Denis Carolet
La Grenouillère galante
Parodie en trois actes du ballet des Indes Galantes
Représentée à la foire de Saint-Laurent
1735
BnF ms. fr. 9315
definitacteur, le petit-maître petitmaitre
Acteurs
Flamand, maître passeux
Une chanteuse
Un petit-maître
Bateliers et batelières
La scène est à la Grenouillère.
La Grenouillère galante
entree, Le Batelier généreux
Scène i
Une chanteuse, Flamand
la chanteuse
Air : Tarare Pompon
C’est Flamand qui me suit, ne faisons plus mystère.
Pour barrer son amour, découvrons lui le mien.
flamand
Vous me fuyez ?
la chanteuse
Compère !
Je ne fuis pas pour rien.
flamand
Qu’entends-je ? mon affaire
Va bien.
Air : Le cher voisin
Vous rêvez, votre cœur en tient.
la chanteuse
Apprenez ma disgrâce.
Si le récit vous en convient
Écoutez-le de grâce.
Air : Pendu
Je suis à l’âge de vingt ans.
Je chante, voilà mes talents.
L’autre jour au bois de Boulogne,
En dépit d’un argus qui grogne
Quand je sors de devant ses yeux,
Je fus faire un souper joyeux.
Air : Confiteor
J’étais avec un tendre amant
Lorsqu’un archer impitoyable
Vint m’arrêter insolemment
Comme j’allais sortir de table ;
Mon amant le roua de coups,
Je m’esquivai.
flamand
Que dites-vous ?
la chanteuse
Air : Robin turelure
Les filles de mon métier
Causent plus d’une aventure,
On ne leur fait point de quartier
Turelure
Je dis la vérité pure
Robin [turelure lure]
Air : L’amour voleur
En fuyant le maraud
Je gagnai la rivière
J’y vis de la lumière.
Vous vîntes aussitôt
D’un rivage funeste
Vous m’éloignâtes à l’instant.
Et zeste etc.
flamand
De votre histoire, mon enfant,
Je sais le reste.
la chanteuse
Air : Prévôt [des marchands]
Ce n’est pas la première fois
Que je me suis vue aux abois.
La police nous est fatale.
flamand
Ne craignez rien dans ce lieu-ci,
J’ai deux cousins forts de la halle
Et je ne crains rien, Dieu merci.
Air : La nuit et le jour
Aimez-moi seulement
Ma charmante brunette.
Oubliez votre amant
Faisons dans ma chambrette
L’amour
La nuit et le jour.
la chanteuse
Air : Non, je ne ferai pas [ce qu’on veut que je fasse]
Je n’oublierai jamais l’amant qui m’a su plaire,
Quand j’aime, j’aime bien.
flamand
Ce n’est pas l’ordinaire
Des filles comme vous ; vos pleurs sont superflus,
Votre amoureux est mort, vous ne le verrez plus.
Scène ii
La chanteuse seule
la chanteuse
Air : Capucin
Je ne le verrai plus tarare !
Mais peut-être un archer barbare
Par derrière l’aura percé
De ces messieurs c’est la coutume.
Qu’il soit vivant ou trépassé
Toujours même feu me consume.
Air : Ceux qui me l’ont tué
Ceux qui l’ont fait mourir
Ont eu grand tort,
Je l’aimerai toujours
Quoiqu’il soit mort.
Air : Sens dessus dessous
Mais la nuit s’avance vers nous
La rivière dans son courroux
Roule du coté de la terre
Sens dessus dessous etc.
Quelqu’un aux filets de Saint-Cloud
Sans devant etc.
Air : [Y] avance, y avance
Pêcheurs, amenez vos bachots,
Un noyé parait sur les eaux
Qu’on le secoure en diligence
Y avance, etc.
Comptez sur une récompense.
Air : Du bas en haut
Du bas en haut,
Ô, Ciel ! Je me sens toute émue
Du bas en haut.
Ce noyé paraît encor chaud.
Parlons-lui, sa voix m’est connue.
Que vois-je ? sa figure est émue
Du bas en haut.
Scène iii
La chanteuse, Le petit-maître
la chanteuse
Air : Ah ! Philis je vous vois
Pauvre enfant je plains votre destin.
petitmaitre
Eh ! c’est vous mon aimable catin !
la chanteuse
C’est vous mon cher petit taupin.
