Michel-Jean Sedaine
Anacréon
Pastorale héroïque
Sedaine, Recueil de poésies, seconde édition revue et augmentée des pièces faites depuis la première, et de plusieurs airs notés, Paris, Duchesne, 1760, seconde partie, p. 161-216.
definitacteur, l’amour lamour
Avertissement
Cette petite pièce a été faite en 1754, pour la fête de M.L.B et représentée la même année à sa maison de campagne. J’ai été confirmé dans l’idée que j’avais dès lors, que les applaudissements d’une société, même choisie, en sont pas des cautions suffisantes de ceux du public. J’ai donné quelques années après cette pièce sur le Théâtre Italien. Elle n’a eu aucun succès. Je la fais imprimer, en partie pour donner à ce second volume une grosseur suffisante. J’ai fait mettre en lettres italiques les couplets, et même les scènes que les comédiens ont supprimés pour la facilité de la représentation. Je les ai remis pour l’intelligence de la pièce, et pour la terminer comme j’avais cru qu’elle devait l’être.
Envoi
À Madame L.C.
C’est malgré moi que mon ouvrage
À vos yeux s’expose ainsi nu,
Pour captiver votre suffrage.
Ah ! que ne l’avez-vous connu
Représenté dans un village,
Où celui que j’aime est venu !
Chassé, qui força la critique
De l’admirer de tous les temps,
Par cette prestance héroïque,
Ce geste, cette voix unique,
D’Anacréon, ce sage antique,
A bien voulu rendre les chants.
Dieux ! que ces sons étaient touchants,
Et bien dignes de la bergère
Qui répondait à ses accents.
Digne, elle-même, de sa mère,
Son plus gros défaut est seize ans,
Mettons dix-sept car le temps coule.
Les Ris et les Grâces en foule
Viennent couronner son printemps.
Imaginez mille agréments,
Dans une figure charmante.
Qui fit l’Amour ? C’était l’Amour,
Ou son portrait que je ne mente,
Ses yeux méditaient quelque tour.
Je l’ai vu, sa bouche friponne,
Baisait sa bergère mignonne,
Sur ses petits pieds se haussant,
De l’ai ingénu d’un enfant
Qui se pend au cou de sa bonne.
C..., G..., G...,
Auraient mis un jeu plus malin,
Une aisance que l’habitude,
Fruit tardif d’une longue étude,
Place dans un coup d’œil certain.
Mais la candeur, mais la décence,
Cette tendre naïveté,
Cette aimable simplicité,
Tous les charmes de l’innocence,
Compagne des cœurs généreux,
N’auraient point embelli leurs jeux.
Chargés et de rouge et de plâtre,
Souvent les minois de théâtre,
En dépit d’eux, rendent avec art
Aussi visible que leur fard.
Mais ici c’était la nature
Toute neuve, et sans imposture.
Vous connaissez ma vanité,
L’empire qu’elle a sur mon âme.
Jugez un peu des traits de flamme
Dont mon cœur était agité.
Je suis encor tout enchanté
De mes vers, et de ma fortune.
Oui, rien ne pourrait l’augmenter,
S’il ne m’en restait encor une,
Celle de vous les présenter.
Acteurs
Anacréon
Philenos
L’Amour
Céphise
Amis d’Anacréon
Anacréon
Le théâtre représente un grand cabinet orné, sur un côté une table couverte de papiers et d’instruments servants aux sciences, entre autres un monté sur pied, et un mobile.
Scène i
Anacréon et Philenos
philenos
Air : Non, je ne ferai pas [ce qu’on veut que je fasse]
Quoi ! vous, Anacréon, vous l’honneur de la Grèce,
Vous qui chantiez si bien le dieu de la tendresse,
Vous nous abandonnez pour rester en ces lieux,
Éloigné de Samos, des plaisirs, et des jeux.
Air : Du haut en bas
N’en doutez pas,
C’est une erreur qui vous abuse,
N’en doutez pas.
Oui vous reviendrez sur vos pas.
Au caprice qui vous amuse
Vous ne pouvez donner d’excuse,
N’en doutez pas.
anacréon
Air : Qu’ils sont doux, bouteille, ma mie
En ces lieux je passe la vie
Loin du vain tumulte des cours.
J’ai trop longtemps encensé les amours
Pour suivre encor cette folie.
