Auteurs : | Fuzelier (Louis) |
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Parodie de : | Alcyone de La Motte et Marais |
Date: | 1719 |
Représentation : | Non représentée |
Source : | ms. BnF, fr. 9333 |
Eh ! bonjour mon ami Pelée !
Chut !
Qui diable aurait cru vous rencontrer chez le compère Ceix, ce débonnaire hôtelier de Charenton ?
Motus !
Comment, motus, êtes-vous ici incognito ? Vous êtes un gaillard qui ne pouvez vivre longtemps bien avec la justice ; en auriez-vous essuyé quelque vespérie ? Car la justice se mêle un peu de votre conduite aussi bien que de la mienne ; elle est pour nous comme une espèce de mère et sûrement Le touchant à l’épaule. vous et moi nous ne sommes pas ses enfants gâtés.
Ouf...
Ô çà, contez-moi un peu ce qui vous a conduit des rivages de la Garonne, où vous étiez involontaire dans la milice, sur les rives de la Seine, où moi je suis à présent joueur de marionnettes pour éviter l’oisiveté.
Comment, l’illustre Phorbas est joueur de marionnettes ?
Eh ! pourquoi non ? Est-il rien qui marque plus l’étendue de l’esprit humain que la profession d’un joueur de marionnettes ? Il faut qu’il soit à la fois décorateur, acteur, auteur et moucheur de chandelles.
Vous avez quitté une bonne commission de rat de cave...
Vous avez déserté de votre régiment.
Vous méprisez bien le vin ?
Vous méprisez bien vos oreilles, vous ! Mais j’aperçois le compère Ceix, il faut que je l’embrasse.
Eh ! Bonjour compère Phorbas.
Eh ! bonjour compère Ceix ! comment va le négoce ? S’ennivre-t-on bien à Charenton ?
Oui, dieu merci, le Carême a été bon.
Le Carême n’est pourtant pas la saison des matelotes ; tout le monde est malade.
Cela est vrai, et tous ces malades-là vont s’aliter aux environs de Paris.
Et Charenton n’est pas la plus mauvais infirmerie de la banlieue. On y débite les meilleurs sirops de Bourgogne et de Champagne ; mais compère dites-moi un peu à qui en a notre ami Pelée. Il a l’air d’un...
Comment, vous prétendez me conter vos affaires en chantant ! Ma foi si vous me lancez des sarabandes, je vous décocherai, moi, des vaudevilles, j’ai acheté le sottisier de défunt l’Opéra-Comique.
Mon très cher ami Pelée a eu l’indiscrétion de jeter
en badinant un gros pavé a la tête de son frère aîné, on ne sait s’il en reviendra.
Le petit badin ! Un gros pavé !
Ce ne sera rien, mon frère se porte assez bien, on le trépane seulement.
On le trépane seulement ! L’opération est amusante ?
Mon cher ami Pelée après ce petit accident s’est sauvé de son pays, je l’ai reçu chez moi et, pour l’y garder avec plus de sûreté, je viens de renvoyer à ma guinguette de la Courtille deux de mes garçons qui le connaissaient. Je n’ai réservé qu’un petit étranger appelé Arlequin.
Voila ce qui s’appelle un ami capable de donner de quinze et bisque à Oreste et Pylade.
Je suis charmé, compère Phorbas, de vous avoir
ici. Je vais me marier, je vous prie de ma noce ; vous connaissez ma future, c’est Alcyone.
Tête bleu, c’est un des bons partis de Charenton que cette Alcyone la grosse laitière, simple créature, corsage épais et robuste, air de santé et d’innocence, sans malice, on ne la prendrait jamais pour une fille.
Hélas !
Compère ! Au moins vous nous donnerez les marionnettes ? Alcyone ne les a jamais vues.
Elle verra un spectacle des plus brillants, j’ai primé à la foire Saint-Germain dernière ; je vous réponds qu’on n’y a pas regretté l’Opéra-Comique et que j’ai fait bouquer l’opéra sérieux. Il est fort processif, Monsieur, l’opéra sérieux. Savez-vous qu’il a voulu plaider Polichinelle ?
Plaider Polichinelle !
Oui, plaider Polichinelle.
Et sur quoi ?
Polichinelle s’avisa de chanter, cela déplut à l’opéra qui prétend avoir hypothèque sur tous les gosiers du royaume et qui a la rage de chanter tout seul quoiqu’il soit souvent enrhumé.