Je vous vois, je vous veux, je vous tiens à la fin.
Ah ! je vous vois, je vous veux, je vous aime.
Ah ! je vous tiens, tendez-moi votre main.
Air : Joconde
Et par quel hasard en ces lieux...
petitmaitre
J’ai gaspillé la pousse,
J’ai tué trois de ces marauds,
Et par mainte secousse
En chemise sans justaucorps
J’ai gagné la rivière
Heureux de tomber sur ces bords.
la chanteuse
Moi, je suis batelière.
Air : Lonla
Ou peut s’en faut, car le passeur
Qui me loge en veut à mon cœur
Pour m’avoir sur l’eau
Menée en bateau.
Il veut...
petitmaitre
Que veut-il faire ?
la chanteuse
Il veut, chacun entend cela,
Tirer certain salaire, lon la !
Tirer [certain salaire.]
Air : Folies d’Espagne
Plutôt mourir que d’être une volage
Car à présent je n’aime plus que vous.
On vient, c’est lui...
Scène iv
La chanteuse, Le petit-maître, Flamand
flamand
Je me livre à ma rage.
Vous sentirez tous les deux mon courroux.
petitmaitre
Air : Prends, ma Philis, [prends ton verre]
Oui, je l’aime et j’en fais gloire
Et nous nous aimons tous deux
Et l’eau qu’il m’a fallu boire
N’a point affaibli mes feux.
flamand
Je vais...
la chanteuse
Quoi !
flamand
Dans ma colère
Vous...
petitmaitre
Voyons, qu’allez-vous faire ?
flamand
Vous unir des plus doux nœuds.
la chanteuse
Que dites-vous ? Dois-je croire un discours si généreux ?
flamand
Tout passeur, je me fais gloire d’obliger les amoureux.
petitmaitre
Air : La bonne aventure
Votre générosité cause ma surprise.
flamand
Épousez cette beauté
Car mon cœur n’est point tenté
De sa marchandise, ô gué !
De sa [marchandise.]
Air : hé bien
Adieu, souvenez-vous de moi.
la chanteuse
Écoutez...
petitmaitre
Écoutez...
flamand
Pourquoi ?
Qu’est-ce ? Mais, non... peut-être...
la chanteuse
Hé bien !
flamand
Je ne serais pas maître,
Vous m’entendez bien.
Scène v
La chanteuse, Le petit-maître
la chanteuse
Air : Le maître fou que voilà
Un homme de rivière
Avoir le cœur si beau,
Être si débonnaire ?
Voilà du fruit nouveau !
ensemble, ensemble
Sans nous chercher querelle
Ha ! ah !
Il nous la donne belle,
L’aimable homme que voilà.
la chanteuse
Air : Colette
Qu’entends-je ? c’est la symphonie.
Laissons danser ces bonnes gens
Et cherchons à l’hôtellerie
Un bon souper et des draps blancs.
On danse.
finentree
Acteurs
Maître Gaspard, maraîcher
Charlot, grenadier
Marie, blanchisseuse
Maraîchers et maraîchères
La scène est proche de la Grenouillère
entree, L’Été tardif
Scène vi
Marie, Charlot
charlot
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Vous devez bannir de votre âme
Le souvenir du maraîcher
Qui vous a déclaré sa flamme.
marie
Vous avez tort de vous fâcher.
charlot
Air : Ma mère, mariez-moi
Mais pourquoi donc l’écouter
Quand il vient vous en conter ?
marie
Je le hais, mon cher Charlot,
C’est un maître sotbis
Mais je crains que ce coquin
Ne mette sur vous la main.
Air : Paris est en grand deuil
Ce brutal de Gaspard
Est un maître égrillard
Qui n’aime qu’à se battre.
Vous êtes vigoureux
Mais il est dangereux
D’être seul contre quatre.
Air : Joconde
Enlevez-moi de ce pays.
Dépêchez cette affaire
Mais ne venez pas seul, mon fils,
C’est être téméraire.
charlot
Bon, bon, nous sommes des guerriers
De grande renommée.
Le moindre de nos grenadiers
Ferait fuir une armée.
marie
Air : Turlurette
Je sais vos exploits fameux,
Je les ai vus de mes yeux
L’an passé dans la gazette
Turlurette etc.
