence à me déplaire.


amadis

Ma foi, ce n’est point devant vous que je baisserai le ton.


arcalaus, lui donne un soufflet

Applique cet emplâtre à ton impertinence.


amadis, se jette à ses genoux

Ah, Monsieur, de grâce calmez votre volère, si quelque chose vous a blessé dans mes discours, je vous en demande pardon.


arcalaus

Ah ! ah, c’est donc ainsi que vous répondez ? Je ne vous croyais pas de si bon accord.


amadis

La seule grâce que je vous demande, c’est de ne pas divulguer cette aventure.


arcalaus

Ne craignez pas, j’y perdrais autant que vous, mais avant de vous quittez permettez-moi de vous chanter un couplet qui vous convient fort.


Air : Menuet,


Les rossignols, contents de leur ramage,
Ne cherchent point la gloire des combats.
Ils sont sans fiel, ennemis du carnage.
Votre valeur ne dégénére pas.

Scène vi

Amadis

amadis

À l’insulte il mêle encore la raillerie, quelle malice !... N’importe. Je n’irai pas moins partout tête levée.


Air : Joconde

Voir la partition
Informations sur cet air

Quand on a longtemps vécu
Sur les bords de Garonne,
L’on y puise cette vertu
Qu’aucun malheur n’étonne.
Suivant toujours d’un pas égal
Des routes inconnues,
Un gascon au manteau ducal
Porte d’abord ses vues.

Scène vii

Amadis, Argan

argan

Vous savez assez quel dessein


m’amène. Allons, Monsieur, l’épée à la main.


amadis

Moi, Monsieur ? Cela m’est défendu,


ma vie est trop nécessaire au public, je ne l’expose pas pour peu de chose.


argan

Quoi ! Vous refuseriez de me faire


raison en homme d’honneur ? Il est vrai que l’honneur ne s’enveloppe jamais d’un habit de théâtre. Votre conduite ne m’étonne pas.


amadis

Pour quelques paroles que vous me reprochez, voudriez-vous


immoler les délices du public et le soutien de l’Opéra ?


argan

Je serais blâmé des honnêtes gens si je profitais de l’avantage que me donne votre faiblesse. Adieu.


Scène viii

Amadis

amadis

Enfin, voilà cette affaire, dont je craignais les suites, heureusement terminée !


Air : Sire votre bonne ville


Quand du cœur de sa maîtresse
On a trouvé le chemin,
Quel amant dans l’allégresse
De ses jours cherche la fin ?
Nous autres, gens de théâtre,
Nous savons fort bien nous battre,
Dans le feu de l’action,
Mais ce n’est qu’en fiction.

Scène ix

[Goudouli, Amadis]

goudouli, sous l’habit d’un homme ruiné

Bonjour, mon cousin. Et cadédis, comment vous portez-vous ?


amadis

Que souhaitez-vous, Monsieur ? Je ne vous connais pas.


goudouli

Vous ne me connaissez pas ? Je suis de Toulouse et je m’appelle Goudouli, votre cousin germain.


amadis, à part

Je ne le reconnais que trop. C’est lui-même.


goudouli

Vous me faites, ce me semble, un accueil bien peu gracieux. Cependant je vous ai rendu


des services assez considérables. Que feriez-vous devenu si je ne vous avais caché trois mois dans ma maison. Vous vous souvenez qu’étant encore abbé, vous séduisîtes la plus jolie dévote du père Sébastien, ce fameux carme déchaussé. Ce moine n’entendit point raillerie là-dessus et vous suscita cette affaire criminelle dont vous auriez été la victime.


amadis

Si vous m’en croyez, vous irez débiter ailleurs des fables si mal inventées.


goudouli

Si vous voulez savoir le succès de cette affaire, le voici : un mois après votre évasion de Toulouse, la dévote mis bas deux jumeaux, par bonheur le carme se reconnut dans un de ces poupons et en notre considération il voulut bien assoupir toutes choses.


amadis

Vos plaisanteries vous coûteront cher, si vous ne les terminez au plus tôt.


goudouli

Je vois bien que la modestie de mon pourpoint blesse ta vanité, mais je saurai bien te forcer à me reconnaître.