Compère, entretenez mon chez ami Pelée, Alcyone m’attend et j’y cours.
Son accès musical le tient ; faisons la contrepartie.
Air : À la façon de Barbari
Ècoutez mon pauvre Pelée, je suis tout à vous, quoique je ne sache pas trop d’où vient notre connaissance. Je vous servirai contre le compère Ceix, je sais jouer des gobelets, je lui escamoterai Alcyone.
Ma foi, si vous voulez mourir, la justice pourrait bien vous rendre ce petit service-là... Allons, ferme, point de sentiments en bémol ; laissez-moi conduire votre barque... Je passe pour sorcier dans l’esprit de Ceix et d’Alcyone, ce sont deux imbéciles qui croient tout ce qu’on leur dit. Je veux vous donner gratis un plat de mon métier... Je vais d’abord engager Ceix à faire un tour à Paris, je lui ferai croire que j’ai là un correspondant
en diablerie qui lui apprendra sa bonne aventure qu’il m’a prié tantôt de lui dire, car il se fie à moi sans savoir pourquoi, le bonhomme.
Mais puisque Ceix vous prend pour un fameux devin et qu’il a recours à vous, il sera surpris que vous l’envoyiez à un autre.
Ne vous embarrassez pas de cela ; j’ai des prétextes à lui fournir qui ne valent pas grand chose à la vérité mais avec un sot tous les prétextes sont bons.
Je m’abandonne à vos conseils.
Je vous promets que dans un quart d’heure Ceix sera sur le coche d’Auxerre qui vient s’arrêter ici selon sa coutume Il rêve un moment.Quand le compère sera parti, nous sonderons le cœur d’Alcyone par une fourberie que je viens d’imaginer. J’ai ici mes acteurs et mes marionnettes. Cela suffira pour tromper une laitière, et une laitière niaise encore. Venez, comptez sur moi, j’écarterai
Ceix, j’affligerai Alcyone et vous la consolerez, vous ; je ne sais pourtant si vous êtes un bon consolateur.
Ô ! quelle fortune pour Arlequin ! Mon maître a congédié tous mes camarades les garçons de cabaret ; je suis resté seul, ainsi j’aurai seul tous les profits que je partageais avec eux, je boirai seul le reste de toutes les pintes, je mangerai seul les restes de toutes les tables, les restes de potage, les restes de poularde, les restes de boudin, les restes de fromage... Oh ! quel festin ! Il devient triste. Oui mais... étant seul si je bois les restes de toutes les pintes j’aurai la peine de les aller tirer toutes ; si je mange les restes de tous les plats, j’aurai la peine de les porter tous sur les tables, ohimé ! il faudra que j’aie un commis pour faire le travail et moi j’aurai la fatigue de manger ; j’ai servi un gros maltôtier qui en usait ainsi.
pas le temps, Arlequin le presse, le docteur lui apprend la chanson qu’Arlequin redit exactement jusqu’au premier je bois, quand il a bu, il ne peut achever la chanson, ce qui donne lieu a des impatiences du docteur qu’Arlequin fait recommencer inutilement ; le docteur veut prendre sa chopine, Arlequin dit qu’il ne la donnera pas qu’il ne sache la chanson, et vide ainsi seul la chopine par les répétitions, on crie dans la coulisse : Au coche, au coche. Le docteur dit rendez-moi donc mon argent, Arlequin lui répond la chopine n’est-elle pas bue ? et le chasse à coups de bâton en criant : Au coche, au coche.
Eh ! Mais chantez donc madame Alcyone !
Ça mon, je suis bien en humeur de chanter, on me plante là pour reverdir dans un moment où je m’attendais ah, ah, ah, ah.
Adieu ma chère Alcyone, vous serez cause que je manquerai le coche.
Vous serez cause vous que mon lait tournera, je vous apportais ce fromage à la crème, échantillon de celui de notre noce, mais hélas !
Il faut s’il vous plaît que vous gardiez la maison, cela est nécessaire Bas à Ceix. pour votre dessein
Approche cher ami, tu vois qu’un sort barbare de l’objet de mes vœux aujourd’hui me sépare, je confie en tes mains ce dépôt précieux...
Oh ! Nous garderons ce dépôt-là comme un notaire. Bas. Nous le ferons valoir.
Oh ! Cela est vrai, il a toutes les envies du monde de vous ressembler bien exactement.
