Jean-Joseph Vadé
La Fileuse
Parodie d’Omphale
Représentée pour la première fois sur le théâtre de l’Opéra Comique
le 8 Mars 1752
Oeuvres de M. Vadé, nouvelle édition, t.1, La Haye, Pierre Gosse, 1785
Acteurs
Babet, jeune veuve et fermière
Matamor, brigadier de la maréchaussée, amoureux de Babet
Daphnis, berger, amant de Babet
Maigrechine, riche sorcière, amoureuse de Matamor
Goton, servante et suivante de Babet
Acteurs et actrices de la veillée
La scène est dans un des villages de Flandres.
La Fileuse
Scène i
Daphnis seul
daphnis
Air : Réveillez-vous, belle endormie
J’aime Babet, elle l’ignore.
Hélas ! Que mon sort est fatal !
Faut-il, pour m’accabler encore,
Que mon ami soit mon rival ?
Air : Non, je ne ferais pas [ce qu’on veut que je fasse]
Oui, près de Matamor ma flamme est éclipsée,
Ce fameux brigadier de la maréchaussée
Vient de servir Babet contre des maraudeurs.
Souvent par le courage, on enchaîne les cœurs.
Air : Je vous prêterai mon manchon
Elle-même en ces lieux s’avance.
Scène ii
Babet, Daphnis, Goton
suitairprec
babet
Je vous l’ai déjà dit, Goton,
J’ai beaucoup de reconnaissance.
goton
Mais pour de la tendresse non,
C’est fort mal fait.
babet
Que vous êtes causeuse !
goton
Non, mais je suis très curieuse.
La, la, sans façon,
Répondez donc.
Dites oui ou non :
Ferez-vous quelque effort
Pour Matamor ?
Ferez-vous quelque effort ?
daphnis
Air : Pour soumettre mon âme
Babet, soyez sensible
Pour cet ami généreux.
babet
Que ne m’est-il possible
De former pour lui des vœux !
daphnis
Mais le zèle qui l’anime
Mérite quelque retour.
babet
Daphnis !... Il a mon estime,
Mais un autre a mon amour.
daphnis
Air : Oui, j’ai tout vu
Tout est perdu !
Ô Ciel ! Qu’ai-je entendu ?
Qui l’eût dit, qui l’eût cru.
babet
Air : De quoi vous plaignez-vous
De quoi vous plaignez-vous
Cette tendresse me flatte.
De quoi vous plaignez-vous
En seriez-vous jaloux ?
daphnis
Ah ! Si je le suis, ingrate,
C’est au nom de mon ami.
Lorsque sa gloire éclate,
Son amour est trahi !
babet
Air : Nous sommes précepteurs d’amour
Est-ce par crainte ou par pitié
Que son intérêt vous occupe ?
daphnis
Si j’étais aimé, l’amitié,
De l’amour serait bientôt dupe.
babet
Air : L’amour comme Neptune
Ma surprise est extrême.
daphnis
Oui, ma chère Babet,
Dès longtemps je vous aime.
goton
Nous voici donc au fait.
À Babet.
À quoi sert votre trouble ?
Donnez-lui tout uniment
De ces fleurs de roman
Que l’on cueille en aimant.
Pour que l’intérêt redouble,
Jouez un peu le sentiment.
babet
Air : Monsieur en vérité, vous avez bien de la bonté
Hélas ! Pourquoi retardais-tu
Un aveu qui m’enchante ?
daphnis
On rend, par un air de vertu,
La chose plus touchante :
À l’Opéra, la probité
Prouve d’un rival le mérite,
Et je l’imite.
goton
Monsieur, en vérité,
Vous avez bien de la bonté.
babet
Air : Vous voulez me faire chanter
Que tout ceci pour Matamor
Soit toujours un mystère.
daphnis
Vraiment, je vous approuve fort.
goton
Vous ne pouvez mieux faire.
daphnis
Je le crains, depuis un instant
Bien plus que je ne l’aime.
babet
Mais quel vacarme l’on entend ?
goton
Taisez-vous, c’est lui-même.