Scène x

Amadis, une femme gasconne, deux enfants

amadis

Quelle est cette femme qui s’avance vers moi ? Sa physionomie ne m’est pas inconnue.


la femme

Je te salue, mon cher cœur. Voilà le fruit de nos anciens amours : allons, mes enfants, embrassez votre cher père.


les deux enfants

Bonjour Papa ! Bonjour Papa !


amadis

Vous confondez, Madame, et je vous prie d’aller jouer ailleurs une scène si bizarre.


la femme

Quoi perfide ! Tu voudrais éluder ainsi l’effet de tes promesses ? Fatiguée de tes délais je suis partie de Toulouse pour t’amener ces enfants qui t’appartiennent et pour te forcer à m’épouser, suivant tes engagements. Si tu ne m’avais séduite, je serais encore en possession de ma virginité.


amadis

L’extravagance de vos discours, Madame, excite déjà mon indignation. Vous ferez sagement de vous retirer.


la femme, criant de toutes ses forces

Quoi, me jouer de la sorte !


De quel front oses-tu me tenir ce langage ?


amadis

Ah ! Madame, de grâce ne faites point ici d’éclat. Je suis résolu de vous satisfaire. Rendez-vous chez moi demain matin.


la femme

J’accepte la condition : nous viendrons au lieu marqué.


Scène xi

Amadis

Cette journée est marquée pour moi d’aventures funestes. Le bonheur de voir Oriane dans la chambre enchantée va me dédommager de tous ces accidents.


Air : Folies d’Espagne

Voir la partition
Informations sur cet air

En vain le sort s’encourage et s’obstine,
À chagriner mes sens et mes esprits.
J’irai bientôt reposer sur l’hermine,
À cet accueil, brisent tous mes soucis.

Scène xii

Amadis, une fille de joie

la fille de joie

Vous ne me remettez peut-être pas, Monsieur, pour moi je ne vous ai point oublié. Vous me laissâtes un gage de votre amitié que je n’ai conservé que trop longtemps.


amadis

Je ne pénètre point l’énigme que vous me proposez et je me flatte que nous n’avons rien à démêler ensemble.


la fille de joie

Rappellez-vous cette visite nocturne que vous me rendîtes le mois passé. Depuis, j’eus besoin du chirugien et de l’apothicaire : voilà les comptes. Vous êtes trop galant homme pour ne pas les acquitter.


amadis

L’insulte que vous me faites retombera sur vous, si vous ne disparaissez au plus tôt.


la fille de joie

Une fille bien née perd plutôt la pudeur que la modestie. Cependant, si vous refusez de me satisfaire, je ne garderai plus de mesures et j’instruirai tout le monde de vos largesses.


amadis

Madame, voilà vingt pistoles et qu’il n’en soit plus parlé.


la fille de joie

À ce prix, ma maison vous est ouverte et nous nous exposerons sans peine au péril de vos visites.


Scène xiii

Amadis, Urgande

amadis

Ah ! Ma chère Urgande, que ton absence m’a paru longue.


urgande

Tout réussit selon vos désirs. Oriane vous attend dans la chambre voisine. Volez où l’amour vous appelle.


amadis

Ô bonheur ! ô délices ! Il me


reste encore dix louis, accepte-les Urgande. Les plaisirs que je vais goûter ne peuvent être assez payés.


Scène xiv

Urgande, Arcalaus

urgande

Vous venez fort-à-propos, vous serez témoin d’une scène qui ne vous déplaira pas. Entendez-vous comme l’on bat la mesure dans cette chambre voisine ?


arcalaus

N’entends-je pas la voix de ce faquin d’Amadis ?


urgande

Dieux, quelle grêle de coups ! Entendez-vous comme il demande grâce ? ... Comme l’on redouble ? Maintenant il veut s’enfuir, mais on s’arrête et l’on recommence


de nouveau... Sa voix enrouée marque qu’il succombe. Ma foi, on lui en donne pour son argent.


arcalaus

Malgré l’ignominie dont on le couvre, je gage que sa vanité lui fournira des motifs de consolation.


urgande

On le lâche enfin. Le voici, retirons-nous en l’observant toujours.


Scène xv

Amadis

amadis

Ô malheur ! ô désespoir ! Je suis assommé. Quoi ? Des coups de bâtons ! À un homme de mon rang !