Oui, oui, ma philosophie
Saura durer toujours.
philenos
Air : Que faites-vous, Marguerite
Toujours seul avec soi-même,
Et s’occuper à rêver
Est le plus triste système
Que vous avez pu trouver.
anacréon
Air : Tout roule aujourd’hui dans le monde
Tout ce que la nature étale
Pour notre usage et nos plaisirs,
Les arts, les talents, la morale
Occupent mes plus doux loisirs.
J’extrait ici la quintessence
Des plantes, des fruits et des fleurs.
J’acquiers ainsi la connaissance
De leurs vertus, de leurs valeurs.
philenos
Air : Monsieur le Prévôt des marchands
Cet amusement est fort bon,
Et bien digne d’Anacréon.
Mais la morale et la nature
Ne pourront toujours vous flatter.
anacréon
Moi, j’en suis certain, et j’en jure.
Mon ami, tu peux y compter.
philenos
Air : Pour la Baronne
Pour un cœur tendre
Tous les serments sont indiscrets.
En vain il voudrait s’en défendre,
L’Amour garde toujours des traits
Pour un cœur tendre.
anacréon
Air : Amants, quelle est votre faiblesse
Le dieu d’Amour entre sans peine
Dans tous les cœurs qui brulent d’aimer.
Mais lorsqu’on méprise sa chaîne,
Vainement il veut nous enflammer.
Un cœur qui soupire en secret,
Qui sans l’oser dire,
Désire
Son trait.
Qui de son empire
Fait un beau portrait
Au premier objet
S’enflamme et se soumet.
Le dieu d’Amour entre sans peine
Dans tous les cœurs qui brulent d’aimer.
Mais lorsqu’on méprise sa chaîne,
Vainement il veut nous enflammer.
philenos
Air : Que je regrette mon amant
Vous avez tant dit autrefois
Qu’il était sûr de sa victoire
Qu’il soumettait tout à ses lois,
Qu’à présent je ne puis vous croire.
Vous le disiez si tendrement...
Pouvez-vous penser autrement ?
anacréon
Air : Vous voulez me faire chanter
Jadis au milieu des repas,
Des jeux et de la danse,
Mon faible cœur ne faisait pas
La moindre résistance.
Mais ces calculs et ce compas
Servent à ma défense.
Et sous l’égide de Pallas,
Je brave sa puissance.
philenos
Air : Non, non, ma femme, il n’en est rien
Ô puissant dieu,
Viens en ce lieu
Lui faire expier cet aveu.
Ô puissant dieu,
Viens en ce lieu
Je m’en vais, adieu.
anacréon
Ami, je crains peu
L’ardeur du feu
Dont tu me menaces.
De telles disgrâces
Sont un jeu
Pour qui les craint peu.
philenos
Ô puissant dieu,
Viens en ce lieu
Lui faire expier cet aveu.
Ô puissant dieu,
Viens en ce lieu
Je m’en vais, adieu.
Scène ii
Anacréon seul
anacréon
Air : Jamais la nuit ne fut si noire
Jamais mon cœur ne fut moins tendre.
Mais mon indifférence assure mes plaisirs,
À la seule amitié je borne mes désirs,
Et de toute autre ardeur je saurai me défendre.
Vous, amants, tristes, langoureux,
Suivez, suivez les caprices des belles.
La perfidie est le prix de vos feux.
Que de moments perdus ! \ibis\ s’ils sont passés près d’elles.
On entend un bruit de tempête.
Air : Les Trembleurs
Mais ciel ! quel épais nuage !
Les vents, la pluie et l’orage
Font éclater leur ravage.
La nuit a chassé le jour.
Hélas ! cette nue obscure
Qui fait gémir la nature
Est la fidèle peinture
Des ravages de l’Amour.
Il se met à son bureau.
Air : Non, rien n’est si fatiguant
Mais voyons l’évènement
Du problème qui m’échappe.
Mais voyons l’évènement
Voici mon raisonnement.
On frappe : pan, pan, pan, etc.
Je crois qu’à ma porte on frappe.
Pan, pan, pan, etc.
Puis-je être seul un moment !
Scène iii
Anacréon, l’Amour
anacréon
Air : Dans la vigne à la grand’ Simone
Dans ma maison, qui vous amène ?