Scène iii
Matamor, Babet, Daphnis
matamor, suivi d’une troupe de Maraudeurs à qui l’on a mis les menottes
Air : Malgré la bataille
Je viens, belle veuve,
Vous offrir encor
Une bonne preuve
De mon vif transport.
J’ai su tenir ferme
Contre ces lurons
Qui de votre ferme
Grugeaient les dindons.
Air : La confession
Les voici tous, qu’en voulez-vous faire ?
Répondez, ma chère !
Faut-il, à vos yeux,
Les hacher ? J’en fais mon affaire.
babet
Ah ! plutôt je veux
Vous demander grâce pour eux.
matamor
Air : Reçois dans ton galetas
Je n’en fais pas à deux fois,
Comme l’on voit faire à d’autres.
Ma bravoure perd ses droits,
Quand l’amour fait parler les vôtres.
Se tournant vers les maraudeurs.
Allons, farauds, décampez ;
Mais n’y soyez plus rattrapés.bis
Air : Quand je suis dans mon corps de garde
Si pour eux vous êtes si bonne,
Vous le serez bien plus pour moi.
Et je me flatte que personne
Ne mérite mieux votre foi.
Air : Adieu la feuille et le serment
Vous devez m’aimer, je m’en vante.
babet
De moi vous êtes admiré,
Et même je vous avouerai
Que je suis très reconnaissante.
matamor
Un cœur est ingrat en aimant
Lorsqu’il n’est que reconnaissant.
babet
Air : N’ayez point tant de mépris
Je respecte vos vertus...
matamor
Cela m’a l’air d’un refus.
Je suis assez bon ;
Mais, m’échauffe-t’on,
Je ne vaux pas le Diable.
Demandez à Daphnis un peu
De quoi je suis capable,
Morbleu !
De quoi je suis capable.
daphnis, bas, à Babet
Air : Stila qu’a pincé Berg-op-zoom
Ménagez-le, je crains pour nous.
babet, à Matamor
Allez, on fera tout pour vous.
matamor
Vous me rassurez, et j’espère
À vos enfants servir de père.
daphnis
Air : Babet, que t’es gentille
Je tremble !
matamor
Ton minois
Aux cœurs cherche castille ;
Et lorsque je te vois,
Au fond du mien je grille.
On parle de moi !
Mais l’amour, ma foi,
Est bien un autre drille.
Si les brigands mon bras poursuit,
Crac, l’amour en croupe me suit,
Et me fait chanter jour et nuit :
Babet, que t’es gentille.bis
Air : En passant dessus le Pont-Neuf
Vous veillez, dit-on, ce soir,
On pourra vous aller voir.
Pour première récompense,
Accordez-moi ce bonheur.
babet
Volontiers, votre présence
Nous fera beaucoup d’honneur.
matamor, voulant embrasser Babet
Air : S’y prend-t’on de cette façon
Belle fileuse, vous m’aimez donc ?
babet, se reculant
Ah ! s’y prend-t’on de cette façon ?
matamor, déclame ce qui suit rapidement
Quoi donc pour un baiser me refuser ? Ma foi, mon bijou, vous n’y pensez pas ; chacun vaut son prix. Quel est votre goût ? Aimez-vous l’argent ? Je suis fait au tour, et malgré cela vous m’envisagez.
Air : D’une certaine façon
D’une certaine façon,
Qui, parbleu, ne me plaît guère,
Et votre humeur presque fière
Me donne quelque soupçon.
Vous recevez ma tendresse
D’une certaine façon
Qui n’annonce rien de bon.
babet
L’amour m’occupe sans cesse,
Et votre flamme me blesse
D’une certaine façon.
matamor
Air : Réveillez-vous, belle endormie
La réponse est entortillée,
Et me cause de l’embarras.
babet
Je vais préparer la veillée.
Regardant furtivement Daphnis.
Et d’y venir ne manquez pas.
babet
Air : La mort de mon cher père
Le soin de se contraindre
Est un cruel tourment.
Que ne peut-on, sans craindre,
Avouer son amant !
Mais lorsqu’il nous inspire
Pour lui le même feu,
L’embarras de le dire
Est souvent un aveu.
Elle sort.
