Louis-François Archambault, dit Dorvigny
La Rage d’amour
Parodie de Roland, en un acte et en vers, mêlée de vaudevilles et ariettes
Représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens ordinaires du Roi à Paris
le jeudi 19 mars 1778
Paris, Vente, 1778
Acteurs
Roulant, grenadier recruteur : Le sieur Suin
Lolotte, opératrice en Amazone : La dame Adeline
Tonton, sa suivante : La dame Moulinguen
Lindor, coiffeur de femmes : Le sieur Julien
Amidon, perruquier gascon : Le sieur Trial
Lisette : La demoiselle Dufayel
Cassandre : Le sieur Thomassin
Un batelier : Le sieur Narbonne
Le capitaine de grenadiers : Le sieur Meunier
Un tambour de grenadiers : Le sieur Guichard
Garçons de cabaret
Soldats et bateliers
La scène est devant la rivière à l’entrée d’un parc.
La Rage d’amour
Scène i
Lolotte, Tonton
Le théâtre représente l’entrée d’un parc, sur le bord de la rivière, d’un côté on voit les cabarets du Suisse.
lolotte
Air : Tirez-moi par mon cordon
Hélas ! c’est bien pour mon malheur
Que j’arrêtai dans ce village !
On dit bien vrai, c’est grand dommage
Que d’avoir un trop bon cœur.
On est prise comme une sotte !
C’est payer cher une leçon !
Plains-moi, ma pauvre Tonton,bis
C’en est fait de Lolotte.
tonton, à part
Quand une femme sans sujet
Veut se fourrer martel en tête,
La consoler c’est être bête,
C’est inutile projet :
Haut.
Votre complainte est ridicule,
N’avez-vous pas un serviteur,
Vaillant et bon escrimeur :bis
Roulant est un Hercule !
lolotte
Roulant, sans doute, est le plus fort,
Mais Lindor est le plus aimable !
Lequel des deux est préférable ?
Au choix je crains d’avoir tort.
tonton
Gardez les deux, c’est le plus sage,
De l’un, il faut faire un mari,
Et de l’autre un favori,bis
À Paris c’est l’usage.
Eh ! dites-moi, ce Lindor si charmant,
Qui dans votre âme a balancé Roulant,
Comment donc avec vous a-t-il fait connaissance ?
lolotte
Ah ! par hasard... certaine circonstance...
tonton
Oui, dans ces lieux l’amour fait des progrès,
Et beaucoup de hasards, y font des faits exprès.
lolotte
Je venais les matins vendre ici de l’essence,
Et débiter quelques secrets.
Air : Une abeille farouche
Dans cette promenade
Un jour je le trouvai ;
Il paraissait malade,
Près de lui j’approchai...
tonton
Oh ! jusque-là
On ne peut pas trouver de mal à ça.
lolotte
Il me dit d’un air tendre
Je viens de me blesser !
La pitié me fit prendre
Le soin de le panser.
Tu vois par-là,
Qu’on ne peut pas trouver de mal à ça.
tonton
Mais, pansant la blessure,
Vous eûtes votre tour ;
Vous reçûtes piqûre
Du malin dieu d’Amour !
lolotte
Ah ! oui, voilà
Tout le mal que l’on peut trouver à ça.
tonton
D’un fol amour vous vous trouverez dupe ;
Croyez-moi, renoncez à vos beaux sentiments :
Dans votre état l’intérêt seul occupe,
Qui songe à vivre, et point à faire des romans.
lolotte
Ah ! comment fuir Lindor ?
tonton
Il faut plier bagage :
C’est l’unique moyen d’éviter le naufrage
Qui brave le danger toujours y périra,
J’en ai fait quelque épreuve... Et bien m’en souviendra !
lolotte
Allons, ne songeons donc qu’à me tromper moi-même
En me disant : \og quand je perds ce que j’aime,
Je l’immole à la gloire et non à l’intérêt \fg.
tonton
Bon ! dites-lui la chose comme elle est :
À quoi sert tout cet artifice ?
Air : Je suis Madelon Friquet
Convient-on de bonne-foi
Des motifs de tout sacrifice ?
Convient-on de bonne foi
Des raisons qui nous font la loi ?
Ah ! combien de gens dont le cœur
Ne consulte que l’injustice,
Et n’affiche que l’honneur.
Convient-on, etc.
Que ce cruel adieu va me coûter à faire !
Ah ! c’est pour en mourir !
tonton
N’en mourez pas ;
Évanouissez-vous pour vous tirer d’affaire.
Même air
Quand on est en pareil cas
Se trouver mal est une adresse ;
Quand on est en pareil cas
C’est ainsi qu’on sort d’embarras.
Combien de femmes sans mourir,
Pour mieux déguiser leur faiblesse
Ont feint de s’évanouir,
Quand on est, etc.
lolotte
Pour agir encor mieux, cours, dis-lui qu’il m’évite
Qu’il parte... Ah ! je suis interdite !
Je m’avise trop tard, il porte ici ses pas.
Mais faisons une feinte, et ne l’attendons pas.
Elles se retirent dans le fond.
Scène ii
Lindor seul
lindor
Air : Serait-il vrai, jeune bergère,
De cet amour qu’avais-je à faire ?
Était-ce à moi de m’enflammer ?
Il faut avoir le don de plaire
Pour se servir du droit d’aimer.
Si j’avais un état, j’aurais quelque espérance,
En lui faisant ma cour, je pourrais parler haut ;
À ses faveurs je saurais mettre un taux.
N’ayant ni feu, ni lieu, soupirons en silence,
Et sans espoir adorons ses appas
Air : Musette,
Je la verrai, c’est assez pour ma flamme,
Sans son aveu je puis l’aimer tout bas.