Qui vous conduit en ce logis ?
lamour
Par un orage dans la plaine,
Seigneur, je viens d’être surpris.
Pour me sauver, d’abord ici je trotte,
Réchauffez-moi, car je grelotte.
anacréon
Eh ! d’où venez-vous donc,
Mon beau garçon ?
Vous avez l’air fripon,
Mignon,
Vous avez l’air d’un fripon.
lamour
Air : Résonnez, ma musette
Vous me faites injure,
Seigneur, je vous assure
Que dans le fond du cœur,
Je ne suis que douceur.
anacréon
Air : Ces trois mots m’ont duré vingt ans
Cet enfant a de certains yeux,bis
Le regard si malicieux
Le traitre ! le traitre !
Que ne suis-je Apollon pour le connaître ?
Air : De tous les capucins du monde
Mais hélas ! vos mains sont de glace.
Voulez-vous ici que je fasse,
Pour les chauffer un peu de feu ?
lamour
Non, Seigneur.
anacréon
Ma crainte est extrême.
Que serait-ce donc en ce lieu
Si j’avais reçu Polyphème ?
Air : Malgré la bataille [qu’on donne demain]
Pourquoi, malgré l’orage, et la pluie et les vents,
Voyager, beau garçon, par un si mauvais temps ?
lamour
Cher patron, mon dessein n’est pas de voyager.
C’est la soif de punir, l’ardeur de me venger.
anacréon
Air : Bénissez le Seigneur suprême
Venger ! mais vous raillez, sans doute,
Faible, petit et sans secours,
Si le chemin est de deux jours,
Vous périrez en route.
lamour
Air : Dans ma cabane obscure
Quoique faible et petite,
L’abeille en ce vallon,
À l’instant qu’on l’irrite,
Lance son aiguillon.
Et sa vengeance est sure
Son dard nous fait souffrir.
On sait que sa blessure
Nous fait longtemps gémir.
anacréon
Même air
L’imprudente colère,
Aveugle en ses projets,
Ne voit point le salaire
Qu’attirent ses forfaits.
L’abeille en se vengeance,
Qui fait longtemps souffrir,
Meurt du coup qu’elle lance,
Et ne fait pas mourir.
lamour
Air : J’ai dans ma pochette un petit oiseau
Je n’en mourrai pas,bis
Et je ne crains point le trépas,
Ou du moins je le pense.
M’effrayer par là !
Croyez-vous cela ?
Perdez cette espérance.
anacréon
Air : Que j’aime mon cher Arlequin
Mais que vous a donc fait celui
Qui vous offense ?
Vous aurait-il volé la nuit ?
Aurait-il emporté sans bruit
Un joujou d’importance ?
Mais que vous a donc fait celui...
Celui qui vous offense ?
lamour
Air : De l’Amour je subis les lois
C’est mon esclave, et mes faveurs
Ont toujours comblé son envie.
C’est par moi qu’il charme les cœurs.
J’ai fait le bonheur de sa vie.
S’il plaît par son goût délicat,
S’il est celui que l’on consulte,
C’est de moi qu’il tient son éclat.
Et l’ingrat
Me méprise et m’insulte.
anacréon
Air : Par un matin, Lisette se leva
C’est bien méchant
Contre un si bel enfant...
Mais, cher ami, que faites-vous donc là ?
lamour
Ta, la, la, la, la, la, la, la.
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Je regarde si de ma flèche
Le fer ne s’était point rouillé
Je vois si la corde en est sèche,
Et si mon arc n’est point mouillé.
anacréon
Air : Suivant l’goût de vote façon, elle est donc bien gentille
Cet esclave est-il loin ?
lamour
Non, plus près qu’il ne pense.
anacréon
Mais pour votre vengeance,
Il ne la craindra point,
Si cet ingrat vous brave.
lamour
Lui ! me braver ! lui ! moi !
anacréon
Quel est donc cet esclave ?
lamour
C’est toi.
Air : Non, tu ne m’aimes pas
Connais l’Amour, perfide.
Reconnais à mes traits,
Au courroux qui me guide,
Quels furent tes forfaits.
Le supplice est trop rude
D’essuyer tes mépris.
De ton ingratitude,
Traitre, reçois le prix.