Scène iv
Matamor, Daphnis
matamor
Air : Adieu, mon cher la Tulipe
Entre le ziste et le zeste,
Vois, elle me laisse ici ;
Qu’en dis-tu, toi, mon ami ?
Daphnis paraît rêveur et embarrassé
Parle donc !
daphnis
Je vous proteste
Que... mais... oui... car... si...
matamor
Comment ?
daphnis
Assurément...
Elle a tort, vraiment.
Air : Stila qu’a pincé Berg-op-zoom
D’autant plus qu’elle est dans son tort...
matamor
Depuis quand as-tu le transport ?
daphnis, se remettant
Babet pour vous est indécise,
Et voilà d’où vient ma surprise.
Air : Non, je ne ferai pas [ce qu’on veut que je fasse]
Mais pour vous consoler, si son air vous chagrine,
Une autre vous chérit.
matamor
Qui ? Cette Maigrechine ?
daphnis
Elle est riche et sorcière, ainsi, ménagez-la.
Vous lui rendiez des soins...
matamor
Que m’importe cela ?
Air : Qu’est-ce qui veut savoir l’histoire de Manon Giroux
Avant qu’une autre maîtresse
M’eût pincé le cœur,
J’la voyais pour sa richesse
Comm’ fréquentateur.
À présent bernic pour elle,
Ne m’en parle plus.
Quand de nous l’amour se mêle,
Adieu les écus.
Air : Manon la couturière
Elle ne peut me tirer de doute
Au sujet de Babet quoiqu’il m’en coûte,
Comme tu dis, ménageons-la,
Suis-moi, sachons un peu cela.
Ils sortent.
Scène v
Maigrechine seule
maigrechine
Air : Les jours passés dans les tourments
Pour un ingrat qui me trahit,
L’amour partout me suit,
Me sèche, me dévore.
Éclatez, mon dépit !...
Mais ce dépit me parle encore
Pour un ingrat qui me trahit.
Air : Non, non, ma femme, il n’en est rien
Je l’aimerais ! Il n’en est rien.
Non, non, mon grand cœur pense trop bien.
Puisque l’on sait nous outrager,
Sachons nous venger.
Sortez, sortez, démons cruels des gouffres du Tartare,
Venez tourmenter un barbare.
Air : Sous un ormeau
Mais, vain effort !
Viens, hâte-toi, cher Matamor,
Viens calmer mon cœur :
As-tu de moi, cher trompeur,
Peur ?
Air : Trembleurs
Le désespoir me suffoque ;
Non, sa froideur qui me choque
N’est point du tout équivoque. ;
Je veux punir son forfait.
Air : Folies d’Espagne
Si dans son cœur l’amour pouvait renaître
Et qu’il parût me peindre son regret...
Fin de l’air : Trembleurs
Non, garde-toi de paraître,
Je t’étranglerais peut-être.
Je sais que ton amour, traître,
Me sacrifie à Babet.
Air : Non, je ne ferai pas [ce qu’on veut que je fasse]
Il vient : dissimulons. Mon cœur, soyez tranquille,
Un air d’indifférence est souvent fort utile.
Scène vi
Matamor, Maigrechine
maigrechine
Que me veux Matamor ?
matamor
Je viens vous consulter.
maigrechine, à part
Reviendrait-il à moi !...
Haut.
C’est beaucoup me flatter.
Air : Non, tu ne m’aimes pas
Parlez, je vous écoute.
matamor
Tirez-moi d’embarras.
maigrechine
Pour vous, rien ne me coûte,
Vous le savez, hélas !
matamor
J’ai sur Babet un doute.
maigrechine
Non, tu ne m’aimes pas.
matamor
Air : L’occasion fait le larron
Oh ! je vois bien que vous êtes sorcière,
Par la sambleu, comme vous devinez !
maigrechine
Tu me l’avoues, et tu vois la lumière,
Tremble !
matamor
Allons donc, vous badinez.
Air : Veux-tu sentir le ravissement
Votre fureur
Ne peut à mon cœur
Causer de frayeur,
Et ma valeur
Est à l’abri de la terreur.
Vous menacez,
C’est bien assez,
Et sur cela,
Restons-en là.
Un doux penchant
Ne s’inspire point à l’amant.