L’amour caché dans le fond de mon âme
S’il est muet ne l’offensera pas.
Une beauté veut en vain se défendre
Des tendres feux qu’elle fait inspirer,
C’est un tableau que l’on ne veut pas vendre ;
Mais l’amateur peut toujours l’admirer.bis
Scène iii
Lindor, Tonton, Lolotte reviennent
lindor, à Lolotte
Ce fameux recruteur, ce Roulant qui vous aime,
Qui fait aussi que les petits cadeaux
Nourrissent l’amitié, vient dans cet instant même
D’envoyer en ces lieux quelques présents nouveaux ;
Et le paquet s’adresse à la belle Lolotte.
lolotte
Je ne veux rien de lui, je serais idiote
D’écouter les propos d’un conteur de pays ;
Tout exprès pour le fuir le prendrai la galiote
Et m’en irai dès ce soir à Paris...
Mais avant il faudrait me dire
Si sur vous j’aurais quelque empire ;
Apprenez-moi votre destin,
Et dites-moi qui vous êtes enfin.
lindor
Air :
Je suis Lindor, jadis coiffeur de femmes,
D’un bel esprit j’avais même le ton !
À la toilette apprenant ma leçon,
J’allais le soir juger les nouveaux drames.
J’ai dans Paris fait plus d’une conquête
Par le secours de mon art séducteur ;
Une beauté m’avait donné son cœur
Pour prix du soin que j’avais de sa tête.
Un accident a fait finir mon règne,
Elle me quitte en perdant les cheveux ;
Et désormais vous adressant mes veux,
Le tendre amour vous consacre mon peigne.
lolotte
Écoutez-moi, Lindor, et ne niaisons plus ;
Je m’intéresse à vous, la chose est assez claire
Je vous l’ai su prouver ; mes drogues, mes écus,
Mes soins, mon temps, ce qui fut nécessaire,
Je vous l’ai prodigué, le tout sans intérêt...
Ce que je vous en dis, ce n’est pas que j’en cause,
Mais il faut empêcher que le monde ne glose ;
Des méchants, voyez-vous, les langues sont aux guets ;
Aux médisants ne donnons pas matière.
Vous voilà bien refait, la couleur vous revient ;
Rien à présent ici ne vous retient,
Partez Lindor.
lindor
Ô Ciel ! ai-je pu vous déplaire ?
lolotte
Partez sans différer.
lindor
D’où vient votre colère ?
Il va pour chanter l’air de Rose et Colas.
Mais, dites moi,
Pourquoi...
Pourquoi cette...
lolotte, l’interrompant
Lindor, il n’est qu’un mot qui serve ;
Je ne vous en veut pas, que le Ciel vous conserve !
Vous aider même est mon dessein
Cherchez une maison honnête
Où l’on mange à vingt sols par tête ;
J’y répondrai pour vous... puis-je mieux faire enfin,
Qu’en pensez-vous ?
lindor
Ah ! de ma nourriture
Vous aurez bon marché, je veux mourir de faim.
lolotte
Oh ! vous faites l’enfant.
lindor
Du tourment que j’endure
Cruelle, ayez pitié.
lolotte
Que puis-je faire, hélas !
lindor
Permettre qu’en tous lieux j’accompagne vos pas.
Quand vous courez de province en province,
De bonne foi votre train est trop mince,
Il n’en impose pas ; mais pour vous faire honneur,
Moi, votre esclave et votre serviteur,
Changeant d’habits suivant les villes,
Tantôt en Turc, en Nègre, en Gilles ;
Pour vous servir épuisant mon latin,
Je jaserai pour vous dans les villages,
Et vous bichonnerai tout le long du chemin.
lolotte
Lindor, chagrinons nous, mais pourtant soyons sages ;
Faisons-nous des adieux bien touchants, bien plaintifs !...
Plus les maux sont cuisants, plus les regrets sont vifs.
Air : Adieu donc, Dame Françoise
Adieu donc, car s’il demeure,
Je trahirai mon secret,
Mon cœur doit être discret
Pour le moins encor une heure ;
Si les amants s’expliquaient
Les Opéras finiraient.
Adieu donc, il n’est pas l’heure
De vous dire mon secret.
lindor
Mais c’est une maladresse
Que de me laisser partir,
Toujours aller et venir
Pour allonger une pièce !
Moi je vous le dit tout net,
C’est en ôter l’intérêt.
Croyez-moi c’est maladresse
Que de me laisser partir.
lolotte
air, d’une Contredanse
Non, vous n’me gagnerez pas
Je m’en vas.
lindor
Eh ! mais, vous plaisantez !
Arrêtez.
lolotte
Non, non, c’est tout de bon
Mon garçon.
lindor
Ô scène inutile !
À quoi mène donc
Ce jargon ?
lolotte
Qu’il est difficile !
lindor
N’ai-je pas raison ?
lolotte
Que voulez-vous que j’écoute encor ?
Ah ! croyez-moi, décampez, Lindor.
lindor
Non, non, l’amour m’arrête
Près de vous il veut me lier.
lolotte
Ah ! je l’ai dans la tête
J’aurai le dernier.
lindor
Écoutez-moi.
lolotte
Je ne veux rien entendre,
Et si sur vous j’ai du pouvoir,
À l’instant faites-le moi voir.
Lindor hésite.
Partez... partez muscade.
Avec le geste d’escamoter.
lindor, s’en allant
Il faut se rendre.
Scène iv
Lolotte, Tonton
lolotte
Air : Triste raison
Il est parti ! déjà je le regrette !
Que cet effort me prépare d’ennui !
Chère Tonton, je t’avouerai la dette :
Oui, pour un rien je courrais après lui.
tonton
Voilà pourtant, voilà comme nous sommes !
