Auteurs : | Fuzelier (Louis) |
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Parodie de : | Le Carnaval et la Folie de La Motte et Destouches |
Date: | 6 juillet 1719 |
Représentation : | 6 juillet 1719 Comédie-Italienne - Hôtel de Bourgogne |
Source : | Les Parodies du Nouveau Théâtre-Italien, t. II, Paris, Briasson, 1731 |
Oui, très puissante déesse, séduisante Folie, ne craignez pas que Momus vous abandonne ; j’ai ma foi un trop grand intérêt à rester dans votre cour. Médire est mon unique talent, et je trouve avec vous de quoi l’exercer sans relâche.
Oh ! Vous n’y êtes pas, Seigneur Momus, vous n’y êtes pas.
Comment donc, quelle nouvelle occupation me destinez-vous ? J’espérais que vous me donneriez enfin quelque trêve ; car depuis que vous fréquentez le Théâtre Lyrique, vous ne parlez que par sentences réfléchies, et même graves.
La gravité n’est-elle pas de mon apanage ?
C’est un reproche que les gourmets d’esprit n’ont pas laissé tomber. Ils trouvent, dit-on, la Folie trop sage.
Oh ! Ces gourmets-là n’ont pas le goût sûr. Quelle plus forte preuve d’extravagance pouvais-je leur fournir, que de débiter de la métaphysique à l’Opéra ?
Cette preuve est incontestable : rien n’est plus digne de vous, que de réduire la métaphysique en ariettes, et la morale en rigaudons.
Fi, je ne veux plus chanter, je renonce à la musique.
Vous lui avez pourtant bien de l’obligation : elle peuple votre empire de bons sujets.
Oh çà, Momus, je compte aujourd’hui sur vous. Je veux dans une heure au plus tard recevoir les hommages de tous ceux qui suivent mes lois.
Et dites-moi, s’il vous plaît, où vous prétendez faire cette cérémonie-là ? Les plaines de Grenelle, de Saint-Denis et des Sablons jointes ensemble, ne contiendraient pas la cent millième partie de vos fidèles sectateurs. Appararemment ils viendront vous saluer par députés.
Assurément.
Le cortège ne sera encore que trop nombreux. Mais, Déesse, à quelle intention étalez-vous aujourd’hui cette pompe ?
Oh ! J’ai des vues, Seigneur Momus, j’ai des vues.
Ce ne sont sûrement pas des vues éloignées.
Oh ! Non, elles sont prochaines, très prochaines, on ne peut pas plus prochaines. Je veux me marier.
Vous voulez vous marier ! Le Carnaval sera donc bien content ?
Ce n’est plus le Carnaval que je veux épouser, je ne m’accomoderais point du tout d’un mari qui reste si longtemps à table.
Surtout le soir. Oh que vous faites bien de planter là le Carnaval. Je ne sais comment vous avez pu aimer un seul moment ce cochon-là ! Qui diable avait pu vous donner un pareil amant ? Pour moi, je trouve que le Carnaval ne doit tout au plus charmer qu’une pâtissière.
Que dites-vous ? Le Carnaval est devenu un petit Céladon.
Ah ! Lorsqu’il vous récite langoureusement,
On est bien étonné de l’entendre citer les arbres, les rochers et les échos, lui qui avant de s’aviser d’être si tendre, ne parlait que de boudins et de petits pâtés.
Au moins, je vous fait aujourd’hui mon maître des cérémonies, et mon confident.
Bon. Je vous verrai tantôt en masque, et tantôt à visage découvert. Commençons par exercer ma charge de confident, et ne faisons pas la bévue de traiter les affaires avant le plaisir. Allons, apprenez-moi qui est l’Adonis à taille légère, à qui vous sacrifiez l’embonpoint du Carnaval ?
C’est un dieu qui me convient, c’est l’Amour.
L’Amour ? et vous aime-t-il ?
S’il ne m’aime pas, il m’aimera. Adieu, Momus, adieu.
Où allez-vous donc ?
Je ne sais.