Il lui lance sa flèche.
anacréon
Cruel Amour, fatal vainqueur,
Quel temps as-tu choisi pour me percer le cœur !
lamour
Air : Vous voulez me faire chanter
De tes défis et du combat
Fais à présent parade.
Mon arc est en fort bon état,
Ton cœur est bien malade.
Mais ces calculs, et ce compas
Vont être ta défense.
Et sous l’égide de Pallas,
Tu braves ma puissance.
Scène iv
Anacréon seul
anacréon
Air : Fais comme moi, bois
Ô ciel ! quels feux !
Dieux !
Je ressens
Dans mes sens,
Dans mon cœur,
Une ardeur,
Je meurs.
Quel est l’état où je suis
Mis !
Cruel enfant,
Dieu triomphant,
Dis-moi pourquoi...
Quoi !
C’est trahir,
Que te fuir !
Se sauver
C’est braver !
Fut-il jamais...
Mais,
non, j’eus tort.
Vois mon sort.
Veux-tu ma mort ?
Il est temps de cœurs
Pleins d’ardeurs,
Qui voudraient...
Bruleraient
De charmer,
D’aimer.
En leur âme,
De tes feux
Dangereux,
Porte les traits amoureux.
Là, ta flamme
Est un bien.
Ton lien
Est un mal pour moi,
Voi.
Air : Je voudrais bien vous satisfaire
Mais peut-être que, par l’étude,
Mon inquiétude
Peut se réprimer.
Essayons si, moins inquiète,
Mon âme distraite
Peut enfin se calmer.
Anacréon se met à son bureau, rêve, fait ses efforts pour s’appliquer, marque son impatience. Pendant ce temps-là, la symphonie joue tendrement l’air du vaudeville qui suit.
Air : À mon cœur, dans ce séjour
C’est en vain que je m’applique
À la physique
Seul en ces lieux.
Quel est le spectacle unique
Qu’elle m’indique ?
C’est deux beaux yeux.
Un regard doux, gracieux,
Est la plus brillante logique.
À mon cœur tout, en ce séjour,
Parle d’amour,
Tout peint l’amour.
[bis]
Pourquoi tirer de la rose
Nouvelle éclose
Le doux parfum ?
Vénus en est-il aucun
Qui sur tes lèvres ne repose ?
À mon cœur tout, en ce jour,
Parle d’amour
Tout peint l’amour.
Air : Non, je ne ferai pas ce qu’on veut que je fasse
Que ne suis-je à présent au milieu des bergères ?
Que ne suis-je entraîné par leurs danses légères ?
Que ne suis-je à Samos, à la cour de nos rois ?
Que ne suis-je... Ah ! Cruel ! Sont-ce là tes exploits ?
Air : Tout le village était perdu
Pour dissiper mon émotion,
Courons les campagnes,
Passons les montagnes,
Pour dissiper mon émotion,
Désertons les lieux où j’ai pris ce poison.
Scène v
L’Amour seul
lamour
Air : Hélas, maman, pardonnez je vous prie
J’ai su voler la brebis de Céphise,
Elle la cherche au fond de ce vallon.
Elle gémit, elle ignore ma surprise.
Je voudrais bien retrouver Anacréon.
J’ai su voler la brebis de Céphise,
Elle la cherche au fond de ce vallon.
Céphise, derrière le théâtre, appelle \og Robine, Robine !\fg .
Air : Dam’ Javotte
Ah Céphise,bis
J’aimerais mieux de ton cœur
Avoir surpris la franchise.
Ah Céphise !bis
Air : Dérouillons, dérouillons, ma commère
Mais je l’entends, mettons en cachette
Cette brebis dans ce lieu. Fort bien.
C’est un moyen...
Je ne dis rien.
Elle est si simple, elle est si jeunette !
Mais je l’entends, la voici qui vient.
Scène vi
Céphise, l’Amour
cephise
Air : Là-bas, dans la plaine
De ma bergerie,
Vient de se sauver
Ma brebis chérie.
Pour la conserver,
Dites-moi, je vous prie,
Où je puis la trouver.
Air : Pierre Bagnolet
Là-bas, plus d’un berger s’accorde
À dire qu’un enfant suivait,
Et chassait, sans miséricorde,
Ma brebis, et qu’il la battait.