Par un air méchant.
Air : Triolets
Sur ce que Babet peut penser,
Que votre science s’explique.
Si mon amour doit s’offenser
De ce que Babet peut penser,
Alors je saurai la laisser :
Mais avant, par un tour magique,
Sur ce que Babet peut penser,
Que votre science s’explique.
maigrechine
Air : J’ai des vapeurs
L’espoir de la trouver volage
M’engage
À cet effort.
Évoquons des demeures sombres
Les ombres.
Quel noir transport !
Mes cheveux dressent ! Je frissonne !
Je vois les enfers
Entr’ouverts !
Le jour fuit ! L’air s’embrase ! Il tonne !
J’ai des vapeurs !
Je me meurs !
Évocation : elle trace des cercles magiques avec sa baguette.
Mânes du tendre amour et de la bonne foi,
Ombre de la pudeur, paraissez devant moi !
De la fidélité, chère ombre, qu’on néglige !
Ombres de l’amitié, du goût et du bon sens...
Elle redouble les cérémonies magiques.
Ils sont tous si bien morts que le plus grand prodige
N’opérerait pas plus que mes accents.
Air : De tous les capucins du monde
Pour cette fois-ci j’y renonce.
matamor
La belle chienne de réponse !
J’aurais cru le diable moins sot.
De ta promesse tu t’écartes.
maigrechine
Vous en apprendrez plus tantôt,
Car je m’en vais tirer les cartes.
Scène 7
Babet, Daphnis, Matamor, chœur de fileuses
chœur
Filons, filons nos amourettes,
Et sachons à propos ménager nos plaisirs.
matamor
Air : Découpures
S’il est vrai qu’Hercule fila,
Suis-je ridicule,
Plus que feu monsieur Hercule ?
S’il est vrai qu’Hercule fila,
Il m’est bien permis d’avoir ce plaisir-là.
Filons tous, filons tous,
Rien n’est si doux ;
On sait plaire aux belles,
En les prenant pour modèles.
Filons tous, filons tous,
Rien n’est si doux.
Filant pour elles,
L’amour file pour nous.
chœur
Filons tous, etc.
Une petite fileuse se détache du groupe et danse une fileuse, tandis que les autres exécutent tout ce qui se pratique dans une veillée : ceci amène une ronde.
Air : Toujours va qui danse
matamor, à Babet, la prenant par la main
Pour changer un peu de plaisir,
Et gagner votre bienfaisance,
À mes dépends j’ai fait venir
Un marchand de cadence.
Il paraît un ménétrier de village.
Eh ! tout justement le voilà !
Père, une contredanse !
Ta, la, la, la, la, la, la,
Et toujours va qui danse.
On chante le refrain en dansant en rond.
babet
Un petit-maître, l’autre jour
Me vantait son train, sa naissance ;
Un berger, conduit par l’amour,
Timidement s’avance :
Son air soumis si bien parla,
Qu’il eut la préférence.
Ta, la, la, la, etc.
Et toujours va qui danse.
Une Bergère
Lise, que trompait son berger,
Gémissait sur son inconstance ;
Mais Colinet, pour l’en venger,
Montra tant d’éloquence
Que Lise, depuis ce temps-là,
S’en tient à la vengeance.
Ta la, la, etc.
Et toujours va qui danse.
Scène viii
Maigrechine et les acteurs précédents
Elle reste quelque temps à les considérer.
Non, rien n’est si fatigant des Pan, pan
Ah ! tout mon ressentiment
Se réveille à cet outrage.
Sans respecter mon tourment,
On retient ici mon amant.
Pan, pan, pan, etc.
Vous allez sentir ma rage,
Pan, pan, pan, etc.
Elle veut se jeter sur Babet.
matamor, l’en empêchant
S’il vous plaît, Madame, un moment.
Toute la veillée s’enfuit en désordre en chantant.
Sauvons-nous, sauvons-nous, sauvons-nous,
Car Maigrechine est en courroux.
chœur
Sauvons-nous, [sauvons-nous, sauvons-nous,]
[Car Maigrechine est en courroux.]