Voilà une déesse bien tendre et bien occupée de ce qu’elle aime... Elle se flatte pourtant que Cupidon répudiera Psyché pour elle... Mais pourquoi non ?... L’Amour et la Folie sont assez faits l’un pour l’autre... Il est étonnant qu’ils ne se soient pas plus tôt avisés de s’aimer ! Ma foi, si le fils de Vénus s’adonne ici, je me garderai bien d’en user avec lui comme avec le Carnaval, il ne faut pas se frotter à ce méchant enfant-là. Mais quel bruit entend-je ? Sans doute, messieurs les Députés des fous s’assemblent : que d’habits différents nous allons voir ! Si les troupes de la Folie avaient un uniforme, il ne faudrait presque plus faire de drap que d’une seule couleur.
Seigneur Momus...
Qui êtes-vous ?
Officier des gardes de la Folie. Elle m’a ordonné de prendre aujourd’hui l’ordre de vous.
Me voilà dans les honneurs ! Eh bien, Monsieur l’Officier, quel bruit viens-je d’entendre ici près ? Qui le cause ?
Des rebelles qui ne veulent pas assister au triomphe de la Folie ; c’est la Raison qui les débauche.
Ce ne sera rien. Les révoltes que la Raison excite dans l’Empire de la Folie ne sont pas dangereuses, et les révoltés rentrent bientôt dans leur devoir. Mais qui sont ces rares séditieux-là ?
Il y a d’abord un vieux philosophe péripatéticien.
Un philosophe péripatéticien ? qu’on ne le laisse pas aller, diable ! Son maître Aristote a formé les plus illustres fous de l’univers, à commencer par Alexandre le Grand.
J’ai fait arrêter aussi une figure d’une taille allongée, et d’un teint jonquille, qui s’appelle M. de la Griffe.
M. de la Griffe ! Voilà un nom d’huissier.
C’est pourtant un poète, qui dit hautement qu’il veut exterminer la Folie, dans son plus fort retranchement.
Un poète qui veut exterminer la Folie ! Il veut donc commettre un matricide ?
Il a entrepris de faire des opéras raisonnables.
Voilà une entreprise de Dom Quichotte ! Un opéra raisonnable, c’est un corbeau blanc, un bel esprit silencieux, un Normand sincère, un Gascon modeste, un procureur désintéressé, enfin un petit-maître constant, et un musicien sobre.
Où placerai-je dans la marche du triomphe de la Folie ce faiseur d’opéras raisonnables ?
Qu’on lui donne le pas sur ceux qui en font d’extravagants.
J’ai encore là un médecin qui se vante de guérir tous les maux passés, présents et à venir, avec une liqueur, que des ignorant prendraient pour de l’eau de la Seine.
Ce ne serait peut-être pas là une méprise, ce ne sont ma foi pas les porteurs d’eau qui tirent le meilleur parti de la rivière.
Que ferais-je de ce médecin-là ?
S’il a bien des pratiques, il faut le relâcher, allez. Seul. Ce n’est peut-être pas fou que de vendre une pareille marchandise. Est-il un magasin de liqueurs plus intarissable que la rivière ?... Mais j’aperçois le Carnaval avec Arlequin. Ils paraissent ivres tous les deux, tel maître, tel valet. Ne perdons pas une si belle conversation.
Air : Que je chéris, mon cher voisin
Mais quoi, aimerais-je toujours la Folie qui se rit de mes plus tendres soupirs ? Il fait un hoquet. Buvons.
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Oui, buvons. Il boit.
Allons chercher Momus.
Le voilà tout trouvé. C’en est donc fait, Seigneur Carnaval, vous voulez recourir à Bacchus ; il me paraît que vous lui avez adressé déjà plus d’une antienne.
Nous l’avons prié avec ferveur dès le matin.
Puisque vous le priez si matituneusement, je veux vous apprendre une invocation nouvelle. Écoutez, M. le distrait, Au Carnaval.
Air : Tu croyais, en aimant Colette
Si l’Amour n’est pas encore noyé, il faut qu’il sache bien nager.
Allons, apprenez donc votre antienne.
Que fais-tu donc là, gourmand ?
Je brise sa chaîne ! Morbleu, qu’elle est salée !