Il la battait,
Il la battait,
Il la battait avec la corde
D’un arc qu’à la main il tenait.
lamour
Air : Nous sommes précepteurs d’amour
Il fallait envoyer après
Le berger qui pour vous soupire.
cephise
Un berger !
lamour
Il doit être prêt.
cephise
C’est mon chien que vous voulez dire.
lamour
Air : Est-il de plus douces odeurs
Non, non, je veux dire un berger.
Quoi ! jeune, belle et tendre,
Vous ne savez point engager
Quelqu’un à vous défendre !
Si près de vous quelque Tircis
Eut été dans la plaine,
Il eut ramené la brebis
Dont vous êtes en peine.
cephise
Air : Proverbes
Vous vous trompez. Pour ramener bien vite
Tous mes moutons et braver les dangers,
Mettre les loups et les voleurs en fuite,
Mon chien tout seul vaut trois bergers.
lamour
Gentille pastourelle,
Un chien ne suffit pas.
Pour suivre aussi vos pas,
Il faut un berger fidèle.
Près d’un berger bien fait, et beau,
Que de plaisirs \ibis\ sur la fougère !
Un chien n’a soin que du troupeau,
Mais un berger a soin de la bergère.
Gentille pastourelle,
Un chien ne suffit pas.
Pour suivre aussi vos pas,
Il faut un berger fidèle.
cephise
Air : Quoi, vous partez
J’écoute, hélas ! je ne sais quoi de tendre.
Ah ! bel enfant, que vos chants sont touchants
Mais je m’en vais, je voudrais vous entendre.
Vous devriez nous venir voir aux champs.
J’écoute, hélas ! je ne sais quoi de tendre
Rend, bel enfant, vos discours bien touchants.
lamour
Air : Tu croyais, en aimant Colette
La petite s’en va rêveuse,
Son cœur en secret je troublais.
parlez donc, la belle chercheuse,
Et la brebis ?
cephise
Je l’oubliais.
lamour
Air : Nous autres, bons villageois
Bergère, si je vous dis
Où vous la trouverez sans doute,
Qu’aurai-je pour mon avis ?
car il faudra qu’il vous en coûte.
cephise
Je vous jure que je n’ai rien,
Et mon troupeau fait tout mon bien.
lamour
Vous ne pouvez me refuser,
Pour le moins un petit baiser.bis
cephise
Air : Le joli jeu d’amour n’a pas besoin du jour
Un baiser ? que cela ?
Je le veux, le voilà.
C’est vous, méchant, qui me l’avez prise.
Mais avant, rendez.
lamour
Tenez, regardez.
cephise
Robine ! ah ! que je suis surprise !
lamour
Un baiser.
cephise
Le voilà,
Si ce n’est que cela.
C’est vous, méchant, qui me l’avez prise.
L’Amour embrasse Céphise, pendant ce temps elle dit
Air : À quoi s’occupe Madelon
Vous avez l’air bien libertin.
L’Amour avec sa flèche pique la main de Céphise qu’il tient dans la sienne.
lamour
Bergère...
cephise
Ahi ! Vous m’avez blessée.
lamour
Moi ?
cephise
Oui, vous. Et c’est à la main,
Avec ce trait assassin.
lamour
Mineur
Ah ! vous m’en voyez bien chagrin.
La douleur est-elle passée ?
Ah ! vous m’en voyez bien chagrin.
cephise
Je crois que ce ne sera rien.
lamour, d’un ton ironique
Air : Tout le village était perdu
Je suis cousin
D’un médecin.
Pour cette blessure,
Cette égratignure,
J’ai le baume le plus divin.
Attendez, bergère, à l’instant je reviens.
Scène vii
Céphise seule
cephise
Air : Jardinier, ne vois-tu pas
Cet enfant, tout beau qu’il est,
Paraît d’un caractère
Espiègle, étourdi, mauvais.
Je ne sais si j’en voudrais
Pour frère, pour frère, pour frère.
notée à la fin
Ah ! ma piqure
Me fait douleur.
Se peut-il que si peu profonde,
Elle réponde
Jusqu’au cœur ?
Air : Du haut en bas
Mais que c’est beau !
On ne voit ici que dorure.
Mais que c’est beau !
C’est encor plus beau qu’au château.
C’est bien mieux que de la peinture,
Car c’est comme une miniature.
Ah ! que c’est beau !