Scène ix
Maigrechine, Matamor
maigrechine
Air : La Piersitoire
Le voilà, cet homme si vaillant,
Ce héros que je trouve filant.
Quoi donc ! La perle des Brigadiers
Change en quenouille tous ses lauriers ?
matamor
Vous y trouvez donc du mal ?
maigrechine
Ce franc animal,
Pour me narguer donne le bal !
matamor
Vous y trouvez donc du mal ?
maigrechine
Perfide, brutal,
Tremble sur ton amour fatal !
matamor, jetant la quenouille et le fuseau
Que voulez-vous dire, expliquez-vous !
maigrechine
À ton tour, parjure, sois jaloux.
Ta Babet te préfère un rival.
matamor
Qu’entends-je ?
maigrechine
Y trouvez-vous donc du mal ?
matamor, furieux
Air : Tredam, Monsieur Thomas
Par la sang, par la mort,
Connaît-on bien Matamor ?
Sait-on que d’un revers de bras,
Je vous couche un lion à bas ?
J’ai, jadis, n’étant que cadet,
Fait fuir le guet.
Je suis retors et subtil ;
Mon rival donc ignore-t’il
Que mon espadron a le fil ?
Air : Confiteor
Vous qui ne valez pas un chien,
Et qui réguisez la vengeance,
Secondez-moi.
maigrechine
Je le veux bien.
matamor
Quoi, morbleu ! C’est moi qu’on offense ?
Ah, oui-dà, Madame Babet !...
Comment savez-vous leur secret ?
maigrechine
Air : Fleurettes
Babet a fait remettre
À son nouveau vainqueur,
Par Goton une lettre
Dont voici la teneur :
Que nos ardeurs soient secrètes,
Au jardin venez ce soir.
Comptez-vous qu’il l’ira voir
Pour des fleurettes ?
matamor
Air : Si tu avais connu monsieur de Catinat
Ils n’y seront pas seuls, non, par la ventrebleu !
Je les joindrais bientôt et nous verrons beau jeu.
Vous en serez témoin, je les mange tous deux.
maigrechine
Pour moi, son désespoir est un présage heureux.
\scene[Le théâtre change et représente le jardin de Babet et les ténèbres de la nuit.] Babet, Daphnis
arrivant à tâtons
daphnis
Air : Fuis le danger
Oui, sur tes pas,
L’amour m’amène.
babet
Parle bas.
daphnis
Ne crains pas
La gêne.
babet
De t’embrasser
Suis-je certaine ?
daphnis
En douter, c’est causer
Ma peine.
Air : Dans nos hameaux, la paix et l’innocence
Fais le bonheur de mon âme ravie,
Comble mes vœux, engage-moi ta foi.
Ce jour charmant efface de ma vie
Tous les instants que j’ai passé sans toi.
Ah ! sur les jours que le Destin me marque,
Règne, Babet, jusqu’au dernier moment.
Mais si tu veux les soustraire à la Parque,
D’un prompt retour couronne ton amant.
Scène x
Matamor, Maigrechine dans l’obscurité de la nuit et se tenant par la main
matamor
Air : Trembleurs
Une voix se fait entendre.
babet
Ah ! viendrait-on nous surprendre ?
Cher Daphnis, quel parti prendre ?
daphnis
Je ne sais, mais j’ai peur.
babet
De loin on parle, je tremble.
matamor
Ah ! Si je les trouve ensemble...
babet
On parle encor, ce me semble.
Viens, fuyons.
Ils vont d’un côté opposé à la voix à pas chancelants.
daphnis
Ah ! Quel malheur !
maigrechine
Air : Prévôt des marchands
Avançons, suivez-moi mon cher.
matamor
Par ma foi, je n’y vois pas clair.
Mais vous, qui par des tours célèbres,
Changeriez le soleil en four,
Tâchez d’éclaircir les ténèbres.
maigrechine, fait des hiéroglyphes dans l’air avec sa baguette, et le jour paraît
Oui, soit. Nuit, faites place au jour.
daphnis et babet, ensemble
Air : Manon la Couturière
Ciel ! Ô Ciel !
matamor
Que vois-je ? Est-ce un rêve ?
Quoi, Daphnis ? Un ami ?
maigrechine
Tire ton glaive.
