M.G. G. M. D. E. E. F. D. T. [Levesque de Gravelle]
L’Amant déguisé
Vertumne et Pomone travestis
Parodie du quatrième acte des Éléments
Représentée par les Comédiens Italiens
le 5 juin 1754
Paris, Duchesne, 1754
Acteurs
Daphnis, berger déguisé sous l’habit de Justine sa sœur, autrefois confidente de Thémire : Monsieur Rochard
Thémire, bergère : Madame Favart
Schnapan, garde chasse : Monsieur Chanville
Troupe de Bergers et Bergères
Troupe de chasseurs
L’Amant déguisé
\scene[Le théâtre représente des vergers. – daphnis
déguisé
Air : Di quest’alma, il sior tormento
J’aime une bergère,
Du hameau, c’est la plus fière,
Ah ! si je pouvais lui plaire,
Qu’elle écoutât mon amour !
Mais, comment lui plaire ?
Elle est si sévère,
Je n’en serai jamais payé de retour.
Hélas ! de ma chaîne,
L’inhumaine
Fais ma peine.
Elle trouve des plaisirs,
Dans mes soupirs.
J’aime une bergère,
Je ne puis le taire,
Et de ma flamme sincère,
Je cache toujours l’objet.
Trop de silence,
Est une offense,
Échos, sachez mon secret.
Mais, que vais-je dire ?
Tout doit vous instruire,
Pour qui le Dieu d’amour,
M’enflamme en ce jour.
Un feu, qu’elle ignore,
Me dévore.
Je l’adore.
Pourquoi sait-elle charmer
Sans savoir aimer ?
Air : On ne vit plus dans nos forêts
Ma bergère vient en ces lieux.
La peur me saisit à sa vue,
Mais sous cet habit dans nos jeux,
Justine avec elle est venue ;
Passant à ses yeux pour ma sœur,
Je lirai bien mieux dans son cœur.
Scène i
Daphnis, Thémire
Thémire
Air : Pour Jeannette
Que la fête
Qu’on apprête
Pour mon cœur,
Aura peu de douceur.
Tout nous gêne,
Tout nous peine,
Une fois
Qu’on suit d’amour les lois.
Ah ! qu’une âme
Qui s’enflamme
Pour ses feux,
Craint un sort malheureux.
Quel martyre,
On soupire,
Nous craignons, le mal empire.
Tout conspire,
Semble nuire,
À l’ardeur
Qui fait notre bonheur.
daphnis
Air : Ô Pierre
Je te revois, Thémire,
Thémire
Justine est dans ces lieux,
Mais quel trouble m’inspire ?
Dois-je en croire mes yeux ?
daphnis, à part
Thémire
Soupire,
Est-ce un présage heureux ?
Thémire
Air : L’occasion fait le larron
Je veux tacher de lui cacher le trouble,
Que sa présence vient de me causer.
Mais malgré moi, je le sens qui redouble,
Il est prêt à me déceler.
daphnis
Air : Mais il est des moments
Que nous formons de vains désirs,
Quand loin de nos plaisirs,
Le devoir nous entraîne.
Nous passons des moments,
Dieux ! quels moments !
Loin de sa chaîne,
Un cœur tendre est dans les tourments.
Thémire
Air : Fleurettes
Loin de toi, chère amie,
L’ennui filait mes jours.
daphnis
D’une absence ennemie,
Je condamnais le cours.
Thémire
Matin et soir ces retraites
N’entendaient que mes soupirs.
Je faisais tous mes plaisirs
De ces fleurettes.
daphnis
Air : La Bourgogne
En revenant au village,
Je ne désirais que toi.
Thémire
La confiance est le gage,
Le plus certain de la foi.
duo, ensemble
Tu sais que dans ce bocage
Où nous allions tous les jours,
Nous n’avions d’autre langage
Que celui de nos amours.
Thémire
Air : N’oubliez pas votre houlette
Seule toujours
Dans cet asile,
Tranquille,
Je passais chaque jour.
daphnis
Quelque amant...
Thémire
J’en suis les discours.
daphnis
Sans aimer, il est difficile.