De notre cœur on doit bien se moquer.
Les tenons-nous, nous faisons fi des hommes !
Sont-ils partis, nous craignons d’en manquer.
Consolez-vous, un clou, comme on dit, chasse l’autre.
Lindor faisait le bon apôtre ;
Mais Roulant, sans savoir ni par où ni pourquoi
Va revenir bientôt et vous offrir la foi...
Voyez ces bateliers, ils pourront vous distraire.
lolotte
Je les attends. Pour toi, ma chère.
Va consôler ce malheureux.
Tonton s’en va.
Scène v
Lolotte, les bateliers
Un Batelier
Ah ! par la ventregué, Mamselle,
Près Charenton je l’ons échappé belle !
Sans un gaillard, morgué qu’il est nerveux,
C’est Roulant, dit-on, qu’on l’appelle,
Et qui s’est trouvé là, jarnigué, bien à point.
Ste nuit un coup de vent que je n’attendions point ;
Vint casser not amarre, et faire enfler not voile ;
V’la qu’j’allons en dérive. Au temps, pas une étoile.
Y faisait clair, morgué, comm’ dans un four.
J’équions flambés, gn’y a pas là de détour.
De not bachot n’pouvant régler la marche
Poussé par le courant, j’nous brifions contr’ une arche.
Au moyen d’une corde, à lui tout seul, Roulant
Nous remonta contre vent et marée !...
Si de ce luron là vous êtes l’épousée,
J’pouvons d’avance ici vous faire compliment
En vous r’mettant c’présent qui vous envoie.
Il lui donne un petit paquet.
lolotte
J’avais promis tantôt qu’il serait rebuté,
Mais je l’accepte, enfant, par curiosité.
Elle prend le paquet et le défait.
Le Batelier
Morgué ! c’est ben galant ! des jarretières de soie !
lolotte
Tenez, buvez à ma santé.
Elle lui donne de l’argent, et s’en va.
Le Batelier
Ben volonquers. J’avons le cœur en joie.
Et v’là l’cabaret tout porté.
Air :
Al nous baille un p’tit écu,
V’là d’quoi faire bombance !
Al nous baille un p’tit écu !
N’nous quittons pas qu’il ne soit bu.
Le chœur reprend.
Mais entrons dans l’cabaret,
Queuqu’nous faisons dans stendret ?
Si j’équions à l’Opéra,
On dirait c’est la danse
Qui les va retenir-là.
Al nous baille, etc.
La v’là qui revient, ça nous chasse,
Allons nous-en pour lui céder la place.
Ils s’en vont.
Scène vi
Lolotte, Tonton
tonton
Savez-vous que je suis bien lasse de courir.
Pourquoi donc sur nos pas sans cesse revenir ?
lolotte
Mon enfant, c’est qu’on vend ici l’eau minérale.
J’en voudrais boire afin de refroidir
Cette ardeur que je sens, qui me sera fatale,
Mais j’ai beau la chercher depuis le grand matin.
Air : Toujours, toujours,
Je crois qu’un sort en ces lieux me ramène,
Dans mon chagrin
Je rode et tourne en vain,
Je forme le dessein
De boire à la fontaine ;
Mais un penchant secret
Devant le cabaret
Toujours, toujours comme un sort me ramène.
tonton
Pour vous surprendre, en amant bien discret,
Voici Roulant qui tombe ici des nues.
lolotte
De quelque endroit qu’il vienne, il ne me verra pas.
tonton
Et comment ferez-vous ?
lolotte
Le plaisant embarras
N’ai-je pas des secrets que je vends dans les rues ?
Pour me rendre invisible un anneau suffira...
De la vertu je suis certaine.
On le met dans la bouche, et derrière un gros chêne
Se glissant aussitôt... l’effet te surprendra.
Elle se cache.
Tiens, tu me vois ; et tu ne me vois plus.
tonton
La peste !
Le tour est fort !
Scène vii
Lolotte cachée, Tonton, Roulant
roulant, s’essuyant le visage
Milzieux ! que j’ai couru
Pour vous chercher !... Oh ! oh ! je croyais avoir vu
Ma Lolotte avec toi.
Il regarde de tous côtés. Lolotte, craignant d’être aperçue, tourne à l’entour de l’arbre à mesure que Roulant avance.
tonton, à part
S’il eût été plus leste,
Il l’avait, ma foi !
roulant
Air : Des fraises
Mais, je crois que dans ce bois
Le diable me ballotte !
Ah ! pour me mettre aux abois
Serez-vous sourde à ma voix
Lolotte ! Lolotte ! Lolotte !
Il va et vient, l’appelant à haute voix comme à l’Opéra.
Elle ne répond pas !... je la cherche en tous lieux,
Enfin l’amour en cet endroit m’amène,
Je crois l’y voir. Elle y fond sous mes yeux !
Air : La Bourbonnaise
Chère inhumaine !
Quel jeu jouons-nous ?
Quel jeu jouons-nous
Chère inhumaine !
Quel jeu jouons-nous ?
Ah ! montrez-vous !
À Tonton, qui pendant ce temps-là est assise dans un coin à faire du filet.
Mais parle-moi donc toi ; débrouille-moi ceci.
tonton
Je n’ai rien à vous dire, et je ne suis ici
Que pour vous écouter.
roulant
Une fille muette !
Une confidente discrète !
Si ton rôle durait, il serait fatiguant !
Entendre babiller, et n’en pas faire autant !...
Mais je veux t’épargner un détail inutile ;
Encor quelques couplets pour soulager ma bile ;
Après quoi je m’en vais.
Air : J’avais cent francs
Tu sais, Tonton,
Ce que j’ai fait pour elle ;
Mais d’un amour fidèle.