Bon, voici la Folie, nous allons avoir une scène bien passionnée.
Pour le mien, je ne sais pas trop ce que j’en ferai.
Fin de l’air : Robin turelure
Suite de l’air :
Et allons, évertuez-vous, que n’appellez-vous Madame, carogne, salope, chienne... fi, vous ne savez pas aimer.
Pour me venger de vous, je viens, avec le secours des Aquilons, de casser tous les pots à fleurs des jardins de la Jeunesse votre mère.
Et moi, sans le secours du moindre vent coulis, j’ai cassé les lunettes du bonhomme Plutus votre papa mignon.
Parce qu’ils consentaient tous les deux à notre mariage, vous brisez leurs meubles... Ah ! Ah ! Ah ! Vous les punissez de mes refus... Ah ! Ah ! Ah !
Le Carnaval boit volontiers. Quand on est ivre on fait tapage.
Hélas, vous oubliez donc tout ce que vous m’avez dit de tendre l’autre jour à l’Opéra ?
Ce n’étaient que des chansons. Mais vous-même, Monsieur l’enluminé, vous oubliez que tant pour vous effacer de mon cœur, que pour adoucir l’incarnat de votre physionomie, je vous conseillai de prendre de certaines eaux...
Ah ! Ah ! Monsieur le Carnaval.
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Eh bien ! Prenez du vin.
Je crève...
D’indigestion.
Hélas !
Air : Mon père je viens devant vous
Je n’en puis plus.
Même air
De grâce, emmenez ces deux ivrognes-là.
Nous sommes des ivrognes, il est vrai, mais nous avons le vin tendre. Il fait un hoquet.
Allons, mon ami, laissez-là une ingrate, allons.
Oui, mon cher Maître, allons...
Fin de l’air : Nanon dormait
Je suis charmée de ce que ce gros glouton de Carnaval m’aime encore si violemment, cela me fortifie dans l’indifférence que j’ai pour lui... Mais que vois-je ? C’est l’Amour lui-même ! Il ne sait pas encore que je l’aime... Comment lui ferais-je ma déclaration ? Comment ! Ah ! Ah ! Ah ! Il devinera bientôt mon secret. L’Amour est pénétrant et la Folie n’est pas dissimulée.
Bonjour, aimable fils de Vénus. Arrivez-vous de Cythère ?
Bon de Cythère ! Il y a longtemps que j’en suis déménagé. Les bâtiments de Paphos sont trop antiques... trop mal distribués... point de cabinets équivoques, point d’escaliers dérobés... Oh ! vive l’architecture commode de mes temples de Passi, et du Moulin de Javelle.
Vous ne vous plaisez donc plus dans les riches appartements d’Amatonte ?
J’ai pris les allures grenadières du dieu Mars, depuis qu’il s’est amouraché de ma chère maman, tout m’accomode, lit de camp, bottes de paille, gazon, je ne suis plus difficile à coucher.
Il faut convenir que l’Amour s’est bien perfectionné.
C’est une bonne école que les garnisons ! Tenez, je m’y suis défait de tout ce verbiage que je débitais dans les ruelles galantes du temps de Clélie, et de Cyrus. Je suis devenu laconique comme un caissier à qui on demande de l’argent.
Vous répondez oui aussi promptement qu’il dit non.
C’est la vérité. Mais si je parle moins, je gesticule davantage.
Vous ne pouvez gesticuler qu’avec grâce : gesticulez charmant Amour, gesticulez.
Peste ! Vous vous connaissez en style ! Vous savez que les gestes sont moins trompeurs que les paroles...
L’Amour ne peut s’expliquer trop clairement.
Oh ! pour clair, je le suis à présent : en voulez-vous un exemple ? Écoutez. Je n’aime plus ma femme Psyché, et c’est vous charmante Folie qui l’effacez dans mon cœur... hem, cela est-il clair ?
Je n’aime plus le Carnaval, et c’est vous qui me dégoûtez de ce piffre-là : hem, suis-je aussi claire que vous ?
Si nous continuons sur ce ton-là, notre roman ne sera pas long.