Air : Stila qu’à pincé Berg-op-zoom
Mais si le maître allait venir...bis
Je ne sais pas comme il se nomme,
Mais il doit être un bien bel homme.
Air : Pour voir un peu
Dieux ! quelle machine voilà !
C’est presque aussi rond qu’une boule.
C’est sans doute un jeu que cela,
Car je m’aperçois qu’elle roule.
Faisons mouvoir ce bijou-là,
Pour voir un peu comment ça f’ra.
Air : Sous un ormeau
Tout doucement,
Faisons agir le mouvement,
Par ici, par là.
Ah ! comme tout cela va !
Ah !
Elle jette à terre ce qui est sur la table.
Air : Voici les dragons qui viennent
De cette maison funeste
Vite sauvons-nous.
Sans demander notre reste,
De ce lieu que je déteste,
Sauvons-nous,
Sauvons-nous.
Elle court à la porte, aperçoit Anacréon, rentre et dit
Air : Ciel, l’univers va-t-il donc se dissoudre
Dieux ! je l’ai vu, j’ai vu, j’ai vu le maître.
Il va rentre, je tremble, je frémis.
Le voici qui va paraître,
Où me mettre en ce logis ?
Ciel ! où me mettre ?
Ah ! le voici.
Scène viii
Anacréon, Céphise
anacréon
Air : On gravera sur un chêne
Hélas ! mon trouble
Redouble.
Tout augmente ma langueur.
Je soupire,
Je désire.
Amour, quelle est ta rigueur !
Hélas ! etc.
Air : Ô, vous, puissant Jupin
Quel est l’audacieux
Qui dans mon absence est entré dans ces lieux ?
Ah ! que n’ai-je trouvé le fat,
Ou le scélérat,
Qui m’a fait ce dégât ?
C’est quelque vil pasteur,
Quelque voleur...
Si jamais je le tiens,
Que je le plains !
Quoi ! tout est fracassé,
Tout est cassé.
Oui, si je le trouvais,
Je le tuerais.
Mais que vois-je ? Un mouton
Dans ma maison !
C’est sans doute à celui
Qui s’est enfui.
Vengeons-nous en ce jour,
Il faut que je l’immole à l’Amour.
cephise
Air : Ah, tu n’auras pas mon minet
Ah ! ne tuez pas ma brebis,
C’est moi-même,
C’est moi-même.
Ah ! ne tuez pas ma brebis,
C’est moi, Seigneur, je frémis.
Duo
Air : Quel caprice, quelle injustice
deuxcol, \cephise
Seigneur, grâce,
Faites-moi grâce.
De ma disgrâce
Suis-je cause, hélas !
Seigneur, grâce,
Faites-moi grâce.
De ma disgrâce
Ne vous vengez pas.
Seigneur, je n’ai fait qu’y toucher.
Je l’ai vu d’abord trébucher.
C’est malgré-moi,
Je le tournais avec un doigt.
Il s’est brisé par terre
Net comme un verre.
Je suis sincère.
Quel est mon effroi !
Mais que vois-je ? Quoi ! moins sévère,
Votre colère
Semble s’oublier.
Je ne suis que simple bergère.
Que puis-je faire
Pour vous payer ?
anacréon
Que d’appas !
Que d’appas !
Sa grâce,
Son âge tendre et son embarras...
Que d’appas !
Oui, cette disgrâce
Ne déplaît pas.
Peut-on sans se laisser toucher,
À la regarder s’attacher ?
Je sens, ô ciel, je m’aperçois
Que son regard, tout ce que je vois
Porte en moi
Une ardeur... ah ! croyez-moi,
N’ayez point d’effroi.
Levez-vous,
Levez-vous,
Bergère.
Quoi ! mon courroux peut-il effrayer ?
Levez-vous,
Vous pouvez tout faire
Pour me payer.
anacréon
Air : Babet, que t’es gentille
Dissipez votre effroi.
Bien loin d’être sauvage.
Mon cœur... non, dites-moi
Vos parents et votre âge.
cephise
J’aurai dix-sept ans,
Vienne le printemps.
D’Atys je suis la fille.
J’habite le prochain hameau.
Aujourd’hui j’ai sur ce coteau,
Par hasard mené mon troupeau.
anacréon
Ô ciel ! qu’elle est gentille !