Thémire
Sans aimer... Ah ! dans cet asile
Tranquille
On craint peu les amours.
daphnis
Air : Je ne veux d’autres biens
Pourquoi toujours fuir les amants ?
Thémire
Justine, je crains le langage,
On dit qu’ils sont tous inconstants,
En s’y fiant, on n’est pas sage.
daphnis
Il en est de constants,
Chère Thémire,
Qui n’osent dire
L’excès de leurs tourments.
Thémire
Air : Quand le péril est agréable
De ces agréables retraites,
Je fais mes plaisirs les plus doux.
Je goûte ici loin des jaloux
Mille douceurs secrètes.
daphnis
Air : la Baronne
La solitude
N’est douce qu’avec un amant,
Qui de plaire fait son étude.
On ne choisit guère autrement
La solitude.
daphnis
Air : Chacun à son tour
De toi, l’on se plaint au village,
Chacun parle de ta rigueur.
Pourras-tu sans cesse à ton âge
À l’amour refuser ton cœur ?
Le temps vient qu’il faut qu’on s’y soumette.
Thémire
Peut-être sera-ce en ce jour,
Chacun à son tour,
Liron, lirette,
Chacun à son tour.
daphnis
Hélas ! un autre plus heureux,
À part.
Malgré mes feux,
Sait donc engager cette belle.
On entend un bruit de chasse.
Thémire
Qu’entends-je ? Oh, ciel ! Quel bruit affreux
Perce ces lieux
Et me cause une peur mortelle.
Fuyons, fuyons.
Scène ii
Daphnis, Thémire, Schnapan
schnapan
Point de frayeur !
Thémire
C’est vous justement, Schnapan, dont j’ai peur.
schnapan
Air : la Royale
D’où naissent ces alarmes ?
Dis-moi, mon tendron,
Qu’appréhendes-tu donc ?
Quand on a tant de charmes
Doit-on fuir toujours un garçon ?
Pour toi, l’amour me blesse,
Faut-il que tes yeux
Allument tant de feux ?
J’te choisis pour maîtresse.
Comble les vœux
De mon cœur amoureux.
Thémire
Air : Bon, bon, ce n’est qu’une fable
D’une flamme si subite
Je crois que l’on peut douter.
schnapan
D’un rien mon ardeur s’irrite,
J’n’aim’ pas à m’voir rebuter.
Quand nous aimons, dam nous autres,
C’est qu’c’est bon jeu, bon argent.
Et j’envoyerions aux piautres,
Ceux qui en doutraient un moment.
Air : Ton humeur est, Catherine
Lorsque la chasse s’apprête,
Je n’ai que toi pour objet,
Et quand je sonne la quête,
Mon cœur gémit en secret.
Devant moi, s’il part un’ bête,
Je vous la rate tout net.
C’est qu’j’t’ai toujours dans la tête,
Et qu’tout ça me rend distrait.
Air : Tes beaux yeux, ma Nicole
Jamais de Fanchonette,
Je n’eus le cœur épris.
Pour la jeune Lisette,
Je n’eus que du mépris.
Du Dieu du tendre empire,
Je bravais le pouvoir
Mais pour aimer, Thémire,
Il ne faut que te voir.
Thémire
Air : Joconde
Je connais trop bien le danger,
Que court une âme tendre,
Je ne veux jamais m’engager...
schnapan
Il faudra bien te rendre,
Mais je ne veux pas te heurter,
La réflexion faite,
Tu viendras bientôt m’accepter,
Pour mari, ma poulette.
divertissement, de chasseurs
Chantons,
Amis, sonnons,
L’amour,
En ce jour,
Va guider tous nos sons ;
Il comble mes désirs,
Chantons aujourd’hui ses plaisirs.
Suivons tous sa voix,
Vivons sous ses lois,
De l’ennui, jamais,
Nous ne craindrons les traits.
Chantons, etc.
Ronde
Quand au bois vous allez, fillettes,
Songez à vous garder des loups.
Ne venez point ici seulettes,
Prenez un chasseur avec vous.