Comment me paye-t-on ?
Tu vois le prix !
C’est le mépris.
En vain je la rappelle,
Elle est sourde à mes cris.
Un tour si grec
Me fait échec !
Elle fuit, la cruelle,
Et me traite en blanc bec !
Au reste, dis-lui bien que je veux qu’elle sache
Qu’on ne mena jamais Roulant par la moustache.
C’est bon pour un recru... De ses fers dégagé
Je vais battre en retraite, et prendre mon congé.
Air : Malgré la bataille
Quand un militaire
A donné son cœur,
Il veut pour salaire
L’amour ou l’honneur :
Parfois il sommeille
Auprès du premier ;
Mais il se réveille
Aux cris du dernier.
Il s’en va.
Scène viii
Lolotte, Tonton
lolotte, sortant de derrière l’arbre
Air : Ah ! Maman, que je l’échappai belle
Ah ! Tonton, que je l’ai échappé belle !
Que ce maladrait
Ici m’a fait
Frayeur mortelle !
Ah ! Tonton, que je l’ai échappé belle !
Oui, j’ai vu l’instant
Où j’étais aux mains de Roulant.
tonton
C’est vrai, mais comme on dit, l’amour trouble la vue ;
Sans cela, vous étiez une fille perdue,
Il vous eût chanté pouille !... Il est un peu brutal,
Et de bon compte aussi ; vous le traitez fort mal.
lolotte
De quoi vous mêlez-vous ? ce n’est pas votre affaire.
Quand vous voudrez parler, commencez par vous taire,
Sur un ton déclamatoire.
Entendez-vous, Tonton : parlez-moi de Médor,
Ou laissez-moi rêver.
tonton
Peste ! quelle mémoire !
Comme on cite à propos quand on connaît l’histoire !
Ça, pour faire la paix, parlons donc de Lindor.
Air : L’avez-vous vu mon bel ami,
Oui, parle-moi de mon amant
Si tu veux que je vive.
Ne le point voir est un tourment,
Il faut que je le suive.
tonton
Cet amour qui vous tient si fort,
Mais, mais c’est donc tout comme un sort ?
lolotte
Il me prend là.
Montrant le cœur.
Il me tient là.
Montrant la tête.
tonton
C’est comme une migraine !
lolotte
Et puis de là.
Montrant la tête.
Il revient là.
Montrant le cœur.
tonton
Ah ! voyez quelle peine !
ensemble, ensemble
lolotte
Ah ! parle-moi de mon amant
Si tu veux que je vive !
Ne le point voir est un tourment.
Il faut que je le suive.
tonton
Pour apaiser en un moment
Une douleur si vive,
En parlant de ce cher amant,
Désirons qu’il arrive.
lolotte
Ciel ! je l’entends !
tonton
Oh ! pour le coup,
Le proverbe est bien vrai, quand on parle du loup...
lolotte
Tonton, laissez-nous seuls.
tonton
Oui-dà ! mais la décence !...
Oh non ! je dois rester au moins par bienséance.
lolotte
Ah ! je n’y pensais pas.
tonton
Vraiment,
Quand on est si troublé, on s’oublie aisément ;
Mais la critique après...
lolotte
En personne discrète
Retournons à notre cachette.
Je veux avant de lui donner ma foi,
Savoir incognito, s’il pense encore à moi.
Elles se cachent toutes deux derrière l’arbre.
Scène ix
Lindor, Lolotte, Tonton
lindor
Air : Que ne suis-je la fauvette
Que des lots de la tendresse
Le partage est différent !
La peine revient sans cesse,
Le plaisir n’a qu’un instant :
Mais cet instant est si tendre,
Quand l’amour l’a mérité !
Qu’on a beau le faire attendre
Il n’a jamais trop coûté.
Pour moi qui n’y doit plus prétendre,
Je l’attendrais en vain, je n’ai plus qu’à me pendre.
Il tire une corde de sa poche et l’attache à une branche de l’arbre où est Lolotte.
Si j’avais une épée, un coup de maladrait
Sans doute eût été plutôt fait.
Air : Écho,
Mais cette corde funeste.
lolotte
Funeste.
lindor
Est tout l’espoir qui me reste
lolotte
Reste.
Elle coupe la corde.
lindor
Eh quoi !
Qui pense à moi ?
lolotte
Moi.
tonton
Moi.
lindor
Lolotte est ingrate.
tonton
Gratte, gratte.
lindor
Sa cruauté condamne à mort Lindor.
lolotte
Lindor.
tonton
Dor.
lindor
Lindor.
lolotte
Lindor.
lindor, voyant Lolotte
Oh Ciel ! Lolotte ici ! Mais à propos de botte,
Hélas ! qu’y cherchez-vous encor ?
lolotte
J’y viens pour vous sauver.
Air : Vivons pour ces fillettes
Ah ! vivez pour Lolotte.
Vivez, ah ! vivez pour Lolotte.
lindor
Air : Sous le nom de l’amitié
Montrez-moi moins de pitié
Pour guérir ma faiblesse,
Ou bien de ma tendresse
Mettez-vous de moitié,
Montrez-moi moins de pitié.
lolotte
S’il pouvait lire en mon cœur
Aurait-il à s’en plaindre ?
J’aurais beau me contraindre
Ah ! qu’il verrait d’ardeur
S’il pouvait lire en mon cœur.
lindor
Achevez ma chère maîtresse,
Un mot de plus, va combler ma tendresse.
lolotte
Air : Ne m’entendez-vous pas
Ne m’entendez-vous pas ?
Faut-il donc tout vous dire ?