Un époux, quitter sa future le jour de ses fiançailles.
Bon, bon, je connais un Ceix qui quitta sa femme le jour de ses noces.
N’avez-vous rien de plus pressé que d’aller à Paris ?
Tous les Ceix sont comme cela, ils se mettent en voyage quand ils ont de la besogne chez eux.
Adieu, pour la dernière fois, ayez bien soin du logis, veillez un peu sur mon vin.
Il fuit, il craint mes pleurs ; ah ! cher époux arrêtez ! Ciel ! Il ne m’entend plus, le cocher fend les eaux...
Bon, elle est évanouie ? Profitons de ce moment pour faire jouer nos marionnettes, elles sont déjà disposées. Allons donner mes derniers ordres, venez.
À l’autre ! Ne voulez-vous pas lui chanter votre amour tandis qu’elle n’entend rien ? Nous ne sommes pas ici à l’Opéra, où les amants prennent leurs chansons pour de l’eau de la Reine d’Hongrie.
Il faut garder ce gueulard-ci, il pourrait nous interrompre. À Arlequin. Allons, coquin, allez à la cuisine.
Vous n’avez qu’à commander.
Elle n’est pas encore revenue, tant mieux. L’évanouissement d’une femme qui perd son mari n’a jamais de mauvaises suites ; vous monsieur Pelée, allez vous embusquer dans ce coin-là ! Je vous avertirai quand il sera temps de parler ; j’ai disposé mes acteurs et mes marionnettes pour contrefaire les songes, nous ne disposons pas du dieu Morphée à notre fantaisie sur nos petits théâtres, mais la pâmoison de notre Alcyone vaut bien un assoupissement. La bonne fille
croira rêver, vous savez que ce sexe ajoute foi aux songes... Mais ne perdons point de temps, allez vous poster ; vous allez voir le coche d’Auxerre agité sur les ondes de la seine, vous entendrez un chœur de marchands de bœufs et de nourrices ; c’est savant tintamarre ! Allons qu’on tire le rideau !
Air : Adieu paniers, vendanges sont faites
Quel carillon ! Que vois-je ? Où suis-je ? Ah ! Mon cher Ceix se noie ! Au secours ! Au secours !
Qu’on baisse le rideau... À Pelée. et vous montrez-vous, allez au secours, voilà le moment favorable pour faire votre déclaration.
Qu’avez-vous belle Alcyone ? Quel triste songe avez-vous fait ?
Oh ! Ce n’est point un songe ? Mon cher Ceix est noyé... Je l’ai vu... Qu’il était diminué !
Oh ! Dame, quand on meurt, cela maigrit bien !
Mais je connais aux pleurs que je vous vois répandre que vous sentez le coup dont mon cœur a frémi. Quand je perds l’amant le plus tendre vous perdez le plus tendre ami.
Hélas !
Par mille soins il vous l’a fait connaître, de son hôtellerie il vous laissait le maître, il m’a même en passant confiée en vos mains, nous partagions son cœur.
Vous, un traître ?
Je vous jure qu’il n’est qu’un sot...Bas à Pelée. Peste de l’animal ! N’implorez-vous le secours de mes marionnettes et ne me faites-vous noyer un coche que pour jouer un rôle de poule mouillée !
Vous, un traître !
Oui, je suis un traître, un fripon, un coquin, un maraud et Monsieur Phorbas aussi.
Voilà une sincérité bien placée, peste de
l’imbécile qui est gascon et qui a des remords !
Air : Jean, ce sont vos rats
Quelle chienne de scène faite-vous donc là ? Il n’y a pas le sens commun.
Dieux ! Que viens-je d’entendre ? Pelée trahir Ceix ! voilà de nos amis à la mode.
Cette mode-là a commencé dès le déluge.
De grâce, tuez-moi, belle Alcyone.
Oui, égorgez ce pauvre petit poulet qui n’a pas la force de se couper le cou lui-même.
Eh bien ! Si vous m’aimez, ma mort va vous punir !
Hélas ! Mon pauvre maître ! Hélas ! Le pauvre coche !
Quoi ?
Hélas ! Mon pauvre maître ! Hélas ! Le pauvre coche ! J’étais allé sur le bord de la rivière chercher ma blanchisseuse. J’ai vu... j’ai vu... Hélas mon pauvre maître ! Hélas le pauvre coche !
Ah ! Tu me tues, achève !