Oh çà, nous voilà d’accord, il faut nous marier ensemble. Comment vous déferez-vous de Psyché ?
Comment je m’en déferai ? Voilà une belle affaire, ma foi. Vous savez que l’Hymen est mon frère, tantôt aîné, tantôt cadet...
L’Amour ne vient pas souvent après l’Hymen.
Ne vous inquiétez pas des nœuds de l’Hymen. Quand je ne les romps pas tout à fait, je les desserre si bien qu’un époux à qui je rends ce petit service-là, se croit sans ceinture. Il quitte sa femme comme une robe de chambre.
Les pleurs de Psyché vous attendriront...
Moi, m’attendrir aux pleurs de ma femme ! Me prenez-vous pour un bourgeois ?
Que dira Vénus ?
Ma mère est vraiment une jolie mignonne pour se mêler de ma conduite !
Voilà comme je pense. C’est assez que Plutus et la Jeunesse approuvent un mariage pour qu’il me déplaise.
La peste ! Je n’imiterai pas ce benêt de Carnaval qui s’est avisé d’aller vous demander en mariage à votre famille, comme un galant de la rue Saint-Denis.
Il ne faut me demander qu’à moi-même...
Si l’on suivait cette méthode-là, il n’y aurait pas tant de malingres dans le régiment des épouseurs ; et si les belles en étaient les commissaires, elles casseraient bien des soldats à chaque revue.
Adieu, charmant Amour.
Vous me quittez dans le moment le plus tendre.
Je vais à ma toilette.
Eh ! Pourquoi ? Je ne vous trouve que trop aimable...
Oh ! Cela ne suffit pas. Vous savez que je tiens aujourd’hui cour plénière, j’ai ordonné la fête exprès pour vous, et cependant je veux y charmer jusqu’au moucheur de chandelles.
Voilà le cœur féminin tout pur ! Le caractère naïf des belles ! La tendresse d’un dieu qu’elles aiment ne les dédommage pas de celle que leur refuse un mortel qu’elles méprisent... Mais j’aperçois ma femme Psyché... Ne me voilà pas mal, je vais essuyer une longue harangue de ménage.
Qu’ai-je appris, perfide Cupidon ? Vous me trahissez ; on dit que vous voulez me répudier.
On dit, on dit... Quelle commère vous a fait ces histoires-là ?
C’est votre grand-mère Cybèle.
Ma grand-mère radote, et vous aussi.
Je radote ! Je radote ! Quelle façon de parler ! Est-ce là le langage que vous teniez quand j’étais fille ?
Quand vous étiez fille... j’étais garçon, moi. Voudriez-vous qu’un mari fît avec sa femme du récitatif d’opéra ?
Le scélérat ! Il se moque de moi !
Ma foi, Madame Psyché, si vous m’en croyez, nous nous séparerons sans bruit...
Qu’entend-je ? Nous séparer !
Eh ! Pourquoi non ? Quand on ne se trouve pas bien ensemble, il faut prendre son parti. Vous dites que vous ne pouvez plus demeurer avec moi, et moi je suis commode, je vous permets de vous retirer.
Quelle noirceur ! Ô Ciel ! Le traître veut me faire accroire que c’est moi qui demande à le quitter !
Ne faisons pas rire le public et gagner les procureurs. Puisque vous voulez absolument nous séparer, séparons-nous sans plaider.
Oh ! Je plaiderai, je plaiderai ; nous verrons beau jeu. Je solliciterai, je suis jeune, je solliciterai et vivement, et vivement. Nous serons jugés, nous serons jugés, bien ou mal, nous serons jugés.
Ah ! Ah ! Ah ! Parbleu pour une déesse, vous ne savez guère les moyens de vous venger d’un mari ! Ne sauriez-vous être coquette sans faire tout ce vacarme-là ? Mars vous lorgne, c’est un grand brunet qui est assez bien tourné, qui porte la perruque naturelle, et qui, de plus, a le toupet.
J’ai bien affaire de son toupet.
Il a plu à ma mère, et ma mère est connaisseuse. On peut acheter un galant qu’elle a marchandé.