Air : Péril
Hélas !
charlot
Et ne vous...
marie
Je suis sensible
Prenez garde à vous, mes amours,
Lorsque l’on aime on craint toujours.
charlot
Ce discours est risible.
Scène vii
Marie [seule]
marie
Air : Mirliton
Viens hymen, je t’implore ;
Viens me brider de tes nœuds.
Plus beau que l’Amour encore
Tu sais combler tous les vœux
De mon mirliton etc.
Scène viii
Marie, Garpard
gaspard
Air : Sur le ritantaleri
La voilà seule à ça, Manon,
Sera-ce aujourd’hui tout de bon
Que tu me feras ton mari
Sur le rita[ntaleri.]
Air : Trembleurs
Mais ce traîneur de rapière
Te rend insolente et fière.
Il te parle de manière
Que tu [nous – dédaignes tous.
marie
Gaspard laisse-moi tranquille.
gaspard
Hier j’appris à la ville
Par une sorcière habile
Que je serai votre époux.
marie
Air : Je voudrais bien me marier
Je ne veux point me marier.
Je ris de ta sorcière.
gaspard
Si tu voulais bien parier,
Je te dirais ma chère
Que c’est Charlot le grenadier
Qui me rompt en visière.
Air : Allons gai, [d’un air gai]
Oui, vous aimez, perfide,
Ce malheureux grivois.
Sans la peur qui me guide
Il aurait sur les doigts.
chœur
Allons gai, etc.
gaspard
Air : Flon, flon
On vient, il faut me taire,
Ce sont nos maraîchers.
Tous les lieux de la terre
Sont exempts de danger
Flon, flon etc.
Air : Y avance, [y avance]
Tu viens sur la fin de l’été
Beau soleil nous montrer ton nez
Et tu nous remplis d’espérance.
Y avance etc.
Vaut mieux tard que jamais ! Y avance !
Scène ix
Gaspard, Marie, Deux maraîchers
gaspard
Air : Le capucin
Soleil, tu mûris nos citrouilles
Et tu fais chanter les grenouilles.
Tu fais le jus de nos melons,
Tu rends nos salades gentilles,
Mais, cher soleil, nous te prions
De faire mourir les chenilles.
marie
Air : Confiteor
C’est toi qui chauffe les ruisseaux
Où nous allons baigner ensemble.
En hiver, tu sers de fagots
Aux garçons dont tout le corps tremble,
Mais ne sèche point les gazons
Où nous cajolent les garçons.
gaspard
Air : Pendu
C’est toi qui mûris le raisin
Et qui nous donnes du bon vin.
C’est toi... mais je vois paraître
Charlot. Je lui ferai connaître
Combien je déteste un rival,
Mais le drôle est par trop brutal.
Scène x
Gaspard, Marie, Charlot l’épée au poing
charlot
Air : Du haut en bas
Tambour battant
Je viens vous épouser, Marie,
Tambour battant,
Sans délais, rendez-moi content.
gaspard
Monsieur, laissez-la je vous prie.
charlot
C’est ainsi que je me marie
Tambour battant.
gaspard
Air : La besogne
Jarni, si j’étais le plus fort
Je lui ferais voir qu’il a tort.
charlot
Pour faire enrager ce Jocrisse
Baisons-nous tous deux.
gaspard
Quel supplice !
marie et charlot, ensemble
Air : Pour faire honneur à la noce
Pour jamais l’amour m’engage
Baise-moi, fais-le sans façon.
gaspard
Que je m’en veux d’être poltron.
Non rien n’est égal à ma rage.
marie et charlot, ensemble
Des douceurs du mariage
Allons tâter à la maison.
Ils sortent.
Scène xi
Gaspard [seul]
gaspard
Air : Des fraises
Voilà mon amour tondu.
Pour mon cœur, quelle injure !
Mais quelque gros malotru
Fera mon rival cocu.
J’en jure, [j’en jure, j’en jure.]
finentree
Acteurs
Thomas, jardinier fleuriste
Lily, jardinier
Javotte, bouquetière, maîtresse de Thomas
Catherine, bouquetière, maîtresse de Lily
Troupe de Bouquetières
La scène est à la Grenouillère.
entree, La Fête des bouquetières
Scène xii
Lily, Thomas en revendeuse
lily
Air : Ne m’entendez-vous pas
Mon abord la surprend.