Un amant souvent d’un air tendre,
Vous joint, et vous ne fuyez pas ;
Du gaillard qui veut vous surprendre,
Vous tombez bientôt dans les lacs.
Quand au bois, etc.
L’autre jour, la jeune Colette,
En gardant ici son troupeau,
S’endormit seule sur l’herbette,
Le loup vint, lui prit un agneau.
Quand au bois, etc.
Une guêpe passant près d’elle,
Vole en formant un tourbillon,
Tout à coup fondant sur la belle,
La pique de son aiguillon.
Quand au bois, etc.
La pauvre bergère alarmée,
De ses cris remplit tout le bois.
j’accours, je la trouve pâmée,
Du remède, l’amour fit choix.
Quand au bois, etc.
Thémire
Air : Au bout du monde
Je reçois de vos feux l’hommage,
Mais laissez-moi, c’est le seul gage,
Que j’exige de votre foi.
Faites votre ronde.
schnapan
Ah ! J’irais pour toi
Au bout, au bout, au bout du monde.
Il sort et sa suite.
Scène iii
Daphnis, Thémire
Thémire
Air : Contre un engagement
Viens vite, suis mes pas,
Ne laisse point Thémire...
daphnis
Je ne te quitte pas,
Près de toi, tout m’attire.
Thémire
Partons...
daphnis
Pour quel asile ?
Thémire
Restons... non, non, viens-t-en...
daphnis, à part
Ah ! qu’il est difficile,
De cacher son tourment.
Thémire
Air : L’autre jour, d’un air enfantin
Justine n’appréhende pas
Que pour toi mon amitié cesse.
daphnis
Plus que l’amitié sur tes pas,
Thémire me conduit sans cesse.
Si tu savais...
Thémire
Va ! je connais...
Pour moi, ton zèle extrême
Je sais...
daphnis
Non, non, tu ne saurais
Savoir combien je t’aime.
Thémire
Air : J’ai vu la rose
Crois-tu, Justine,
Qu’aux amants les plaisirs
Qu’Amour destine,
Remplissent leurs désirs.
daphnis
Quand au gré de ses vœux,
On jouit de ses feux,
Il n’est plus de martyre.
Ce bonheur se sent mieux,
Qu’on ne peut dire.
Air : De s’engager
Mais ce chasseur, te touchera peut-être.
Est-on cruelle avec autant d’attraits !
Thémire
Moi, j’aimerais... non, mon cœur est son maître.
daphnis
Qui de l’Amour peut éviter les traits ?
Dans ces vergers,
Les zéphirs légers,
Toujours caressent la fleur nouvelle.
Le rossignol
Jamais dans son vol
Ne suit que sa femelle.
Vois ce palmier,
Vois-le se plier,
À l’autre il s’unit pour former un berceau.
Vois-tu ce lierre,
Comme il se serre,
Sur ce jeune ormeau.
Les bois, les eaux,
Les fruits, les oiseaux,
Ne te présentent rien qui n’enchante.
Dans ce séjour,
Tout est de l’amour,
Une image vivante.
Air : Dieu des âmes
Quoi, Thémire
Soupire !
Thémire
Laisse-moi...
daphnis
Moi, te laisser !
De ton âme,
La flamme
Ne saurait plus se cacher.
Thémire
Sur ma peine
Trop certaine,
Je voudrais te consulter.
Cours, regarde,
Prends bien garde
Que l’on ne puisse écouter.
daphnis
Air : Un mouvement de curiosité
Tu peux parler...
Thémire
Ne peut-on nous entendre ?
daphnis
Dans vos vergers, tout respire la paix.
À part.
Je tremble, oh ciel ! que va-t-elle m’apprendre !
J’ai trop su lire dans ses yeux distraits.
Thémire
J’aime... Jamais, je n’ai pu m’en défendre.
daphnis
En qui tes yeux trouvent-ils des attraits ?
Thémire
Si de mon vainqueur,
Je te disais le nom ?
daphnis
Sait-il son bonheur ?
Thémire
Hélas ! je crois que non.
S’il savait encore,
Tout ce que je sens.
Mais son cœur ignore,
D’Amour les tourments.