Il chante cet air d’Amadis, scène première du premier acte.
Ah, que l’amour paraît charmant !
Mais il n’est point de plus cruel tourment.
Que je trouvais d’appas dans ma naissante flamme,
Que j’aimais à former un bel engagement.
Ah ! J’ai payé bien chèrement
Les trompeuses douceurs qui séduisaient mon âme !

Mais dans mon désastre je trouve quelque chose de consolant. C’est sans doute la jalousie de quelque rival qui vient de former cet orage. Que sais-je ? Si c’était Oriane elle-même qui m’avertit par là d’être plus fidèle. Il faut tâcher de tout découvrir.


Scène xvi

Amadis, Urgande

urgande

Fuyez, Amadis, votre vie n’est


point en sûreté. C’est la colère d’Oriane qui vous poursuit. La bastonnade dont on vient de vous régaler fait ses délices, elle est résolue, si vous ne disparaissez pour toujours, de vous faire passer par les fenêtres. Ce qui retarde cet événement, c’est qu’elle balance pour savoir si ce doit être du second ou du troisième étage.


amadis

Ô comble de malheurs ! Ô disgrâce la plus funeste !


Il chante. Cet air est de l’opéra d’Amadis.
La beauté dont je suis la loi
Me bannit pour jamais sans me vouloir entendre.
Hélas ! Est-ce le prix que je devais attendre
De mon amour et de ma foi.
Fut-il jamais amant plus fidèle et plus tendre,
Fut-il jamais amant si bien battu que moi ?

Du moins, rends-moi l’argent que je t’ai donné, afin que l’on


ne puisse pas dire que je viens d’acheter mon ignominie.


urgande

Fuyez, vous dis-je ! Nous n’avons pas le temps de compter.


Scène xvii

Amadis, Urgande, Arcalaus, troupe de chanteurs

Amadis veut se retirer, Arcalaus l’arrête en disant :
arcalaus

Avant de partir, évoutez nos adieux.


Air : Laissez paître vos bêtes


Par votre doux ramage
Les plaisirs rapelés,
Dans ce riant bocage
Sont enfin rassemblés.
Depuis que de l’amour
Vous brillez dans la cour,
Tout charme en ce séjour.
La plus fière déesse
Seconde vos ardeurs,
Et vous cueillez sans cesse
Les plus brillantes fleurs.
premier chanteur

Air : Quand le péril est agréable

Voir la partition
Informations sur cet air

Les malheurs dont on vous menace
Ne doivent point vous étonner,
L’amour se plaît à couronner
La folie et l’audace.
second chanteur

Air : Menuet de Pyrame et Thisbé


Charmant oiseau
Votre plumage,
A pendant l’orage
Perdu le niveau.
À votre mine
L’on devine
Qu’un sinistre effort
Vous écarte loin du port.
urgande

Air : Près d’un coulant ruisseau


Près un ducal manteau,
Votre audace abusée
Va servir de risée
Pour vanter le fardeau
Qui gît sur vos épaules.
Vous serez appelé
Non Amadis des Gaules,
Mais Amadis Gaulé.
amadis

Ô Ciel, fuyons ! Allons ensevelir ma honte et mon désespoir.


Le paon et le rossignol. Fable.
Monseigneur Paon, milord de Bassecour,
Pour une canne était brûlé d’amour,
L’appellait-on Iris ou Cidalise ?
Je n’en dis rien, de peur d’une méprise,
Pour le certain jamais rien de si beau
N’avait paru sous l’habit d’un oiseau.
Ceci soit dit, sans hyperbole,
Le paon en faisait son idole.
Et son altesse au comble de ses vœux
Lui consacrait son loisir amoureux.
Un rossignol par son ramage
Vient troubler un si beau ménage,
La canne lui donna quelque tendre regard,
Tandis que le milord se panade à l’écart.
L’Amour voit tout. Allons, que l’on s’empresse
Dit Monseigneur, de venger son altesse.
À ce seul mot, tandis que sire Rossignol
Chantait en B quarre, ou B mol,
Tous les prévôts de la gent volatile
Fondirent tout à coup sur le chantre imbécile.
À cet assaut il fut si bien plumé
Que fort longtemps il en fût enrhumé.
Le trait moral qui suit
De ce récit
Sur les épaules
D’Amadis des Gaules
Sera longtemps écrit.

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