Punis ces amants odieux,
Ou prête-moi ton sabre.
daphnis et babet, ensemble
Ô dieux !
matamor
Air : Noël Suisse
Avant que ma rage
Venge cet outrage,
Par plaisir je veux
Les confondre tous deux.
Ma foi, c’est dommage
D’être découvert ;
Avant le potage
En être au dessert.
daphnis et babet, ensemble
Hé ! faites-nous grâce !
matamor
Oui-dà, je t’en casse !
Point de subterfuge ;
Qu’un diable me gruge
Tout comme un lardon,
Si j’accorde pardon.
Il tire Babet par le bras, toute tremblante.
Air : J’suis bien aise de vous l’dire
Vous qui gémissez, pour la forme,
Après ce que j’ai fait pour vous,
Croyez-vous donc que l’on m’endorme
En roulant des yeux en dessous ?
Vous faites ici la honteuse,
Et qui pis est, la vertueuse,
J’suis ben aise de vous l’dire, enfin,
C’est qu’ça n’vous va brin,
Ça n’vous va brin.
maigrechine
Air : Reçois dans ton galetas
Ton courroux se refroidit,
Frappe, voilà tes victimes,
N’écoute rien.
matamor
C’est bien dit.
Vous allez expier vos crimes.
Il les prend tous deux.
Et malgré tous vos serments,
Vous allez cesser d’être amants.bis
Air : Nous nous marierons dimanche
Oui, pour vous punir,
Je vais vous unir,
Donnez-lui votre main blanche,
Qu’il soit époux,
Puisque pour vous
Il penche.
Il s’ennuiera,
Je prendrai ma
Revanche.
Et s’il est ché
Jusqu’au samedi,
Ce sera mon tour dimanche.
daphnis et babet, ensemble
Air : Chantons Latamini
Puisque votre belle âme
Protège nos amours,
Dans des transports de flamme
Nous passerons nos jours.
matamor
Ca n’dur’ra pas toujours ter
maigrechine
Reçois ma main, puisque tu leur pardonnes
Et que l’hymen...
matamor
Celui-là n’est pas mal.
Non, je craindrais en vous, ma bonne,
D’avoir le diable pour rival.
vaudeville, de la fileuse
1
Si l’amant qui vous rend hommage
En petit-maître se produit,
De l’amour il n’est que l’image.
Sans craindre le moindre dommage,
Parlez bien haut, faites grand bruit ;
Mais s’il devient tendre et modeste,
La peste !
Belles m’en croirez-vous ?
Filez, filez, filez doux.
2
Mari de femme insociable,
À quels maux le sort vous réduit !
Si l’épouse n’est point affable,
Pour l’adoucir devenez diable.
Parlez bien haut, faites grand bruit ;
Mais si la belle est jeune et leste,
La peste !
Mari, m’en croirez-vous ?
Filez doux.
3
Autant que sans perdre codille,
Amant, votre jeu se conduit,
Et que, sans épouser la fille,
On vous fête dans la famille,
Parlez bien haut, faites grand bruit ;
Parle-t’on d’hymen, et du reste,
La peste !
Galants m’en croirez-vous ?
Filez doux.
4
Braves enfants de la Garonne
Mais que maint créancier poursuit,
S’il ne faut qu’invoquer Bellone,
À l’essaim qui vous environne,
Parlez bien haut, faites grand bruit !
Vous menace-t’on du digeste ?
La peste !
Amis, m’en croirez-vous ?
Filez doux.
5
Financiers, voici votre code.
Acquérez-vous dans une nuit
Grand train, maison vaste et commode,
Maîtresse, meubles à la mode,
Parlez bien haut, faites grand bruit !
Le sort vous devient-il funeste ?
La peste !
Riches m’en croirez-vous ?
Filez doux.
6
Avez-vous chez les doctes fées
De vos soins recueilli le fruit ?
Y voit-on briller vos trophées ?
Auteurs, croyez-vous des Orphées,
Parlez bien haut, faites grand bruit.
Le censeur fait-il certain geste ?
La peste !
Auteurs m’en croirez-vous ?
Filez doux.
Fin