Cher vainqueur
De mon cœur,
Le bonheur
Dépend seul de ta flamme.
Comme moi,
Suis la loi
De l’Amour,
Qu’il te guide toujours.
Verger charmant,
Sans mon amant
Tu redoubles mon tourment.
Ah ! sans lui, quel triste ennui.
Mon âme
Ne vit que pour lui.
daphnis
Quand on voit tes attraits,
On soupire.
L’amour de toi prend ses traits,
Tu fais croître son empire.
Ce dieu plus d’une fois
Te désire.
Son carquois
N’a de droits,
Que par toi.
Tout ne respire
Que pour ta loi.
Dis-moi, de bonne foi,
De qui ton cœur fait choix...
Thémire
Je n’ose te le dire...
daphnis
Que crains, Thémire !
De moi,
Que crains Thémire !
Thémire
C’est Daphnis que j’adore.
Au feu qui me dévore,
Je n’ai pu résister.
Il sait trop me flatter.
Justine ôte son masque et fait voir que c’est Daphnis.
daphnis
De Daphnis reçois l’hommage,
Fais son bonheur
Par ton ardeur.
Que tes désirs
Règlent mes plaisirs ;
Que l’amour,
Toujours,
Nous engage.
Thémire
Air : Il n’est point de fleurettes
Daphnis de quelle ruse
Vous servez-vous ?
daphnis
En amour, on en use,
Rien n’est si doux.
Thémire
D’une pareille offense
Je devrais vous punir.
daphnis
Hélas ! votre silence,
M’a fait assez souffrir.
Thémire
Daphnis, de quelle ruse
Vous servez-vous ?
daphnis
En amour, on en use,
Rien n’est si doux.
Scène iv
Daphnis, Thémire, Schnapan
schnapan
Air : Ça n’vous va brin
Sarpeguen’ Mademoisel’ Thémire,
De vos refus
J’n’m’éton’ plus ;
C’est Daphnis qui sait vous séduire.
Tacher d’vous plair’ seraient soins perdus.
Au beau berger qui vous engage,
Je n’viens pas pour porter ombrage.
Oh ! j’ai pris mon parti là-d’sus,
Ce s’rait un abus,
Qu’d’en être confus.
thémire et daphnis, ensemble
Vole amour,
Vole dans ce séjour ;
Que tes traits
Pour jamais,
De nos cœurs
Règlent les ardeurs.
Sur nos vœux,
Forme tes jeux ;
De nos feux
Serre les nœuds.
Amour,
Pour toujours,
Sans retour,
Mon choix
De ta voix
Tient les lois.
Nos jours,
Tour à tour,
Dans leurs cours
Pour
Tes plaisirs seront trop courts.
divertissement, de bergers et de chasseurs
Un berger
La paix et l’innocence,
Règlent tous nos plaisirs.
C’est dans notre silence
Qu’Amour lit nos désirs.
Un berger plein de flamme
N’ose expliquer ses vœux ;
Mais le Dieu qui l’enflamme,
Sait couronner ses feux.
Un chasseur
Dans nos désirs,
Dans nos plaisirs,
Loin qu’un’ maîtresse
D’ses attraits nous blesse.
Dans nos désirs,
Dans nos plaisirs,
Du vrai bonheur
Nous goutons la douceur.
D’aimer un jour, si j’avions la faiblesse,
Sans barguigner
La chose il faut brusquer ;
Et si la belle veut faire la tigresse,
C’est dans l’seul vin
Qu’il faut noyer l’chagrin.
Dans nos, etc.
schnapan
Air : la Gentille
Compagnons que l’plaisir ici rassemble,
Dans nos jeux
Célébrons leurs feux.
Unissons Bacchus et l’amour ensemble ;
Sans ces Dieux
Peut-on être heureux ?
Bannissons loin de nous l’austère sagesse,
N’souffrons point de tristesse !
Dans les plaisirs passons nos jours,
Qu’une tendre ivresse
Par ses doux attraits nous blesse.
Dans les plaisirs passons nos jours,
Que les ris, les jeux en partagent le cours.
Fin