Le coche allait tranquillement son chemin ; mon maître rêvait tranquillement assis sur un tonneau, quand un brutal de coche qui venait de Paris les a rencontrés a deux pas d’ici et leur a donné en passant un coup de coude... Hélas ! Mon pauvre maître ! Hélas ! Le pauvre coche !
Voilà donc mon rêve... O ciel ! Qu’est devenu mon cher Ceix ?
La peste ! Aurais-je prophétisé ?
Réponds donc, qu’est devenu mon cher Ceix ?
Sa corde a cassé, son mât s’est brisé.
Que veux-tu donc dire ? La corde et le mât de Ceix ?
Je parlais du coche !
Et moi, je te parle de mon cher Ceix.
Il s’est fait une ouverture de trois pieds au moins... Le menuisier y travaille actuellement.
Le menuisier panse Ceix !
Non, il panse le coche. Savez-vous bien monsieur Pelée que si vous vous moquez de moi... !
Dis-moi seulement où est mon cher Ceix ? Où l’as-tu laissé ?
Je l’ai laissé dans la rivière.
Ah ! Courons chercher le corps de mon cher Ceix.
Oui, ne vous amusez pas à faire son oraison funèbre, cela ne passe que
dans une tragédie en musique.
Ciel ! Que vois-je ? C’est lui !
Voilà mon cher mari ! Qu’il est flasque ! Qu’il est froid ! Dieux cruels ! Est[-ce] ainsi qu’il fallait me le rendre ? Tôt de l’eau de vie... du ratafia, je crois qu’il n’est pas mort. Arlequin court chercher du ratafia. Cours, Arlequin, cours !
Ne vous en allez pas ! N’ajoutez pas cette sottise-là à toutes celles que vous venez de faire ! Feignez de l’empressement auprès de Ceix, s’il en revient et laissez lui épouser Alcyone ; cela ne nuira pas à votre amour !
Ah ! Mon cher ami !
Monsieur Ceix, m’entendez-vous ? Ne vous avisez pas de mourir ! Nous n’avons pas ici de Neptune à point nommé pour vous ressusciter et vous régaler d’un nid d’Alcyons sur les bords de la Seine, vous ne pourriez accabler que le goujon, ne m’entendez-vous pas ?
boit pour lui, ce jeu se répète deux ou trois fois. Ceix soupire.
Il soupire ! Il n’est pas mort !
C’est l’effet du ratafia, il est excellent.
Faites bonne contenance !Bas, à Alcyone. Ne parlez de rien à Ceix dans l’état où il est, Pelée vous promer qu’il sera plus sage quand vous serez mariée.
J’ai diablement bu d’eau.
Et du ratafia !
Nous avons tâché de désennuyer votre future pendant votre absence... Allez, vous avez un ami bien chaud dans Monsieur Pelée.
Et Monsieur Pelée a un ami bien humide dans mon maître.
Croyez-moi ! Je vois venir les gens du coche qui se réjouissent de n’être pas noyez... Réjouis[sons]-nous nous autres de ce qu’ils se réjouissent ! Vous, Monsieur Ceix, épousez au plus tôt Alcyone, vous Monsieur Pelée, mariez-vous le plus tard que vous pourrez, souvenez-vous qu’une égyptienne de mes amies vous a prédit que si jamais vous vous mettiez en ménage, il naîtrait de vous un fils que son parain nommerait Achille, que ce fils-là vaudrait mieux que son père, qu’il ne deserterait pas dans la milice et qu’il tiendrait mieux sa place que vous dans les gazettes et dans le Mercure Galand.
J’entends mes camarades de bain, apparement, ils n’ont pas été si bien saussés que moi, je crois que je ne ferai pas mal d’aller brûler un fagot.
Fi donc, un fagot ! Il serait beau que le héros d’un divertissement allât se chauffer tandis que la fête se fait pour lui. Non, mort bleu, il faut qu’il y assiste en habits trempés et c’est du moins ainsi qu’en usent en pareil cas les Ceix chantants.
Mais l’eau me dégoutte partout !
Eh bien ! Dansez, pour vous sécher.
Ma foi, je me morfonds ici, mon cher Pelée. Tiens compagnie à ma petite femme.
Souffrez que je vous suive.
Viens si tu veux, je vais changer de chemise.
Nous ne sommes pas encore tout à fait mariés, je ne dois point voir cela.
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