Hom, elle n’a pas trop marchandé le dieu Mars. Allez, je n’ai que faire des restes de Vénus.
Ce dégoût est gourmand.
Que voulez-vous dire ?
Ce que vous pensez. Qu’on ne fait pas grande chère, lorsqu’on se met à table après des personnes qui ont bon appétit.
Quel discours !
Ah ! J’ai trouvé votre affaire. Vous qui êtes une doucereuse, ménagez-vous la tendresse d’Apollon. Il vous servira tous les matins un petit bouillon de madrigaux ; s’il vous meurt un perroquet, il en fera l’épitaphe ; si vous mariez votre bichon, il en fera l’épithalame. Il composera des vers marotiques sur vos yeux, sur votre gorge, sur votre... enfin vous serez rimée depuis la tête jusqu’aux pieds.
Je n’y puis plus tenir... Je me meurs.
Je crois qu’elle s’évanouit exprès pour se trouver encore dans mes bras... Qu’elle me paraît pesante ! hé, quelqu’un, Borée ou Zéphyr, apportez un siège, un fauteuil de gazon.
Air : Ne m’entendez-vous pas
Fort bien ! Allez-vous à l’exemple de Pelée psalmodier deux heures aux oreilles d’une femme évanouieFort bien ! Allez-vous à l’exemple de Pelée psalmodier deux heures aux oreilles d’une femme évanouie\footnote Pelée dans l’Opéra d’Alcione, s’amuse à faire de longues plaintes pendant que sa maîtresse se meurt, sans songer à la secourir. ? Ces héros d’Opéra prennent, je crois, leurs chansons pour de l’eau de la Reine d’Hongrie. ? Ces héros d’Opéra prennent, je crois, leurs chansons pour de l’eau de la Reine d’Hongrie.
Ouais, il me semble que l’Amour fait mon métier. Il plaisante.
Cher Momus, j’implore ici votre secours...
Mais je n’ai sur moi ni eau de mélisse ni gouttes d’Angleterre.
Vous prenez à gauche, mon cher Momus. Ce n’est pas la santé de ma femme qui m’embarrasse, c’est son amour : ne pourriez-vous pas m’en délivrer ?
Malepeste ! Quand une femme s’avise d’aimer son mari, comme elle ne le fait qu’en connaissance de cause, on a bien de la peine à l’en dégoûter. Cependant... Il rêve. Écoutez... Oh ! M’y voilà. Le fleuve Léthé est mon ami... J’y suis ma foi. Allez trouver votre chère Folie, laissez-moi ici, je vais guérir Psyché de ses préjugés bourgeois, et lui faire oublier jusqu’au premier jour de ses noces.
Ô vous pacifique Léthé, qui dormez sur votre urne, au fond des Enfers, réveillez-vous à ma voix et apportez-moi une petite potée de votre eau favorable.
J’obéis avec joie aux ordres de Momus, quoiqu’il m’ait arraché des bras du sommeil où je me trouve si bien.
Réveillez-vous donc, dormeur éternel, fleuve plus lent que la Saône, père des distractions et des balourdises, l’Amour a besoin de votre eau.
De mon eau ? Et à quoi est-elle bonne ?
Ah ! Que vous êtes bien le dieu de l’oubliAh ! Que vous êtes bien le dieu de l’oubli\footnote Cette pièce-ci a été faite longtemps avant celle du fleuve d’oubli, ainsi qu’on ne croie pas que cette tirade en soit prise. ! ! Donnez-moi de cette liqueur merveilleuse qui opère tant de prodiges et qui est la plus redoutable ennemie de la mémoire : en buvant seulement un verre de votre eau, on ne se souvient plus de rien. Il faut qu’on en débite furieusement à Paris, car on n’y voit que des amants qui oublient leurs maîtresses, des financiers qui oublient leur naissance, des petits-maîtres qui oublient leurs dettes, des barbons qui oublient leur âge, des Normands qui oublient leurs promesses, des Gascons qui oublient leur bourse quand ils vont en emplettes, et enfin je crois qu’on fait à présent de la limonade avec votre eau et qu’on en abreuve en été tout le public, car il oublie très fort les Comédiens Italiens, et moi je prends part à leur indigence.