Qu’elle est, qu’elle est gentille !
cephise
Air : Ont enlevé ma mie
Pour un agneau,
Pour deux agneaux,
Pour trois agneaux ensemble,
Pourrais-je racheter
Ce qu’il pourra vous en coûter ?
Répondez donc, je tremble.
anacréon
Air : Votre cœur, aimable Aurore
Pourquoi craindre ma colère ?
Puis-je le dissimuler ?
Quand je crains de vous déplaire,
Quand je crains de vous parler,
Ce n’est pas à vous, bergère,
C’est à moi seul à trembler.
cephise
Air : Quand m’en direz-vous de même
Parlez, vous êtes le maître,
Et je dois vous écouter.
Je désirerais connaître
Ce qui peut vous contenter.
anacréon
Hélas ! je doute
Que je puisse m’en flatter.
cephise
Parlez, j’écoute.
anacréon
Air : Le démon malicieux et fin
Aussitôt que j’ai vu vos beaux yeux,
J’ai senti la volupté des dieux.
J’ai senti dans le fond de mon âme
naitre un penchant si flatteur et si doux !
Je vous aime ! à mes feux, à ma flamme
Belle bergère, hélas ! répondrez-vous ?
cephise
Air : Surtout, ne me trompez pas
Ce que vous me dites là
Doit sans doute me confondre.
Vous m’aimez et sur cela
Je ne sais que vous répondre.
Je sens bien que je vous croirais,
Qu’avec plaisir je m’y fierais,
Mais je ne suis pas fine
J’ignore quand on badine.
anacréon
Air : Il ne vient point, quel soin, bergère
Qui pourrait vous tromper, bergère,
Serait sans doute haï des dieux.
Qu’à l’instant j’expire à vos yeux,
Si ma flamme n’est pas sincère.
J’attends à vos pieds, de mes feux
Le châtiment ou le salaire.
Mais aux larmes que vous versez,
Je vois que vous me haïssez.
cephise
Air : Là-bas, dans la plaine
N’ayez point d’alarmes,
Hélas ! je vous croi.
Je verse des larmes,
J’ignore pourquoi.
Votre vue excite
Un sentiment doux,
Dont mon cœur s’agite.
Seigneur, m’aimez-vous ?
Air : Au bord d’un clair ruisseau
Quitterez-vous ces lieux
Pour me suivre au village,
Et pour le pâturage
Ces meubles précieux ?
anacréon
Je vous les donne tous,
Soyez ici la reine.
cephise
Ce serait une peine,
Si je l’étais sans vous.
anacréon
Air : Ce soir au bois, tu sauras ce mystère
Sans moi, bergère ! ah ! vous êtes sensible !
Ah ! vous m’aimez ! ciel ! quel est mon bonheur !
Quoi ! vous doutiez du penchant invincible
Que vos attraits font naître dans un cœur !
cephise
Air : Sur le port, avec Manon, un jour
Qu’une bergère en vous voyant
Sente pour vous quelque penchant,
Aisément cela se peut croire.
Mais que fait comme on peint nos dieux
Vous ressentiez pour moi des feux,
Ah ! Seigneur,
Excusez mon erreur,
Je pouvais douter de ma victoire.
anacréon
Air : Eglé tient tous ses biens
L’Amour reçoit ses traits des mains de la nature.
Sa puissance c’est la beauté.
Loin de ce vain éclat qu’affecte la parure,
Il met son sceptre aux pieds de la simplicité.
Oui, mon cœur ennemi du fard de l’imposture,
De vous, bergère, est plus charmé...
Dans vos yeux la candeur assure
La constance des feux dont je suis enflammé.
cephise
Air : L’amant frivole et volage
Que la nature en partage
Ne donna-t-elle à mes chants
Le plus séduisant langage
Des sons tendres et touchants ?
Je vous charmerais de même.
Mais hélas ! pour tout discours,
Je dirai que je vous aime
Mais je le dirai toujours.
Scène ix
Anacreon, l’Amour, Céphise
lamour
Air : Eh zing, zing, Madam’ la mariée
Soyez contents,
Prenez, mes enfants,
Du bon temps.
Les plus beaux instants
De vos ans
Sont comme la rose au printemps.
Ceci, mon cher Anacréon,
N’est qu’un petit coup d’aiguillon.