Un mot devrait suffire
Quand le cœur dit tout bas,
Ne m’entendez-vous pas ?
lindor
Même air
Ce qui nous fait plaisir
On ne peut trop l’entendre ;
Est-il un amant tendre
Qui n’aime à revenir
Sur ce qui fait plaisir.
tonton
Air : Nous nous marierons dimanche
Puisqu’il est ainsi,
Nargue du souci ;
Ne pensez plus qu’à la danse.
lindor
C’est prendre ici
Le bon parti
Je pense.
tonton
C’est ce qu’on fait
Lorsque l’on est
Bien aise.
Chantez un duo.
lindor
Le faut-il nouveau ?
lolotte
Qu’importe pourvu qu’il plaise.
ensemble, ensemble
Air : Chantez petits oiseaux
Mon cœur en cet instant se livre à l’allégresse !
Ici tout nous promet le sort le plus heureux.
Partageons les transports d’une égale tendresse,
L’amour va couronner nos vœux.
tonton
Écoutez, mes enfants, Roulant est tapageur,
Et vous, monsieur Lindor, vous n’êtes pas bretteur ;
S’il apprend vos desseins, il vous cherchera noise...
lolotte
Laissez-moi l’endormir ; quand on est amoureux,
On croit tout aisément... Allez-vous en tout deux
M’attendre au cabaret, et tantôt pour Pontoise
Nous partirons sans bruit.
lindor
Vous craignez pour mon sort !
Eh bien, j’y veillerai puisqu’il vous intéresse !
Oui, je serai prudent, n’étant pas le plus fort,
Et mon manque de cœur prouvera ma tendresse.
Il s’en va.
tonton, à part
Si l’on prouvait ainsi ses tendres sentiments,
Que de poltrons bientôt deviendraient nos amants !
Elle s’en va avec Lindor.
Scène x
Lolotte, Roulant
roulant
Air : Et r’li et r’lan
Faut-il encor que je vous aime
Autant que vous me méprisez ?
Vous voyez ma faiblesse extrême
Perfide vous en abusez !
Mais ne vous flattez pas, la belle ;
De me voir toujours si constant ;
Et r’li, et r’lan,
On doit mener une cruelle,
Et r’lan tan plan,
Tambour battant.
lolotte
Hélas ! il n’est plus temps de feindre...
Avec vous plus longtemps je ne puis me contraindre.
Allez, mon cher Roulant, quand une belle fuit,
Il ne faut pas bien courir pour l’atteindre ;
Elle sait ménager l’amant qui la poursuit.
Air : Henri IV
Parfois d’une fuite légère
On feint d’emprunter le secours ;
Mais contre un objet qui sait plaire
De quoi servent ces vains détours ?
Dans une âme discrète
La pudeur retient le désir ;
Mais tôt ou tard l’amour paye la dette
Que notre cœur doit au plaisir.
roulant
Hélas ! dois-je croire l’ingrate ?
Pour me tromper, sans doute elle me flatte...
Air : Palsambleu, Monsieur le Curé
M’exposer à sa cruauté,
C’est encor une faiblesse !
Oui... mais un seul regard de la beauté
Sert d’excuse à la faiblesse.
Que nous sommes nigauds ! malgré notre courroux,
Pour peu qu’on nous caresse,
Tout notre fracas cesse
Et puis nous filons doux.
Air : Le port Mahon est pris
Ah ! ma chère maîtresse
Ne fais, ne fais donc plus la tigresse ;
Réponds à ma tendresse ;
Mon pauvre cœur est pris,
Il est pris, il est pris.
lolotte
Il est pris, il est pris ?
roulant
Quel en sera le prix ;
lolotte
Ce cœur qui t’a su plaire
Du tien, du tien sera le salaire.
roulant
Va, terminons l’affaire.
ensemble, ensemble
roulant
Je l’accepte, il est pris.
Il est pris, il est pris.
lolotte
Je le tiens, il est pris.
Il est pris, il est pris.
lolotte
Tu n’as plus à présent de reproche à me faire,
Tu dois être content ?
roulant
Quand nous serons unis
Je serai plus tranquille. Allons chez un notaire.
Duo
lolotte
Air : Ran tan plan tire lire
Oui, Roulant est mon amant,
En plein, plan, ran tan plan tire lire en plan ;
Oui, Roulant est mon amant,
C’est lui que je désire.
roulant
C’est moi que tu désires.
lolotte
Ran tan plan tire lire.
ensemble, ensemble
Aimons-nous bien tendrement
En plein, plan, ran tan plan tire lire en plan ;
Aimons-nous bien tendrement.
lolotte
Son erreur me fait rire.
roulant
Tu daignes me sourire.
lolotte
Ran tan plan tire lire.
roulant
Soyons-nous toujours constants,
En plein, plan, ran tan plan tire lire en plan
lolotte
Comme il a donné dedans !
Je finis ton martyre.
roulant
Tu finis mon martyre.
Ils s’en vont ensemble.
Scène xi
Les bateliers
Air : Vogue la galère
Embarque à la galiote
V’là que j’allons partir,
Mad’moiselle Lolotte
Je v’nons vous avertir,
Et vogue la galiote
Tant qu’elle
Et vogue, etc.
Scène xii
Les acteurs précédents, Tonton amenant Lindor
tonton
Air : Voilà la petite laitière
Voilà, voilà, l’époux de ma maîtresse
Célébrez son heureux destin !
Voilà, voilà l’époux de ma maîtresse,
Je viens vous prier du festin.
lolotte, accourant et finissant l’air
Lindor, profitons du moment
Et d’ici décampons bien vite,
Là tout près j’ai laissé Roulant
Sans se douter de notre fuite ;
Il va revenir à l’instant
Il va revenir à l’instant.