Approchez-vous, Madame.
thomas
Non, je ne suis point femme.
C’est l’amour, mon enfant,
Qui me conduit céans.
Air : À la foire, à la Courtille
C’est la charmante Javotte
Qui me conduit en ces lieux.
lily
Quoi, ma servante...
thomas
La sotte
En m’aimant en sera mieux.
Je veux, compère,
L’épouser...
lily
Eh bien tant mieux,
C’est votre affaire.
Air : Réveillez-vous, [belle endormie]
Mais la commère Catherine
Avait, je pense, votre foi.
thomas
J’aime Javotte, et lui destine
Pour ce soir même lit qu’à moi.
lily
Air : Et zon, zon, zon
Vous me faites plaisir
Car j’aime Catherine.
Je puis donc à loisir
Dire à cette coquine
Et zon, [zon, zon]etc.
Air : Belle Iris vous avez deux [pommes]
Mais pourquoi donc en revendeuse
Vous déguiser ?
thomas
J’ai mes raisons.
Sur Javotte, j’ai des soupçons
Oui, j’ai l’âme un peu soupçonneuse.
Je veux avant de dire rien
Voir si son cœur convient au mien.
lily
Air : Diogène
Ce soir, les bouquetières
Avec nos jardinières
Danseront avec nous.
thomas
Je vois venir Javotte.
lily
Certaine matelote
M’appelle au gros caillou.
Air : Lonla
Je suis à vous dans le moment.
thomas
Lily, revenez promptement,
J’ai besoin de vous.
lily
Vous êtes chez nous.
Ami, je vous y laisse,
Vous pouvez au travers des choux
Pousser votre tendresse, lon la,
[Pousser votre tendresse.]
Scène xiii
Javotte, Thomas
thomas
Air : Prévôt [des marchands]
Elle parait rêveuse, ouais !
Ceci m’annonce du mauvais.
javotte
Chien d’amour.
thomas
M’y voilà, la belle
Rêve sans doute à quelque amant :
Elle se brûle à la chandelle.
Je veux la sonder finement.
Air : Ah ! mon mal ne vient [que d’aimer]
La belle, qui vous fait rêver ?
javotte
Ah ! mon mal ne vient que d’aimer.
thomas
Eh bien, puis-je vous soulager ?
Je suis femme à tout faire,
De billets, je sais me charger.
javotte
Vous devriez vous taire.
thomas
Air : Sur quel ton
Pardonnez-moi, Javotte mon trognon.
javotte
Vous le prenez sur un drôle de ton !
thomas
Du dieu d’amour, je suis le factotum
Et je me plais à servir un cœur tendre.
javotte
Comment donc ! quoi guenon ! sur quel ton ?
thomas
C’est le ton que je crois qu’il faut prendre.
Air : Péril
D’un grand loisir vous êtes prise,
Revendeuse, tu perds tes pas.
thomas
Connaissez-moi, je suis Thomas !
javotte
Voyons ta marchandise.
Air : Ton humeur est, Catherine
Mais, j’aperçois Catherine.
Scène xiv
Catherine, Thomas, Javotte
catherine
Je voulais me déguiser
Car, je croyais, ma cousine,
Que tu voulais m’abuser.
Mais terminons notre affaire
Sans tant de déguisements.
Thomas t’aime et sait te plaire,
Prends-le sans perdre de temps.
thomas
Air : [Vraiment ma] commère, voire
Et toi tu prends donc Lily.
catherine
Vraiment, mon compère, oui !
thomas
Tu l’aimes donc, ma commère ?
catherine
Vraiment mon compère voire etc.
Scène xv
Les précédents, Lily
lily
Air : Préparons-nous [pour la fête nouvelle]
Préparez-vous pour la fête nouvelle !
thomas
Tu vas épouser cette belle ?
lily
Chantons, rions, dansons, touche-là, ma Catau,
Sans barguigner fais-moi père au plus tôt.
Air : J’ai fait souvent résonner [ma musette]
Nos jardiniers avec nos bouquetières
Viennent le soir danser dans mon jardin.
Mais les voici, les beautés printanières,
Trémoussez-vous et mettez-vous en train.
On danse.
vaudeville
Amoureux fringants et muguets,
Accourez tous dans les retraites.
Nous vous donnons des bouquets
Et vous nous contez des fleurettes.
Fin