Je vous proteste que j’y prends part aussi.
Oh ça, il s’agit de faire oublier un mari à sa femme.
Se peut-il qu’on ait besoin des eaux du Léthé pour cela ?
Où est la petite potée d’eau fraîche que je vous ai demandée ?
Je... je... Je vais la quérir.
Fort bien. Il fera, je gage, dix fois le voyage des enfers avant que d’apporter ce que je lui demande. Heureusement, les dieux font bien du chemin en peu de temps... Bon, Psyché est encore évanouie, je lui ferai boire de l’eau du Léthé sans qu’elle s’en aperçoive.
Tenez, voilà le pot.
Et voilà la cruche. Peste du butor, il m’apporte le pot sans l’eau !
Si j’y retourne, j’apporterai l’eau sans le pot.
J’aurai plutôt fait de descendre là-bas moi-même, attendez-moi ici.
Bon voyage, Seigneur Momus, faites mes compliments à Proserpine... Ah ! Ah ! Voici une belle dormeuse...
Air : Réveillez-vous, belle endormie
Oh ! pour le coup Psyché oubliera l’Amour, je tiens de la véritable eau du Léthé. Employons-là utilement.
Mais j’aperçois le Carnaval. Qu’il a le teint allumé !
Que faites-vous là ?
Une belle cure, une cure très rare ; nous guérissons une femme de l’amour qu’elle a pour son mari. On voit peu de ces maladies-là. Allons, belle Psyché, buvez un bon verre de cette eau-là.
Où suis-je ? Que vois-je ? En riant. Ah ! Ah ! C’est le Carnaval. \did Au Carnaval. Où y a-t-il bal ?
Laissez-moi avaler quelques gouttes d’eau, et puis je vous répondrai ; je viens de manger un gros saucisson en pestant contre l’ingrate Folie, cette cruelle que je ne saurais oublier...
Avez-vous mangé le saucisson tout entier ?
Me voilà bien rafraîchi. Ah ! Belle Psyché que vous êtes aimable ! Je ne vous ai jamais vue si piquante.
Je ne vous ai jamais vu si gai, vous.
Mais l’Amour est enchanté de la Folie.
Cela est naturel.
Il veut l’épouser.
J’y consens.
Voilà des esprits bien faits.
Et bien guéris de leur entêtement. Le Léthé n’aura pas étalé ici son magasin de liqueurs pour quelques misérables matelotsEt bien guéris de leur entêtement. Le Léthé n’aura pas étalé ici son magasin de liqueurs pour quelques misérables matelots\footnote Il n’opère cela que dans le Ballet.. À présent, l’Amour et la Folie peuvent se voir en sûreté. Mais ce n’est pas tout, il faut leur cacher leur bonheur pour le faire durer ; je les connais, ils sont d’humeur française ; ils cesseront de s’aimer, s’ils ne sont plus gênés. \did À Psyché et au Carnaval. Écoutez Psyché, et vous Monsieur le nouveau buveur d’eau, gardez-vous bien de montrer votre indifférence à l’Amour et à la Folie, ils ne manqueraient pas de vous persécuter. Écoutez Psyché, et vous Monsieur le nouveau buveur d’eau, gardez-vous bien de montrer votre indifférence à l’Amour et à la Folie, ils ne manqueraient pas de vous persécuter.
Tenez, voilà le Carnaval et Psyché qui sont au désespoir de votre intelligence.
Tant mieux, tant mieux. Ah ! S’ils pouvaient pleurer, que je rirais.
Croyez-moi, ma bonne, prenez votre parti. Rien ne sied plus mal à une Déesse que d’être jalouse de son mari : dussiez-vous en jurer, je prétends dès ce soir faire lit à part...
Lit à part ! Quel effroyable mot pour les oreilles d’une jeune mariée ! Allons, qu’on ne s’occupe plus que de la fête préparée pour l’aimable Folie. Je conseille au Carnaval de rester avec nous, car il serait bien triste sans la Folie ; vous, ses aimables et comiques sujets, avancez, venez chanter sa gloire, et entendre ses leçons.
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