Voilà, voilà, etc.
tonton, aux bateliers
Vous, mes enfants, prenez la peine
D’amuser le tapis et de garder la scène
Pour nous donner le temps de faire le chemin ;
Vous viendrez nous rejoindre.
Le Batelier
Allez, qu’à ça ne tienne,
Je resterons ici tant que Roulant y vienne.
Ils s’en vont.
Scène xiii
Les mariniers
Air : Que pantin serait content
En attendant le repas
Faisons ici quelque danse,
En attendant le repas
Remuons les pieds et les bras.
Ici il se fait une danse de pantins en Chinois, après laquelle le batelier dit :
Eh ! mais morgué, queu manigance !
C’est com’ un’ mascarade... Arrangez-nous d’aut’ pas.
Ici les pantins se retournent et paraissent en bergers galants.
V’là q’j’entendons Roulant, enfant, ne l’gênons pas.
Ils s’en vont.
Scène xiv
Roulant, le tambour
roulant
Air : Lison dormait
Pour décider une conquête,
Il faut souvent brusquer l’assaut.
Hardi surtout au tête à tête !
L’amant timide n’est qu’un sot.
On nous dit que l’amour est traître,
Et porté d’un malin vouloir ;
Pour le réduire il faut savoir
À ce fripon parler en maître.
Tenez lui tête, il aura peur,
Mais si vous pliez, serviteur.
Lolotte ici ce soir m’a promis de se rendre.
J’y viens trop tôt... mais j’ai pour maxime d’honneur
Que l’on ne doit jamais se faire attendre
Dès qu’il s’agit d’une affaire de cœur.
Le Tambour
Mais tantôt, disais-tu, c’était une cruelle ;
Comment as-tu si tôt triomphé d’elle ?
roulant
Air : Rien ne plaît tant aux yeux des belles
Pour triompher du cœur des filles,
Pour s’emparer des plus gentilles
Il suffit d’être grenadier,bis
La résistance est inutile
Contre une attaque aussi subtile.
Les belles sont toujours dociles,
Toujours faciles
Aux gens dont le métier,
Dont le métier
Est de prendre des Villes.bis
Mais va t’en, tu la gêne et je crois qu’en ces lieux
Elle ne veut paraître qu’à mes yeux.
Le tambour s’en va.
Scène xv
Roulant seul
roulant
Air : Que l’aurore est loin encore
Que le soir est loin encore !
Ah ! que j’attendrai longtemps !
Loin de l’objet qu’on adore
Comme on compte les instants.
Il se promène.
Air : Ô nuit ! charmante nuit,
Ô nuit ! favorisez mes désirs langoureux,
Promenez dans les airs mes soupirs amoureux.
Attendant le bonheur que l’amour me destine,
Buvons un coup. Hola, garçon, portez chopine.
Scène xvi
Roulant, le cabaretier
roulant
Le temps plus vite passera.
Le garçon lui apporte chopine avec du pain sur une assiette d’étain et un verre.
roulant, regardant l’assiette
Oh ! oh ! que vois-je ici ? qu’elle est cette écriture ?
A-t’on voulu tracer quelque tendre aventure ?
Ah ! quand ma belle ici viendra,
Sur cette pinte aussi l’amour nous inscrira.
Lisons :
Il épelle sur l’air de Monteauciel.
L, i, n, d, o, r, -or-re.
J’adore, j’adore !
M, o, n, A, m, a, n, t, mant,
Amant !
J’adore un amant.
Ou bien j’ai la berlue,
Ou bien ces mots qui s’offrent à ma vue,
De la main de Lolotte ici furent écrits.
Il lit.
Lindor ! ... me serais-je mépris ?
Mais non, j’ai la visière nette.
Il lit.
Oui, pour Lindor ma tendresse est parfaite.
Qui diable est ce Lindor ? Je ne connais pas ça ;
Pas un de nos bretteurs ne porte ce nom-là.
Si c’était un luron, quelque prévôt de salle,
Je pourrais le passer... mais Lindor !... un morveux !...
Jusqu’à ce point l’ingrate me ravale !
Me donner pour rival un blanc bec !... Ah morbleu !...
Mais tout bien réfléchi, je ne suis qu’une bête ;
Et si ce beau Lindor qui me tourne la tête
N’était autre que moi sous un nom supposé ?...
Cela se pourrait bien... c’est fort bien avisé !
Oui, voilà ce que c’est, c’est une gentillesse,
Un tour d’esprit de ma maîtresse :
Lolotte est une espiègle, et moi comme un enfant
J’allais prendre la chèvre. Oh ! j’y suis à présent,
C’est moi qui suis Lindor... Oui, c’est clair, de la sorte
Buvons à sa santé... C’est Lindor qui la porte.
Il boit.
Il lit.
Voici d’une autre main... Que Lindor est heureux !
Lolotte a comblé tous ses vœux !
Il jette l’assiette.
Oh ! pour le coup, que le diable l’emporte ;
Je ne suis plus Lindor et je ne suis qu’un sot.
De ces fadaises-là je n’ai pas mis un mot ;
On ne me dira pas que c’est mon écriture.
Oh ! je commence à soupçonner
Quelque dessous de carte, et dans cette aventure
Je vois du louche. Il faut pour me déterminer
Par le premier venu, confirmer mon injure.
Air : Maudit l’infernal faiseur de grimoire
Mais gare au rival
Qui me fait outrage !
Tout finira mal
Et bientôt ma rage
Fera bacchanal.bis
Scène xvii
Roulant, Amidon et Lisette qui reviennent de la noce, apportent des verres, du vin, du pain, etc.
amidon et lisette, ensemble
Air : Allons nous-en, gens de la noce
Allons nous-en, gens de la noce ;
Allons nous-en boire deux coups.