Soyez contents,
Prenez, mes enfants,
Du bon temps.
Les plus beaux instants
De vos ans
Sont comme la rose au printemps.
anacréon
Air : Vous qui, du vulgaire stupide
Amour, l’excès de mon offense
Semblait exclure ta bonté.
Tu n’as fait voir que ta puissance,
Au lieu de ta sévérité
Si tu te venges par des peines,
Comment sais-tu récompenser.
Pour porter de semblables chaînes
Tous les mortels vont t’offenser.
lamour
Air : Je reviendrai, demain au soir
J’ai voulu te faire sentir
Que je peux te punir.bis
Ô bergère, désirez-vous
Quelque plaisir plus doux ?
cephise
Air : L’autre jour, étant assis
Amour, ne fais rien pour moi,
Fais tout pour celui que j’aime.
Je suivrai toujours ta loi,
J’en fais mon bonheur suprême.
Oui, mon sensible cœur
Sera toujours fidèle.
Mais donne à mon vainqueur
Une flamme éternelle.
lamour
Air : Par ma foi, l’eau m’en vient à la bouche
Mais j’entends un grand bruit de fanfare,
Tes amis accourent dans ces lieux.
Ils ont su le sort que te prépare
Un instant aussi délicieux.
Ils vont chanter le bonheur rare
D’un mortel que chérissent les dieux.
Mais j’entends un grand bruit de fanfare,
Tes amis accourent dans ces lieux.
Scène x
Anacréon, Céphise, Philenos, les amis d’Anacréon
philenos
Air : Ton humeur est, Catherine
Anacréon, que de grâces !
L’Amour n’a pu mieux choisir.
Nous accourons sur ses traces
Ici pour nous réjouir.
une amie
Tes amis viennent se rendre
En ce lieux pour partager
Le bonheur d’une âme tendre
Que l’Amour vient d’engager.
Les comédiens ont fait finir la pièce ici par un duo entre Anacréon et la bergère, et ont supprimé ce qui suit.
anacréon
Air : De tous les bergers du village
Quand je jurais d’être insensible,
Amis, je croyais impossible
Qu’il fut au monde tant d’attrait.
Quel cœur en le voyant ne serait pas flexible ?
Amour, pardonne-moi. Dieux ! comme je mentais !
Quant je jurais
D’être insensible.
vaudeville
philenos
Le jeu, le vin et la tendresse
Ont toujours fait de faux serments.
Des dés, un verre, une maîtresse
Triomphent de nos sentiments.
De soi l’on répond, même on jure,
Mais faut-il tenir la gageure
Contre un charme trop séduisant ?
On y revient en rougissant,
On en peut changer la nature.
un ami
Lise répète après sa mère,
Que tout homme est un imposteur,
Que l’amour est une chimère
Dont il faut défendre son cœur.
Elle en répond, même elle en jure.
Mais Tircis est-il un parjure ?
Il donne son cœur pour garant.
Il soupire, Lise se rend.
On ne peut changer la nature.
une amie
Tircis aux genoux de Lisette,
Ne met de terme à ses amours,
À sa flamme vive et discrète,
Que l’instant qui finit nos jours.
Il en répond, même il en jure,
On le croit, sa victoire est sûre,
Mais elle avance en cet instant
Où Tircis devient inconstant.
On en peut changer la nature.
anacréon, regarde l’amie en colère et dit
Célébrons la victoire
De ce dieu
Qui met l’univers en feu.
Le soumettre n’est qu’un jeu
Dont n’a pas besoin sa gloire.
Amis, l’on peut m’en croire.
À nos cœurs,
Il n’offre que des douceurs.
Résister à ce vainqueur,
C’est fuir son bonheur.
Le sage que protège Pallas,
De résister bientôt las,
Laisse tomber son égide.
Le héros intrépide,
À l’exemple d’Alcide,
Soumis et plus amant que guerrier,
Préfère alors le myrte au laurier.
Mortels, cédez, rendez les armes.
Pourquoi redouter ses alarmes ?
Ses craintes, ses transports, ses larmes
Dans l’âme portent mille charmes.
Jugez par les désirs
Quels en sont les plaisirs.
Cé[lébrons la victoire], etc.
Les amis d’Anacréon dansent et forment un pas de ballet et couronnent Anacréon et la bergère.
Fin