Le nigaud donne dans la bosse
Et l’amour unit les époux.
Allons nous-en, etc.
Ils se mettent à la table.
lisette, à Roulant
Sous vot’ respect, Monsieur, permettez-vous ?
roulant, se levant
Oui, placez-vous enfants, moi je ne veux plus boire.
lisette, s’asseyant
Amidon, c’est une plaisante histoire !...
amidon
Ah, cadédis ! Combien tantôt
Cé pauvre délaissé va donc sé trouver sot !
roulant
Hem ! de qui parlez-vous ?
amidon
Ah ! c’est d’une commère !...
À Lisette.
Né va pas mé jouer de même, au moins, bergère !
lisette
Ne crains rien.
À Roulant.
À votre santé,
Monsieur.
roulant
Bien obligé.
amidon
Ce Lindor est futé !
roulant, à part
Lindor ! Ah, ventrebleu !
lisette, à Amidon
Mais il est en colère.
Ce Monsieur-là.
amidon
Chantons pour le distraire.
Duo
Air : Non, Colette n’est pas trompeuse
amidon
Ah ! né mé va pas être légère !
Né cherche pas dé Lindor.
roulant, à part
Encore !
lisette
Suite de l’air : Non, Colette n’est pas trompeuse
Non, je ne veux que te plaire,
Ton cœur est mon seul trésor.
ensemble, ensemble
amidon
Ah ! né mé va pas être légère,
Ne cherche pas dé Lindor.
lisette
Non, non je ne serai pas légère
Je ne veux point de Lindor.
roulant
Le diable soit de ce maudit Lindor.
Quel est donc ce mignon qui met ici l’enchère ?
lisette
Air : Si le roi m’avait donné
Lindor taillé par l’amour
De galante étoffe,
Me ferait en vain la cour
Sans que rien m’échauffe,
Je dirais au beau Lindor,
Ce n’est pas pour vous encor
Que notre four chauffe,
Ô gué,
Que notre four chauffe.
amidon
Lolotte est certénément
Un morceau dé Prince ;
Il lui faudrait pour amant
Un chef dé Province :
Mais voulut-elle de moi,
Je lui dirais sur ma foi,
Pour vous jé suis mince
Ô gué,
Pour vous je suis mince.
Scène xviii
Les acteurs précédents, Cassandre
amidon
Qu’y-t’il de nouveau, papa Cassandre ?
cassandre
Lolotte avec Lindor vient de partir.
roulant, à part
Elle est partie ! Ô Ciel !
cassandre
Et pour se divertir,
Au rival en ces lieux elle a dit de l’attendre ;
Il croque le marmot.
roulant
Ah ! mil nom d’un canon !
Si je les tenais !
amidon
Et la noce est donc finie ?
cassandre
On danse encor, mais elle, elle est sortie
Après avoir payé le violon,
Et nous avoir donné sa jarretière ;
En voici des morceaux.
Il leur en donne.
roulant, à part
Que vois-je, infortuné !
Le présent que tantôt je lui fit faire,
Que j’avais à Sedan reçu d’une tourière,
Des mains de ces manants il sera profané !
amidon, versant à boire et se parant de la jarretière qu’il attache
Amis, faisons la fête entière.
Air : Chantons lœtamini
Pour Lolotte et Lindor,
Buvons, trinquons encor
Pour Lolotte et Lindor.
roulant
Ah ! c’est trop m’étourdir de vos sottes chansons ;
Taisez-vous malheureux, rendez-moi ces chiffons,
Et décampez bien vite.
Il leur arrache les morceaux de jarretière.
cassandre
Ah Ciel ! Quel homme !
lisette
C’est comme un enragé !
amidon
Mais, Monseu...
roulant
Sauvez-vous ;
Rendez grâce au transport qui retient mon courroux.
Sortez faquins, sortez... sans quoi je vous assomme.
les trois en s’en allant, ensemble
Air : Voilà les dragons qui viennent
Le voilà dans sa rage, amis, sauvons-nous.
Ils s’en vont.
Scène xix
Roulant seul
roulant
Air : Ciel ! l’univers va-t’il donc se dissoudre
Je suis trompé ! Ciel ! qui l’aurait pu croire !
Pour me venger
Il faut tout renverser,
Une trahison si noire
Va me faire tout casser ;
Faisons-nous gloire
De tout briser.
Il prend un balais, le démanche, va pour faire du moulinet avec, et frapper à tort et à travers, mais il s’arrête par réflexion et dit :
Par où commencerai-je ? Il faut de l’ordre ici.
Vais-je casser arbres par ci,
Arbres par là ? Non pas. C’est un cas de galère !
Mais sur quoi donc signaler ma colère ?
Si j’avais des rochers placés également,
J’irais les arracher alternativement,
Et mon cœur possédé d’un accès symétrique,
Étalerait ici sa fureur méthodique.
Mais, après tout, pourquoi chercher si loin ?
Voilà tous les objets dont ma rage a besoin.
Montrant la table garnie.
C’est avec eux que Lolotte m’affronte,
C’est eux qu’il faut punir de sa témérité...
Assiette sur laquelle elle écrivit ma honte !
Gobelets dans lesquels on but à sa santé !
Bancs odieux dont Lindor fut porté,
De cette injure-là vous me rendrez tous compte...
Table, renversez-vous... Rompez-vous, tabourets !...
Brisons porte et fenêtre... Et que le diable après
Pour assouvir ma rage
Emporte aussi les cabarets.
Il casse, brise et renverse tout.
Ouf ! je me trouve mieux... Ma fureur se soulage !...
Je me sens plus tranquille... Il est pourtant prudent
De jeter loin de moi toute arme meurtrière,
Car je pourrais dans ma colère
Me bien blesser si l’accès me reprend.
Il jette son sabre.
Mais ! quel trou s’est ouvert ! qu’aperçois-je dans l’ombre ?
Qui me regarde-là ; dans ce gouffre si sombre
On me parle, je crois... Ah bon ! c’est le souffleur !
Ne m’abandonnez pas, Monsieur, dans ma fureur,
Je sens que je me trouble, et je perds la parole...
Aidez-moi, je vous prie, à terminer mon rôle.
Il tombe à terre.
Scène xx
Roulant, les garçons du cabaret, Cassandre
Premier Garçon
D’où vient donc tout ce bruit ?
Second Garçon
Ah ! Morbleu ! Quel dégât !
cassandre
Qui diable donc lui trouble la cervelle ?
Premier Garçon
On dit que c’est l’amour.
cassandre
L’amour !... pour un soldat,
La blessure n’est pas mortelle.
Air : La sagesse est un trésor,
La tendresse est une erreur,
Une erreur, c’est la tendresse.bis
L’amour n’est pas le bonheur,
L’amour n’est pas le bonheur,
Craignez tout d’une maîtresse.
Le cœur doit fuir la tendresse,
L’amour n’est qu’une faiblesse.
Tous les garçons répètent avec Cassandre :
L’amour, etc.
Roulant fait un mouvement furieux. Ils se sauvent tous.
Scène xi
Roulant, le tambour
On entend de loin une marche militaire.
Le Tambour
Air : Aux armes, camarade
Aux armes, camarade, aux armes.
Quoi ! Roulant lâchement peut rester endormi ?
Aux armes, camarade, aux armes,
Le régiment va passer par ici.
roulant
Ah ! mon enfant, parle, as-tu vu Lolotte.
Le Tambour
Eh ! morbleu, mon ami, que t’importe la sotte.
Est-ce Roulant qui parle ? es-tu bien Grenadier ?
À ce point-là peux-tu donc t’oublier ?
Voilà tes officiers, ne fais plus de folie.
À t’entendre, on dirait : Roulant n’a pas de cœur !
roulant
Tu me rappelles à moi ! Va, je t’en remercie.
Méprisons une ingrate, et courons à l’honneur.
Il embrasse le tambour, et prend ses armes.
Scène xii
[Le capitaine des grenadiers, Roulant, le régiment]
Le régiment entre avec les drapeaux ; la musique en tête.
Le Capitaine des Grenadiers, à Roulant
En voyant tes Drapeaux, renonce à ton erreur ;
Roulant, reprend ton rang. Vole où l’honneur t’appelle.
En servant ta patrie, oublie une infidèle...
Un soldat doit brûler d’une plus noble ardeur.
Air : Vaillants Français,
Quand un soldat pense à la gloire,
Sur son cœur il fait un retour ;
Lorsqu’il faut disputer la victoire
L’honneur a le pas sur l’amour.
Tout Français près de sa maîtresse
Est ardent, sincère et constant ;
Mais si l’amour devient faiblesse
Il y renonce au même instant.
Quand un soldat, etc.
Ici Roulant, replacé parmi les Grenadiers, s’en va avec le régiment qui défile, sur l’air de la Marche du \emph Huron.
Scène xiii
Le régiment défile, Cassandre emmène Lisette, Amidon, Lisette
cassandre
Ne restons donc pas dans la presse.
lisette
Amidon, viens donc voir.
amidon
Lé beau coup d’œil ! Sandis !
cassandre
Le régiment l’emmène.
amidon
Oh bien, jé garantis
Qué maintenant dé sa faiblesse
Il est guéri... Mais radicalement.
lisette
Tu crois qu’on peut aussi facilement
En un instant oublier sa maîtresse ?
cassandre
Oh ! quand la gloire parle...
amidon
Ah ! la gloire et l’honneur
Savent si bien dédommager un cœur ?...
Jé me sens un transport !... Oui, jé crois qu’en personne
Tout ainsi que Roulant, la gloire me talonne !...
Ah ! pour un rien jé lé suivrais.
lisette
Comment ! tu m’abandonnerais ?...
cassandre
Quoi ! Tout de bon ?
amidon
Capédébiou ! ma Reine !
Jé né bous entends plus ! Son exemple m’entraîne !
Partons... Mais quoi ? L’Amour mé commande à son tour !
Il mé retiens !... Restons... On dira quelqué jour
\og L’intrépide Roulant, en fuyant sa maîtresse,
Sut à l’honneur asservir la tendresse !
Mais lé tendre Amidon, par un rétour,
A fait céder la valeur à l’amour \fg.
lisette
Le sacrifice est méritoire.
vaudeville
1
lisette
Pour les héros laisse la gloire,
Amidon, renonce aux lauriers ;
Laisse briller dans notre histoire
Les noms de nos braves guerriers :
Crois-moi, la plus douce victoire
C’est de charmer un jeune cœur.
Nous bien aimer, c’est notre bonheur,
Être constants, voilà notre honneur.
2
cassandre
Chaque état épris de la gloire
Croit la trouver diversement ;
L’un veut illustrer sa mémoire,
L’autre n’est heureux qu’en aimant :
Celui-ci ne pense qu’à boire,
Celui-là cherche la faveur.
Mais des chemins qui vont au bonheur
Prend-on souvent celui de l’honneur ?
3
amidon
Un chacun sé pousse à sa guise
Au Camp, à Cythère, à la Cour ;
Mais pour nous sé serait méprise
De chanter la gloire ou l’amour.
Ténons-nous à notre devise,
Elle est écrite dans lé cœur !
Plaire au public est notre bonheur,
Servir ses goûts, voilà notre honneur !
chœur
Tenons-nous, etc.
Fin